Les accidents domestiques chez l'enfant
I. Pourtant, les accidents domestiques ne sont jamais accidentels
Ils ne sont pas dus au hasard. Ils résultent de la négligence des adultes et de leur manque d'inforination sur les comportements à risques. Le foyer familial est supposé offrir la sécurité d'un cocon dans lequel l'enfant peut s'épanouir loin des dangers de la rue, et de la vie en général. La protection que les parents et le milieu familial sont censés garantir aux enfants est prise en défaut là où on l'attend le moins, c'est-à-dire clans la maison et la cour.
La prévention des accidents domestiques dépend des notions que la population a du danger et qui diffèrent selon les cultures. En Afrique, les dangers sont la sorcellerie, les ancêtres, les esprits, la transgression d'un interdit. Protéger son enfant, c'est respecter les ancêtres, obéir à son mari, supporter sa co-épouse... Le danger vient de l'extérieur, et il n'y a donc pas de vigilance à l'égard de ce qui se passe dans le foyer même. Les notions de rangement et de propreté sont perçues de façon différente : un objet est défini par rapport à son propriétaire et non par rapport à un lieu. Un enfant qui trouve un couteau, par exemple, le rend directement à sa mère et ne le range pas dans le tiroir.
L'ampleur du phénomène
L'ampleur de ce phénomène en Afrique, est difficile à évaluer, est loin d'être négligeable, comme le montrent quelques études (encadré). Des centaines d'enfants sont donc, chaque année, victimes d'accidents domestiques et risquent de lourdes séquelles.
Ces "accidents de la vie courante" sont souvent liés ti la modification des modus de vie, à la mise sur le marché de produits issus de technologies annplexes, à l'évolution des loisirs et de l'habitat... qui modifient les habitudes sociales, chaque société définissant les limites du risque acceptable.
Résultats de quelques études menées en Afrique :
|
Les actions à mener
La prévention de ces accidents passe d'abord par une "sécurisation" du l'em-ironnement, dans laquelle les parents ont un rôle essentiel en appliquant certaines règles de sécurité à leur domicile. L'éducation pour la santé, la définition et la mise en oeuvre de normes concernant objets et espaces de vie peuvent les aider à remplir cette mission de "sécurisation" qu'ils peuvent assurer seuls. Elle suppose également l'accès de tous à des produits et espaces sécurises.
Deux conditions sont essentielles : une connaissance actualisée des risques, grâce à un recueil permanent et à une exploitation rapide des données, et une diffusion large de ces résultats.
II. Les principaux accidents domestiques
Les accidents en fonction de l'âge
|
1. Les brûlures
En Afrique, les brûlures et l'ingestion de produits toxiques occupent la première place.
Les enfants de moins de 5 ans sont les plus concernés, l'accident se produisant souvent lors de la préparation des repas (proximité des inarmites), ou à l'occasion de la chute d'une lampe à pétrole (souvent seul mode d'éclairage).
- La cuisson des repas sur des braseros à bois, à charbon, ou sur des réchauds à alcool ou à pétrole peut être dangereuse : l'enfant peut se brûler directement au contact des flammes ou des braises, mais aussi en renversant de l'eau ou de l'huile bouillante.
- L'enfant peut également se brûler au contact de produits chimiques comme les produits phytosanitaires ou les caustiques.
Les brûlures, d'étendue variable, sont souvent sources de séquelles irréversibles. Toutes ne sont pas adressées aux urgences du dispensaire ou de l'hôpital, mais soignées par le guérisseur local, ce qui favorise leur surinfection ou des cicatrices inesthétiques.
Prévention
Lors de la préparation des repas
Lorsque l'on utilise une gazinière : ne pas laisser dépasser les queues des casseroles et utiliser de préférence des marmites en les posant sur les feux les plus éloignés du devant de la gazinière.
Les braseros ou les réchauds doivent être placés dans une pièce où les enfants ne peuvent entrer ou à l'intérieur d'un petit enclos muni de barrières qu'ils ne peuvent franchir.
Il ne faut pas laisser les enfants seuls à proximité d'un foyer qui n'est pas protégé.
Laisser de petits enfants à la surveillance d'un enfant plus âgé n'est pas suffisant. L'aîné peut à tout moment s'absenter ou ne surveiller que distraitement ce que font les frères et soeurs en bas âge.
- Il ne faut pas demander à un enfant jeune de manipuler des marmites et récipients brûlants trop lourds qu'il risque de faire tomber sur lui.
