Mutilations génitales féminines/excision : bilan statistique
La pratique des MGF/E a existé pendant des siècles. Cependant, dans de nombreux pays, la collecte et l'analyse systématiques des données sur les MGF/E sont des démarches relativement nouvelles. Au cours des deux dernières décennies, deux types d'enquêtes auprès des ménages ont permis d'obtenir des données fiables sur les MGF/E : les études démographiques et de santé (EDS) financées par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et les enquêtes en grappes à indicateurs multiples (MICS) financées par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF). Les données issues de ces deux sources permettent non seulement d'évaluer avec précision la prévalence des MGF/E et d'orienter l'affectation stratégique des ressources et la planification des interventions, mais également de suivre les progrès accomplis dans l'élimination de ces pratiques. Dans le cadre des EDS comme des MICS, les filles et les femmes en âge de procréer (âgées de 15 à 49 ans) sont interrogées sur leur conditions par rapport aux MGF/E et celles de leurs filles, quand elles ont été excisées et par qui. La majorité des enquêtes comportaient aussi des questions pour les femmes sur leur attitude face aux MGF/E, les raisons pour lesquelles elles n’abandonnent pas cette pratique et si elles pensent qu’il faudrait y mettre fin. Dans de nombreuses enquêtes, on a aussi demandé aux hommes d’exprimer leur point de vue.
Prévalence des MGF
Plus de 125 millions de filles et de femmes actuellement en vie ont subi des MGF/E dans les 29 pays d'Afrique et du Moyen-Orient, où se concentrent ces pratiques. Près d'un cinquième d'entre elles vivent en Égypte. Étant donné que certains groupes minoritaires et certaines communautés d'immigrants perpétuent ces pratiques dans d'autres pays, notamment en Europe et en Amérique du Nord, le nombre total de filles et de femmes excisées est sans doute légèrement plus élevé au niveau mondial. Il est cependant impossible de connaître les chiffres exacts, car il existe très peu de données fiables sur l'ampleur du phénomène au sein de ces groupes de population.
Les MGF/E se concentrent dans des pays allant de la côte atlantique à la corne de l'Afrique, avec d'importantes variations dans le pourcentage de filles et femmes affectées. Si les MGF/E sont une pratique quasi universelle à Djibouti, en Égypte, en Guinée et en Somalie, elles affectent seulement 1 % des filles et des femmes âgées de 15 à 49 ans au Cameroun et en Ouganda. Dans les pays où ces pratiques sont peu répandues, elles se concentrent dans certaines régions et ne s’arrêtent pas aux frontières nationales. Ce constat tend à prouver que des facteurs communs à des groupes de population spécifiques influencent la présence ou l'absence de ces pratiques dans différentes régions d'un même pays. Les données issues du Bénin illustrent parfaitement ce phénomène. La prévalence des MGF/E est plus élevée dans les régions de Borgou (59 %), Alibori (48 %), Donga (48 %) et Atakora (18 %). Ces régions sont peuplées par les Baribas, les Yoas, les Lokpas et les Peuls, des groupes ethniques qui présentent des taux de prévalence parmi les plus élevés au Bénin.
Les mutilations génitales féminines et l’excision sont étroitement liées à certains groupes ethniques, ce qui suggère que les normes sociales et les attentes au sein de communautés d’individus partageant les mêmes convictions jouent un rôle important dans la perpétuation de ces usages. Bien souvent, les membres d'un groupe ethnique donné respectent les mêmes normes sociales, notamment en matière d'excision, quel que soit l'endroit où ils vivent.
En réalité, les frontières nationales séparent souvent des groupes ethniques qui partagent les mêmes attentes sociales en matière d'excision. En Somalie, par exemple, où il existe relativement peu de variations liées à l'origine ethnique, la pratique de l'excision est quasiment universelle (98 % des filles et des femmes âgées de 15 à 49 ans). La prévalence des MGF/E chez les Somalis vivant en Éthiopie et au Kenya est plus proche de la prévalence nationale en Somalie (97 % et 98 % respectivement) que dans ces pays voisins (74 % et 27 %).
