Prise en charge des enfants infectés par le VIH en Afrique

Par le VIH en Afrique

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Prise en charge des enfants infectés par le VIH en Afrique Par Christian Courpotin* et Denis da Conceiçao *Pédiatre, Hôpital Armand-Trousseau, Paris, France. Dans la lutte que chacun doit mener contre le VIH, il faut accorder une place importante aux enfants qui en sont souvent les victimes, qu'ils soient directement infectés par le virus ou qu'ils subissent indirectement les conséquences socio-économiques de l'infection pour leurs parents ou pour leur environnement familial proche. I. L'épidémiologie des enfants infectés par le VIH en Afrique (estimation fin 2000) L'Afrique est le continent le plus concerné par l'infection à VIH. Sur les 36,1 millions de personnes vivant avec le VIH, 25,3 millions vivent en Afrique et, parmi elles, on compte 1,1 million d'enfants de moins de 15 ans. Sur les 500.000 enfants de moins de 15 ans décédés du sida en 2000, 440.000 vivaient en Afrique subsaharienne. De même sur les 600.000 enfants infectés en 2000 dans le monde, 520.000 l'ont été en Afrique subsaharienne. On estime que 15.000 personnes sont infectées chaque jour dont 1.700 enfants de moins de 15 ans, 95 % d'entre eux vivent dans des pays en développement. Fin 1999, on estimait que 13,2 millions d'enfants étaient devenus orphelins dans le monde à cause du VIH dont 12,1 millions en Afrique subsaharienne. Ces chiffres témoignent du drame humain que constitue l'épidémie du VIH pour les enfants, qu'ils soient infectés ou affectés par le VIH. Il. Quand doit-on évoquer le diagnostic d'infection à VIH chez l'enfant ?

  • Le dépistage d'une femme enceinte séropositive pour le VIH dans le cadre d'un programme de prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant est une circonstance de découverte de plus en plus fréquente de la contamination d'un enfant. Ce mode de transmission est la cause exclusive de contamination des nouveau-nés. En effet, tous les enfants nés de mère VIH+ ne sont pas infectés (environ un sur trois, voire moins, en l'absence de traitement) car, pendant la grossesse, le fœtus est bien protégé par les membranes et le placenta, tant que ces enveloppes sont intactes ; quand l'enfant s'infecte, c'est presque toujours pendant l'accouchement. Si la mère reçoit des antirétroviraux qui diminuent la quantité de virus pendant le travail et l'accouchement, on réduit d'environ 50 % le risque de contamination de l'enfant. Chez le nourrisson, le diagnostic de contamination ne peut pas se faire sur la sérologie car les anticorps de la maman passent le placenta et ce sont eux qui sont dosés si un test est pratiqué (les anticorps de la maman peuvent persister jusqu'à 15/18 mois) ; il faut alors rechercher le virus lui même (par une technique appelée PCR) pour savoir si l'enfant est infecté.

  • Le lait de mère contient des virus qui peuvent contaminer l'enfant après la naissance tant qu'il est alimenté par sa mère (voir article "Les dilemmes de la transmission du VIH-1 par l'allaitement maternel"). Tant que l'enfant est allaité, il est impossible de déterminer son état infectieux car le risque de contamination persiste. C'est 6 à 8 semaines après l'arrêt de l'allaitement qu'il sera possible de savoir s'il est infecté ou non.

  • Passée cette période, l'enfant peut être contaminé de plusieurs autres façons :

  • par des soins (piqûres) avec du matériel mal stérilisé qui a été en contact avec le sang d'une personne infectée,

  • par transfusion sanguine avec du sang contaminé,

  • par piqûre accidentelle avec du matériel contaminé laissé à sa portée,

  • par abus sexuel de la part d'une personne contaminée,

  • par rapports sexuels, chez les adolescents.

III. Devant quels signes doit-on évoquer le diagnostic d'infection à VIH chez l'enfant ? Tout dépend, en fait, de l'âge de l'enfant.

