Les mutilations génitales féminines

Par Nicole Horeau

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Cet article s'appuie sur les témoignages et les informations recueillies auprès du GAMS*, en particulier de Luce Sirkis et de Khady Diallo, formatrices au sein de cette association, que nous remercions vivement.

  • Qu'est-ce que le GAMS ?

C'est le groupe de femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants. Née en 1982, cette association est constituée de femmes africaines et de femmes françaises ayant des compétences dans le domaine de la santé et une longue expérience de prévention. Elle privilégie l'information des familles et des professionnels qui les côtoient, notamment les professionnels de santé, les travailleurs socio-éducatifs et les enseignants.

Cette association est devenue la section française du comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants, qui est né à Dakar en 1984 .

Descriptions

L'"excision" est l'ablation d'une partie plus ou moins importante du clitoris et des petites lèvres. Cette mutilation est surtout le fait d'ethnies vivant en Afrique de l'Ouest.

L'"infibulation" est une excision complétée par l'abrasion des grandes lèvres dont les deux moignons sont suturés bord à bord. La vulve est alors remplacée par une cicatrice fibreuse, l'ouverture vaginale disparaît pour laisser la place à un minuscule orifice pour l'écoulement des règles et des urines. L'infibulation est surtout pratiquée en Afrique de l'Est.

Où sont-elles pratiquées ?

Elles sont pratiquées par différentes ethnies, dans une vingtaine de pays africains dont Bénin, Burkina Fasso, Côte d'Ivoire, Djibouti, Égypte, Éthiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Kenya, Liberia, Mali, Nigeria, République centrafrique, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, Tanzanie, Togo... Ces mutilations sexuelles concernent un être féminin sur trois sur le continent africain, c'est-à-dire plus de 100 millions de femmes et de fillettes.

Elles sont observées aussi dans la péninsule arabique, notamment au Yemen, à Oman, en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, et, de façon sporadique, en Indonésie.

Enfin, elle sont pratiquées là où les membres des ethnies ont émigré. C'est ainsi qu'on trouve ces pratiques dans plusieurs pays européens : en Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie, Suède, Suisse, et aussi au Canada, aux États-Unis et en Australie...

L'excision n'est pas pratiquée partout, et on peut très bien n'en avoir jamais entendu parler, d'autant que jusqu'à une époque récente, le sujet était tabou dans les populations concernées. Par exemple, en République démocratique du Congo, seules quelques ethnies pratiquent les mutilations génitales de la femme et la majorité de la population ne les connaît pas. Au Sénégal, plus de 40 % de la population, d'ethnie Wolof, ne connaissent pas l'excision.

Les pays africains concernés par ces pratiques sont signataires des principales conventions internationales : convention sur les droits de l'enfant, convention sur l'élimination de toute discrimination à l'égard des femmes, charte africaine des droits humains. Ces textes prévoient la mise en oeuvre d'actions visant à éradiquer les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé et à l'intégrité physique des êtres humains.

Ces pratiques sont actuellement en nette régression, surtout dans certaines régions, et cela grâce à la mobilisation de nombreuses organisations qui mènent l'action dans deux directions :

  • l'information et la prévention par les membres des associations qui tentent de dissuader les parents ayant l'intention de faire exciser leurs filles ;
  • la répression pénale puisque dans plusieurs pays européens mais aussi africains, les mutilations sexuelles sont considérées comme des crimes passibles de poursuite et de peine de prison. Des parents et des exciseuses ont été condamnées en France, mais aussi au, Burkina, en Côte d'Ivoire, à Djibouti, en Egypte, au Ghana, au Sénégal et au Togo.

Il faut d'une part faire connaître et faire respecter la loi (c'est-à-dire réprimer) mais, pour que les personnes concernées comprennent les raisons de cette loi, il faut prendre d'abord les moyens de la prévention d'autre part : expliquer les enjeux de la santé, et les enjeux pour l'avenir des petites filles. Les deux interventions qui vont suivre se situent dans cette optique d'information. Dans une troisième partie, nous verrons comment la lutte contre les mutilations sexuelles s'organise sur le terrain.

Les risques de complications et les séquelles

des mutilations génitales féminines

Madame Sirkis, médecin, déclare à ce sujet : "Non seulement ces pratiques sont une atteinte à l'intégrité de la femme, à sa dignité, mais c'est aussi un problème de santé publique: l'OMS a reconnu que ces pratiques constituent un risque grave pour la santé des femmes.

