Les déterminants de la fécondité

Par France Donnay* * Gynécologue, Médecins Sans Frontières, Bruxelles.

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La fécondité d'une population dépend, d'une part, des variables biologiques modulées par l'état de santé de la population, d'autre part, de variables culturelles, économiques et politiques et du fonctionnement du système de santé. Les programmes de planification familiale agissent sur la plupart de ces éléments.

I. Variables biologiques

1. La fécondité naturelle

Entre les premières règles et la ménopause, une femme a un certain nombre de cycles menstruels, l'ovulation se produisant en général entre le dixième et le quatorzième jour. Par cycle, un couple fertile a une chance sur cinq d'obtenir une grossesse: la probabilité de conception est donc de 20 % par cycle; elle varie avec l'âge, avec un maximum vers vingt-cinq ans. La fertilité est la faculté de se reproduire, alors que la fécondité est la mise en oeuvre de cette fertilité. Elle implique une mesure quantitative des naissances rapportées aux femmes.

La ménarche (apparition des premières règles) survient en moyenne à treize ans, elle est retardée en cas de déficience nutritionnelle; la ménopause (disparition des cycles depuis au moins un an), qui a lieu entre quarante-huit et cinquante-deux ans, est avancée en cas d'épuisement nutritionnel. Dans les pays en voie de développement, il est fréquent qu'une femme n'ait que vingt ou trente cycles menstruels au cours de sa vie reproductive, le reste se partageant entre grossesses et allaitements.

Chaque femme normalement fertile peut théoriquement mener à terme dix-huit à vingt grossesses. L'allaitement prolongé, l'abstinence féminine du post-partum, la mortinatalité réduisent ce nombre. A raison d'une naissance tous les trente-neuf mois en moyenne (deux ans d'allaitement, six mois de délai de conception, neuf mois de grossesse), en vingt-cinq ans de vie reproductive (de seize à quarante et un ans), une femme peut mettre au monde environ dix enfants dont six à huit survivront.

En moyenne, 20 à 30 % des grossesses se terminent par une fausse couche. La majorité (80 %) de ces avortements spontanés est d'origine génétique, les autres sont d'origine mécanique et hormonale. Les maladies infectieuses comme la malaria ou la syphilis augmentent le risque d'avortements spontanés du premier et du deuxième trimestre.

2. L'aménorrhée post-partum

L'allaitement intensif et prolongé entraîne une élévation de la prolactine, responsable de l'anovulation et de l'aménorrhée. Il en résulte une infertilité temporaire. Des taux élevés d'anovulation ne sont maintenus qu'en cas d'allaitement exclusif et très fréquent (au moins six tétées par jour). Si le nombre de tétées diminue, le taux d'anovulation baisse, le cycle peut se remettre en marche avec ovulation et risque de grossesse.

On considère que, parmi les femmes qui allaitent et qui sont en aménorhnée, 98 % sont six mois à l'égard d'une autre grossesse.

L'allaitement et l'abstinence féminine du post-partum, qui dure jusqu'à deux ans dans certaines populations, sont depuis longtemps utilisés pour espacer les naissances et améliorer la survie des nouveaux-nés. Ces pratiques traditionnelles tendent pourtant à disparaître ou à diminuer avec l'exode rural.

Avec l'urbanisation, on observe un raccourcissement de l'aménorrhée post-partum et des grossesses plus précoces.

3. La stérilité et l'infertilité

La stérilité primaire (incapacité d'obtenir une grossesse) affecte en moyenne 5 % des couples ; 10 à 15 % d'entre eux souffrent de stérilité secondaire (incapacité d'obtenir et/ou de mener à terme une nouvelle grossesse). Mais la stérilité (primaire ou secondaire) peut atteindre jusqu'à 50 % des couples dans des pays où la prévalence des infections génitales est très élevée (chlamydia, gonocoque).

Dans les pays développés, seulement 10 à 35% des couples infertiles souffrent d'une infection génitale ou de ses conséquences. Dans les pays pauvres, par contre, la stérilité et l'infertilité sont presque toujours d'origine infectieuse (50 à 80% des cas). Les carences hormonales et génétiques sont beaucoup plus rares. Les avortements répétés (surtout curetages) entraînent aussi un risque accru d'infertilité (Europe du Centre et de l'Est).