  • Chez un tout petit (moins de 12 mois), c'est devant l'association de plusieurs signes que le diagnostic sera évoqué : existence d'un retard staturo-pondéral (selon les normes du pays) qui s'aggrave progressivement, apparition de signes de malnutrition et d'infections fréquentes, récidivantes, essentiellement digestives (diarrhée chronique récidivante, candidose), broncho-pulmonaires (broncho-pneumopathies bactériennes graves) ou cutanées ; s'y associent fréquemment des ganglions (axillaires, cervicaux, inguinaux, cruraux), un gros foie et une grosse rate. Des signes neurologiques peuvent apparaître précocement : troubles du tonus (enfant trop mou avec des membres trop raides), microcéphalie (la tête n'augmente pas de taille : il faut mesurer le périmètre crânien à chaque consultation), troubles de la succion-déglutition qui gênent l'alimentation et aggravent la dénutrition, retard des acquisitions normales pour l'âge.

  • Chez un enfant plus âgé (>12 mois), le tableau clinique peut être complètement différent. En raison de l'importance de l'environnement microbien dans la plupart des pays d'Afrique, il est exceptionnel qu'un enfant contaminé par sa mère soit longtemps asymptomatique (cependant les signes peuvent être mineurs, d'apparence banale et passés inaperçus). Il faudra évoquer le diagnostic d'infection à VIH chez tout enfant qui présente :

  • des difficultés de croissance en poids (perte anormale de poids ou absence de prise de poids) et/ou en taille, alors que ses apports alimentaires sont normaux;

  • une malnutrition qui ne réagit pas à une réhabilitation nutritionnelle correcte;

  • des infections parfois bénignes mais récidivantes, en particulier ORL (otites récidivantes), broncho-pulmonaires (bronchopneumopathies bactériennes), digestives (diarrhée récidivante ou ne réagissant pas à une réhydratation-renutrition correcte) ou cutanées (infections bactériennes de la peau);

  • une fièvre persistante ou récidivante (l'enfant a toujours le corps chaud);

  • une toux persistante.

  • Quel que soit l'âge, la survenue d'une tuberculose (pulmonaire ou ganglio-pulmonaire) doit toujours faire penser au VIH en raison de la fréquence de cette association. Inversement il faut rechercher systématiquement la tuberculose chez tout enfant connu comme étant infecté par le VIH.

IV. Que faire si l'on évoque le diagnostic d'infection à VIH ? Dans tous les cas, il faut d'abord examiner soigneusement l'enfant à la recherche d'autres signes cliniques qui pourraient renforcer le diagnostic : état des cheveux (secs, décolorés, rares ... ), signes de dénutrition, ganglions axillaires, cervicaux, cruraux, épitrochléens (attention à ceux qui seraient en rapport avec des infections cutanées), gros foie, grosse rate (souvent en rapport avec d'autres infections dont le paludisme), signes d'auscultation pulmonaires (foyer, râles ...), candidose buccale et signes d'infection cutanée. 1. Confirmer le diagnostic La première démarche est alors de confirmer le diagnostic par un test de dépistage (avant 15 mois par la recherche du virus lui-même par PCR car la présence des anticorps de la mère entraîne un résultat positif du test). Ce test doit être fait avec l'accord des tuteurs de l'enfant, il ne doit jamais être pratiqué à l'insu de la famille. C'est la famille qui décidera de ce qui doit être dit à l'enfant lorsqu'il est en âge de comprendre, mais il faut essayer de lui expliquer qu'il est important que lui-même participe activement à sa prise en charge et donc soit au courant de son suivi... 2. Evaluer la gravité Le diagnostic fait, il faut évaluer la gravité de la situation pour pouvoir décider de la prise en charge thérapeutique. Cette évaluation repose sur plusieurs facteurs :

  • L'âge de l'enfant : les formes précoces révélées dans la première année de vie sont de mauvais pronostic, n'excédant pas plusieurs mois.

  • Les signes cliniques d'appel et/ou la gravité de la maladie révélatrice.

  • Certaines données biologiques : l'importance de l'anémie et, si possible, le nombre de CD4 (il s'agit des lymphocytes T, CD4+, qui jouent un rôle important dans l'immunité et qui sont détruits par le VIH qui se multiplie dans ces cellules). La mesure des CD4 devrait être progressivement disponible dans la plupart des pays d'Afrique.

  • Chaque fois qu'existent des signes d'appel respiratoires il faut faire une radiographie du thorax pour rechercher une tuberculose.

