Le couple VIH-TB
I. Rappels sur les deux maladies
La tuberculose (TB) est une maladie contagieuse due à Mycobaterium tuberculosis ou bacille de Koch (BK). La contamination se fait par voie aérienne. Le réservoir du BK est le malade tuberculeux pulmonaire à microscopie positive (TPM+).
Le dépistage et le traitement sont la base de la lutte contre la TB.
Le premier contact avec le BK constitue la primo infection tuberculeuse (2 milliards d'humains sont infectés).
Il existe deux formes majeures de TB :
- la TB pulmonaire avec, soit la forme très contagieuse avec microscopie positive, soit la forme avec microscopie négative 7 fois moins contagieuse et de meilleur pronostic ;
- la TB extra pulmonaire qui atteint différents organes, de diagnostic difficile, non contagieuse.
L'infection par VIH transmise essentiellement par voie sexuelle, plusieurs années inapparentes, provoque une destruction progressive de l'immunité cellulaire en particulier les lymphocytes CD4. A des taux de CD4 inférieurs à 350 par mm3 commencent à apparaître des infections opportunistes qui sont la cause essentielle de la maladie, puis du décès. La présence d'anticorps anti VIH signe l'infection virale, la maladie débute quand les symptômes le plus souvent dus à des infections opportunistes se manifestent ou quand certaines maladies débutent. La TB clinique est une maladie qui signe souvent le SIDA.
L'interaction VIH/TB se fait dans les deux sens : le BK accroît la réplication du VIH et le VIH accélère l'évolution de l'infection par BK.
L'immuno-dépression par VIH diminue la capacité du sujet à contenir l'infection par BK ou de prévenir une nouvelle contamination. Elle modifie aussi la réaction immunologique qui intervient dans la réponse de l'hôte, donc dans l'intradermo-réaction tuberculinique (IDRT). Chez les patients VIH, il s"agit surtout de réactivations tuberculeuses, donc de patients qui ont déjà fait une TB dans le passé, qui ont une TB latente et qui, compte tenu de l'immuno-dépression liée au VIH, vont réactiver la maladie.
Risque de développer une TB selon le statut sérologique VIH
II. Epidémiologie
La notification et l'incidence estimée de la tuberculose sont stables ou diminuent dans 5 régions de l'OMS mais augmentent en Afrique à cause du VIH. L'incidence globale a augmenté de 1 %. En Afrique sub saharienne le nombre de nouveaux cas annuels est estimé à 2,35 millions soit, 27 % du total mondial (alors que la région représente 11 % de la population mondiale) et le nombre de cas notifiés est de 996 000.
Par ailleurs, on estime que 37 % des malades tuberculeux adultes sont infectés par le VIH. Au total, le taux de notification de TB parmi les personnes non infectées par le VIH est en diminution, alors qu'il est en hausse parmi les personnes infectées.
Le VIH est donc la cause majeure de l'aggravation de l'épidémie tuberculeuse en Afrique. La pauvreté, la faiblesse des systèmes de santé, les conflits et la malnutrition jouent aussi un rôle.
Néanmoins la plupart des cas de TB en Afrique sont trouvés chez des sujets non infectés par le VIH. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souffrir de co-infection.
On estime à 500 000 le nombre de décès par TB par an, dont environ la moitié est associée au VIH.
Seulement 50 % des cas de TB sont actuellement détectés.
III. Dépistage
1. Quand suspecter la TB ?
La TB doit être suspectée devant tout malade qui présente une toux accompagnée ou non d'expectorations qui dure depuis au moins 3 semaines.
Cette toux peut être accompagnée de : hémoptysie, douleurs, difficultés respiratoires, perte de poids et d'appétit, sueurs nocturnes, fatigue et fièvre.
La suspicion est renforcée par certains signes radiologiques et si existe un contage proche. Ce constat n'est pas différent chez un patient séropositif avec plus de 350 CD4 par mm3, c'est-à-dire sans immuno-dépression.
2. Comment réaliser le dépistage ?
La bacilloscopie est l'examen essentiel, elle consiste à examiner au microscope un frottis de crachat du patient coloré par la méthode de Ziehl-Nielsen. Il est demandé de faire trois examens à 24 heures d'intervalle. Les autres examens n'ont que très peu d'intérêt.
