Mutilations sexuelles féminines : reconstruction clitoridienne. Résultats, pour quels enjeux ?

Par S. Madzou (1), C. M. R. Ouédraogo (2), P. Gillard (1), C. Lefebvre-Lacoeuille (1), L. Catala (1), V. Combaud (1), L. Sentilhes (1), P. Descamps (1) 1 : Pôle Femme-Mère-Enfant, CHU d’Angers, France ; 2 : Service de Gynécologie-Obstétrique, CHU Yalgado Ouedraogo, Ouagadougou, Burkina-Faso

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Introduction

L’excision - mutilations sexuelles féminines (MSF) - est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou autre lésion des organes génitaux féminins pratiquées pour des raisons non médicales [1].

On estime à plus de 125 millions le nombre de jeunes filles et de femmes victimes de mutilations sexuelles qui sont pratiquées dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient, régions où ces pratiques sont concentrées. Trente millions de filles sont exposées au risque d’être excisées d’ici à la prochaine décennie [2].

En France, on estime que le nombre de femmes excisées se situe entre 42 000 et 61 000 [3].
L’impact des MSF sur la sexualité est potentiellement complexe, car il fait intervenir :

  • Une réduction anatomique du clitoris, avec ses conséquences directes sur l’orgasme, mais également sur le désir, l’excitation et la lubrification de façon indirecte.
  • Une réduction symbolique, avec un impact sur l’identité féminine, l’image du corps, de la féminité, et de soi.
  • Une composante de violence pouvant engendrer un stress post-traumatique.
  • Une douleur possible lors des relations sexuelles, liée à la cicatrice.

En France, depuis 1979, les mutilations relèvent de l’article 222 du Code Pénal sur les violences. Les autorités françaises ont mis en place un protocole de chirurgie réparatrice remboursé par l’Assurance Maladie pour les femmes et les jeunes filles qui ont subi une MSF et qui en souffrent.
Notre étude se propose de faire une revue de la littérature des résultats issus de la prise en charge chirurgicale des MSF réalisée en France (Angers et Paris) et au Burkina Faso [4, 5, 6].

I. Prise en charge globale des MSF

La prise en charge chirurgicale des MSF s’inscrit dans le cadre de plusieurs approches de demandes formulées par les femmes qui ont été victimes, notamment la revendication identitaire (rejet de la mutilation, image sociale ou conjugale), la revendication sexuelle (image comparative, expériences et antécédents) et le rejet de la douleur lors des rapports sexuels.

La mise en place de la chirurgie réparatrice des MSF nécessite une consultation préopératoire qui fait intervenir plusieurs disciplines : consultation avec un psychologue, un chirurgien gynécologue et un anesthésiste.

Rappel de la technique de la reconstruction clitoridienne

La technique chirurgicale est un procédé de reconstruction du clitoris après excision rituelle, élaboré par le Dr P. FOLDES. Elle repose sur le fait que le clitoris est beaucoup plus long qu’on ne le pense (il se prolonge sur plus de 10 cm le long de l'os pubien [7, 8]), et l’intervention consiste à remettre à jour la partie enfouie, à libérer les ligaments qui la retiennent au pubis et à la remettre à sa place pour former un nouveau gland tout à fait sensible.

La technique opératoire se déroule en plusieurs étapes

Etape 1 : Incision prépubienne
La région excisée est parfois porteuse d’une cicatrice irrégulière, voire chéloïdienne, stigmates d’un geste réalisé sans asepsie ni hémostase, d’où la nécessité de sa résection pour découvrir le moignon clitoridien qui se trouve en dessous.

Etape 2 : Section du ligament suspenseur et libération du genou clitoridien
Il s’agit de :

  • dégager le triangle vulvaire,
  • libérer le genou clitoridien pratiqué très près du périoste, et suivre une bifurcation divergente qui amène aux corps clitoridiens, lesquels descendent le long des branches ischio-pubiennes.

Etape 3 : Libération du corps clitoridien
Une libération complète s’obtient par une poursuite de la dissection le long de la branche ischio-pubienne, en dégageant progressivement le corps, qui mesure huit centimètres environ.

Etape 4 : Résection cicatricielle
Cette étape consiste à supprimer les tissus cicatriciels et retrouver en arrière une recoupe saine de corps caverneux normalement innervés et vascularisés, de façon à reconstituer un néo-gland fonctionnel.
La recoupe en zone saine laisse apparaître les corps caverneux au raphé médian, le tissu alvéolaire saigne normalement ; la nécessité d’une bonne hémostase est importante.

Etape 5 : Reconstitution du gland et réimplantation
Elle consiste à :

  • préserver le pédicule dorsal en reconstituant un néo-gland par un hémi surjet en avant du clitoris par le vicryl 3/0 et par un point en arrière du clitoris par du vicryl 2/0, ce qui permet de repositionner le gland reconstitué dans sa situation normale.
  • adosser des muscles bulbo-caverneux par des points simples au vicryl 2/0 afin d’éviter toute réascension du clitoris.
  • fermer la peau par points séparés simples au vicryl 2/0 sans drainage.
  • réaliser une infiltration sous cutanée d’un anesthésique local (Naropéine + clonidine) pour les douleurs postopératoires.

