Le Samu Social Sénégal

Par Massamba Diop Samu Social Sénégal, Dakar, Sénégal.  

Publié le

Quelques données médico-épidémiologiques sur les enfants de la rue à Dakar.

Le Samu Social Sénégal a été créé à Dakar le 1er mai 2003, selon les méthodes et les principes du Samu Social de Paris, créé par le Docteur Xavier Emmanuelli il y a 10 ans. Avec le soutien du Samu Social International, et après une phase préparatoire, les opérations de terrain ont été lancées le 1er novembre 2003. La mission du Samu Social Sénégal consiste à intervenir, selon les principes de l'urgence médicale et psycho-sociale, auprès des enfants des rues ou en grand danger dans la rue.

On peut les distinguer en 5 grandes catégories, définies principalement par leurs modes de vie dans la rue :

  • les Fakhmans (qui sont en rupture avec leur famille pour diverses raisons),
  • les enfants mendiants et les talibés (élèves des écoles coraniques),
  • les enfants accompagnés,
  • les jeunes travailleurs,
  • les jeunes filles.

II est difficile de trouver, dans la littérature, des données épidémiologiques et médicales sur les enfants de la rue et leurs pathologies.

Le Samu Social Sénégal dispose dans ce domaine d'une base de données importante dont l'exploitation permet de trouver des informations intéressantes dont voici quelques exemples.

I. Données pidémiologiques générales

1. Répartition des enfants de la rue selon l'âge et la catégorîe

a) Les enfants accompagnés

La grande majorité des enfants accompagnés de leur mère dont s'occupe le Samu Social Sénégal est âgée de moins de 5 ans (71 %). Après 15 ans, la plupart restent toujours dans la rue mais se retrou­vent dans une nouvelle catégorie, celle des Fakh­mans, tant ils auront appris à y vivre.

Figure 1 : répartition selon l'âge des enfants accompagnés

b) Les fakhmans

Ils constituent la grande majorité des enfants dont s'occupe le Samu Social : 1 319 au 31 mars 2009.
La plupart d'entre eux sont des adolescents : 89 ont entre 11 et 20 ans.
La quasi-totalité de ceux qui ignorent leur âge sont des adolescents, qui représentent donc au total plus de 90 % de cette population.

Tableau 1 : répartition des Fakhmans, des talibés et des talibés fugueurs selon l'âge

Ages Fakhmans Talibés Talibés fugueurs
0-5ans 0,07% 19% 1%
-10 ans 3 % 47,2% 26 %
11 -15 ans 40 % 42,8 % 61%
15 - 20 ans 49% 5,9% 12%
21 ans et plus 6 % 0 \-
Age inconnu 2 % 1,3% 1%

c) Les talibés

Ces élèves des écoles coraniques constituent en nombre la 2ème population cible du Samu Social Sénégal et sont âgés en majorité de 6 à 15 ans.

d) Les talibés fugueurs

Ils ont quitté l'école coranique généralement en raison d'une maltraitance. Ils constituent une caté­gorie de transition car la majorité d'entre eux seront, après quelque temps passé dans la rue, des Fakhmans. Ainsi, leur répartition selon l'âge corres­pond parfaitement à celle des Fakhmans (87 %).

e) Les jeunes travailleurs

Figure 2 : répartition des jeunes travailleurs selon l'âge

Victimes de l'exode rural, ce sont pour la plupart des adolescents âgés de 11 à 20 ans (90 %), à l'ins­tar des Fakhmans qu'ils fréquentent et avec lesquels on peut facilement les confondre.

1) Les jeunes filles

Seules 32 jeunes filles ont étés prises en charge par le Samu Social Sénégal depuis sa création. La moitié est d'entre elles sont âgées de 11 à 15 ans, 37 % de 15 à 20 ans et 13 % de 21 ans ou plus.

2. Répartition des enfants de la rue selon le sexe

A l'exclusion des enfants accompagnés où la popu­lation est mixte, la quasi-totalité des enfants de la rue sont des garçons (98,6 %), et les jeunes filles ne constituent donc que 1,4 % soit un sexe-ratio de 1/72.

Il. Données médicales

1. Chez les Fakhmans

Tableau 2 : les pathologies observées chez les Fakhmans
Plaies et traumatismes 59 % ORL et pneumo 9 % Syndrome palustre 6 % Gale et dermatoses 5 % Parasitoses 4 % Pathologies gastriques 3 % Tuberculose 0,07 % Fractures 0,7 % Autres 14 %

Les plaies et traumatismes divers constituent la grande majorité (59 %) des pathologies prises en charge par le Samu Social chez les Fakhmans. Ils sont de diverses natures, allant de la simple brûlure du premier degré, occasionnée par une cigarette, ou par du diluant utilisé pour le sniff (guinz) malencontreusement versé sur soi (ou sciemment sur son camarade), aux plaies par arme blanche nécessitant souvent un traitement chirurgi­cal en urgence.