La positivité de la bacilloscopie est moins fréquente chez les sujets infectés par le VIH avec un taux de CD4 inférieur à 200/mm3. Mais il faut avoir conscience que la stratégie de lutte contre la TB (dépistage et traitement) n'a aucune raison d'être différente pour les sujets VIH+ ou non, ou à statut inconnu, car l'expression de l'infection et de la maladie n'est pas différente tant que l'immuno-dépression est modérée. (voir Développement et Santé, n°122, avril 1996).
Un atelier tenu à Ouidah au Bénin en 2007 a proposé que l'on ne pratique qu'un examen de crachats chez les patients tousseurs ce qui est théoriquement moins efficace mais en pratique plus efficace si le patient attend son résultat et n'a pas besoin de revenir.
Dans les structures de santé, il faut isoler les patients TPM+ des patients VIH+ non tuberculeux. Si possible un patient infecté par VIH ne doit pas être en contact avec un patient TPM+ ; il faut donc aménager les rendez vous des uns et des autres à des jours différents et si possible proposer des locaux différents pour le dépistage du VIH et pour celui du BK.
IV. Clinique
Avant le stade SIDA, soit tout patient avec plus de 200 CD4/mm3, la clinique et la radiologie sont semblables à celles des patients séronégatifs. La fréquence des tuberculoses extrapulmonaires est similaire et l'IDRT est positive dans 2/3 des cas. Quand la tuberculose survient chez un sujet infecté par VIH, on constate les manifestations suivantes :
- les localisations extra pulmonaires sont plus fréquentes en particulier ganglionnaire, pleurale, péricardique, méningitique et multifocale ;
- la tuberculose miliaire est fréquente ;
- à la radiographie il y a souvent de grosses masses médiastinales, les opacités sont souvent au lobe inférieur, les cavités sont rares, les épanchements sont fréquents ;
- les localisations inhabituelles existent : cerveau, paroi ;
- la recherche de bacille peut être négative ;
- l'IDRT peut être négatif ;
- la fièvre et l'amaigrissement sont plus fréquents, la toux est moins fréquente
Il est vivement recommandé de proposer à tout patient tuberculeux ancien et nouveau ou suspect de faire un test de dépistage pour le VIH. |
V. Traitement
Le choix est fait selon le statut bactériologique, la localisation et les antécédents thérâpeutiques.
Les nouveaux cas sont TPM+, TPM- ou TEP.
1. Les principes du traitement
- toujours en association,
- régimes standardisés,
- traitement en 2 phases : une initiale intensive et une de continuation,
- le traitement doit être supervisé,
- le traitement est quotidien et régulier,
- l'efficacité du traitement doit être contrôlée,
- l'hospitalisation n'est nécessaire qu'en phase initiale pour les patients qui ne peuvent pas être pris en charge ambulatoire.
2. Quels médicaments ?
Les principaux médicaments sont :
- Isoniazide (H)
- Rifampicine (R)
- Pyrazinamide (Z)
- Ethambutol (E)
- Streptomycine (S).
Schéma pour tous les nouveaux cas = 2 RHEZ / 4 RH.
Soit 2 mois de quadrithérapie en hospitalisation ou TDO (traitement directement observé), suivi de 4 mois de bithérapie en ambulatoire. Examen de crachats à la fin du 5° mois ; si négatif finir les 6 mois, si positif = échec.
Schéma de retraitement = 2 RHSEZ / 1 RHEZ / 5 RHE.
3. Le traitement pour malade VIH + TB
Il est aussi efficace que chez les patients non infectés par le VIH.
Rechutes et réinfections sont fréquentes. La mortalité est plus élevée.
Les réactions aux médicaments sont plus fréquentes chez les co infectés (il n'est pas possible d'utiliser la thiacétazone).
Il y a des interactions entre rifampicine et ARV.
Le syndrome de restauration immunitaire (IRIS) peut prendre l'allure d'une aggravation de la TB.
Le traitement ARV le mieux adapté chez un PVVIH avec TB est une combinaison thérapeutique par éfavirenz et 2 nucléosidiques pour éviter les interactions médicamenteuses avec la rifampicine. En pratique, l'interaction importante entre la rifampicine et la névirapine impose de ne pas prendre les 2 molécules en même temps.