La prévention, le dépistage précoce et le traitement des MST protègent la fertilité et font partie de la planification familiale.

II. L'état de santé de la population

Les variables biologiques sont influencées par la situation sanitaire. Comme on l'a dit, les fausses couches spontanées, par exemple, sont beaucoup plus fréquentes si la prévalence des infections est élevée: syphilis, mais aussi malaria et parasitoses en général.

  • L'épidémie de sida atteint surtout les adultes jeunes qui sont en âge de reproduction, donc influence la fécondité de la population. Le taux de mortalité augmente, donc l'accroissement naturel diminue. Il reste cependant entre 2,5 et 3 % pour la plupart des pays de l'Afrique sub-saharienne, c'est-à-dire que, malgré l'épidémie, la population augmente rapidement.

  • L'état nutritionnel des mères et des enfants influence aussi la fertilité, notamment en modifiant les cycles menstruels ainsi que la croissance osseuse. Beaucoup d'adolescentes ont des bassins anormaux à la suite de carences alimentaires avec, pour conséquences, les disproportions foetopelviennes et les accouchements dystociques. Les anémies sont aussi une cause importante de pathologie de la grossesse (fausses couches) et de mortalité maternelle en cas d'hémorragie.

  • Une mortalité infantile élevée conditionne depuis toujours les comportements en matière de fécondité, en incitant les femmes à avoir des grossesses nombreuses et rapprochées qui aggravent la morbidité et la mortalité maternelles.

III. Variables culturelles économiques et politiques

1. La politique de population

Une politique de population est un document résumant l'ensemble des objectifs d'un gouvernement en matière de population (fécondité, migrations, santé ... ). Beaucoup de pays ont actuellement adopté une politique de maîtrise de la fécondité.

A Bucarest, en 1974, lors de la Conférence Mondiale sur la Population, un certain nombre de pays exprimaient encore des réticences à l'égard d'une quelconque politique démographique. En 1984, à Mexico, des programmes de planification familiale étaient établis dans soixante-dix pays avec le support direct ou indirect du gouvernement, touchant 95 % de la population des pays en développement. La prochaine conférence a lieu au Caire en 1994.

Les sociétés rurales traditionnelles ont toujours accordé une grande importance à la fécondité pour des motifs économiques (besoin de main d'oeuvre et soutien des parents âgés) et sanitaires (mortalité élevée). Elles insistent aussi sur le rôle reproducteur des femmes par opposition au rôle social des hommes, même là où les femmes ont une place importante dans la vie économique du groupe.

L'urbanisation bouleverse partiellement ces schémas en changeant la composition des familles et leur mode de formation, le statut des femmes et leur degré d'alphabétisation. La durée de l'allaitement diminue, l'espace intergénésique se réduit aussi, les grossesses sont plus rapprochées et plus nombreuses. Des enquêtes montrent une demande contraceptive parfois explicite, parfois implicite à travers la fréquence très élevée des grossesses non désirées et des avortements légaux et illégaux. En 1991, sur 174 pays, 40% ont adopté une politique pour abaisser le niveau de fécondité et 76 % apportent un soutien discret ou direct à la fourniture de méthodes contraceptives.

2. Le statut de la femme

Il est de plus en plus identifié comme un facteur primordial de l'évolution de la fécondité, il résulte des droits et devoirs qui lui sont assignés par la culture, l'éducation, les normes sociales ou religieuses ainsi que par les contraintes législatives éventuelles qui déterminent la fertilité de la population:

  • le code de la famille définit l'âge légal minimum au mariage et les règles concernant la polygamie, le divorce, l'héritage;

  • le taux d'alphabétisation des filles, l'activité professionnelle des femmes influencent leur comportement "reproducteur". Il y a une relation directe entre le pourcentage des filles qui terminent un cycle secondaire et la prévalence contraceptive dans un pays ou une région.

