Les pleurésies purulentes
I. Généralités
La cavité pleurale est un espace virtuel où siègent environ 10 ml de fluide constamment renouvelés. Au cours des affections de la plèvre, l'équilibre entre les différents mécanismes régulant ce liquide pleural est perturbé, conduisant à une augmentation de la quantité de liquide et à des modifications de sa composition.
Les pleurésies purulentes compliquent l'évolution d'environ 10 % des pneumonies et représentent 1 % des infections respiratoires basses. Au cours des pleurésies purulentes, en plus de la séquestration d'une grande quantité de germes, le liquide devient inflammatoire avec coagulation et dépôt de fibrine. Ces dépôts de fibrine entre les 2 feuillets sont responsables des adhérences pleurales et des séquelles fonctionnelles.
L'évolution spontanée d'une pleurésie bactérienne se fait typiquement en quatre stades. L'aspect clinique et radiologique, de même que la thérapeutique, vont dépendre du stade au moment du diagnostic.
- Stade initial de diffusion : la plèvre est encore souple et fine, le liquide peu abondant. La guérison avec un traitement simple sans évacuation est possible.
- Stade de collection : l'épaississement pleural débute et le liquide purulent et épais diffuse dans les culs-de-sac postérieurs et dans les scissures.
- Stade d'enkystement : il est la conséquence de l'organisation fibreuse. La plèvre épaissie se transforme en une coque rigide incarcérant plus ou moins le poumon.
- Stade de fistulisation : ouverture de la poche pleurale purulente à la peau ou plus fréquemment dans une bronche.
Seul un traitement précoce et bien conduit avec une évacuation parfaite du liquide pleural permet d'éviter les séquelles fonctionnelles. L'antibiothérapie seule ne suffit pas en général.
II. Etiologies
Il existe 3 mécanismes d'infection du liquide pleural :
- Inoculation directe lors d'une ponction ou d'une intervention chirurgicale ou au décours d'une septicémie;
- propagation à partir d'une pneumonie bactérienne;
- propagation à partir du médiastin ou d'une infection sous-phrénique.
De ce fait, les causes sont très variées : épanchement accompagnant une pneumonie (étiologie de loin la plus fréquente), pneumopathie de déglutition après fausse route, abcès pulmonaire, embolie pulmonaire septique, médiastinite (rupture oesophagienne), cancer bronchique, pleurésie post-chirurgicale,...
De la même façon, les agents microbiens sont eux aussi multiples et variables suivant le contexte clinique. Les facteurs favorisants sont nombreux : diabète, alcoolisme, atteinte bronchique chronique, mauvais état dentaire...
Le pneumocoque est responsable de 15 à 25 % des pleurésies.
Les staphylocoques et bacilles gram négatif voient leur fréquence augmenter, ils sont retrouvés respectivement dans 15 à 25 % des prélèvements.
Les germes anaérobies sont associés dans un quart des cas.
La tuberculose pleurale peut entraîner un épanchement purulent. En cas d'épanchement pleural récidivant, en zone d'endémie et chaque fois que l'épanchement contient un nombre important de lymphocytes, il faut penser à la tuberculose.
III. Manifestations cliniques
Les signes cliniques vont dépendre principalement du stade évolutif.
La forme aiguë associe un début brutal avec fièvre élevée, frissons, douleur thoracique intense, plus ou moins de la toux.
En plus de ces signes compatibles avec une pneumopathie, l'examen clinique va mettre en évidence le caractère pleural de la douleur (latéralisée, variable avec la position, augmentée par les mouvements respiratoires, l'irradiation à l'épaule) et les signes d'épanchement liquidien de la plèvre : matité déclive, abolition de la transmission des vibrations vocales et du murmure vésiculaire, frottement pleural.
La présence d'un épanchement liquidien doit obligatoirement faire pratiquer une ponction pleurale exploratrice.
Des formes subaiguës moins typiques sont possibles, notamment chez les sujets âgés ou lors d'une antibiothérapie préalable.
Une douleur pleurale :
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Les signes cliniques d'épanchement liquidien de la plèvre sont :
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IV. Examens complémentaires
1. La radiographie du thorax
Elle montre classiquement une opacité homogène déclive comblant le cul de sac pleural qui apparaît grisâtre au stade de diffusion (voir figure ci-après). Avec l'évolution vers l'enkystement vont apparaître des opacités périphériques plus denses, le plus souvent fusiformes ou ovoïdes avec raccordement obtus correspondant à des poches de pus cloisonnées. Les radiographies en décubitus latéral permettent de mettre en évidence des épanchements sous-pulmonaires où l'immobilité des opacités pleurales confirme ainsi le cloisonnement. Une clarté est possible au sein de ces opacités. Elle est due, soit à une fistulisation, soit à la présence de germes anaérobies.
2. La ponction pleurale (voir article rubrique "Actes techniques").
Elle permet de confirmer le diagnostic de pleurésie bactérienne, d'identifier le germe responsable et de préciser le stade, donc les possibilités d'évacuation du liquide pleural. Le liquide est le plus souvent louche, opaque, voire purulent, contenant :
- un taux élevé de protides (> 30 g/l chez un patient non dénutri)
- un taux élevé de LDH (> 600 Ul/l)
- un taux élevé de globules blancs
- la présence de cellules en quantité importante explique la diminution du pH (< 7,2) et du taux de glucose pleural (< 0,4 g/l).