Il faut connaître ces conséquences et les risques encourus, en voici la liste :

  • la douleur: le clitoris étant une zone très innervée, la douleur est intense, elle peut entraîner un choc, et dans certains cas un décès dû à ce choc ;
  • l'excision entraîne quelquefois des blessures annexes dans la région du clitoris, car les fiIlettes se débattent bien qu'on tente de les immobiliser, et une exciseuse, même habile, peut blesser les tissus voisins ;
  • les saignements inévitables peuvent dégénérer en véritable hémorragie ;
  • les infections, au niveau de la vulve, mais aussi infections urinaires, cystites, néphrites ; infections gynécologiques pouvant entraîner la stérilité. L'infection peut aller jusqu'à la septicémie.

Le docteur Sirkis précise : " On constate aussi :

  • des cas de tétanos
  • le sida et l'hépatite B peuvent être transmis quand une même lame de rasoir sert à exciser plusieurs filles dont l'une serait infectée ;
  • des rétentions d'urine, des dysménorrhées ;
  • des dysfonctionnements sexuels pour l'homme et pour la femme car il peut y avoir chez elle une réaction de rejet de tout ce qui va vers son sexe, et la douleur lors des rapports sexuels peut provenir de kystes ;
  • des problèmes lors de l'accouchement (figure n° 1) : en coupant les lèvres, l'exciseuse produit des cicatrices, et comme elle a supprimé les fibres élastiques, la souplesse naturelle a disparu, et la vulve se dilate mal lorsque la tête du bébé s'engage. La tête se heurte à la cicatrice, la mère et l'enfant souffrent. Le travail dure trop longtemps et le bébé peut en garder des séquelles. Quelquefois il faut pratiquer une épisiotomie pour éviter des déchirures et des hémorragies ;
  • en cas d'infibulation, les fistules vaginorectales et vagino-vésicales : si la tête du bébé heurte trop longtemps la paroi entre le vagin, la vessie et le rectum, la circulation sanguine est interrompue dans cette zone et donc il peut y avoir nécrose des tissus et communication entre le vagin, le rectum et la vessie. Les matières fécales ou l'urine sortent par le vagin. Les femmes sont humiliées à cause des conséquences sur leur hygiène intime et pour leur entourage (car " elles sentent mauvais " ... ). Si les moyens financiers de la famille le permettent, il faudra réparer les dégâts avec une chirurgie coûteuse et peu sûre. À Bamako, près de l'hôpital national du point G, un village d'exclues s'est progressivement constitué : c'est une petite communauté de femmes porteuses de fistules, pour lesquelles l'opération a été un échec, et qui ne veulent pas retourner chez elles dans leur village. Elles savent qu'elles y seraient rejetées ;
  • la mortalité des femmes est élevée dans les populations où l'excision est pratiquée.

À propos des questions qui peuvent se poser aux professionnels de la santé, le docteur Sirkis déclare :

  • On peut entendre cet argument: dans "de bonnes conditions", l'excision peut être faite en évitant la douleur (sous anesthésie), les hémorragies, les infections... Pour nous, la réponse est nette et claire : non, même avec toutes ces précautions, ce n'est pas un acte médical, c'est une mutilation qu'il faut refuser, et il faut résister à l'argument suivant : puisque de toute façon ce sera fait, il est préférable que ce soit fait proprement. La réponse est non, en aucun cas.
  • En ce qui concerne les femmes infibulées, il faut savoir que celles-ci sont cousues quand le mari part, ouvertes avec un rasoir quand il revient, et de la même façon, désinfibulées à l'accouchement et réinfibulées après. En Europe, des sages-femmes ont dû rouvrir la vulve de femmes originaires d'Afrique de l'Est pour l'accouchement, puis elles ont proposé aux femmes de les recoudre après. Ces sages-femmes ont eu tort car c'est refaire une mutilation, même à la demande des femmes infibulées...

Une pédagogie à partir de la tradition

Sur la pédagogie à développer à partir des traditions, Khady Diallo estime que, d'une part, "quand ils ont compris les dangers présentés par les pratiques mutilatrices, les parents sont les meilleurs défenseurs de leurs filles dans les villes et villages africains" et d'autre part qu'il faut "commencer par dire la vérité à partir des "on dit" de la tradition, et dire non à la "fatalité" ".

Elle précise : "Personne ne peut dire quelle est l'origine de l'excision, et pendant très longtemps cette coutume était vue comme quelque chose de positif. Il est difficile d'expliquer que les justifications données par la tradition sont erronées, et il faut un certain courage pour s'élever contre quelque chose "qui a toujours existé". Dans certaines ethnies, hommes et femmes pensaient que cela se faisait partout, et n'imaginaient pas qu'on puisse ne pas le faire...