En cas d'utilisation de produits chimiques
Les produits chimiques dangereux (soude caustique, produits pour l'agriculture), qui peuvent brûler la peau, ne doivent jamais être laissés à la portée des enfants mais placés dans une réserve ou un meuble fermé avec une clé ou un cadenas. Ces produits ne doivent pas être conservés clans des bouteilles de boisson sans signe distinctif du danger. Celui-ci doit être clairement identifié par une étiquette (tête de mort).
Education des enfants
Les parents doivent très tôt éduquer les enfants sur les dangers du feu et des liquides bouillants. Dès qu'ils se déplacent par terre à quatre pattes, les parents peuvent leur faire comprendre, par la voix et le geste, que la proximité du feu est dangereuse. Aucune boîte d'allumettes ne doit être accessible aux enfants.
2. L'ingestion de produits toxiques
Les très jeunes enfants sont les premières victimes d'intoxication par ingestion de produits toxiques : produits ménagers pour les jeunes enfants, médicaments pour les adolescents.
Exemple de la Côte d'Ivoire
Sur sept ans d'observation, les intoxications aiguës constituaient 90 % de la pathologie pédiatrique dans le service d'anesthésie-réanimation du CHU de Cocody.
Les produits responsables étaient :
|
Le pétrole, utilisé pour l'éclairage ou pour la cuisson des repas, constitue le premier danger. Il est vendu en vrac dans les stations services et conservé à la maison dans une bouteille ou un bidon que rien ne distingue d'une bouteille de soda ou d'eau. Il en est de même pour les produits ménagers : eau de Javel, grésil... L'intoxication survient également lorsque l'eau de boisson est stockée dans des bidons ou bouteilles ayant contenu des produits toxiques. utilisés dans les travaux agricoles ou comme détergents puissants.
Pour les enfants plus âgés, les intoxications aiguës sont liées à l'ingestion de médicaments traînant dans la maison ou à un surdosage dû à des confusions entre produits (antipalucléens par exemple).
Exemples de produits dangereux
en cas d'ingestion ou de contact avec la peau
|
Prévention des intoxications
Par les produits toxiques
Les jeunes enfants sont attirés par les bouteilles, bidons... qui contiennent des liquides ou des poudres. Il faut donc :
- Ne pas laisser ces produits à leur portée mais les ranger soit dans un meuble ou une remise qui ferment à clef, soit sur une étagère placée en hauteur, ou encore les attacher au plafond ou à une poutre.
- Utiliser le récipient d'origine et non une bouteille vide quelconque qui contient normalement une boisson. Il ne faut pas qu'un enfant puisse confondre une bouteille de produits dangereux avec une bouteille de boisson.
- Si un produit dangereux n'est pas stocké dans le contenant d'origine, il faut impérativement mettre sur ce récipient une marque, une étiquette, un dessin, un tissu indiquant le danger.
Si l'on ne peut faire autrement que stocker un produit dans une bouteille ou un bidon quelconque, il faut obligatoirement le laver et le rincer à plusieurs reprises s'il doit être réutilisé.
Par les médicaments
Les boîtes et plaquettes de médicaments ne doivent jamais être laissées n'importe où dans la maison ou dans la cour, à la portée :
- des jeunes enfants qui les prennent pour des bonbons;
- des enfants plus âgés et adolescents qui peuvent les confondre et/ou en absorber trop.
Même lorsqu'il ne reste qu'un ou deux comprimés dans une boîte ou une plaquette, il faut dissimuler celle-ci quelque part ou la détruire dans le feu.
Les parents doivent très tôt éduquer les enfants sur les dangers de porter à leur bouche des objets ou des produits autres que la nourriture.
3. Les blessures et les coupures
Les lames de rasoir usagées, les couteaux, rasoirs, coupe-coupe ou machettes, ou encore les tessons de verre, boîtes de conserve laissés en n'importe quel endroit de la maison ou de la cour, souvent à terre, sont des causes de blessures diverses. Les enfants ne savent en effet pas les utiliser sans se blesser.
De plus, ces objets courants peuvent, s'ils sont contaminés, transmettre le VIH/SIDA.
Prévention
Les objets coupants doivent être rangés (tiroir, meuble, remise ou réserve...) hors de la portée des enfants).
Les lames de rasoir doivent être placées en hauteur dans la douche ou sur une étagère. Lorsqu'elles sont usagées, elles ne doivent pas être jetées n'importe où mais, s'il n'y a pas de ramassage d'ordures, enterrées ou conservées dans un récipient jusqu'à ce que l'on trouve un endroit sûr où s'en débarrasser.
La maison et ses abords doivent être débarrassés de tous les débris tels que tessons de bouteilles, boîtes de conserve...
De plus, ces objets peuvent recueillir l'eau de pluie qui y stagne, attirant les moustiques responsables du paludisme.
