Le traitement du paludisme : actualité et perspectives
I. Les produits disponibles
Dans leur grande majorité, ils sont uniquement actifs sur les formes sanguines (intraérythrocytaires asexuées) du parasite et n'ont pas d'activité sur les stades initiaux intrahépatiques, ni sur les gamétocytes sanguins.
Naturels ou de synthèse, ils appartiennent à différentes classes chimiques qui leur confèrent à chacun des propriétés spécifiques.
1. Les amino-4-quinoléines (chloroquine, amodiaquine)
Ce sont les molécules de synthèse les plus largement distribuées et la chloroquine représente assurément l'un des produits ayant été le plus utilisé au monde au cours de ces cinquante dernières années. La large diffusion des résistances de Plasmodium falciparum à la chloroquine est hélas devenu un facteur limitant leur emploi. En plus des, problèmes de prurit plus volontiers rencontrés chez les sujets à peau noire, des troubles oculaires peuvent parfois apparaître après une très longue utilisation. Des agranulocytoses et des hépatites ont été signalées lors d'administrations prolongées d'amodiaquine en prophylaxie.
Ces molécules restent la référence thérapeutique de l'accès palustre simple pour la majorité des pays d'endémie.
Produits : chloroquine (Nivaquine®, Aralen®, Resochin®) ; amodiaquine -. (Flavoquine®, Camoquin®).
2. Les amino-alcools (quinine, méfloquine, halofantrine)
Alcaloïde naturel du quinquina, la quinine est le plus ancien et le plus utilisé de ces amino-alcools. Ses propriétés pharmacologiques et en particulier la possibilité de l'administrer par voie intraveineuse en font le médicament de choix lors du traitement du paludisme grave, d'autant plus qu'il existe peu de résistances à ce produit (elles sont surtout présentes en Asie). Aux doses thérapeutiques (25 mg/kg/j de quinine base en 3 prises), les effets secondaires sont limités (troubles auditifs avec bourdonnements d'oreilles, vertiges ... ) mais les surdosages entraînent rapidement des troubles cardiaques graves. La voie intramusculaire doit être le plus possible évitée compte tenu des risques de nécrose locale et de paralysie sciatique qui lui sont rattachés ainsi que de son manque d'efficacité dans des formes déjà trop évoluées. Les essais concluants de l'administration en intrarectal de ce produit devraient pouvoir pallier cet inconvénient majeur dans un futur proche.
Produits
- injectables : dichlorhydrate de quinine (existence de génériques), formiate de quinine, gluconate de quinine (existe en association avec quinidine, cinchonine, cinchonidine ;
- comprimés : chlorhydrate ou sulfate de quinine.
L'utilisation de la méfloquine et de l'halofantrine, qui avaient suscité, au moment de leur mise sur le marché, de grands espoirs pour le traitement des accès simples à P. falciparum chimiorésistants, a dû être nuancée du fait de leur coût et du recensement progressif d'effets secondaires préoccupants. Troubles dermatologiques (éruptions allergiques), gastro-intestinaux (nausées, vomissements), cardiologiques (bradycardies, allongement de l'espace QT), hématologiques (anémie, agranulocytoses) et neuro-psychiques (hallucinations, dépression, convulsions) limitent à présent leur prescription.
La très longue demi-vie de la méfloquine reste cependant un atout pour son utilisation en prophylaxie hebdomadaire dans les zones de chloroquino-résistance (5 mg/kg/semaine sans dépasser 1 comprimé à 250 mg/s) et son action complémentaire dans certaines associations.
L'halofantrine garde l'intérêt d'une assez bonne tolérance et de sa durée de traitement complet qui, en 12 h (trois prises de 8 mg/kg espacées de 6 h, sans dépasser 2 cp à chaque prise), permet une observance bien meilleure que les traitements, sur plusieurs jours. Un interrogatoire sur d'éventuels antécédents cardiaques, et si possible la vérification de l'intégrité de l'électrocardiogramme (absence d'allongement de QT) doivent précéder ce traitement.
Ces deux médicaments sont encore officiellement contre-indiqués chez la femme enceinte bien que plusieurs études aient montré l'absence d'effet tératogène de la méfloquine chez la femme. Chez l'enfant de moins de 10 ou 15 kg, l'halofantrine et la méfloquine sont déconseillées.
Un autre amino-alcool synthétisé en Chine, le benflumétol ou luméfantrine, apparenté à l'halofantrine, est en phase de développement en association (voir ci-après).
