Prévention des accidents domestiques infantiles

Par Mohamed Nguer* et Olivier Isaac Bismuth** * Chef du poste médical de N'Diop, Sénégal. ** Médecin, Développement et Santé.  

Publié le

Les accidents domestiques chez les enfants, en particulier de zéro à quatre ans, constituent aujourd'hui un véritable problème de santé publique, dans tous les pays du monde. Tout agent de santé est sollicité fréquemment par une famille affolée car son enfant vient de se brûler, a avalé du pétrole ou a subi un accident à l'intérieur de la concession familiale.

Quelle est l'ampleur du problème ? On la connaît mal, faute de collecte d'informations et de données statistiques sur ce sujet. Mais, par expérience, on sait que les accidents sont nombreux, certainement plus qu'on ne le pense, car tous ne sont pas déclarés ou ne font pas l'objet d'une consultation au dispensaire.

Les causes habituelles relevées sont les suivantes :

  • les brûlures,
  • les chutes,
  • les animaux domestiques,
  • les blessures par objets tranchants,
  • les intoxications,
  • les noyades,
  • l'asphyxie.

I. Les causes

1. Les brûlures

C'est un risque majeur.

  • par des liquides chauds, soit la moitié des causes de brûlures : l'enfant renverse sur lui l'eau de préparation des repas (sauces ... );
  • par des objets chauds : marmite posée sur le feu, gazinière, etc.
  • par des substances corrosives : produits chimiques acides, alcalins ;
  • et tout simplement par le feu : charbon incandescent.

2. Les chutes

Elles se manifestent généralement lorsque l'enfant tombe d'un lit ou d'une place surélevée et dès qu'il marche. Au moment de ses premiers pas, il est mal assuré sur ses jambes, il a envie de se mouvoir et il suffit d'un moment d'inattention pour qu'il chute.

Cette cause, très fréquente, est pourvoyeuse de traumatismes crâniens et de fractures diverses.

3. Les animaux domestiques

Surtout en milieu rural, les animaux sont en proximité directe de l'enfant. Il s'agit de :

  • chiens et chats : morsures, griffures,
  • animaux d'élevage ou de travaux moutons, chèvres, bœufs, chevaux, chameaux, par coups de patte ou de cornes,
  • divers animaux : piqûres d'abeille, de guêpe, d'araignée, morsures de rat ou de serpent.

Dans tous les cas, l'enfant est curieux, il veut connaître, il met les mains partout, fait peur ou importune l'animal qui réagit brutalement.

4. Les objets tranchants

Ce sont les couteaux, les coupe-coupe, les pointes ou aiguilles laissées à portée des enfants, ou encore des morceaux de verre, des arêtes de poisson. Le risque est d'autant plus grand que le ménage est mal fait et que l'enfant se déplace à quatre pattes, à moitié nu.

5. Les intoxications et ingestions dangereuses

Dans les causes précédentes, c'est la peau, enveloppe protectrice, qui est menacée. Mais la bouche est aussi la porte d'entrée d'accidents parfois gravissimes. L'enfant, par curiosité, par faim, gourmandise, porte à sa bouche un objet qui traîne. Il avalera :

  • Les objets contondants qui iront obstruer les voies et cavités naturelles. Cela peut être des épingles qui iront se bloquer dans l'arrière-gorge, dans l'œsophage, voire dans les cavités nasales postérieures (!). Outre les risques d'asphyxie, ils posent de difficiles problèmes de retrait, avec risque de choc pendant la tentative d'extirpation. Mieux vaut être prudent.

  • La très dangereuse graine d'arachide L'enfant l'avale mal ; elle passe dans la trachée et les bronches et réalise un tableau d'obstruction pulmonaire totale ou partielle. Rappelons la manœuvre de Heimlich : l'enfant a avalé une graine, il tousse et étouffe. Il ne faut surtout pas le renverser mais le tenir debout, son dos contre soi, mettre le poing sous le sternum et appuyer en remontant brusquement afin de faire expulser la graine comme un bouchon de champagne (fig. 1).