Il faut dire la vérité sans blesser, et il faut se souvenir aussi que d'autres peuples ont eu des pratiques portant atteinte à la santé: les chinoises ont eu les pieds bandés, ce qui les empêchait de marcher, et les arrière-grand-mères des femmes européennes, dans les classes aisées, serraient leur corset avec une telle vigueur qu'elles s'en atrophiaient la cage thoracique et les poumons... pour avoir la taille fine. "

Quelles sont les raisons qui sont le plus souvent invoquées pour justifier les mutilations sexuelles ?

  • C'est une sorte de rite de passage de l'enfance à l'âge adulte. Dans ma région du Mali, raconte Khady Diallo, après les récoltes, on rassemblait toutes les filles adolescentes de la même classe d'âge, et au cours d'une fête, elles étaient excisées. Cela s'appelait "Prendre le pagne', car avant, les petites filles étaient nues, et après, devenues femmes, elles portaient le pagne. Elles étaient contentes, on leur disait qu'avant elles n'étaient pas propres ; une fois excisées elles étaient "Purifiées". Elles ne devaient pas pleurer, c'était une question d'honneur pour la famille.
  • Mais comme l'excision fait très mal, progressivement, on a excisé les petites filles encore bébé, en pensant que cela passerait mieux, qu'elles n'en auraient pas de souvenir. Aujourd'hui cette pratique n'est donc plus rituelle, elle n'a plus rien d'une fête de génération.

L'excision et la fécondité : "Dans certaines ethnies, on dit que le clitoris est un organe mâle qu'il faut éliminer, sinon la femme n'aura pas d'enfants... Ailleurs, on dit que ces mutilations sexuelles rendent les femmes plus fécondes. En réalité, elles peuvent rendre stérile et, on l'a vu, l'accouchement non médicalement assisté peut entraîner la mort du nouveau-né et de sa mère. Il faut aussi expliquer le lien entre les mutilations et les troubles et complications éventuels. Par exemple, montrer que la césarienne a été faite non pas "pour que le docteur gagne plus", mais parce que l'accouchement était rendu très difficile et dangereux à cause des cicatrices de l'excision. "

"On dit que les mutilations sexuelles sont imposées par la religion. En réalité aucun verset du Coran n'évoque les mutilations génitales des filles, et il y a de nombreux musulmans qui ne les pratiquent pas. De plus, des chrétiens, des animistes excisent leurs filles. C'est une tradition plus ancienne que l'Islam ou le christianisme."

"On dit qu'il faut ainsi s'assurer la fidélité d'une épouse (puisque le plaisir sexuel est diminué par la disparition d'une partie du sexe de la femme) ; en réalité, la conduite d'un être humain relève de ses qualités d'esprit et de coeur et non pas d'une blessure."

"On dit que si une fille n'est pas excisée, elle ne pourra pas se marier. En réalité, aujourd'hui, nombreux sont les hommes qui préfèrent une femme non excisée, et, vu l'évolution en cours, en ce qui concerne les fillettes menacées d'excision aujourd'hui, en l'an 2000, quand elles auront atteint l'âge du mariage (en 2015, 2020), ce sont les filles excisées qui auront du mal à se marier, et comme elles n'auront pas été consultées sur l'opportunité de cette mutilation, elles en seront très affectées."

Voilà comment on peut, dans des discussions ou lors de débats publics persuader les parents de ne pas faire exciser leur petite fille.

L'organisation de la lutte contre

les pratiques des mutilations sexuelles

La question des mutilations sexuelles a été longtemps un sujet tabou ; ce n'est plus le cas d'aujourd'hui. C'est en 1952 que le sujet a été soulevé au sein de la commission des droits de la personne humaine à l'ONU, et depuis, l'OMS a fait un effort considérable pour relever le défi que représente l'éradication de cette pratique traditionnelle. L'OMS travaille en collaboration avec d'autres organismes, et en particulier, avec le comité Interafricain (CI-AF). Ce comité cordonne et assiste 26 comités nationaux.

Le rôle de ces comités par rapport à la loi et à la répression

Les parents africains vivant en France doivent respecter la loi française. Or, le code pénal français réprime et punit sévèrement les violences ayant entraîné une mutilation. Lorsque la victime est un enfant de moins de quinze ans, la peine maximale est portée à quinze ans de réclusion criminelle.