Un traitement ARV ne doit pas être commencé au même moment que le traitement anti TB chez un patient co-infecté par le VIH et la TB. Le délai classiquement proposé est de 2 mois (début du traitement TB suivi 2 mois après d"un traitement ARV). Toutefois, ce délai peut être raccourci chez les patients fortement immunodéprimés (CD4 inférieurs à 100).
Si le traitement comporte la névirapine, les protocoles habituels peuvent être utilisés, mais il existe un risque plus important d"hépatotoxicité, compte tenu des interactions entre névirapine et rifampicine. Il faut donc surveiller de manière attentive le bilan hépatique. Si le traitement ARV comporte un Inhibiteur de Protéase (IP), y compris le Kaletra®, le traitement antituberculeux ne doit pas non plus comporter la rifampicine, compte tenu des interactions.
Si le traitement par Kaletra®' ou autre IP est une nécessité, il faut plutôt utiliser la rifabutine que la rifampicine ; dans ce cas la posologie de la rifabutine est de 150 mg/2 fois par semaine.
Pour un patient sous ARV depuis un certain temps qui fait une tuberculose on doit changer si possible les molécules (efavirenz au lieu de névirapine). Mais il faut aussi s"assurer qu"il ne s'agit pas d'un IRIS : réactivation immune liée à l'augmentation des CD4 pouvant favoriser la résurgence clinique de la tuberculose. S'il agit d'un IRIS il est possible de débuter les anti-tuberculeux avec éventuellement une corticothérapie au cas par cas, et ne pas arrêter le traitement ARV.
Pour les patients infectés par le VIH-2 ou présentant une résistance à l'efavirenz et traités par un IP qui développent une tuberculose devant être traitée avec les antituberculeux standards il faut :
- soit changer le traitement ARV pour 3 nucléosidiques (AZT, 3TC, ténofivir ou AZT, 3TC, abacavir),
- soit garder le traitement ARV avec IP + 2 nucléosidiques et donner un traitement anti TB où la rifampicine est remplacée par rifabutine (si disponible).
Si l'utilisation de la névirapine est obligatoire, il faut être vigilant et accroitre la surveillance clinique et biologique notamment sur le bilan hépatique surtout dans les premières semaines de traitement.
4. Le syndrome IRIS
(Syndrome de restauration immunitaire ou Immune Reconstitution Inflammatory Syndrome).
On désigne sous le terme d'IRIS un ensemble de manifestations cliniques, de nature inflammatoire, survenant quelques semaines après la mise en route d'un traitement antirétroviral. L'IRIS survient à la faveur de la restauration des lymphocytes CD4.
Le syndrome de restauration immunitaire comporte 2 entités :
- la première est la révélation d'une infection opportuniste latente,
- la deuxième est une majoration de la réponse de l'hôte vis-à-vis d'antigènes présents en faible quantité dans les tissus.
Les signes cliniques dépendent de l'agent pathogène en cause mais on retrouve le plus souvent fièvre, adénopathies, altération de l'état général.
Il est possible de trouver des signes en faveur d'une pathologie alors que l'on en soigne une autre (cryptococcose méningée alors que le patient est traité pour une tuberculose).
L'IRIS n'est envisagé que lorsque les autres pathologies sont éliminées. Il n'y a pas d'examen paraclinique particulier. Les manifestations cliniques d'une infection sont fonction de l'immunité ; celles ci peuvent être atténuées voire différentes si le patient est fortement immuno-déprimé. Dés l'instant où le patient va recouvrer sa capacité à répondre immunologiquement grâce aux ARV, des manifestations cliniques peuvent apparaître en rapport avec un agent infectieux qui évoluait à bas bruit tant que la réponse immune était faible. L'IRIS peut donc révéler des infections opportunistes latentes.
L'IRIS peut survenir plusieurs semaines après le début du traitement du SIDA car c'est l'augmentation des CD4 qui en est la cause : de quelques jours (tuberculose) à quelques semaines après le début des antirétroviraux (cryptococcose) ; en moyenne 12 à 16 semaines. La tuberculose est la plus fréquente manifestation de l'IRIS, mais ce n'est pas la seule.
Ce syndrome existe chez 10 à 20 % des sujets traités.
