Prévenir la diarrhée chez les jeunes enfants
Tenir compte de l'expérience des pays pauvres
La prévention des diarrhées chez les jeunes enfants a fait l'objet de nombreuses études d'intervention dans les pays pauvres. Une synthèse de ces études permet de dégager les interventions les plus efficaces.
Pendant sa durée, l'allaitement maternel diminue la mortalité globale et notamment la mortalité liée aux diarrhées.
Chez les enfants carencés, la supplémentation en vitamine A diminue la mortalité globale et celle spécifiquement due aux diarrhées.
L'éducation des mères sur le sevrage permet d'améliorer l'état nutritionnel des enfants et, par ce biais, diminue peut-être la mortalité par la maladie diarrhéique.
La promotion de pratiques d'hygiène personnelle et domestique diminue la morbidité par diarrhée.
Faciliter l'accès à l'eau potable et à des sanitaires est une mesure très efficace pour diminuer la mortalité globale des enfants.
Dans les "pays en développement", les enfants de moins de trois ans souffrent en moyenne de 3 épisodes de diarrhée par an. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé qu'en 1993, 3,2 millions d'enfants de moins de 5 ans sont morts d'une maladie diarrhéique. Depuis le début des années 80, la réhydratation orale a transformé le pronostic des épisodes de diarrhée sévère. Néanmoins, prévenir la survenue de diarrhées chez les enfants reste une priorité mondiale de santé publique (1).
En 1982, l'OMS a lancé une analyse méthodique de 18 types d'interventions susceptibles de prévenir les maladies diarrhéiques. Ces interventions ont été classées en fonction de leur rentabilité, en termes d'efficacité, de coût, et de facilité de mise en oeuvre. Cette synthèse, limitée aux interventions non vaccinales (2), a été actualisée et publiée en 1997. En voici les éléments essentiels.
Cinq interventions, réalisables dans le contexte des " pays en développement ", se sont révélées les plus efficaces : la promotion de l'allaitement maternel, l'amélioration des pratiques de sevrage, l'amélioration de la distribution d'eau et des installations sanitaires, la promotion de l'hygiène personnelle et domestique, et la supplémentation en vitamine A chez les enfants carencés (3).
I. L'allaitement maternel diminue
le risque de décès par diarrhée
L'efficacité protectrice de l'allaitement maternel a été démontrée en termes de mortalité et de morbidité par diarrhée.
Les enfants allaités exclusivement au sein (sans apport supplémentaire, notamment hydrique (4) ont un risque de décès par diarrhée 14 fois moins élevé qu'en cas d'allaitement par lait artificiel et 4 fois moins élevé qu'en cas d'allaitement mixte (5). Il n'y a pas de preuve que cet effet persiste après le sevrage.
Chez les enfants malnutris, l'allaitement maternel diminue la mortalité totale jusqu'à l'âge de 3 ans, et plus spécifiquement la mortalité d'origine diarrhéique. L'efficacité sur la mortalité d'origine dysentérique bactérienne (par shigellose ou autre infection invasive) est probable.
L'effet de l'allaitement maternel exclusif sur la sévérité des diarrhées a été démontré, notamment par la diminution des hospitalisations, des déhydratations graves et les diarrhées prolongées. L'effet protecteur est maximal pendant la première année mais semble se prolonger les deux années suivantes.
Il a aussi été démontré que l'allaitement maternel protège contre les infections symptomatiques à shigelles, salmonelles, Campylobacter, Vibrio cholerae et Escherichia coli entérotoxinogènes. Par contre, il n'est pas démontré que l'allaitement maternel protège contre les diarrhées à rotavirus, bien que les nourrissons allaités au sein semblent avoir des épisodes moins sévères.
II. Améliorer la qualité du sevrage pour
un meilleur état nutritionnel du nourrisson
Des données provenant de 12 pays indiquent que l'état nutritionnel des nourrissons et des jeunes enfants peut être amélioré par une formation des mères visant à améliorer leurs pratiques de sevrage. Se basant sur l'amélioration nutritionnelle obtenue, les auteurs de la synthèse estiment qu'il en résulterait une réduction de la mortalité par diarrhée de 2 à 12 %. Néanmoins, aucune étude n'a mesuré l'efficacité directe sur la mortalité par diarrhée d'un tel enseignement.
