Les schistosomiases (ou bilharzioses)

Par Jean-Loup Rey Santé publique, GISPE

Publié le

Il s’agit d’une maladie parasitaire très liée à la présence d’eau de surface.

I. Les schistosomes

Les schistosomes sont des vers plats, hématophages, à sexe séparé, vivant accouplés dans le système circulatoire.
On en connaît 5 espèces ayant un tropisme, un hôte intermédiaire et une répartition géographique différents.

S. mansoni Intestin Afrique Amérique centrale Moyen-Orient Planorbes
S. intercalatum Intestin Afrique centrale Bulins
S. Japonicum Foie, coeur Asie Oncomelania
S. mekonji Foie, coeur Asie
S. haematobium Appareil urinaire Afrique.Moyen-Orient Bulins

Le cycle est complexe, en deux parties : un cycle chez l’homme et un chez l’hôte intermédiaire. Il se déroule en 4 phases dont 2 aquatiques selon la figure ci-dessous.

Le sujet infecté émet des œufs soit par les urines, soit par les selles.

  • Ces œufs, s’ils sont émis dans une collection d’eau, vont se transformer en miracidium cilié qui nage vers un mollusque hôte intermédiaire.
  • Chez ce mollusque se produit une multiplication asexuée très importante, et une transformation en cercaires puis furcocercaires.
  • Ceux-ci sont attirés par les mammifères, l’homme en particulier, et pénètrent activement par effraction cutanée. Ils se transforment en vers et vont dans la circulation où le couple se fixe dans les veines urinaires, intestinales ou hépatiques.
  • La femelle pond alors des œufs qui traversent la paroi veineuse puis la paroi de l’organe proche, provoquant ainsi les pathologies rencontrées.

Le cycle d’incubation dure de 3 à 4 semaines et la persistance des vers peut durer de 15 à 20 ans.

La répartition des deux maladies

Elle dépend des conditions climatiques et de la présence d’eau de surface :

  • La schistosomiase intestinale n’existe que si les vecteurs spécifiques sont présents, les planorbes vivent dans des eaux permanentes et avec des températures inférieures à 35°C. Elle est donc retrouvée dans les zones forestières et de savane humide.
  • La schistosomiase urinaire est plus répandue, on la retrouve dans les zones humides mais aussi dans toutes les zones de savanes, dans le Sahel et même dans les oasis sahariens. Sa fréquence est maximale aux alentours des points d’eau et diminue si on s’en éloigne.

La schistosomiase urinaire est très liée à la fréquentation des sources d’eau par les personnes ; c’est pourquoi la maladie est aussi prégnante dans les villages bordant les rivières ou les zones hydro-agricoles.

II. Clinique

La maladie est considérée dans beaucoup de pays comme peu pathogène et ses manifestations sont souvent vécues comme des phénomènes normaux.

1. Schistosomiase urinaire

Les lésions sont provoquées par le passage des œufs à travers la paroi de la vessie, avec des hématuries et des infections urinaires. Après des années d’évolution, la paroi de la vessie se sclérose, les urines stagnent et des complications se produisent en amont. La cancérisation des lésions a été évoquée mais elle est mal prouvée.
Au plan communautaire, il a été montré que la schistosomiase urinaire augmentait la fréquence des infections urinaires et des anémies, entraînait des signes de malnutrition, une dépression immunitaire. L’échographie montre des signes de néphrose.

2. Schistosomiase intestinale

Les lésions sont provoquées par le passage des œufs à travers la paroi de l’intestin. Ce passage provoque diarrhées et douleurs. Les conséquences plus lointaines sont des pertes hydriques et salines et des troubles hépatospléniques.
Au plan communautaire, on retrouve une plus grande fréquence des troubles immunitaires, des lésions échographiques et des insuffisances cardiaques.

Dans les 2 cas, on note chez l'enfant des troubles de croissance et des retards scolaires.

III. Diagnostic

Il est confirmé par la mise en évidence d’œufs dans les urines ou les selles.
Cette recherche est plus efficace entre 11 et 15 heures, ou après une marche.
Les œufs ont une longueur de 110 à 180 microns.
Les œufs de S. haematobium ont un éperon terminal, les oeufs de S mansoni un éperon latéral.

Les œufs de S haematobium dans le culot urinaire. La technique de filtration des urines sur papier avec coloration au lugol sensibilise la recherche et permet de compter le nombre d’œufs.

