Le traitement du SIDA en Afrique
Le traitement du SIDA en Afrique : quelques pistes concrètes pour les soignants non médecins par Jean-Loup Rey et Jean-Elie Malkin ESTHER (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau) Introduction L'accès aux thérapies spécifiques du SIDA est maintenant possible en Afrique ; mais en 2002, il y a 0,5 % (environ) des malades africains du SIDA qui sont soignés par antirétroviraux (ARV) et donc 99,5 % qui ne peuvent être traités que pour leurs infections opportunistes (IO). Même si le chiffre des patients traités par ARV double chaque année, dans 5 ans, seuls 5 à 8 % des malades auront accès aux ARV. L'utilisation des ARV reste complexe, leur diffusion large est problématique car l'apparition de résistances est rapide. Aussi, pour plusieurs années encore, la prescription et la dispensation des ARV seront réservées à des centres et personnels "accrédités". Ces centres recevront leur accréditation en fonction des équipements et des compétences qui y seront disponibles. Plusieurs programmes internationaux, comme le Fonds Mondial initié par Koffi Annan ou l'initiative ESTHER de partenariat hospitalier lancé par la France, se mobilisent pour accélérer cet accès. L'intervention des infirmiers et des autres soignants non médecins revêt une place importante dans plusieurs domaines que nous allons explorer : - incitation au dépistage et référence des patients aux bonnes structures; - prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH (PVVIH); - diagnostic, traitement et suivi des principales IO; - suivi des personnes traitées pour surveiller et prévenir la toxicité des traitements; - amélioration des conditions de vie des patients ; - aide à une bonne observance des traitements; 1. Incitation au dépistage Cette activité est primordiale car la connaissance du statut sérologique, c'est-à-dire savoir si on est infecté ou pas, est indispensable pour la conduite de la vie future de tout patient. Cette étape est la première de toute démarche curative et la conditionne. Il faut, en effet, être certain d'une infection confirmée avant toute décision thérapeutique. L'infirmier devrait connaître les lieux où un dépistage de qualité et une confirmation sont possibles. Il devrait s'assurer que ces centres réalisent un conseil pré et post-test réel et approfondi. En Afrique, l'infirmier est le mieux placé pour reconnaître les malades qui "s'ignorent". Devant tout malade avec diarrhée, zona, amaigrissement ou toux prolongée, l'infirmier doit penser à une infection par le VIH et inciter le patient à se faire dépister. Il. Prise en charge globale des PVVIH L'infirmier verra souvent les PVVIH car elles ont besoin de conseils et elles consultent souvent pour de multiples maux : chaque consultation sera l'occasion de faire le point de la santé de la personne et de s'informer sur ses conditions de vie quotidienne. Il est important de savoir comment la personne infectée, mais aussi sa famille, vit cette situation. En général, rares sont les membres de la famille au courant du statut sérologique de la personne atteinte, mais dans le cas d'un couple, il est nécessaire d'insister sur le partage de l'information dans l'intérêt médical du partenaire et des enfants présents ou à venir. III. Prise en charge des infections opportunistes (I.O.) Une I0 prioritaire est la tuberculose, malheureusement, son diagnostic est plus difficile chez un patient infecté par le VIH ; aussi, il faudra s'enquérir de toute toux prolongée, tout amaigrissement, toute fièvre persistante. Ces signes devront amener l'infirmier à adresser le patient à un centre spécialisé de diagnostic et de traitement de la tuberculose. Actuellement, il n'est pas envisagé de prévoir des prophylaxies systématiques de la tuberculose chez les personnes infectées par le VIH+. Les bénéfices de cette prophylaxie sont inférieurs aux risques. Un autre article fait le point détaillé des IO et de leurs traitements. Il est nécessaire d'engager le plus tôt possible une prophylaxie par le cotrimoxazole (CTX) chez toutes les personnes infectées qui présentent des signes d'immunodépression ou qui ont un taux de lymphocytes CD4 inférieur à 500/mm3. Cette prophylaxie est longue et lassante, les patients ont besoin du soutien de tout le personnel soignant et il faut surveiller l'apparition de tous les signes cutanés d'intolérance. IV. Les traitements spécifiques par ARV Il existe deux familles majeures d'ARV : - les inhibiteurs de la transcriptase réverse (IRT) - les inhibiteurs de la protéase (IP). La 1e famille comporte 2 sous-classes : - les inhibiteurs nucléosidiques (INRT) - les inhibiteurs non nucléosidiques (INNRT). La majorité de ces médicaments est disponible en Afrique, mais leurs prix sont très variables. A l'initiative d' ONUSIDA, des négociations entre pays et laboratoires ont permis, en début d'année 2001, de faire baisser les prix de la plupart des ARV. Cependant, certains laboratoires n'ayant pas voulu négocier, un seul IP est disponible à bas prix à ce jour. Le prix moyen d'un traitement qui se montait à environ 300 000 CFA par mois et par malade avant avril 2001 s'établit à environ 70 000 CFA aujourd'hui avec des médicaments venant des grands laboratoires. Avec l'arrivée des copies, ou génériques, cette moyenne de prix, sans IP, s'établit aux environs de 20 000 CFA par mois actuellement. La seule stratégie thérapeutique recommandée est une trithérapie, c'est-à-dire un traitement associant 3 médicaments différents et complémentaires. L'efficacité de ces associations a été démontrée scientifiquement. La seule exception concerne la transmission mère enfant qui peut être prévenue avec une monothérapie ou une bithérapie. La trithérapie est faite de régimes avec trois médicaments complémentaires, ces régimes sont 2 INRT + 1 IP ou 2 INRT + 1 INNRT (voir tableau 1). L'efficacité des 2 types de régime est équivalente. Il est aussi possible