Les diarrhées aiguës

Par Bernard Lagardère

Publié le

Les diarrhées aiguës sont la première cause de mortalité dans le monde chez les nourrissons après le sevrage.

Elles sont la deuxième cause de mortalité si l'allaitement maternel est conservé.

La diarrhée aiguë se définit comme l'existence de selles anormalement liquides et fréquentes, pouvant conduire rapidement à une déshydratation grave et, de toute façon, à une dénutrition Pavoisant les surinfections. Devant un nourrisson diarrhéique, il faut préciser les critères de gravité qui peuvent conduire à un traitement d'urgence, tenter d'identifier la cause, et instituer une thérapeutique adaptée.

I. Critères de gravité

Ils sont de trois ordres:

  • l'importance et les caractères de la déshydratation,
  • l'importance de la dénutrition,
  • les conditions d'environnement à domicile.

1. La déshydratation

C'est le premier élément à préciser car il peut aboutir très vite à la mort de l'enfant et justifier une réhydratation en urgence.

Parfois il s'agit de déshydratation majeure: l'enfant est somnolent, les yeux cernés, la respiration ample et rapide; la peau pincée garde le pli (au niveau des membres plutôt que sur le ventre qui peut être tendu du fait du ballonnement lié à la diarrhée). La fontanelle est creuse, les muqueuses (lèvres, langue) sont sèches, l'enfant n'a pas uriné depuis plusieurs heures.

Le pouls est accéléré faisant craindre un collapsus. Les extrémités (mains, pieds) sont froides. Les troubles de la conscience et le collapsus sont des signes de grande gravité: l'enfant a perdu plus de dix pour cent de l'eau de son corps et il est urgent de le réhydrater par perfusion intraveineuse.

Parfois il s'agit de déshydratation moins spectaculaire: l'enfant s'agite, manifeste sa soif par ses cris, le pli cutané existe mais reste modéré. L'enfant a perdu entre cinq et dix pour cent de l'eau de son corps et il doit être réhydraté en essayant au début d'éviter une perfusion.

Parfois il n'y a pas encore de signe clinique de déshydratation, mais ceux-ci peuvent apparaître rapidement et une surveillance est indispensable en commençant par la pesée de l'enfant, geste primordial. En effet, seule la chute rapide du poids peut donner une idée précise de l'existence et du degré de déshydratation. Malheureusement il est rare que l'on connaisse le poids de l'enfant dans les jours précédents.

2. La dénutrition

Un mauvais état nutritionnel va rendre plus fragile cet enfant diarrhéique, et plus difficile le traitement.

Il peut s'agir d'un marasme chez un enfant déjà maigre avant sa diarrhée (son poids étant nettement inférieur à celui d'un enfant normal de son âge) sans autre signe clinique particulier.

Il peut s'agir d'un kwashiorkor avec, malgré une éventuelle déshydratation, des oedèmes des membres inférieurs, une disparition des masses musculaires, des plaies à la commissure des lèvres, au niveau des plis de flexion des membres et derrière les oreilles, une apathie précédant la diarrhée. C'est le tableau le plus grave car il s'associe à une perte et à une mauvaise répartition de l'eau du corps.

Il faut de toute façon préciser le type d'alimentation qu'a reçu cet enfant depuis sa naissance.

3. L'environnement

L'enfant a eu un traitement avant d'être vu dans une structure sanitaire. La mère a pu arrêter l'alimentation, croyant bien faire et aggraver la déshydratation et la dénutrition. Des traitements traditionnels peuvent être utiles (tisanes) ou nocifs (lavements, purges, alimentation avec du lait artificiel ou des produits irritant le tube digestif. Souvent, quelque soit le traitement à domicile, la diarrhée a évolué depuis plusieurs jours et s'est aggravée progressivement en raison d'une consultation trop tardive.

Outre la diarrhée, d'autres signes peuvent augmenter les pertes et rendre difficile leur correction: vomissements, anorexie, fièvre élevée.

II. Causes

La recherche d'une cause ne doit pas retarder une réhydratation urgente. Elle n'est possible qu'en l'absence, ou après correction des signes de gravité.

1. Si l'enfant est fébrile

Il faut craindre d'abord une infection qui n'atteint pas directement le tube digestif (parentérale) :

Généralisée

Le paludisme, chez le tout petit, s'accompagne de diarrhée et de vomissements. En pays d'endémie, il faut y penser systématiquement.
La rougeole est grave chez le malnutri par la diarrhée associée, renforcée par des signes de surinfection d'autres organes.