3. Les antifoliques et antifoliniques
(sulfamides, sulfones, proguanil, pyriméthamine)
Tous ces produits agissent sur la synthèse des acides nucléiques des Plasmodium. Même s'ils sont parfois utilisés seuls, leur efficacité modérée (voire nulle sur P. vivax pour les sulfamides), associée à des effets secondaires parfois graves (agranulocytose, anémie, leucopénie, épidermolyse ... ) et à la sélection rapide de souches résistantes font qu'ils doivent être utilisés en associations (voir ci-après).
Produits : sulfamides : sulfadoxine, sulfaméthoxazole, sulfones:dapsone, acédapsone ; proguanil ; triméthoprime ; pyriméthamine.
4. Les antibiotiques (cyclines, macrolides)
Même si un macrolide, l'azythromycine, semble donner des résultats intéressants aux vues de travaux récents, ce sont surtout les cyclines qui, en inhibant la synthèse des protéines, possèdent une réelle, mais lente, activité antiparasitaire. La doxycycline (Vibramycin®, Tolexine® ... ) est ainsi utilisée en zone de multi-résistances (Asie principalement) : en prophylaxie ou en association au traitement par la quinine.
5. Les dérivés de l'artémisinine ou ginghaosu
(artémisinine, artéméther, artééther, artésunate)
Utilisés en médecine traditionnelle en Chine depuis plusieurs centaines d'années, ces extraits de la plante Artemisia annua n'ont que récemment rejoint la panoplie des médicaments antipaludiques commercialisés. Ces produits ont fait l'objet d'études scientifiques assez complètes ayant permis d'identifier une nouvelle classe d'antiparasitaires de type peroxyde, qui n'a pas encore suscité de résistance. Plus rapides qu'aucun autre antipaludique sur la disparition des parasites du sang et ne possédant que peu d'effets secondaires, ils sont d'une grande utilité dans le traitement des paludismes graves où l'artéméther fait jeu égal avec la quinine, surtout dans les zones de multirésistance de P. falciparum. Mais leur élimination très rapide (demi-vie de quelques heures) impose des traitements longs ou des associations, sous peine d'observer un taux de rechutes important.
6. Les associations
Comme dans la prise en charge des affections bactériennes, l'association de plusieurs molécules antipaludiques vise à améliorer l'efficacité du traitement, dans certain cas par synergie potentialisatrice, en rendant de toute façon hautement improbable l'émergence de résistances.
En prophylaxie, seule l'association chloroquine-proguanil (100 mg/200 mg par comprimé) est recommandée chez l'adtdte dans les zones de chloroquinorésistance modérée.
En curatif, les associations font surtout appel aux antifoliques et antifoliniques. Si la pyriméthamine-sulfadoxine (25 mg/ 500 mg par comprimé) occupe une place importante dans les schémas thérapeutiques (voir ci-après), d'autres associations jouent un rôle plus discret dans l'arsenal thérapeutique : pyriméthamine-dapsone en prophylaxie. La pharmacocinétique du triméthoprime-sulfaméthoxazole ne permet pas de l'utiliser dans le traitement.
L'association triple de méfloquine-sulphadoxine-pyrimethamine n'a pas fait la preuve de sa supériorité lors d'une utilisation large en Asie : elle impose un sous-dosage du composant ayant la plus lente élimination, la méfloquine, qui risque de faire émerger les résistances.
Les associations utilisant qinghaoshu et amino-alcool (artésunate-méfloquine ou artéméther-luméfantrine, dénommé co-artéméther) commencent à être utilisées en Asie dans les zones de multirésistance. Il est un peu tôt pour que l'on puisse avoir une idée exacte de leur avenir, qui semble prometteur.
7. Les amino-8-quinoléines
Cette classe de produit est la seule réellement active sur les formes hépatiques et les formes sexuées du parasite. Hélas, la seule molécule actuellement disponible (la primaquine) est trop toxique pour pouvoir être utilisée à large échelle, surtout en Afrique où elle provoque des hémolyses chez les sujets déficitaires en G-6-PD. Un nouveau dérivé dans ce groupe, le WR 238605 ou étaquine, mieux toléré et plus efficace, est à l'étude.