d'utiliser un régime avec 3 IRT dont l'efficacité est un peu moindre mais qui est plus facile à suivre (association de 3 IRT dans une même gélule proposée par les génériqueurs indiens). Actuellement, ces régimes posent deux problèmes, d'une part la faisabilité car le nombre de prises peut être élevé et à des heures diverses, d'autre part la toxicité et les effets secondaires de ces médicaments qui sont nombreux. Certaines formes galéniques actuelles proposées par les laboratoires occidentaux et asiatiques apportent une réponse partielle à la question de la faisabilité et donc de l'observance (un seul comprimé en deux prises quotidiennes). V. Le suivi thérapeutique Il est réalisé sous la responsabilité du médecin du centre accrédité qui seul peut décider d'un changement ou d'un arrêt du traitement prescrit en première intention. Ces décisions sont prises sur des arguments cliniques, sur des arguments biologiques évaluant l'état immunitaire et/ou virologique du patient et la toxicité des médicaments. L'examen de base pour juger de l'état immunitaire est le comptage des lymphocytes CD4 qui se fait en général tous les 6 mois. L'examen pour juger du statut virologique est la quantification de la charge virale qui se fait en général tous les ans quand la technique est disponible. Ces examens sont coûteux et complexes à réaliser, ils ne se font que dans des centres très équipés et l'interprétation de leurs résultats est délicate. Plusieurs expériences, en Afrique et en Haïti, ont montré que le bilan clinique était primordial. L'infirmier et toute l'équipe soignante ont un rôle prioritaire à jouer dans la surveillance de la toxicité et dans l'aide à l'observance. VI. La surveillance de la toxicité (Encadré 1) Chacun des médicaments utilisés a une toxicité propre, ce qui oblige à surveiller un ensemble de signes dans différents domaines : Toxicité sanguine : le risque d'anémie est élevé, il faut veiller à tous les signes d'appel de cette anémie. Il n'est pas question de faire une NF trop souvent, mais devant tout signe clinique, un contrôle sera bienvenu, un dosage de l'hémoglobine (avec une méthode validée) suffit le plus souvent. Toxicité hépatique : la plupart des ARV sont toxiques pour le foie, aussi, il est nécessaire de surveiller régulièrement la taille du foie, les signes fonctionnels d'atteinte (ictère, vomissements, selles décolorées), la présence de bilirubine dans les urines, le taux des transaminases sanguines. Toxicité rénale : il est nécessaire de conseiller aux patients sous ARV de boire beaucoup et de surveiller le bon fonctionnement des reins. Un test avec des bandelettes urinaires doit être fait régulièrement (ou une recherche d'albuminurie par méthode traditionnelle). Toxicité neurologique : plusieurs ARV ont des effets neuropathologiques. Il est primordial de prendre au sérieux toute douleur non expliquée par d'autres raisons et tout déficit moteur ou sensitif. VII. Observance Elle se définit comme la capacité pour un patient de respecter la prescription du médecin. Le traitement idéal, pour être efficace, doit être actif, bien toléré et facile à prendre. Ce traitement idéal n'existe pas. Le traitement sera donc adapté à chaque patient et sera le résultat d'une négociation entre le patient et son médecin. Suivre un traitement ARV est difficile à cause des multiples prises, des prises accompagnées d'aliments ou non, de la nécessité de boire, des effets secondaires, de la stigmatisation possible. Les malades ont besoin d'aide pour y arriver. Le défi du traitement par ARV, en Afrique, sera d'obtenir une bonne observance, c'est le moyen essentiel pour arriver à de bons résultats cliniques et pour éviter l'apparition de résistances. L'exemple de la tuberculose doit être en permanence rappelé. La rigueur et le suivi des traitements permettent de guérir la tuberculose. Si la rigueur manque, les résultats dramatiques ne se font pas attendre. Dans les pays de l'ex .URSS, il devient très difficile de traiter les tuberculeux à cause de ces résistances. Un autre exemple venant de la lutte antituberculeuse doit être rappelé, c'est le principe de la DOT ou traitement directement supervisé. C'est-à-dire que, quel que soit le moyen, le malade prend ses comprimés quotidiens en présence d'un tiers qui supervise cette prise. C'est le système utilisé par les soignants de Haïti pour traiter, avec de très bons résultats, leurs malades du SIDA. Ce principe n'est peut être pas généralisable, mais le personnel soignant doit réfléchir à des moyens semblables inspirés de ces expériences pour aider les malades à prendre régulièrement leurs comprimés. VIII. Précautions Toute cette activité doit se faire en préservant de façon stricte la confidentialité des patients. C'est là un impératif absolu auquel il faut prêter attention en permanence. Attention aux courriers envoyés au laboratoire ou aux autres structures de santé. Soyez vigilants à tout ce que vous dites aux collègues du centre où vous travaillez. Attention, quand vous avez un entretien avec un patient : - est-ce que la porte est bien fermée ? - est-ce que l'on n'entend pas ce qui se dit dans le couloir ? - est-ce que l'entretien que je souhaite en particulier avec ce patient ne va pas le distinguer des autres et donc le stigmatiser ? IX. Conduite conseillée Toutes ces actions en faveur des malades du SIDA doivent devenir systématiques pour tous les malades, en particulier la confidentialité. Toutes ces actions seront facilitées et leur efficacité renforcée par une collaboration avec les associations de PVVIH ou les associations regroupant d'autres malades ou celles de lutte contre le SIDA. Cette manière de travailler n'est actuellement pas assez répandue. Elle demande des efforts de part et d'autre au départ, mais elle se révèle très vite bénéfique et enrichissante. Merci de nous envoyer vos remarques, idées et expériences. Développement et Santé, n°162, décembre 2002