3. Modalités de prise en charge Le diagnostic posé avec certitude, la gravité de la situation clinique et immunitaire évaluée, il convient de déterminer les modalités les plus adaptées de la prise en charge en ayant le soin de considérer l'enfant dans sa globalité et d'assurer non seulement une prise en charge clinique, mais aussi vaccinale, nutritionnelle, psychologique et sociale. En effet, en Afrique, l'évolution spontanée des enfants infectés par le VIH est très sévère, ne dépassant pas quelques mois pour les formes à révélation précoce et un délai de 6 mois à 5 ans pour les formes usuelles, selon la gravité de la pathologie d'appel. C'est dire que de la qualité de la prise en charge va dépendre la survie de l'enfant.

  • la première démarche, quelle que soit la situation immunitaire de l'enfant, doit être de traiter la pathologie révélatrice de l'infection à VIH. Ceci peut aller du traitement d'une tuberculose acquise à celui d'une septicémie bactérienne sévère ou d'une pneumopathie bactérienne avec détresse respiratoire... Tout foyer infectieux sera traité d'une façon prioritaire.

  • Dans tous les cas, il faut évaluer la situation nutritionnelle de l'enfant et, s'il existe des signes de malnutrition, assurer une réhabilitation nutritionnelle adaptée. Il convient de faire un point précis de la situation économique de la famille, de s'assurer des apports donnés à l'enfant et de guider la diététique en fonction des habitudes familiales, des besoins de l'enfant et des possibilités économiques de la famille.

  • Il convient ensuite d'instaurer une prophylaxie primaire par le cotrimoxazole à la dose de 5 mg/kg de triméthoprime et de 25 mg/kg de sulfaméthoxazole en 1 prise quotidienne. Cette mesure présente le double intérêt d'assurer une prévention de la toxoplasmose et de la pneumocystose, mais aussi de diminuer la fréquence des surinfections qui aggravent chez l'enfant le déficit immunitaire. Cette prophylaxie sera systématique à partir de l'âge de 1 mois et non modulée par le taux de CD4, si celui-ci ne peut être évalué.

  • Il faut, dès ces premières mesures effectuées, s'assurer de la couverture vaccinale de l'enfant. Celle-ci doit suivre le calendrier normal prescrit pour le pays, en particulier pour le BCG qui doit être fait dès la naissance dans les régions où le risque de tuberculose est élevé. Seuls posent problèmes, le vaccin polio oral et le vaccin contre la rougeole chez les enfants qui ont un déficit immunitaire avéré. L'infection à VIH ne doit pas remettre en cause le Programme Elargi de Vaccinations. Le tableau donne le calendrier conseillé par l'OMS (mise à jour du 5/10/2001) chez les enfants infectés par le VIH :

  • Enfin, poser les indications d'un traitement par les antirétroviraux, si celui-ci est disponible. Ce traitement sera décidé en fonction des critères d'éligibilité du pays, au mieux par le comité national d'éligibilité lorsqu'il existe. Il n'y a jamais d'urgence à débuter ce traitement. Selon les recommandations faites à Dakar en décembre 2000, les indications thérapeutiques de l'enfant, après certitude du diagnostic, sont fonction de l'âge de l'enfant : Avant 3 mois : pour tout enfant symptomatique porteur d'un déficit immunitaire avéré (CD4 < à 25%) une trithérapie doit être instituée.

Après 3 mois : chez tout enfant symptomatique, une trithérapie doit être instituée. Chez l'enfant asymptomatique avec un taux de CD4 > à 15%, l'abstention thérapeutique peut être proposée. S'il est possible de mesurer la charge virale, toute valeur supérieure à 100.000 copies/ml est une indication à la trithérapie. La réussite de tout traitement par les antirétroviraux dépend de la qualité de l'observance et il est essentiel de trouver autour de l'enfant des personnes relais (de préférence dans son environnement familial proche ou à travers le soutien communautaire ou associatif) Ces mêmes soutiens peuvent aider à son intégration scolaire et sociale. La prise en charge médicale de l'enfant infecté par le VIH ne constitue qu'un des aspects de sa prise en charge. Il est essentiel de toujours considérer l'enfant dans sa globalité et de travailler à lutter contre la stigmatisation qui entoure la maladie afin que l'enfant, a qui l'on donne des chances de vivre, puisse s'intégrer normalement dans la vie familiale et sociale pour construire son avenir. Développement et Santé, n°162, décembre 2002