Localisée

A cet âge, toute infection sévère d'un organe peut s'accompagner de diarrhée. Il s'agit surtout d'otite, mais aussi d'angine, d'infection broncho-pulmonaire, ou d'infection urinaire.
Une infection du tube digestif (entérale) est plus rarement associée à une fièvre.

2. Si l'enfant n'est pas fébrile

Une cause non infectieuse est possible (erreurs alimentaires dans la constitution du biberon, administration intempestive de lavements et de purges). Mais il s'agit souvent d'infection localisée à l'intestin (entérite, entérocolite). Si les selles sont accompagnées de sang rouge, de glaires, ou de pus, il y a des micro-abcès et des ulcérations des parois digestives dues aux Salmonelles et aux Shigelles préférentiellement, qu'il faudra traiter par antibiotiques. Si les selles sont simplement liquides sans s'accompagner de ces signes, les parois digestives sont peu lésées et un traitement antibiotique sera moins utile que le remplacement de l'eau perdue. Il s'agit alors de diarrhées dues à un virus, à des colibacilles, ou au choléra.

Les parasites intestinaux ne donnent que rarement une diarrhée aiguë.

III. Le traitement

1. La déshydratation

Elle doit être traitée la première.

a. Une déshydratation majeure

ne peut être traitée que par voie intraveineuse. Toute autre voie d'abord (sous-cutanée, intraosseuse ou même intrapéritonéale) risque d'être illusoire ou dangereuse.

Une perfusion solide doit être installée d'emblée: au niveau d'une veine épicrânienne ou de veines des membres, sans hésiter à faire une éventuelle dénudation si celle-ci est nécessaire.

En cas de collapsus, il est bon d'injecter d'emblée, à la seringue, 50 ml par kilo de poids de liquide à grosses molécules (Plasmagel, Plasmion, ou mieux, plasma frais) en cinq minutes.

En cas d'acidose (respiration ample et rapide, sans signe d'infection respiratoire) il est bon d'injecter d'emblée à la seringue, 50 ml par kilo de poids de sérum Bicarbonaté isotonique (14 pour mille) en cinq minutes.

Après cela, ou immédiatement dans les autres circonstances, il faut perfuser une solution comprenant :

Pour un litre de sérum glucosé isotonique :

  • 3 g de chlorure de sodium
  • 1,50 g de chlorure de potassium
  • 1 g de gluconate de calcium

(ou un tiers de sérum salé isotonique, deux tiers de sérum glucosé isotonique, et par litre de solution: 1,50 g de chlorure de potassium, 1 g de gluconate de calcium).

Cette solution doit passer au début rapidement, puis plus lentement et durer au moins douze heures :

  • dans les trois premières heures: 50 ml par kilo de poids,
  • dans les neuf heures suivantes: 100 ml par kilo de poids,
  • éventuellement dans les douze heures suivantes: 70 ml par kilo de poids.

L'enfant ne doit pas être alimenté dans les trois premières heures.

Ceci peut être réalisé :

  • à l'hôpital et la surveillance de l'infirmier doit être complétée par celle de la mère qui reste avec son enfant,
  • au dispensaire, équipé en "centre de réhydratation" pendant la journée, sous la surveillance de la mère qui reprend son enfant le soir, après arrêt de la perfusion, lorsque la déshydratation n'est plus majeure. Elle l'alimente alors à domicile comme une déshydratation moyenne et le conduit à nouveau le lendemain au dispensaire pour décider si une nouvelle perfusion est nécessaire.

b. Une déshydratation moyenne

Elle peut souvent être corrigée sans perfusion.

  • En cas de diarrhée très liquide ou de vomissements, par sonde gastrique installée et surveillée au dispensaire, par laquelle on fait passer de façon continue la même solution, au même rythme que dans le cas précédent. La sonde est enlevée le soir et la mère continue l'alimentation comme ci-après.
  • En l'absence de vomissement et si la diarrhée n'est pas trop menaçante du fait de son importance, par ingestion à la cuillère de petites quantités tous les quarts d'heure d'une potion constituée pour 1 litre d'eau stérile, de 3 g de sel (2 pincées), 50 g de sucre (10 morceaux) et 1 ampoule de 1 g de chlorure de potassium. Ceci est fait d'emblée ou prend la suite de la perfusion ou de la sonde gastrique le cas échéant et nécessite une bonne compréhension et une bonne collaboration de la part de la mère. L'OMS préconise l'utilisation de "sachets de réhydratation" (sel, sucre, bicarbonate) qu'il suffit de dissoudre dans de l'eau propre. Dans tous les cas, l'enfant doit être revu au bout de 24 heures et la réapparition de la déshydratation justifie la reprise de la même attitude. Une fois celle-ci corrigée, il faut prendre la suite par le traitement de la diarrhée elle-même.