Certaines manipulations des aliments de sevrage et certaines pratiques de préparation ou de stockage ont été associées à un risque plus élevé de contamination ou de pullulation bactérienne, notamment : la conservation de la nourriture à température ambiante pendant plus de trois heures et l'utilisation de biberons plutôt que de bols (6).
De petites études ont montré que des messages tels que le lavage des mains avant la préparation de l'alimentation des nourrissons, l'utilisation d'eau bouillie pour reconstituer le lait en poudre, l'utilisation d'un bol et d'une cuillère à la place d'un biberon pour donner une bouillie, et éviter de conserver du lait ou de la bouillie préparée, permettaient de modifier le comportement des mères. Les modifications des pratiques engendrées par ces messages se sont maintenues dans le temps.
III. L'amélioration des sanitaires et
de la distribution d'eau diminue nettement la mortalité
On estime que, dans le monde, un milliard de personnes ne bénéficient pas de distribution " moderne " en eau et que près de deux milliards de personnes n'ont pas de sanitaires adéquats.
L'amélioration de la distribution de l'eau et des sanitaires sont les interventions qui ont été le plus étudiées : 84 études dans une trentaine de pays. Toutes montrent un effet sur la mortalité par diarrhée ; et les études les plus rigoureuses montrent une réduction très importante de la mortalité infantile globale (réduction de 20 à 82 %, médiane 55 %). Les auteurs de la synthèse réalisée par l'OMS s'étonnent cependant de ces résultats. Selon les études, cet effet est attribué, de manière variable selon les conditions locales, à l'amélioration soit des sanitaires, soit de la distribution en eau. La quantité d'eau disponible et la présence de sanitaires semblent un facteur plus important que la qualité de l'eau.
IV. La promotion de l'hygiène personnelle et domestique
permet de réduire la morbidité par diarrhée
Les auteurs ont analysé dix études visant à améliorer les pratiques d'hygiène. Toutes ont abouti à une diminution de la morbidité par diarrhée chez les jeunes enfants (réduction de 11 à 89 %, médiane 33 %) (7).
Trois messages ont paru primordiaux : le lavage des mains surtout après défécation, après nettoyage des fesses des nourrissons, avant de manger et avant de préparer l'alimentation ; l'évacuation des selles, surtout des jeunes enfants et des nourrissons (8) ; et le maintien de l'eau de boisson hors de toute contamination (9).
V. Réduction de la mortalité par diarrhée
grâce à la supplémentation en vitamine A
Dans les populations où le déficit en vitamine A est fréquent, il est bien démontré que la supplémentation en vitamine A réduit de manière importante la mortalité globale et la mortalité spécifiquement due aux maladies diarrhéiques (10).
Sur les cinq essais au niveau communautaire, de grande taille, randomisés contre placebo, quatre ont abouti à des diminutions de la mortalité par diarrhée et de la mortalité globale (de 19 à 54 %), au Népal, au Ghana et en Inde, tandis qu'un essai au Soudan n'a pas montré de diminution de la mortalité par diarrhée. Deux méta-analyses avant inclus 4 de ces essais, dont celui défavorable, ont cependant conclu à une réduction significative de la mortalité par diarrhée, de l'ordre de 30 %.
Les effets de la supplémentation en vitamine A sur la sévérité des épisodes de diarrhée sont probables mais non solidement démontrés. Notamment, une étude a montré que la supplémentation diminue statistiquement l'incidence des épisodes accompagnés de signes de déshydratation. Par contre, en dehors des suites de rougeole, il n'est pas démontré que la supplémentation en vitamine A réduit l'incidence ou la prévalence d'épisodes diarrhéiques.
En conclusion
Encourager l'allaitement maternel, donner des conseils pour le sevrage, rappeler l'importance de l'hygiène personnelle et domestique, et assurer une supplémentation en vitamine A aux enfants carencés, doivent faire partie des activités de prévention dans les populations pauvres.
Mais l'hygiène personnelle et domestique, notamment le nettoyage des ustensiles servant à l'alimentation des nourrissons lors du sevrage, dépend de la facilité d'accès à l'eau. L'éducation sanitaire peut limiter la " casse ", mais ce sont les décisions politiques visant à favoriser un accès plus aisé à l'eau qui apparaissent comme primordiales pour diminuer la forte mortalité des enfants par maladies diarrhéiques dans la majorité des régions du monde.