3. La législation concernant l'interruption volontaire de grossesse

Elle devrait avoir un impact très important si elle permettait aux femmes d'accéder à des services de bonne qualité. Beaucoup de pays en développement (en Afrique notamment) n'ont ni les législations ni les services nécessaires. Une proportion notable des morts maternelles est la conséquence d'avortements clandestins ou légaux effectués dans de mauvaises conditions. Dans certains pays, la loi régit aussi l'information sur la contraception et l'accès aux services de planification familiale (autorisation du mari ou des parents pour les mineur(e)s par exemple).

4. Les attitudes traditionnelles en matière de sexualité et de nuptialité

influencent la fécondité: sexualité avant le mariage, multiplicité des partenaires, abstinence féminine du post-partum, remariage en cas de rupture d'union...

5. Les migrations d'origine économique (famines) ou politiques

(conflits ethniques) influent sur la fécondité dans des sens différents: le stress, la séparation des familles, l'allaitement prolongé diminuent le nombre des naissances; la rupture des mécanismes traditionnels d'espacement des naissances, la promiscuité dans les camps de réfugiés l'augmentent au contraire.

En résumé, les principaux déterminants de la fécondité d'une population ou " variables de Bongaarts " sont les suivants:

  • âge du mariage, ou à la première union stable,

  • durée de l'infertilité post-partum (allaitement, abstinence féminine),

  • incidence de l'avortement provoqué, légal ou illégal,

  • prévalence de la contraception dans la population "à risque" (c'est-à-dire les femmes en âge de reproduction, de quinze à quarante-neuf ans).

Ils exercent une influence plus ou moins marquée sur le nombre moyen d'enfants par femme, ou " indice synthétique de fécondité " (ISF). L'augmentation de l'âge minimum au mariage, par exemple, diminue l'ISF, alors que la tendance au raccourcissement des périodes d'allaitement (surtout dans les villes) aura l'effet inverse. La combinaison de ces facteurs biologiques, culturels, sanitaires et des mesures qui sont prises pour maîtriser la fécondité détermine le nombre des naissances et leur espacement.

IV. Les systèmes de santé

Les services publics de planification familiale appartiennent généralement à la SMI et s'ajoutent aux consultations prénatales et postnatales. Mais au Cambodge, par exemple, le programme récent d'espacement des naissances se développe plus rapidement que le suivi prénatal, peut-être parce que les patientes sont plus motivées (elles viennent en plus grand nombre et parcourent des distances plus grandes). Dans ce cas, les contacts établis avec la population permettent d'augmenter la fréquentation des consultations prénatales et le dépistage des grossesses à risques.

Actuellement, les programmes "maternité sans risques" tendent à renforcer la composante planning familial: information à la consultation prénatale, et juste après l'accouchement au centre de santé ou à l'hôpital. La prescription contraceptive immédiatement après une interruption de grossesse est possible; il faut aussi développer l'information lors des consultations curatives en général, et lors du traitement des infections génitales.

Dans un camp de réfugiés, la prévention des grossesses non désirées (GND) et des maladies sexuellement transmissibles (MST) fait partie des activités à instaurer rapidement, après la mise en place des mesures d'urgence (eau, nourriture, logement, hygiène, assainissement, épidémies). On peut commencer par évaluer la demande et l'expérience montre que ces consultations sont rapidement et intensivement utilisées (Thaïlande, Libéria). La fréquence des violences sexuelles rend aussi ces consultations nécessaires.

Des centres privés de planification familiale s'établissent avec l'aide d'ONG spécialisées (en Afrique: Association Nationale de Bien-Etre Familial - ANBEF, en Amérique Latine: Pro Familia, soutenus par l'IPPF).

Finalement, la prévalence contraceptive dans une population désigne le pourcentage de couples qui utilisent une méthode moderne (pilules, injections, implants, stérilets, préservatifs, abstinence périodique, vasectomie et ligature des trompes, spermicides) et traditionnelles (coït interrompu).

Le tableau suivant montre l'importance du rôle joué par les services de santé.

Développement et Santé, n°113, octobre 1994