Les facteurs prédictifs de l'IRIS sont un taux très bas de CD4 à l'initiation du traitement ARV et une remontée rapide de ces derniers. Donc on doit être vigilant avec ces patients très immunodéprimés et/ou vus tardivement. La crainte de l'IRIS ne doit pas différer la mise en traitement ARV, au contraire, plus le traitement est débuté tard (CD4 < 100) plus le risque d'IRIS est grand. Les symptômes peuvent durer de 2 à 4 semaines en moyenne. Cette durée est raccourcie par la mise en place d'un traitement anti-inflammatoire ou corticoïde. Il ne faut pas arrêter le traitement ARV pour l'IRIS. Mais le diagnostic doit être le bon ; il faut éliminer tout autre cause de fièvre. Le traitement habituel est la corticothérapie, en moyenne 2 semaines 1 mg/kg puis décroissance, ou les AINS dès que les autres étiologies ont été écartées.
VI. Prévention
1. Chimioprophylaxie
Pour les sujets non infectés par VIH, il s'agit de prophylaxie par isoniazide (INH).
C'est la protection d'un sujet non malade mais récemment exposé à la contagion. Le traitement est destiné à enrayer la progression de l'infection par le BK vers la maladie. L'INH à la dose de 5 mg/Kg pendant 6 mois constitue une prophylaxie efficace. Néanmoins cette stratégie est peu applicable aussi elle n'est envisageable que pour :
- les nourrissons dont la mère présente une TPM+
- les enfants de 5 ans et moins, vivant dans un foyer avec un sujet TPM+.
1. Chimioprophylaxie pour personne infectée par le VIH
La prophylaxie par INH réduit le risque de tuberculose maladie et la mortalité.
La décision sera prise suite à un examen clinique, radiologique et une IDR.
- S'il existe des signes cliniques ou radiologiques il faut envisager une TB active donc assurer sa décision par plusieurs investigations ,biolo giques (bacilloscopie, cytologie).
- S'il n'existe pas de signe clinique et/ou radiologique :
- soit l'IDRT est positive (> 5 mm) la personne doit bénéficier d'une prophylaxie par INH 6 mois ;
- soit l'IDRT est négative (si le taux de CD4 est > 200/mm®) il faut envisager un traitement préventif de la TB.
Il ne faut pas oublier la prophylaxie par le cotrimoxazole qui reste nécessaire.
2. Le BCG chez les personnes infectées
Il peut provoquer une BCGite.
Il est plus sûr de ne pas le pratiquer chez l'adulte. Il ne doit pas être administré chez un enfant immuno-déprimé.
VII. Organiser la lutte
1. Situation actuelle
Un programme commun comportera 3 objectifs avec chacun des activités correspondantes
1. Réduire la morbidité tuberculeuse chez les personnes vivant avec le VIH/SIDA :
- Intensifier le dépistage des cas de tuberculose.
- Mettre en place le traitement préventif à l'isoniazide.
- Maîtriser l'infection tuberculeuse dans les services de santé et les établissements collectifs.
2. Réduire la morbidité due à l'infection à VIH chez les malades tuberculeux :
- Assurer le conseil et le dépistage du VIH.
2. Principes de la lutte
- Deux maladies, "un patient" :
- soins axés sur le patient, contre les deux maladies à la fois.
- Être réalistes :
- arrêter avec les "projets",
- généraliser immédiatement ce qui fonctionne,
- Appliquer des méthodes de prévention du VIH.
- Mettre en place le traitement préventif au cotrimoxazole.
- Dispenser des soins et assurer un accompagnement aux personnes touchées par le VIH/SIDA.
- Mettre en place le traitement ARV.
3. Mettre en place les mécanismes de collaboration
- Créer un organe de coordination des activités TB/VIH à tous les niveaux.
- Surveiller la prévalence du VIH parmi les patients tuberculeux.
- Planifier conjointement les activités anti TB et anti-VIH.
- Assurer le suivi et l'évaluation.
- réexaminer les interventions au fur et à mesure.
- Pas de programme séparé :
- les activités conjointes s'ajoutent aux stratégies existantes de lutte contre la tuberculose et contre le VIH/SIDA.
- La politique doit être mondiale.
Pour combattre la charge de la co-infection tuberculose/VIH, il faut réduire la transmission du VIH par :
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Développement et Santé, n°190, 2008