Dans la moitié des pays disposant de données, la majorité des filles subissent ces mutilations génitales avant l’âge de 5 ans. En Égypte, en République centrafricaine, en Somalie et au Tchad, au moins 80 % des filles sont excisées entre 5 et 14 ans, parfois dans le cadre de rites marquant le passage à l’âge adulte. La plupart des mères dont les filles ont subi des MGF/E indiquent que l’intervention a consisté à couper et retirer des morceaux de chair autour des organes génitaux. À Djibouti, en Érythrée, au Niger, au Sénégal et en Somalie, parmi les filles qui ont subi des MGF/E, plus d’une fille sur cinq a subi la forme la plus radicale de ces pratiques, l’infibulation, qui comprend l’ablation et la suture des parties génitales. Les MGF/E sont habituellement effectuées par des praticien(ne)s traditionnel(le)s et sont pratiquées à la maison à l’aide d’une lame ou d’un rasoir. Toutefois, en Égypte, au Kenya et au Soudan, une proportion importante de prestataires de santé réalise ces interventions. En Égypte, ce sont les médecins, par opposition à d’autres membres du personnel soignant, qui pratiquent la majorité des MGF/E.
Cette carte est stylisée et n’est pas à l’échelle. Elle ne reflète aucune prise de position de la part de l’UNICEF quant au statut juridique des pays ou territoires, ni quant au tracé de leurs frontières. La frontière définitive entre la République du Soudan et la République du Soudan du Sud n’a pas encore été déterminée. Les données infranationales pour le Yémen n’apparaissent pas ici en raison des différences entre les regroupements régionaux utilisés dans les Enquêtes Démographiques et de Santé (EDS) et ceux disponibles dans le logiciel utilisé pour établir cette carte.
*Sources : Enquêtes Démographiques et de Santé (EDS), Enquêtes par grappes à indicateurs multiples (MICS) et Enquêtes sur la santé des ménages soudanais, 1997-2012.*
La demande d’abandon de ces pratiques
Il ressort des données que les MFG/E persistent souvent malgré la volonté de certains d’y mettre fin. Dans la plupart des pays où ces usages sont en vigueur, la majorité des filles et des femmes estiment qu’il faut y mettre un terme. En outre, le pourcentage de filles et de femmes qui soutiennent cette pratique, par exemple, est beaucoup plus faible que le pourcentage de celles qui ont été excisées, même dans les pays où la prévalence reste élevée.
Les filles et les femmes ne sont pas les seules à ‘s’opposer à cette pratique. Dans la majorité des pays où les MGF/E sont pratiquées, la plupart des garçons et des hommes veulent aussi que les MGF/E cessent. De plus, dans certains pays tels que la Guinée, la Sierra Leone et le Tchad, les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes à désapprouver cette pratique. Cependant, les données révèlent aussi que de nombreuses filles et femmes ne savent pas ce que pense le sexe opposé des MGF/E : en Égypte, par exemple, environ 1 femme sur 3 admet ne pas connaître l’opinion des hommes sur cette pratique. Et, ce qui n’est pas négligeable, les filles et les femmes sous-estiment constamment la proportion de garçons et d’hommes qui veulent que les MGF/E cessent. Enfin, dans le couple, les hommes et les femmes ne savent pas ce que pensent leurs conjoints et leurs opinions sur la poursuite de cette pratique divergent. En Sierra Leone, au Nigéria et en Guinée, près de 50 % des couples ont des opinions divergentes sur le fait de savoir si cette pratique doit être maintenue ou non.
Pourquoi la pratique des MGF/E persiste-t-elle ?
Il y a beaucoup à gagner en comprenant pourquoi la pratique des MGF/E est si profondément ancrée. Les données nous expliquent pourquoi cette pratique persiste dans tant d’endroits : les MGF/E sont encore pratiquées à cause d’un sentiment d’obligation sociale. En d’autres termes, les mères croient que leurs filles doivent être excisées parce qu’elles pensent que c’est ce que l’on attend d’elles dans les communautés où elles vivent. Certaines pensent que la religion l’exige, ou leurs conjoints, ou leurs voisins. « L’acceptation sociale » est la raison la plus couramment citée pour justifier les MGF/E. Et c’est à cause de ce sentiment d’obligation sociale qu’on continue à exciser des filles même lorsque leurs mères pensent que la pratique devrait être abandonnée. En Gambie, par exemple, 54 % des filles excisées ont des mères qui sont opposées à cette pratique. L’aptitude au mariage est un facteur souvent avancé en faveur des MGF/E. Bien que cet argument ait pu en effet être utilisé à une époque, relativement peu de femmes citent aujourd’hui les perspectives de mariage comme justification de ces coutumes.
L’évolution des tendances
D’une manière générale, le soutien apporté aux mutilations génitales féminines et à l’excision est en baisse, même dans les pays où elles sont quasi généralisées comme l’Égypte et le Soudan. Dans presque tous les pays présentant une prévalence moyennement élevée à très faible, le pourcentage de filles et de femmes indiquant souhaiter que ces pratiques perdurent a régulièrement diminué. En République centrafricaine, par exemple, le pourcentage de filles et de femmes favorables à la poursuite des MGF/E a baissé de manière constante, passant de 30 % à 11 % en l’espace de 15 ans environ. Au Niger, leur proportion a chuté de 32 % à 3 % entre 1998 et 2006. Il existe toutefois des exceptions : la proportion de filles et de femmes indiquant souhaiter que les MGF/E perdurent est restée stable en Guinée, en Guinée-Bissau, en République-Unie de Tanzanie et au Sénégal.