Les parents doivent très tôt faire comprendre à leurs enfants que certains objets sont dangereux et ne doivent être manipulés que par les adultes ou les adolescents.
4. L'ingestion de corps étrangers
Les petits enfants sont victimes d'étouffement et de blessures internes lorsque, manquant de jouet, de doudou ou de tétine, ils saisissent à terre de petits objets (capsules, cailloux, morceaux de jouets...) qu'ils portent à leur bouche. Chez le nourrisson, ce type d'accident est le plus souvent dû à une fausse route alimentaire.
Gestes d'urgence en cas d'étouffement
Chez le nourrisson
Si l'enfant avale de travers, tousse, suffoque, ne reprend pas sa respiration et devient bleu, il faut agir immédiatement :
- Placer le nourrisson à plat ventre sur le genou fléchi, visage vers le sol. Frapper plusieurs fois entre ses omoplates, du plat de la main. C'est la manoeuvre de Mofenson.
- Si cela n'est pas efficace, il faut effectuer des compressions thoraciques : retourner l'enfant sur le dos, l'allonger tête basse sur l'avant-bras et la cuisse. Effectuer 5 compressions sur le devant du thorax avec deux doigts au milieu de la poitrine, sur la partie inférieure du sternum (voir schéma).
Chez l'enfant de plus de un an : la manoeuvre de Heimlich
Elle consiste à exercer une forte pression de bas en haut sur le diaphragme à travers la paroi abdominale, ce qui provoque une hyperpression de l'air contenu clans les poumons et les bronches et tend à expulser le corps étranger à l'extérieur.
Pour créer cette hyperpression, il faut se placer derrière le malade, lui entourer la taille avec les deux bras, placer un poing fermé recouvert de l'autre main au niveau du creux épigastrique (immédiatement en dessous du sternum et dans l'arc formé par les côtes) et exercer une brusque pression dirigée vers le haut.
Les tentatives d'extraction avec les doigts sont dangereuses et souvent inefficaces, la suspension par les pieds est également dangereuse.
Prévention
Le rôle des parents est essentiel : ils doivent être particulièrement attentifs non seulement aux objets que l'enfant ramasse sur le sol, mais aussi aux jouets (billes des hochets, yeux des poupées et des nounours... ).
5. Les morsures, les piqûres
Lorsque les abords de la cour ne sont pas nettoyés et débroussaillés régulièrement, les enfants peuvent être victimes de morsures ou piqûres d'animaux, reptiles ou insectes.
Dans de nombreux pays africains, en milieu rural, la végétation entourant villages et maisons abrite toutes sortes d'animaux dont certains sont dangereux. Les serpents, les insectes venimeux et même certains mammifères comme les rats, les belettes etc... peuvent piquer ou mordre. Leur piqûre et leur morsure peuvent être dangereuses : risque d'allergie grave, de transmission de maladie dont l'animal est porteur, ou encore risque mortel.
Conduite à tenir dans un dispensaire
En cas de morsure de serpent
- Essayer de déterminer l'espèce du serpent et son type pour savoir si l'on doit s'attendre a un syndrome :
- vipérin : oedème local, douleurs intenses, hypotension artérielle, syndrome hémorragique
- cobraïque : paralysie, cardiotoxicité.
- Calmer l'agitation, l'angoisse et la douleur :
- benzodiazépine (diazépam, clorazépate clipotassique...) ;
- paracétamol et éventuellement morphine ; ne pas donner d'aspirine en raison du risque hémorragique ;
- rassurer et laisser parler l'enfant.
- Nettoyer et désinfecter la plaie.
- Apprécier la gravité, le grade d'envenimation.
- Poser une perfusion et débuter une antibiothércipie et une corticothérapie.
- Administrer sérum anti-tétanique et sérum antivenimeux.
- Garder et surveiller, évacuation sanitaire en cas de signes de gravité.
Morsure de serpent : les gestes à ne pas faire
|
En cas de piqûre de scorpion
Cette piqûre est très dangereuse chez l'enfant (et la personne malade).
Le venin a des effets toxiques (neurologiques et cardiaques) marqués principalement par des signes initiaux tels que vomissements, hypersialorrhèe, diarrhée et, plus tardivement, des convulsions.
On propose d'administrer :
- En sous-cutané, près de la piqûre de scorpion : 1 ml de lidocaïne qui a un effet analgésique.
- Diazépam ou clorazépate dipotassique par voie orale.
- En sous-cutané : atropine 1 ml.
- Antalgiques par voie orale.
Surveillance très étroite pendant 48 heures. Sérum antitétanique indispensable.
Sérum antiscorpionique : efficace s'il est très précoce.