  • Autre grand ennemi des parents : le pétrole auquel on peut adjoindre les produits chimiques. Combien de mères n'ont pas craint pour leur enfant à cause d'une bouteille de pétrole laissée dans un coin. Le risque est une pneumopathie toxique qui va se surinfecter. Les complications précoces sont les plus redoutables : asphyxie, état de choc, convulsions. Faire vomir est contre-indiqué.
  • Les intoxications par médicaments sont multiples, heureusement souvent bénignes, mais deux sont à signaler pour leur extrême dangerosité :
  • l'aspirine : sont associés une hyperpnée, des troubles de la conscience, des signes de déshydratation, des hémorragies digestives. Rappelons qu'il ne faut pas dépasser 50 mg/kg/jour) dans une prescription ;
  • la chloroquine : malaise, coma, arrêt cardio-respiratoire.
  • Ajoutons les intoxications alimentaires lorsque les restes d'un repas sont resservis le lendemain.

6. L'électricité

Ces accidents se voient surtout dans les grandes villes. L'enfant met ses doigts dans une prise électrique, saisit un fil électrique dénudé, le met à la bouche et subit ainsi d'épouvantables brûlures si ce n'est un arrêt cardiaque par électrocution. Le danger est décuplé lorsque l'enfant est mouillé ou laissé dans son bain.

7. La noyade

L'enfant est laissé près d'une bassine, d'un canari ou d'une piscine, alors que la maman relâche sa surveillance un instant. C'est un accident tout aussi dramatique et fréquent.

8. L'asphyxie

Elle survient principalement en période de froid avec les fourneaux à charbon installés pour chauffer les chambres mal aérées. Le dégagement de gaz carbonique peut entraîner une redoutable intoxication, annoncée par vomissements et agitation, allant vers le coma.

On pourrait citer bien d'autres causes. L'inventaire est infini, enrichi par la diversité des situations. Exemple : le bébé posé sur la table d'examen du dispensaire qui roule et tombe à terre.

Autre exemple impressionnant : un enfant de cinq ans jouait avec une ceinture qu'il faisait tourner. On ne sait comment, la boucle de la ceinture est venue se ficher dans son œil. Le spectacle était digne d'un film d'horreur : une ceinture qui tombait de l'œil d'un enfant. Heureusement la pointe ne s'était pas plantée dans le globe oculaire, mais s'est bloquée sous le cartilage de la paupière supérieure. Un retrait prudent a remis les choses en ordre.

Enfin, bien que cela soit hors sujet, nous voudrions rappeler la fréquence croissante dans les pays du Tiers monde d'accidents de la voie publique. L'enfant est laissé seul à jouer dehors, il court après un ballon, ne fait pas attention alors qu'un véhicule survient et le conducteur n'a pas le temps de freiner ou de dévier le véhicule pour éviter le choc.

II. Pourquoi l'enfant est-il menacé ?

1. Cela tient d'abord à sa nature : il est curieux de tout. L'acquisition de la verticalité, la croissance lui permettent de découvrir le monde nouveau qui s'offre à sa vue. Ses mains et sa bouche sont les moyens de connaître et de posséder ce milieu étrange. Plus il a de l'énergie, plus il est exubérant, plus il est porté à toucher à tout. C'est en jouant qu'il acquiert la connaissance.

2. Le milieu est forcément agressif pour lui qui est ignorant des dangers : les réactions d'un animal, la chaleur d'une braise, la profondeur d'une mare, un escalier dont les marches sont trop grandes pour lui, une porte qui se referme sur ses doigts, etc. Mais bien entendu, ces dangers sont formateurs et vont lui apprendre à faire attention, à condition toutefois qu'ils ne soient pas trop blessants.

3. L'inattention de la mère ou des adultes qui le gardent : c'est le gros problème. Il surviendra toujours un moment où la surveillance diminue.

4. Tout simplement, la malchance, le hasard. Parfois des parents attentifs et prudents ne parviennent pas à éviter l'accident, la rencontre entre un enfant curieux et un milieu agressif. On pourrait même dire qu'au contraire, trop surveiller l'enfant, être obsédé par sa sécurité, seraient nuisibles et conduiront à un enfant timoré.

III. La prévention

Elle a deux objectifs généraux :

  • l'éducation des familles et des enfants,
  • la réduction des situations à risques.