Les données permettant de définir les tendances montrent aussi que les mutilations génitales féminines et l’excision sont de moins en moins courantes dans un peu plus de la moitié des 29 pays étudiés. Leur recul est particulièrement net dans certains pays présentant une prévalence relativement faible à très faible. Au Kenya et en République-Unie de Tanzanie, par exemple, les femmes de 45 à 49 ans sont environ trois fois plus susceptibles d’avoir subi des mutilations génitales que les filles de 15 à 19 ans. Au Bénin, en Iraq, au Libéria, au Nigéria et en République centrafricaine, la prévalence de ces pratiques chez les adolescentes a chuté de moitié environ. Dans les régions du Ghana et du Togo où leur prévalence est la plus élevée, respectivement 60 % et 28 % des femmes de 45 à 49 ans ont subi des MGF/E, contre 16 % et 3 % des filles de 15 à 19 ans. Des signes de recul sont également apparus dans certains pays à prévalence élevée. Au Burkina Faso et en Éthiopie, le taux de prévalence chez les filles âgées de 15 à 19 ans, comparé aux taux de prévalence chez les femmes âgées de 45 à 49 ans, a chuté d’environ 31 à 19 points de pourcentage, respectivement (sans tenir compte des marges d’erreur). L’Égypte, l’Érythrée, la Guinée, la Mauritanie et la Sierra Leone ont affiché des reculs plus faibles. Au Kenya et en République centrafricaine, la prévalence des MGF/E a baissé de manière constante sur au moins trois générations de femmes et cette tendance s’est vraisemblablement amorcée il y a quarante ou cinquante ans. Au Burkina Faso, en Éthiopie, au Libéria et en Sierra Leone, il semble que ce recul ait commencé ou se soit accéléré au cours des 20 dernières années environ. Aucun changement significatif de la prévalence des MGF/E chez les filles et les femmes de 15 à 49 ans n’a été constaté à Djibouti, en Gambie, en Guinée-Bissau, au Mali, au Sénégal, en Somalie, au Soudan, au Tchad et au Yémen.
D’une manière générale, le type de MGF/E opérées et l’âge à l’excision ont peu changés au fil des générations. On discerne une tendance à pratiquer des ablations moins importantes dans certains pays, notamment à Djibouti où 83 % des femmes de 45 à 49 ans ont indiqué avoir subi une suture occlusive, contre 42 % des filles de 15 à 19 ans. L’âge à l’excision est resté relativement stable dans la plupart des pays. Lorsque des changements sont intervenus, on constate surtout une tendance vers des âges plus jeunes. Si l’âge à l’excision et le type de MGF/E ont peu évolué, de changements importants sont en train de se produire quant aux praticien(ne)s. En Égypte, le pourcentage de filles excisées par le personnel de santé a fortement augmenté. Une tendance accrue à la médicalisation des MGF/E est également observée au Kenya.
Pour conclure
Les données disponibles confirment que, d’une manière générale, les initiatives programmatiques visant à mettre un terme aux mutilations génitales féminines et à l’excision enregistrent des progrès. Il faut continuer à évaluer les différents aspects des MGF/E dans les pays à prévalence élevée et faible, et intensifier les efforts pour encourager leur élimination complète et définitive. Les nouvelles séries d’enquêtes auprès des ménages, qui seront menées ces prochaines années, feront connaître plus amplement les résultats de ces actions. Si les efforts et l’engagement des partenaires perdurent et si les programmes sont renforcés à la lumière de données factuelles toujours plus nombreuses, ces enquêtes montreront que la mutation en cours s’est accélérée et que des millions de filles ont pu échapper au destin de leurs mères et de leurs grands-mères.
*Ce texte est extrait de la publication : Fonds des Nations Unies pour l'enfance, Mutilations génitales féminines/ excision : aperçu et étude statistique de la dynamique des changements, UNICEF, New York, 2013. Toutes les statistiques mentionnées dans ce texte sont obtenues à partir des analyses contenues dans cette publication. Celle-ci s'appuie sur les données de plus de 70 enquêtes de ménage, notamment des démographiques et de santé (EDS) et des enquêtes par grappes à indicateurs multiples (MICS), ainsi que d'autres données représentatives de la situation nationale contenant des informations sur les MGF/E.