Autres situations : Prise en charge chirurgicale des MSF de type 3 (infibulation)
Elle consiste à réséquer la fermeture vulvaire sur une sonde cannelée afin de découvrir en dessous l’entrée vaginale et le méat urinaire et parfois les petites lèvres et le clitoris quand ils n’ont pas été sectionnés. Dans le cas où le clitoris a été sectionné, on peut réaliser une reconstruction clitoridienne selon la technique décrite ci-dessus.

II. Résultats

Trois études réalisées au Burkina Faso et en France (Angers et Paris) ont permis d’évaluer les résultats immédiats et à long terme de la chirurgie réparatrice [6, 4, 5]. Les résultats fonctionnels (douleur pendant ou en dehors des rapports sexuels et plaisir clitoridien), et les résultats anatomiques (présence du néoclitoris) ont été évalués à l’aide d’une grille établie par le docteur Foldes [9].

1. Evaluation préopératoire de la douleur

Les résultats indiqués dans le tableau I mentionnent que, dans les études de Ouedraogo et Foldes, 17 % et 8,7 % des femmes ressentaient respectivement une douleur forte et intolérable.

Tableau I. Evaluation de la douleur préopératoire chez les patientes devant bénéficier d'une reconstruction clitoridienne
Score Douleur Ouedraogo 2013 \[N, %\] N = 94 Foldes 2012 \[N, %\] N = 840
0 Pas de douleurs 57 (60,6 %) 486 (57,8 %)
1 Gêne légère pendant les rapports sexuels 5 (5,4 %) 124 (14,8 %)
2 Douleurs modérées pendant les rapports sexuels 16 (17 %) 129 (15,3 %)
3 Douleur forte à intolérable 16 (17 %) 73 (8,7 %)
4 Douleurs en dehors des rapports sexuels - 28 (3,3 %)

2. Evaluation préopératoire du plaisir clitoridien

Ouedraogo et Foldes mentionnent dans leurs résultats que 54,3% et 44,1% des femmes n'avaient jamais ressenti de plaisir clitoridien.

Tableau II. Evaluation du plaisir clitoridien préopératoire chez les patientes devant bénéficier d'une reconstruction clitoridienne
Score Plaisir clitoridien Ouedraogo 2013 \[N, %\] N = 94 Foldes 2012 \[N, %\] N = 840
0 Jamais 51 (54,3 %) 368 (44,1 %)
1 Sensation discrète 19 (20,2 %) 120 (14,3 %)
2 Plaisant, sans orgasme 12 (12,8 %) 196 (11,5 %)
3 Orgasme restreint par la mutilation 4 (4,2 %) 97 (11,6 %)
4 Orgasme réguleir (sans restriction) 8 (8,5 %) 53 (6,3 %)

3. Evaluation postopératoire

a. Résultats anatomiques postopératoires

Les études de Ouedraogo, Madzou et Foldes mentionnent respectivement que 3,2 %, 21,6 % et 28 % des femmes présentaient un néoclitoris proche de la normale.

Tableau III. Résultats anatomiques du néoclitoris chez les patientes ayant bénéficié d'une reconstruction clitoridienne
Scores Résultats fonctionnels (douleurs, plaisir clitoridien) Ouedraogo, 2013 [N, %] N = 94 Madzou, 2008 [N, %] 116 Foldes, 2012 [N, %] N = 866
0 Aucun changement 0 (0 %) 0 (0 %) 3 (0,4 %)
1 Palpable mais non visible 4 (4,3 %) 12 (10,3 %) 51 (6 %)
2 Saillie clitoris visible 38 (40 %) 35 (30,2 %) 210 (24 %)
3 Gland exposé sans capuchon 49 (52,1 %) 44 (37,9 %) 363 (42 %)
4 Aspect proche de la normale 3 (3,2 %) 25 (21,6 %) 239 (28 %)

b. Résultats fonctionnels postopératoires

Il n'a pas été recensé de douleurs chez les patientes opérées dans l'étude de Madzou (0 %). Une femme sur 94 (111 %) a décrit avoir une douleur après l'opération. Dans les études de Ouedraogo et Madzou, les femmes opérées ont déclaré avoir une sexualité normale (38,3 % et 29,3 %) (Tableau IV).

Tableau IV. Résultats fonctionnels (douleurs, plaisir clitoridien) postopératoire chez les patientes ayant bénéficié d’une reconstruction clitoridienne
Scores Résultats fonctionnels (douleurs, plaisir clitoridien) Ouedraogo, 2013 [N, %] N = 94 Madzou, 2008 ​[N, %] N = 116
0 Douleur 1 (1,1 %) 0 (0 %)
1 Inconfort, gêne 1 (1,1 %) 1 (0,9 %)
2 Petite amélioration 5 (5,3 %) 2 (1,7 %)
3 Forte amélioration sans orgasme 14 (14,8 %) 13 (11,2 %)
4 Capacité orgasmique 34 (36,2 %) 50 (43,1 %)
5 Sexualité normale 36 (38,3 %) 34 (29,3 %)
Aucune activité sexuelle 3 (3,2 %) 16 (13,8 %)

L’analyse de Foldes a consisté à comparer la douleur et le plaisir clitoridien préopératoire avec les résultats fonctionnels postopératoires à 1an de suivi pour 841 (97 %) des 866 femmes vues en consultation un an après l’intervention.