Les œufs de S. mansoni, intercalatum, japonicum et meckonji sont retrouvés dans les selles à l’examen direct ou après coloration au MIF ou lugol.
Pour dénombrer les œufs, il faut utiliser la méthode de Kato avec tamisage et calibrage des selles.

Pour la schistosomiase urinaire, des stratégies simplifiées sont plus souvent employées au niveau communautaire. En effet, en région d’endémie, toute anomalie des urines est suspecte de bilharziose urinaire. Aussi, le simple contrôle visuel des urines ou la mise en évidence de sang ou de protéines dans les urines par bandelettes suffisent à déclarer une personne infectée par S haematobium.

IV. Traitement

Il existe un médicament très efficace, avec très peu d’effets secondaires et peu cher : le praziquantel.
Ce traitement en une dose unique élimine tous les vers et un traitement de masse dans un foyer peut arrêter la transmission et supprimer la maladie pendant plusieurs années. Les études récentes montrent que l’infestation revient dans les 3 à 5 ans.

Plusieurs pays ont adopté une stratégie de lutte intégrée contre les maladies négligées de l’OMS, c’est-à-dire schistosomiases, géohelminthes (ascaris, ankylostomes, trichocéphales, anguillules), onchocercose, filariose lymphatique et trachome. La lutte contre ces maladies est basée sur un traitement annuel par dose unique donné à des populations d’âge voisin.

Ce traitement global est résumé dans le tableau suivant.

Maladie Médicament Qui ? Où ?
Schistosomiase Praziquantel Age scolaire si P > 10 %
Géo helminthes Albendazole = ou > 5 ans Partout
Filariose lymphatique Ivermectine = ou > 5 ans Zones endémiques
Albendazole = ou > 5 ans Zones endémiques
Onchocercose Ivermectine = ou > 5 ans Zones endémiques
Trachome Azythromycine = ou > 6 mois Zones endémiques
Tétracycline pom. < 6 mois Zones endémiques

La stratégie est la suivante :

  • Passage une fois par an pendant 5 ou 6 ans.
  • Semaine 1 = albendazole+ ivermectine / semaine 2 = praziquantel / semaine 3 = azythromycine.
  • Stratégie fixe dans les centres de santé, écoles, lieux publics (marchés).
  • Stratégie avancée avec distribution de porte à porte par distributeurs communautaires.
  • Surveillance des effets indésirables (évacuation si effet grave).

Pour cette stratégie, l’OMS propose de calculer les doses selon la taille, en utilisant les toises suivantes avec les correspondances avec le poids corporel.

Poids en kg Taille en cm Praziquantel Nb de comp.
< 110 1
15 - 22 110 - 125 1,5
23 - 30 126 - 139 2
31 - 37 140 - 150 2,5
38 - 45 151 - 160 3
46 - 60 161 - 178 4
> 60 > 178 5

Les autres moyens de lutte

Ils sont peu efficaces, mais ils doivent être envisagés et sont dans certains cas nécessaires.
La lutte contre les mollusques est possible avec des molluscides, mais ceux-ci doivent être non toxiques pour les autres êtres vivant dans l’eau (poissons, insectes, batraciens, etc.).
Il est possible d’utiliser des méthodes biologiques comme les canards ou certains mollusques compétiteurs.
Le faucardage des bords des cours d’eau donne des résultats ; en effet tout ce qui ralentit la vitesse du courant d’eau favorise la multiplication des mollusques.
Pour les canaux d’irrigation, il faut les assécher une ou deux fois par semaine pour stopper le développement des mollusques.
Mais le plus important est d’améliorer les conditions d’hygiène des villageois concernés, la création de latrines, de toilettes et de lieux pour la vaisselle et la lessive sont des moyens d’éviter les contacts hommes-eau, facteur essentiel du développement de l’endémie.

Mesures individuelles
  • Prendre le traitement régulièrement
  • Ne pas uriner dans l’eau
  • Ne pas déféquer à moins de 80 m d’une collection d’eau
  • Eviter les contacts prolongés avec l’eau (pour se laver utiliser un seau)
  • Se laver avant 10 heures du matin (transmission plus basse)
  • Informer
Mesures collectives
  • Améliorer l’hygiène collective (latrines)
  • Améliorer l’accès à l’eau potable
  • Aménager des lieux de toilettes, lessive, vaisselle
  • Nettoyer les canaux d’irrigation