En cas de contact avec les méduses
Il faut avant tout ramener l'enfant très rapidement à terre car le risque de noyade est important. Les signes sont :
- une réaction urticarienne importante sur la zone de contact, avec douleur, oedème massif, traînées urticariennes sur l'œdème :
- un syndrome général grave : collapsus, troubles respiratoircs, neurologiques, fièvre.
Le traitement :
- Administration d'un corticoïde ou à défaut, d'un anti-allergique (deschlorphénirunine, prométhazine).
- Lavage de la plaie en retirant les débris de filament de méduse.
Prévention des morsures et piqûres
Les mauvaises herbes, et les buissons constituant des abris pour les animaux, il faut débroussailler soigneusement et régulièrement les abords des maisons et de la cour. Le port de chaussures est également important.
Le chef de famille peut également répandre des produits insecticides ou répulsifs autour de sa concession.
6. Les chutes
Principales causes d'accidents domestiques en Occident, les chutes paraissent statistiquement moins fréquentes en Afrique. Les chutes des bébés sont rares : pas de table à langer, de sièges de bébé, ni de meubles élevés dans les foyers modestes et/ou ruraux. Le bébé, serré contre le dos de sa mère par un pagne, ne risque pas la chute.
Le petit enfant, assis ou à quatre pattes, n'est guère menacé par les chutes.
Ce sont les enfants plus âgés, capables de grimper sur des murs, des toits, des balcons ou terrasses. ou dans les arbres (pour y cueillir des fruits) qui font le plus de chutes aux conséquences parfois graves. Ils sont alors souvent victimes de traumatisme crânien.
Les traumatismes crâniens
Les traumatismes crâniens sont observés dans les trois quarts des cas de chute. Le plus souvent, ils se limitent à une simple « bosse » qui disparaîtra rapidement. Parfois, le traumatisme est plus grave : fracture du crâne, contusion cérébrale, hémorragie intracrânienne.
Trois tableaux peuvent être observés
- L'enfant pleure et il est conscient, ce qui est le cas le plus fréquent. Il faut le surveiller attentivement. Si des troubles de la conscience ou de la mobilité apparaissent, il faut sans attendre le conduire à l'hôpital.
- L'enfant a eu une brève perte de connaissance puis a repris conscience : il doit être immédiatement conduit à l'hôpital pour un bilan.
- L'enfant ne reprend pas connaissance : il faut immédiatement le placer en position latérale (le sécurité et appeler les secours.
Prévention des chutes
Les bébés et très jeunes enfants ne doivent pas être placés sans surveillance sur des endroits élevés (tables ou chaises) d'où ils peuvent tomber, mais sur une natte au sol, dans un lit muni de barrières ou portés au dos.
Il ne faut pas laisser à la portée des enfants des échelles ou objets qui leur permettent de monter sur les murs, le toit, les terrasses, les arbres de la cour d'où ils peuvent tomber.
Les parents doivent, lorsque leurs enfants commencent à parler et à marcher, leur apprendre à ne pas se mettre en danger en grimpant n'importe où sur les murs et les arbres.
IV. Les facteurs de risque
Les quelques études menées sur le continent africain. à partir d'échantillons d'enfants amenés dans les structures sanitaires à la suite d'un accident domestique, font apparaître que certains facteurs de risque sont communs aux différents cas :
- La jeunesse de la mère et son faible niveau de scolarisation constituent un facteur de risque par manque d'information et de maturité. La jeune mère est moins attentive à ses enfants que la mère de famille dépassant la trentaine.
- L'importance de la fratrie : plus les enfants sont nombreux, moins la mère a le temps de s'occuper étroitement de chacun et plus elle délègue aux aînées, pas toujours attentives, la surveillance des plus jeunes.
- Le type de surveillance de l'enfant : confié aux soins d'une jeune bonne ou d'une parente à peine plus âgée.
- Le moment de la préparation des repas : les types d'énergie et de réchaud sont dangereux pour les jeunes enfants car ils sont à leur hauteur et ne disposent d'aucune protection.
- Les enfants de 0 à 5 ans sont les plus vulnérables : ils ne sont pas scolarisés, ne fréquentent généralement pas, comme en occident, des structures telles que les jardins d'enfants ou les crèches. Souvent livrés à eux-mêmes, leur mère s'affairant aux tâches ménagères ou champêtres, ces enfants explorent maison et cour à la recherche de jeux ou d'objets quelconques qui deviennent à leurs yeux des jouets, même s'ils sont potentiellement dangereux.
Conclusion
La gravité de certains accidents, qui peuvent laisser de lourdes séquelles, souligne l'importance de la prévention qui passe avant tout par la sensibilisation des parents au risque et par l'éducation des enfants.
Développement et Santé, n°194, 2009