Le tétanos

Par Olivier Rogeaux* * Médecin, Association Tokombéré, Paris

Publié le

Le tétanos est une maladie grave qui, une fois déclarée, tue environ un malade sur deux.

Il demeure un problème majeur de Santé Publique dans les pays en voie de développement, en particulier le tétanos néonatal qui reste l'une des premières causes de mortalité périnatale.

La prévention est possible par la vaccination et par un traitement correct des portes d'entrée, d'où l'importance des actions de vaccination systématiques et de sensibilisation concernant le déroulement des accouchements et les soins des plaies.

I. Physiopathologie

Le tétanos est une toxi-infection due à une bactérie : Clostridium tetani. C'est un bacille anaérobi sporulé présent dans le sol.

La contamination est due à la pénétration dans l'organisme de spores, le plus souvent lorsque des particules de terre souillent une plaie. Le germe reste localisé dans la plaie mais il produit une toxine qui va diffuser, en particulier vers le système nerveux. La toxine est responsable des signes neurologiques de la maladie: les contractures.

II. Les portes d'entrée

  • Une plaie souillée par de la terre le plus souvent après une blessure, une brûlure, une plaie minime en particulier au niveau du pied.

  • Les pratiques traditionnelles : circoncision, excision, percée d'oreille, scarification si les mesures d'asepsie (hygiène) ne sont pas respectées et si l'on applique de la terre sur la plaie.

  • La contamination ombilicale : c'est la principale cause de tétanos néonatal : section du cordon par un instrument souillé, ligature du cordon par du matériel septique (fil, herbes ... ), application ultérieure de pansement à base de terre, de végétaux...

  • L'inoculation obstétricale: soit liée à un avortement provoqué sans mesure d'hygiène, soit plus rarement lors de l'accouchement.

  • Les accidents thérapeutiques :

  • soit lors de certaines interventions chirurgicales, en particulier chirurgie digestive, fractures ouvertes, chirurgie du pied,

  • soit les injections intramusculaires ou les vaccinations avec du matériel non stérilisé.

  • Les plaies non traumatiques: lors d'un ulcère de jambe, d'une fistulisation d'un ver de Guinée, lésion plantaire d'une puce chique, maux perforants de la lèpre.

Dans environ 10 % des cas on ne retrouve pas de portes d'entrée, on pense alors que le bacille passe par le tube digestif N'importe qui peut contracter le tétanos s'il n'est pas vacciné.

III. Comment reconnaître un tétanos

Le diagnostic est le plus souvent facile cliniquement et les populations connaissent bien cette maladie et sa gravité.

  • L'incubation est variable selon la porte d'entrée et sa gravité (de quelques jours à plus de quinze jours).

  • La maladie commence par une contracture douloureuse des muscles masticateurs: le trismus, c'est-à-dire qu'il existe une gêne douloureuse ou une impossibilité à l'ouverture de la bouche. Le trismus est invincible, bilatéral, sans cause locale pouvant l'expliquer.

Le visage se crispe en une grimace liée à la contracture des muscles de la région.

  • Dans un deuxième temps :

  • Des contractures vont se généraliser en particulier à la nuque, au pharynx entraînant une impossibilité à l'alimentation (dysphagie) et aux muscles paravertébraux, abdominaux, intercostaux.

  • Il apparaît des paroxysmes déclenchés par les stimulations ou spontanément, qui exagèrent les contractures pendant quelques secondes réalisant parfois le classique opisthotonos : le malade couché sur le dos " fait le pont ".

Il existe également parfois de la fièvre, une constipation et une déshydratation.

Les formes cliniques sont diverses

  • il existe des formes discrètes ou localisées (à la face ou aux membres) où le diagnostic est plus difficile,

  • des formes gravissimes, rapidement mortelles le plus souvent,

  • le tétanos néonatal devra être évoqué systématiquement chez un enfant de quelques jours de vie (sept jours en moyenne) qui présente des modifications du comportement, un refus de l'alimentation au sein, des contractures paroxystiques, un trismus.

IV. Evolution

  • Un score pronostique (Dakar 1975) peut être établi au troisième jour de la maladie.

  • Le pronostic sera d'autant plus défavorable que le nombre de points est élevé.