2. La diarrhée

Le traitement symptomatique est plus important que le traitement de la cause.

a. Traitement symptomatique

Il vise à ôter de l'alimentation tout produit irritant pour le tube digestif (lait de vache, lait artificiel) et à fournir à l'enfant la ration de liquide (et si possible d'aliments nutritifs) indispensable.

Le lait doit être supprimé pendant la durée de la diarrhée, sauf le lait maternel, qui fournit à l'enfant des moyens de défense utiles.

La carotte (Elonac) et la caroube (Arobon) ne sont pas indispensables et risquent d'être difficiles à préparer dans de bonnes conditions. On les utilise de moins en moins.

Avant six mois, on se contente de la potion vue au chapitre précédent, ou préparée à partir des "sachets OMS", proposée très souvent et très régulièrement à l'enfant.

Après six mois, on peut utiliser en plus, des aliments constituant un apport nutritionnel appréciable: riz, pain de singe, viande, banane .écrasée. On peut donner du coca-cola ou autre marque, après en avoir chassé les gaz. Il a des propriétés antidiarrhéique, tonifiante et calorique.

Des substituts du lait ne contenant pas de lactose (toxique pour le tube digestif) seraient très utiles, surtout en cas de malnutrition, mais sont très chers et difficiles à se procurer. Une solution pour 1 /2 litre d'eau, d'hydrolysat de protéines (Hyperprotidine) 26 g, de glucose 9 g, de saccharose 18 g, et d'huile 35 g peut être utilisée pendant quelques jours si la diarrhée se prolonge.

Lorsque la diarrhée disparaît, il faut reprendre progressivement une alimentation normale en réintroduisant les aliments les uns après les autres. Le lait n'est redonné qu'à faible dilution le premier jour (le tiers de la normale), puis dilution moyenne en l'absence d'incident (un demi et deux-tiers de la normale) avant de l'utiliser à la reconstitution complète.

b. Traitement de la cause

En pays d'endémie palustre, en cas de fièvre, le traitement par Chloroquine 10 mg/kg/jour, est systématique (au début éventuellement par Quinine: Quinoforme®, Quinimax®

Si l'on a identifié une cause parentérale, il faut la traiter de façon adaptée: antibiothérapie de type Pénicilline®, Erythromycine® ou Ampicilline® en cas d'infection ORL ou bronchopulmonaire de type Ampicilline® ou Bactrim® en cas d'infection urinaire.

En cas d'infection entérale :

La présence de pus, glaire et sang dans les selles justifie un traitement par voie générale visant Salmonelles et Shigelles: Bactrim®, Colimycine® Ampicilline®

Leur absence fait discuter l'utilité d'un traitement antibiotique. Celui-ci ne semble indiqué qu'en cas d'épidémie constatée, ou en collectivité où une épidémie peut se déclencher. Mais il s'agit souvent, dans ce cas, de diarrhée virale, qui guérit grâce au seul traitement symptomatique, même en l'absence d'antibiotique. Ceux-ci peuvent même être nocifs lorsqu'ils sélectionnent des germes résistants, à l'origine de surinfections redoutables.

c. Le traitement préventif

Il est justifié par le rôle considérable de la diarrhée dans la mortalité et la morbidité infantile et les difficultés que rencontre souvent le traitement curatif. C'est un problème très complexe basé sur l'éducation sanitaire dont on ne peut souligner que quelques points :

  • L'importance de l'allaitement maternel prolongé qui limite les manipulations septiques de lait artificiel et apporte des défenses immunitaires de grande efficacité.
  • Le fléau constitué par l'emploi du biberon dont la stérilité n'est que rarement possible à assurer de façon régulière.
  • Le rôle caché mais certain des malnutritions, même modérées, qui viennent aggraver toute diarrhée par ailleurs banale. La prévention des diarrhées graves passe par celle de la malnutrition.
  • L'importance de l'attitude maternelle au tout début de la diarrhée du nourrisson: un régime adapté (eau /sel /sucre avec arrêt du lait artificiel) institué d'emblée, permet de guérir la majorité des cas. A l'inverse, une alimentation mal adaptée et une trop longue attente sont des facteurs de gravité majeurs.

Développement et Santé, N°36, décembre 1981