II. Les schémas thérapeutiques
Il est toujours difficile de donner des indications thérapeutiques globales tant il est vrai qu'une règle doit en permanence guider la conduite du thérapeute face à un accès palustre : "Chaque cas est un cas particulier". L'essentiel est de tout mettre en œuvre pour organiser un accès rapide à un médicament efficace pour tout paludisme à P. falciparum avant qu'il ne se complique. L'âge du patient, ses antécédents médicaux et thérapeutiques proches ou lointains, son état clinique actuel, les moyens financiers dont il dispose et les caractéristiques du paludisme dans la zone où il s'est infecté sont autant de critères dont il faudrait en principe tenir compte avant d'instaurer un traitement.
Cependant, la majorité des structures décisionnelles des pays d'endémie recommandent des lignes de conduite "moyennes" qui, en principe, tiennent compte de toutes les situations cliniques et épidémiologiques rencontrées sur le territoire. C'est ainsi que l'on parle volontiers, pour un pays donné, de traitements de "première et seconde ligne" ou de "première et seconde intention".
À côté de ces aspects curatifs, la prophylaxie garde encore sa place dans quelques situations.
1. Les traitements de première ligne ou première intention
Ces traitements sont institués face à un accès palustre sans gravité ("accès simple"). Ils doivent donc faire appel à des médicaments largement distribués, peu onéreux et faciles d'emploi car souvent prescrits sur le terrain par des agents de santé peu spécialisés.
Dans la majorité des pays, il s'agit des amino-4-quinoléines, et en particulier de la chloroquine. Dans les pays de forte endémicité où l'on considère que la prémunition antipalustre agit en synergie avec la chimiothérapie, le traitement se fait sur trois jours selon le schéma suivant : J0 = 10 mg/kg sans dépasser 600 mg, J1 = 10 mg/kg, J2 = 5 mg/kg sans dépasser 300 mg. L'essentiel est de parvenir à faire observer ce schéma de trois jours aux bonnes doses, même si l'amélioration est évidente au deuxième jour. Dans les zones de faible endémicité, et pour les sujets non immunisés, certains proposent cinq jours de traitement. Deux schémas peuvent alors être appliqués chez l'adulte : soit 500 mg/j pendant 5 j, soit 600 mg/j les deux premiers jours, suivis de 300 mg/kg les deux jours suivants et enfin 200 mg le dernier jour. Dans les zones ou la chloroquino-résistance est présente sans être trop intense, on retrouve une bonne efficacité en recourant à l'amodiaquine comme traitement de première intention. Le schéma pour les adultes est alors de 600 mg le premier jour suivi de 400 mg les deux jours suivants. Pour les personnes non immunisées ayant séjourné dans les zones de forte chloroquino-résistance, on préfère utiliser des produits recommandés en principe pour le traitement du paludisme multirésistant : méfloquine, halofantrine, qinghaosu ou quinine. En fonction des moyens disponibles, des antécédents permettant d'identifier une contre-indication et de la possibilité de garder ou non sous surveillance le patient, on choisira le médicament le plus adapté.
Au Malawi, où les résistances avaient atteint des proportions importantes, il a été décidé de retenir la sulfadoxine-pyriméthamine comme traitement de première intention. Au Kenya où la situation de chimiorésistance était la même, la décision a été plus nuancée : sulfadoxine-pyriméthamine chez les enfants non immuns, chloroquine chez les adultes semi-immuns.
Dans les zones de multirésistance d'Asie du Sud-Est, le traitement de première intention fait directement appel à des associations médicamenteuses : artésunate ou artéméther + méfloquine pour les accès simples, quinine + cycline pour les accès graves.
2. Les traitements de deuxième ligne ou deuxième intention
Ces traitements sont recommandés dans les échecs cliniques :
- apparition de signes de gravité au deuxième jour, ou
- persistance (ou réapparition) de la fièvre et de parasites au troisième, quatrième, septième ou quatorzième jour suivant un traitement de première intention, ou
- les accès palustres graves d'emblée.
Lorsque l'état général et digestif le permet
l'association sulfadoxine-pyriméthamine peut être utilisée en Afrique à la dose unique de 1/2 cp/10 kg sans dépasser 3 comprimés chez l'adulte, la quinine à 25 mg/kg/j en 3 prises ou l'artésunate 3,2 mg/kg en une prise le premier jour suivi de 1,6 mg/kg en une prise les jours suivants. Mais pour ces deux derniers produits, le traitement doit être prolongé cinq jours au minimum, ou bien un relais est pris par un médicament à longue durée d'action.