(cf. tableau )

Le pronostic est fonction de la durée d'incubation, de la rapidité de la généralisation, de la gravité des signes et de la thérapeutique adaptée. La mortalité est de 50 % en moyenne souvent liée à des complications infectieuses, respiratoires, cardiovasculaires ou métaboliques.

La durée d'évolution est en moyenne de trois semaines. Une récidive est toujours possible si le sujet n'est pas vacciné.

V. Le traitement

Tout malade suspect de tétanos doit être hospitalisé en urgence. L'admission dans un hôpital ou un centre de santé développé et équipé est souhaitable car la surveillance du malade doit être permanente et les soins adaptés.

1. Le traitement à visée symptomatique

Le malade est placé dans une chambre seule, au calme, dans l'obscurité. On évitera au maximum toutes les manipulations, les stimulations par le bruit ou la lumière. Seule une personne de la famille restera au côté du malade.

La trachéotomie est souvent nécessaire, surtout dans les tétanos généralisés, car elle empêche l'asphyxie, permet l'aspiration des voies aériennes et facilite la mise sous décontracturants.

  • Le traitement décontracturant, relaxant musculaire :

C'est surtout le diazépam (Valium®) à des doses adaptées selon l'état du malade. Le mode d'administration sera :

  • soit la voie intramusculaire mais les injections risquent d'aggraver les paroxysmes,

  • soit la vole intraveineuse discontinue:

quand elle est possible c'est la meilleure dans les cas graves :

  • injection très lente en deux à trois minutes au moins, toutes les deux heures (se méfier de la dépression respiratoire) ;

  • en débutant à dose de 2 mg/kg/jour, c'est à dire 10 mg toutes les deux heures chez un adulte qui présente un tétanos grave;

  • et en augmentant les doses si les paroxysmes et les contractures persistent trop, en surveillant l'état respiratoire.

  • soit la voie orale qui ne peut être utilisée que dans les cas moins graves.

  • Les barbituriques, en particulier le phénobarbital peut être utilisé soit seul si l'on n'a pas de diazépam, soit en association au diazépam dans les formes graves où le diazépam seul n'arrive pas à agir, la dose sera de 200 à 400 mg/jour mais les effets dépresseurs respiratoires se potentialisent.

On peut également utiliser des doses plus fortes en réanimation avec éventuellement des curares mais la ventilation assistée sera nécessaire.

2. La thérapeutique à visée étiologique, spécifique, en urgence

a. Traitement de la porte d'entrée nettoyage, parage, désinfection locale de la plaie.

b. L'antibiothérapie systématique par voie générale : elle vise à tuer le germe et empêcher sa multiplication; elle prévient les surinfections locales ou pulmonaires. On utilise le plus souvent: Pénicilline G 4 à 6 millions par jour chez un adulte, au mieux par voie intraveineuse pendant la durée de la maladie.

c. La sérothérapie curative est conseillée. La dose habituelle est de 10 000 unités chez l'adulte par voie sous-cutanée de sérum antitétanique après injection d'une dose test (méthode de Besredka) une seule fois.

On pourra utiliser éventuellement des gamma globulines spécifiques humaines si elles sont disponibles, mais elles sont beaucoup plus chères. La dose sera de 2 500 à 5 000 unités internationales, par voie intramusculaire.

d. Une dose de vaccination antitétanique sera systématiquement injectée pouvant éventuellement réactiver des défenses de l'organisme et débutant la vaccination qu'il faudra poursuivre.

3. Les soins corporels

  • Prévention des escarres, changement de positions du malade toutes les quatre heures, assurer une hygiène correcte avec un drap propre, bien tendu, sec.

On mettra en place si possible une sonde urinaire qui permettra de surveiller la diurèse et une meilleure hygiène.

  • L'alimentation et la réhydratation ceci est très important, la maladie sera longue et le malade devra être nourri correctement. Au mieux, on mettra en place une sonde nasogastrique par laquelle seront injectées l'eau et la bouillie préparée par la famille.

On posera également au départ, si possible, une voie veineuse surtout si le tétanos est grave et s'il existe une dysphagie importante. Elle permettra de réhydrater le malade, de lui passer les médicaments (Pénicilline G, Valium®).