Mais auparavant, il faut améliorer l'information sur la fréquence et le type des accidents :

Pour identifier certaines causes : par exemple les noyades dans un village situé au bord d'un fleuve. Or, cette information fait le plus souvent défaut :

  • parce que les parents n'en parlent pas,
  • parce que l'hôpital où l'enfant a été amené en urgence n'envoie pas en retour cette information vers le centre de PMI, lieu de prévention par excellence.

Il faudrait donc élaborer un système local d'amélioration de l'information sur la fréquence des accidents domestiques. Par exemple :

  • lors de la visite de la 1re, 2e, 3e années et autres, on poserait systématiquement la question : l'enfant a-t-il fait un accident l'année précédente ? Lequel ? On pourrait remplir une fiche de prévention identifiant les situations à risque,
  • avec l'hôpital, lors des réunions de groupes si elles existent, on aborderait une fois l'an, les accidents rencontrés de chaque côté avec mise en commun des statistiques (fig. 2).

Figure 2. Exemple de fiche de prévention en vue d'identifier les situations à risque d'accidents.

No Nomde famille Age Quartier Appréciationdu risque
1 Abdou 1 an Pikine Médicamentssur la table
2 Clément 1 an 1/2 Nylon Clou à terre
3

1. Les mesures éducatives

Elles ont lieu à trois niveaux :

  • Lors de la consultation : c'est toujours une bonne opportunité pour dire aux parents : " Attention aux médicaments qui traînent, à la bouteille de pétrole laissée dans un coin. Pensez à les mettre dans une petite armoire inaccessible aux mains de l'enfant. "
    Mais aussi lors des visites à domicile par les hygiénistes, aides sociaux, infirmiers, d'autant plus que les situations à risque seront repérées. Exemple : débris de verre, la machette posée sur la table, les graines d'arachide dans une assiette, etc.

  • Par des causeries collectives lors des séances d'éducation sanitaire. Par exemple : on pourrait utiliser le temps mort de l'attente des mères avant la consultation et les soins pour les occuper et faire passer le message à plusieurs familles. Encore faut-il que cette éducation soit adaptée au vécu réel des gens.

  • Par des supports éducatifs : affiches, diapositives, films si possible, sans oublier les médias : articles dans les journaux, conseils à la radio, démonstration d'accidents à la télévision. Là encore, le message doit être impérativement adapté aux gens à qui ils s'adressent. S'ils sont illettrés, des affiches avec un texte sont absurdes. Le dessin ou la photo doivent être suffisamment expressifs sans dramatisation excessive.

2. Réduire les situations à risque

C'est l'intérêt des visites à domicile, quand elles peuvent se faire. C'est l'occasion d'expliquer que le fourneau est accessible à l'enfant et donc dangereux, que la pièce est mal ventilée et ne permet pas l'élimination des fumées, que les médicaments ne sont pas à l'abri dans une boîte fermée par un cadenas, que le désordre ménager favorise la dissémination de petits objets dangereux pour l'enfant (clous, verres, graines d'arachide ... ), ou encore identifier correctement un récipient contenant un liquide dangereux.

Il y a des quantités de conseils bénéfiques que l'on peut apporter, du moment que l'on est sensibilisé au problème et à condition de ne pas trop paniquer les familles.

Cette prévention n'est pas seulement l'affaire de la famille, elle relève aussi de l'action de la collectivité (comité de développement et autres institutions de développement comme les travaux publics).

VI. Conclusion

Essayons de nous représenter une maison à l'échelle d'un enfant. Une table basse et petite devient immense pour un enfant de cinq ans. Tâchez de vous rappeler là où vous dormiez à cet âge. Si l'occasion vous est donnée d'y retourner des années plus tard, vous serez étonnés de constater que ce lieu est maintenant de taille modeste contrairement à vos impressions initiales. Tout y était mystérieux et l'envie était grande de monter sur la table, d'y chercher des trous, de toucher à tout.

Gardons à l'esprit que si le foyer familial est un lieu de croissance et d'épanouissement, c'est aussi le lieu de tous les dangers.

Développement et Santé, N°101, octobre 1992