Dans les accès graves d'emblée, ou si la voie orale n'est pas possible
on peut avoir recours à la quinine, mais aussi aux dérivés du ginghaosu par voie parentérale et aux mêmes doses. La quinine, l'artésunate ou l'artéméther intrarectal semblent constituer une alternative efficace qui est en cours de validation chez l'enfant. Le traitement s'effectue en principe sur sept jours avec, pendant cette période, une reprise du traitement per os dès que cela est possible. Pour ce relais par voie orale, on peut utiliser le même produit pendant le nombre de jours restant ou lui préférer une prise unique de sulfadoxine-pyriméthamine.
3. La prophylaxie
Pour les ressortissants des pays d'endémie, elle n'est effectuée que dans deux circonstances : femmes enceintes, surtout primigestes, et parfois sujets hospitalisés. La chloroquine seule (10 mg/kg/semaine, sans dépasser 1 cp/j) ou parfois l'association avec le proguanil (20 mg/kg/semaine, sans dépasser 2 cp/j) sont utilisées. De plus, et malgré la toxicité potentielle des molécules impliquées, la prophylaxie utilisant deux cures systématiques de sulfadoxine-pyriméthamine au cours de la grossesse a été proposée.
Pour les voyageurs occasionnels en zone d'endémie, on utilise différents schémas en fonction des informations disponibles sur la chloroquino-sensibilité des souches palustres
- dans les pays du groupe I : chloroquine seule
- dans les pays du groupe Il : chloroquine + proguanil ;
- dans les pays du groupe III : méfloquine ou à défaut, chloroquine + proguanil voire doxycycline.
La prise de tous ces produits doit être prolongée pendant quatre semaines au moins après le retour.
À ces schémas prophylactiques doivent toujours s'associer des mesures de protection contre les piqûres d'anophèles : moustiquaires, répellents...
III. Les produits d'avenir
Ils en sont pour l'instant au niveau de la recherche ou, pour certains, de la " précommercialisation ", mais leurs noms risquent de devenir de plus en plus familiers à ceux que le sujet intéresse.
1. L'association atovaquone-proguanil
Cette association qui porte le nom de Malarone®, est très efficace dans le traitement de l'accès simple, surtout chloroquinorésistant, même quand celui-ci est dû à une souche résistante au proguanil. La tolérance digestive de la Malarone® n'est pas parfaite : 15 à 35 % de nausées-vomissements. Le laboratoire pharmaceutique qui détient cette molécule aurait l'intention d'en réaliser une large diffusion d'ici peu.
2. La pyronaridine
Médicament utilisé en Chine depuis de nombreuses années, il est actuellement en cours d'évaluation en Afrique centrale et en Asie. Très efficace sur les souches chloroquinorésistantes, il pourrait remplacer la chloroquine en traitement de première intention.
3. Le G25
C'est le plus avancé de cette nouvelle classe de produits qui, en interférant avec le métabolisme phospholipidique du Plasmodium, perturbent la construction des membranes du parasite lors de son développement intra-érythrocytaire. Des études réalisées in vitro et chez le singe Aotus ont suscité de grands espoirs dans cette nouvelle voie de recherche.
4. Les vaccins
Même si les travaux se poursuivent dans les deux voies classiques - anti-sporozoïtes et anti-gamétocytes - rien de réellement nouveau n'est survenu depuis les très médiatiques mais hélas très décevants essais chez l'homme, menés par Manuel E. Patarroyo. Un essai américain très préliminaire chez 20 volontaires avec un vaccin à base d'ADN " nu ", bien toléré, et déterminant l'apparition de lymphocytes T cytotoxiques pour le sporozoïte, vient d'être publié dans la revue Science.
Conclusion
L'important "catalogue" des produits disponibles actuellement pourrait laisser penser que les thérapeutes ont à leur disposition assez de solutions pour venir à bout de tous les paludismes qu'ils rencontreront ; les schémas thérapeutiques montrent qu'en réalité, les attitudes ne sont pas aussi nombreuses que prévues car des facteurs " extra-pharmacologiques " limitent, dans les zones d'endémie, l'utilisation de toutes ces molécules disponibles ; les produits d'avenir réussiront-ils là où leurs prédécesseurs ont échoué, à savoir concilier une réelle efficacité durable et une bonne disponibilité à tous les niveaux de prise en charge des malades ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais après une absence prolongée de toute innovation en thérapeutique du paludisme pendant la période 1985-1995, la recherche paraît relancée et l'orientation vers les associations rationnelles bien engagée
Développement et Santé, n° 138, décembre 1998