Dans les pays africains, la tendance actuelle est au vote de lois réprimant l'excision. Mais, comme on l'a vu, il ne suffit pas d'interdire et de faire connaître l'interdit pour qu'il soit respecté. Il faut pouvoir mener un dialogue et convaincre. C'est le rôle des comités, et le travail à faire sur le terrain reste considérable.

De petites équipes ont été créées dans les pays où la pratique de l'excision perdure, et il faut adapter la pédagogie à chaque pays: ce n'est pas une Ethiopienne qui ira prêcher au Nigeria pour changer les mentalités. Ce sont les Nigerians qui parlent aux Nigerians et les Sénégalais qui parlent aux Sénégalais.

Il faut préparer les gens à accepter la loi. Ainsi on trouve, au Mali, l'un des comités de lutte les plus dynamiques contre l'excision. Un gros travail est fait jusque dans les villages. Selon Khadidiatou Koïta, "il faut que les gens sachent d'abord de quoi on parle ! Si aujourd'hui (1996) au Mali, on fait une loi et qu'on l'applique, on mettra je pense, 99 % de la population en prison ".

Madame Coumba Touré, malienne, rapporte qu'elle a entendu des femmes dans un village affirmer qu'elles allaient elles-mêmes définir la loi qui leur conviendrait. Une femme lui a expliqué comment : "Je vais aller sous l'arbre à palabres, je vais rencontrer les hommes, je vais leur proposer que le jour où une fille sera excisée dans une famille, le chef de village demande au père de cette fille de payer une amende ! Pas la mère ! Parce que les hommes répondent toujours que c'est le problème des femmes, mais ce sont eux qui poussent leur femmes à faire exciser leur fille. "

Des mères, de plus en plus nombreuses disent: " Pour moi c'est trop tard, mais je vais protéger ma fille ! " Ce résultat, c'est celui de l'éducation et de l'information qui doivent venir avant la loi. Au Ghana, la population une fois sensibilisée et informée a demandé une loi et il y en a eu une ! De même au Burkina Fasso.

Quelques stratégies

Une fois les lois protectrices votées, il faut prévenir les personnes concernées des risques encourus. C'est ce que font les comités et les associations. Parmi les stratégies adoptées on peut donner quelques exemples.

  • Le contrôle à l'aéroport : dans un pays africain, le comité inter-africain local charge un médecin d'examiner les fillettes à la sortie de l'avion quand elles arrivent de France pour passer les vacances dans leur pays d'origine. Le médecin établit une fiche précisant que la petite fille n'est pas excisée, et prévient le ou les parents qu'il devra la contrôler au retour. Si l'enfant est excisée, le fait sera signalé aux autorités locales (en conformité avec la loi) voire même aux autorités françaises, et les parents seront susceptibles de poursuites pénales. C'est dissuasif...
  • Après les informations données en France par les associations et éventuellement après intervention du juge des enfants, certains pères font des cassettes audio, d'autres écrivent des lettres ou téléphonent pour que leur famille ne touche pas à leurs petites filles s'ils doivent arriver après elles au village, dans leur pays d'origine. Cela n'est malheureusement pas toujours suffisant quand la grand-mère estime que c'est de son devoir de respecter la tradition.

Par ailleurs le CI-AF se préoccupe aussi de la reconversion des matrones qui acceptent d'abandonner leur pratique d'exciseuse, afin de compenser la perte de gain et de maintenir leur position au sein de la communauté. On prévoit pour elles des stages d'accoucheuses ou on leur propose une réinsertion dans des petites coopératives. Parfois, plusieurs exciseuses jettent ensemble leurs couteaux pour symboliser l'abandon de leur ancien métier interdit par la loi.

Il faut donc élaborer une action et une pédagogie adaptée pour réussir à promouvoir un changement des mentalités et des comportements. Il faut que l'ensemble des personnes impliquées ait suffisamment échangé et débattu des questions posées pour constituer une équipe unie, solidaire, porteuse d'un discours et d'une pratique cohérente.

En bambara, se faire exciser se dit "s'asseoir sous le couteau". Dans le film intitulé "Femmes assises sous le couteau" réalisé avec la participation du GAMS, Coumba Touré conclut ainsi : "On peut rester traditionnel pour certaines choses qui sont vraiment positives, mais pour ce qui est des traditions qui portent atteinte à l'intégrité et à la dignité de la femme, je crois qu'il faut qu'on soit réaliste et qu'on abolisse ça".

Ce point de vue sur la tradition est partagé par le grand écrivain peuhl Amadou Hampaté Bah : "La tradition est comparable à un arbre dont il faut élaguer les branches qui meurent, pour lui permettre de s'épanouir".

Développement et Santé, n° 149, octobre 2000