Les résultats sur le plaisir clitoridien montrent que :

  • sur 368 femmes/841 qui n’avait jamais eu de plaisir clitoridien en préopératoire, 88 femmes, soit 24 %, ont éprouvé un orgasme restreint et 41 femmes, soit 11 %, un orgasme régulier en postopératoire [5].
  • sur 97 femmes qui ont présenté un orgasme restreint avant la chirurgie réparatrice, 51 femmes, soit 52 %, ont rapporté avoir un orgasme régulier [5].
  • 12 des 53 patientes (23 %) qui avaient eu régulièrement des orgasmes avant l’opération ont signalé une réduction de ceux-ci après l’opération [5].

Sur le plan de la douleur, parmi les 486 patientes qui n’avaient pas de douleur avant la réparation, 8 (2 %) ont signalé de l’inconfort et 1(< 1 %) une douleur [5].

Le bénéfice apporté par la reconstruction clitoridienne

Foldes a trouvé que 2933 (99%) des 2938 femmes colligées ont eu une récupération identitaire (sensation de se sentir entière et de retrouver une autonomie personnelle en rejetant la mutilation physique qui leur a été imposée par les membres de leur communauté [10]) et 2378 (81%) des femmes ont eu une amélioration de leur vie sexuelle [5].

La chirurgie reconstructrice a été acceptée dans l’étude réalisée par Ouedraogo car 100% des patientes étaient satisfaites quant à l’intégrité physique du clitoris retrouvée. Aussi, 98,9 % recommanderaient l’intervention à leur entourage féminin victime de mutilation et 91,5 % referaient l’intervention si elle était à refaire [6].

Conclusion

Les mutilations sexuelles féminines sont internationalement considérées comme une violation des droits des jeunes filles et des femmes [1]. La prise en charge chirurgicale des séquelles issues de ces mutilations permet une réhabilitation de la femme sur le plan juridique, anatomique, sensoriel, sexuel et psychologique, une réduction de la douleur, une prévention des complications obstétricales et une participation à la lutte contre les pratiques de mutilation (les femmes qui ont été opérées sont les militantes de la lutte contre l’excision). Il est important que les professionnels de santé soient formés à la prise en charge des séquelles de l’excision et qu’il y ait une accessibilité (géographique, financière) à cette prise en charge pour les femmes qui en sont victimes.

Références bibliographiques

  1. Organisation Mondiale de la Santé. Mutilations sexuelles féminines. Aide -mémoire N°241, Février 2014 : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/. Consulté le 26 juin 2014.
  2. http://www.unicef.org/media/files/FGCM_Lo_res.pdf. consulté le 20 juin 2014.
  3. Andro A, Lesclingand M. Les mutilations sexuelles féminines : le point sur la situation en Afrique et en France. Population et sociétés, Ined, numéro 438 octobre 2007.
  4. Madzou S, Henry - Latrouite E,Sentilhes L, Descamps P. Réparation chirurgicale des mutilations sexuelles féminines (à partir d'une série de 123 cas). XIeme congrès de la Société Française de Gynécologie et Obstétrique (SAGO) ; 2011 Dec 24-28, Libreville, Gabon.
  5. Foldès P, Cuzin B, Andro A. Reconstructive surgery after female genital mutilation: a prospective cohort study. Lancet 2012 Jul 14; 380(9837):134 - 41.
  6. Ouédraogo CM, Madzou S, Touré B, Ouédraogo A, Ouédraogo S, Lankoandé J. Practice of reconstructive plastic surgery of the clitoris after genital mutilation in Burkina Faso. Report of 94 cases. Ann Chir Plast Esthet. 2013 Jun; 58(3):208-15
  7. O'Connell HE1, Sanjeevan KV, Hutson JM. Anatomy of the clitoris. J Urol. 2005 Oct; 174 (4 Pt 1):1189 - 95.
  8. O'Connell HE, Hutson JM, Anderson CR, Plenter RJ. Anatomical relationship between urethra and clitoris. J Urol. 1998 Jun; 159(6):1892-7.
  9. Foldes P, Louis-Sylvestre C. Results of surgical repair after ritual excision: 453 cases: Gynecol Obstet Fertil.2006 dec; 34 (12):1137-41.
  10. Johnsdotter S, Essen B. Sexual health among young Somali women in Sweden: living with conflicting culturally determined sexual ideologies. International Network to Analyze, Communicate and Transform the Campaign against Female Genital Cutting, Female Genital Mutilation, Female Circumcision (INTACT) conference; Alexandria, Egypt; Oct 10-12, 2004. http://www.mbali.info/doc311.htm. consulté le 23 juin 2014.