Les sutures sont toujours réalisées avec du fil résor­hahles car, les enfants étant très mobiles, il est diffi­cile de les retrouver pour enlever les fils.

Ces plaies et traumatismes portent dans 90 % des cas sur les membres ou la tête, les zones vitales étant rarement touchées. Les fractures (0,7% des cas) concernent exclusivement les membres.

A ces plaies peuvent s'ajouter les dermatoses chroniques (surtout la gale qui concerne au moins une fois la quasi-totalité des Fakhmans), souvent surinfectées.

Une désinfection à la povidone iodée avant l'appli­cation de benzoate de benzyle et un suivi quotidien ont permis une forte réduction des cas de plaies surinfectées, sans avoir recours à une utilisation abusive d'antibiotiques (Figure 3). En seconde position arrivent les pathologies pulmonaires et ORL, dominées par les broncho­pneumopathies chroniques. L'utilisation abusive de diluant cellulosique en inhalation est probablernent responsable d'une atteinte de l'arbre respiratoire et d'une sensibilité aux infections pulmonaires. A cela s'ajoute la pollution de l'environnement (trafic urbain, incinération sauvage des ordures, saleté des lieux où vivent les Fakhmans). Paradoxalement, les pneumopathies allergiques sont très rares, malgré l'exposition à des allergènes de toute nature. Les membres des Equipes Mobiles d'Aides (EMA) sont plus sensibles à ces réactions allergiques que les enfants qui vivent dans la pous­sière.

De même, aucun Fakhman n'a été atteint de choléra durant les épidémies que le Sénégal a vécues ces dernières années ! Du fait de la mauvaise hygiène vestimentaire, alimentaire et comportementale des enfants de la rue, ils auraient dû être les premiers atteints par cette maladie.

Figure 3 : évolution des plaies surinfectées avec un suivi quotidien

Chez les Fakhmans, le traitement des parasitoses est systématique dès la première rencontre et régu­lièrement renouvelé.

La tuberculose constitue un problème difficile, probablement sous-estimé. Les conditions de vie des Fakhmans et le contact permanent avec d'autres tuberculeux expliquent pourquoi le nombre de Fakhmans atteints par cette maladie est certainement très supérieur aux 16 cas diagnos­tiqués par le Samu social dans le cadre d'un dépistage volontaire chez 36 jeunes.

Parmi ces 16 personnes :

  • cinq ont refusé de se traiter (déni de la maladie),
  • les 11 autres ont débuté leur traitement : neuf l'ont mené à terme et sont déclarés complètement guéris, deux ne l'ont pas terminé et l'un d'eux est décédé dans la rue.

Actuellement, une jeune fille a enfin accepté de débuter son traitement alors que le diagnostic avait été fait il y a plus de 8 mois ! Elle avait refusé de reconnaître sa maladie et avait préféré retourner dans la rue. La vue d'une de ses amies victime d'une hémoptysie l'a alarmée et l'a décidée à venir au Samu Social pour prendre son traitement. Le paludisme constitue le premier motif d'hospitali­sation au centre chez les enfants de la rue, toutes catégories confondues. Le traitement rapide et efficace à base de quinine est proposé pour rédui­re la non-observance, ces enfants retournant dans la rue dès les premiers signes d'amélioration.

La catégorie "Autres", 14 %, regroupe les affections oculaires, les infections uro-génitales, les simples céphalées, etc.
Un suivi médical régulier est également effectué pour les pathologies traitées en ambulatoire.

Tableau 3 : répartition des pathologies chez les talibés, les talibés fugueurs et les enfants accompagnés
Pathologies Talibés Talibés fugueurs Enfants accompagnés
Plaies et traumatismes 67% 50% 16%
Gale et dermatoses 25% 15% 12%
Syndrome palustre 1% 7% 18%
Parasitoses 6% 9%
Affections ORL et pneumo 1% 8% 17%
Pathologies gastriques 1% 4% 9%
Autres 5% 10% 19%

2. Chez les talibés, !es talibés fugueurs et les enfants accompagnés

Comme chez les Fakhmans, les plaies et trauma­tismes constituent aussi la majeure partie des pathologies rencontrées chez les talibés. Des cas impressionnants de gale généralisée ont également été rencontrés (25%). Le faible taux de paludisme traité, 1 %, s'explique par le fait que les talibés ne sont traités qu'à titre ambulatoire dans la rue car ils sont encore sous la tutelle de leur maître coranique.

La répartition des pathologies chez les talibés fugueurs est comparable à celle des talibés. Leur prise en charge au centre du Samu explique le taux de 7 % de paludisme.

Conclusion

On voit l'importance des problèmes médicaux chez l'enfant des rues à Dakar. Mais qu'en est-il du versant social ? Quelles solutions sont proposées pour y remédier ?

Développement et Santé, n°194, 2009