Cette riche expérience ne doit pas être perdue de vue par les populations, les responsables politiques et les professionnels de santé des pays riches.
(1) Une étude publiée en 1997 a identifié des facteurs de risque de survenue de diarrhée sur une cohorte de 1 314 enfants, suivis pendant 3 ans en Guinée-Bissau. Sur 57 variables étudiées, 7 facteurs de risques indépendants ont été identifiés : antécédent d'épisode diarrhéique datant de moins de 2 semaines, absence d'allaitement maternel, prise en charge de l'enfant par une autre personne que sa mère, chef de famille jeune, manger des restes froids, boire de l'eau provenant d'un point d'approvisionnement public non protégé, et être de sexe masculin.
(2) Les vaccinations pouvant intervenir dans la prévention de la morbidité et de la mortalité par diarrhée sont : les vaccinations contre la rougeole, contre le choléra (nouveaux vaccins) et contre les rotavirus. L'utilité de la vaccination contre la rougeole est bien démontrée dans le contexte des " pays en développement " celle des autres vaccins est en cours d'évaluation.
(3) La prévention du faible poids de naissance a aussi été retenue comme une intervention probablement efficace sur la morbi-mortalité par diarrhée. Des études cas témoins montrent qu'un poids de naissance inférieur à 2 500 g est un facteur de risque de mortalité par diarrhée, et plus encore, de mortalité non spécifique. Il semble acquis que la supplémentation nutritionnelle au cours de la grossesse des femmes malnutries permet d'augmenter le poids de naissance. Cependant, l'effet d'interventions de prévention des faibles poids de naissance sur la morbi-mortalité reste à démontrer. Par ailleurs, deux essais comparatifs en double aveugle, réalisés en Inde et au Guatemala et publiés après la synthèse de l'OMS, ont montré que la supplémentation en zinc diminuait l'incidence des épisodes diarrhéiques. L'effet sur la mortalité par diarrhée n'a pas été mesurée.
(4) On entend par allaitement maternel exclusif une alimentation des nouveau-nés, ou nourrissons, uniquement par lait maternel ; tout autre apport hydrique, dont l'eau, ou une alimentation solide sont exclus. Dans les conditions d'hygiène imparfaites, le lait maternel est le produit le plus sûr sur le plan bactériologique. La production de lait étant stimulée par la fréquence de la succion du mamelon, on considère qu'un besoin accru de l'enfant sera suffisamment satisfait dans un délai raisonnable, si aucun apport ne prévient son désir de succion.
(5) Dans les régions où la prévalence d'infection par VIH est élevée, l'allaitement maternel fait courir un risque de transmission par le lait du virus à l'enfant. Toutefois, du fait de l'avantage en termes de mortalité globale de l'allaitement maternel, celui-ci reste actuellement recommandé dans les situations où le risque de mortalité infantile, notamment par diarrhée ou malnutrition, est élevé.
(6) Le nettoyage des bols est plus facile, donc mieux assuré, que celui des biberons et des tétines.
(7) Une étude menée en zone rurale en Côte d'Ivoire, et publiée après la synthèse, a encore confirmé ces résultats .
(8) Il n'est pas rare que les selles des jeunes enfants ne soient pas considérées comme des déjections sales.
(9) En l'absence de circuit de distribution de l'eau, l'eau de boisson est souvent contaminée. L'eau de circuits de distribution de mauvaise qualité (souffrant de fuites importantes à l'origine de basses pressions) peut cependant être aussi contaminée. Une décontamination domestique peut être obtenue par filtration ou par ébullition. Toutefois, l'emploi de ces méthodes est limité par leur coût. Une étude menée au Kenya a montré qu'entreposer l'eau de boisson dans des bouteilles plastiques au soleil permet de réduire le nombre d'épisodes de diarrhée, et notamment d'épisodes de diarrhée sévère chez des enfants de 5 à 16 ans, par comparaison avec le stockage de l'eau à l'intérieur des maisons. L'effet décontaminant de 7 heures d'exposition solaire par ce même moyen avait été démontré auparavant.
(10) L'OMS estime qu'une carence profonde en vitamine A touche 5 à 10 millions d'enfants dans le monde.
- Article reproduit avec l'aimable autorisation de la revue Prescrire
Développement et Santé, n° 137, octobre 1998