4. La surveillance

  • la température et la tension artérielle,

  • les contractures et le nombre de paroxysmes par heure (notés par la famille),

  • la fonction respiratoire,

  • l'état cutané et nutritionnel.

Le traitement sera adapté à l'état du malade, la gravité et l'évolution.

L'infirmier responsable du malade réalisera un plan de soins où il indiquera heure par heure, les soins à réaliser (changements de position, nutrition), les médicaments à administrer, la surveillance de l'état du malade (température, contractures). La vaccination devra être poursuivie après la guérison du malade car le tétanos n'immunise pas.

5. Cas particulier du tétanos néonatal

  • Isolement

  • Conseils à la mère : laisser l'enfant au calme, sur un plan dur, allongé sur un linge sec et propre, dans l'obscurité, en notant le nombre de contractions et l'état respiratoire.

Relaxants musculaires : diazépam (Valium®)

  • soit en gouttes par la sonde gastrique à dose de 1 à 4 mg/kg/jour à adapter à l'état clinique (respiration, contraction). Par exemple : quatre gouttes trois fois par jour au départ,

    • soit intramusculaire : 0,5 mg toutes les trois heures au départ dans les formes graves.
  • Sérothérapie : 1 500 à 3 000 unités internationales en sous-cutané.

  • Antibiothérapie : Pénicilline G : 50 000 à 100000 unités internationales/kg/jour, c'est à dire 100000 unités internationales trois fois par jour en intramusculaire.

  • Soins locaux du cordon ombilical avec désinfectant.

  • Sonde nasogastrique pour gavage avec le lait maternel qui sera tiré.

  • Surveillance régulière et étroite, en particulier de l'état respiratoire: le diazépam sera diminué si l'enfant respire mal.

VI. Comment éviter le tétanos

C'est le point fondamental car c'est le meilleur moyen de faire diminuer la mortalité liée au tétanos.

1. La vaccination antitétanique

C'est le moyen le plus simple et le plus efficace.

Le vaccin :

  • chez les enfants : à partir de trois mois, trois injections à un intervalle de un à trois mois, puis rappel dans un délai de un à deux ans, puis rappel tous les cinq à dix ans.
  • chez l'adulte et en particulier chez la femme enceinte : deux injections à un à deux mois d'intervalle, puis rappel à un an, puis tous les dix ans.

Le vaccin protège très efficacement contre le tétanos. La vaccination de la femme enceinte protège la femme mais aussi l'enfant à naître.

Des campagnes de vaccination doivent être organisées régulièrement :

  • PEV pour les enfants de zéro à cinq ans,
  • vaccination dans les écoles,
  • vaccination des femmes enceintes lors des consultations prénatales.

2. La sérothérapie antitétanique

Devant toute plaie souillée chez un sujet non correctement vacciné, on pratiquera une injection de sérum antitétanique à la dose de 1 500 unités internationales (une ampoule). On injectera d'abord une dose test de 0,5 cc et on attendra quinze à trente minutes; s'il n'y a pas de réaction, on injectera le reste du sérum (méthode de Besredka). On peut utiliser aussi, quand elles sont disponibles, des gamma globulines humaines antitétaniques à dose de 250 unités internationales.

Lors de la sérothérapie, on débutera également la vaccination qui sera à poursuivre ultérieurement.

Cas particulier de la prévention du tétanos ombilical : si lors de l'accouchement, le cordon n'a pas été coupé ou lié stérilement, ou si la plaie ombilicale est souillée (terre ou autre), on nettoiera l'ombilic avec un désinfectant et on pratiquera une sérothérapie chez l'enfant à la dose de 750 unités internationales en injectant la moitié de la dose en péri-ombilical.

En conclusion

  • La prévention du tétanos passe par:

  • une amélioration des couvertures vaccinales des enfants et des adultes (femmes enceintes en particulier),

  • une prise de conscience du risque du tétanos lié aux plaie souillées à certains gestes coutumiers pratiqués en l'absence de condition d'hygiène nécessaire (circoncision, percée d'oreille et surtout déroulement de l'accouchement et soins du cordon),

  • la responsabilisation des gens et l'animation sanitaire peuvent faire diminuer la fréquence du tétanos.

  • Le tétanos, une fois déclaré, doit être soigné en respectant certaines règles simples mais nécessaires.

Développement et Santé, N° 82, août 1989