En l'absence de laboratoire, on peut s'aider de bandelettes réactives (comme celles utilisées pour l'analyse d'urine) ; en effet l'association d'un taux de protides supérieur au grade 3 (sur une échelle de 0 à 5) et d'un taux de leucocytes supérieur au grade 2 (sur une échelle de 0 à 5) est très fortement prédictive de pleurésie infectieuse.
3. Les autres examens complémentaires
Numération sanguine, ionogramme sanguin, protidémie, créatininémie... ne sont utiles que pour confirmer le caractère infectieux et préciser l'existence d'une déshydratation ou d'une dénutrition.
D'autres examens complémentaires peuvent être utiles s'ils sont disponibles comme la tomodensitométrie thoracique qui délimite parfaitement les diverses poches pleurales et précise l'existence éventuelle d'une pathologie oesophagienne (rupture, tumeur ... ) ou bronchique. L'échographie pleurale permet de guider les ponctions.
V. Traitement
Le traitement comprend : l'antibiothérapie, l'évacuation du liquide, la kinésithérapie respiratoire et le traitement de la cause ou des facteurs favorisants (fermeture d'une plaie oesophagienne, endocardite, extraction dentaire ... ).
1. Antibiothérapie
L'antibiothérapie doit être efficace sur les germes suspectés et dépend donc des facteurs de risque et du contexte clinique. La majorité des antibiotiques diffusent correctement dans l'espace pleural mais, certains, comme la gentamicine par exemple, sont inhibés par l'acidité du liquide pleural infecté. Pour le choix de l'antibiotique, il faut se baser sur le contexte clinique, la présence d'une pneumopathie associée ou de certains signes cliniques comme l'odeur fétide du liquide qui signe la présence de germes anaérobies. On peut aussi orienter le traitement en fonction de l'examen direct ou des cultures du liquide ponctionné.
Le plus souvent on utilise :
- soit l'association amoxycilline + acide clavulanique,
- soit une céphalosporine de 2e ou de 3 e génération, type cefotaxime, ceftriaxone, cefuroxime associée au metronidazole,
- soit la clindamycine qui a une bonne activité sur les germes liés à une pneumopathie de déglutition.
- soit le chloramphénicol qui associe une bonne diffusion et une activité sur les, germes le plus souvent rencontrés. Seule sa toxicité en fait un antibiotique de 2 e choix.
Les fluoroquinolones manquent d'efficacité sur les streptocoques, notamment le pneumocoque, et sur les germes anaérobies. Elles ne sont donc pas indiquées. De même, la pénicilline G injectable en monothérapie est insuffisante pour traiter la majorité des germes rencontrés.
En cas d'épanchement accompagnant une pneumonie non compliquée, c'est-à-dire un épanchement peu important et non cloisonné, la durée de l'antibiothérapie est la même que pour une pneumonie, soit 15 jours. Pour les épanchements purulents ou cloisonnés, la durée va dépendre de la qualité du drainage.
2. L'évacuation du liquide
Elle fait appel à de nombreuses techniques :
- évacuation simple à l'aiguille
- drainage simple plus ou moins associé à des lavages pleuraux
- fibrinolyse intrapleurale
- chirurgie
L'évacuation simple à l'aiguille
Elle peut être efficace et suffisante au stade de diffusion ou au début du stade de collection, à condition que l'évacuation soit complète.
Le drainage
Les épanchements très abondants, cloisonnés ou purulents nécessitent le plus souvent un drainage. La persistance de la fièvre ou de la dégradation de l'état général sont des signes de persistance de l'épanchement et, en général, de la nécessité d'une évacuation plus complète. Un pH pleural < 7,2, un taux de glucose < 0,4 g/l ou un taux de LDH > 600 sur la ponction exploratrice initiale sont des arguments en faveur de l'évolution vers l'empyème, donc vers la nécessité d'un drainage. La pose d'un drain thoracique est un geste chirurgical qui nécessite une parfaite maîtrise de la technique et des conditions d'asepsie rigoureuse.
La fibrinolyse
Les fibrinolytiques sont de plus en plus utilisés à l'hôpital pour améliorer le rendement et l'efficacité du drainage. L'urokinase et la streptokinase, en lysant les cloisons des logettes, permettent d'augmenter la quantité de liquide drainé et aussi d'éliminer une partie considérable des épanchements localisés. Ces médicaments coûtent très cher, mais permettent d'éviter une intervention chirurgicale évacuatrice.
Le traitement chirurgical
La chirurgie (pleuroscopie et/ou thoracotomie) est indiquée après échec du traitement médical et du drainage simple.
Dans tous les cas, une kinésithérapie à type d'expiration et surtout d'inspiration forcées est utile pour diminuer les adhérences pleurales. Elle doit être débutée précocement et prolongée plusieurs semaines.
VI. Conclusion
Les pleurésies purulentes sont des infections sévères. La qualité de l'évacuation pleurale associée à une antibiothérapie adaptée et à la kinésithérapie permettent de diminuer les complications (fistule... ) et les séquelles fonctionnelles et, surtout, de réduire la mortalité qui reste supérieure à 15%.
Développement et Santé, n° 158, avril 2002