La référence

Par Thierry Lang* * Médecin-généraliste, Medicus Mundi, Paris.

Publié le

Dans la quasi-totalité des pays du monde, le système de soins curatifs est organisé en niveau de spécialisation croissante. Il n'est évidemment pas possible d'implanter un centre de soins très spécialisé dans chaque village. En revanche, des structures assurant les soins les plus courants peuvent être proches de la population. À l'inverse, des centres très équipés et spécialisés ne sont pas utiles en grand nombre. Les structures de soins sont donc théoriquement organisées au niveau de complexité croissante. Lorsque les centres les moins équipés ne peuvent effectuer les soins, ils confient les malades au niveau supérieur.

Par exemple, un texte de l'OMS, en 1973, distinguait trois niveaux de soins:

  • les soins primaires, qui recouvrent les prestations sanitaires générales offertes à la population au point d'entrée dans le réseau de service sanitaire ;

  • les soins secondaires, qui sont des soins fournis par des services spécialisés aux malades et qui sont adressés par les services de soins primaires ;

  • les soins tertiaires, qui sont des services très spécialisés, du type chirurgie cardiaque, ou neurochirurgie.

I. Les soins les plus adaptés aux besoins du malade

Le système de référence est donc l'ensemble des opérations à maîtriser et organiser pour que chaque malade soit soigné au niveau où les soins seront les plus efficaces. Dans ces conditions, l'idéal pourrait être de consulter d'emblée le centre ultra-spécialisé. C'est pourquoi la deuxième condition est que chaque malade soit soigné au niveau où les soins pourront être efficaces, mais aussi au niveau le moins spécialisé possible susceptible de prodiguer ces soins.

II. La référence en pratique

Lorsque ce système de référence ne fonctionne pas de façon satisfaisante, deux types de problèmes vont se poser:

  • d'une part, les malades, dont l'état ne le nécessite pas, vont consulter directement à un niveau de soins spécialisés,

  • à l'inverse, des malades qui devraient bénéficier des soins plus spécialisés du

niveau secondaire et tertiaire vont être soignés au niveau primaire.

Le premier type de comportement a pour conséquence d'encombrer les structures et les personnels des centres de référence. Les hôpitaux, les personnels de santé qui y travaillent vont alors être accaparés par de très nombreux patients peu gravement atteints, et ne pourront pas assurer les soins spécialisés qui sont leur mission. Dans ces structures débordées, le malade grave ne pourra alors plus recevoir les soins spécialisés pour lesquels il a été adressé. La conséquence en est donc sérieuse car elle prive d'autres malades de soins complexes et indispensables.

Par exemple, supposons qu'un service de maternité soit débordé par de nombreux accouchements sans problèmes, qui auraient très bien pu se dérouler dans des structures plus périphériques, grâce à l'assistance d'une matrone. Ce service de référence risque alors de ne pas pouvoir accueillir dans de bonne conditions des femmes qui auraient besoin d'une césarienne en urgence.

Le deuxième type de problèmes aboutit à des morts ou des handicaps qui auraient pu être évités. Si pour une raison ou pour une autre, un malade ou un blessé ne peut recevoir les soins dont il a besoin que dans une structure spécialisée et qu'il n'y est pas adressé, c'est parfois sa vie qui est mise en jeu.

C'est le cas pour une femme qui aurait besoin d'une césarienne et dont l'accouchement se déroule dans une structure de santé dépourvue de chirurgien.

À quelque niveau que l'on se situe, donner les meilleurs soins à un malade doit donc se doubler d'une grande attention au niveau où ils sont donnés. Si ce n'est pas le cas, le ou la malade peut en souffrir directement s'il ne bénéficie pas des soins les plus adaptés. Mais les conséquences peuvent aussi être indirectes, si les structures spécialisées et équipées sont saturées par des malades sans gravité particulière.

Tout personnel de santé en charge du fonctionnement des services de soins devrait évaluer leurs performances concrètes.

III. Quelles questions se poser?

L'évaluation d'un système de référence conduit à se poser plusieurs questions:

  • avec quelle fréquence les consultants se dirigent directement vers le centre de recours ? Et avec quelle fréquence les malades qui auraient dû être adressés à un niveau plus spécialisé ne l'ont pas été,

  • quel niveau de soins (poste de santé, centre de santé, dispensaire, hôpital) n'a pas été utilisé alors qu'il aurait dû l'être dans un fonctionnement idéal,

  • enfin, pourquoi ce système fonctionne mal ?

Une enquête n'est pas toujours nécessaire pour répondre à ces questions. Les problèmes sont parfois évidents et le plus utile est de passer à la recherche des causes de problèmes et surtout à leur solution.

Mais parfois les difficultés ne sont pas très apparentes et une enquête simple sera parfois utile pour identifier les problèmes que l'on n'avait pas perçus et cerner leurs causes.

IV. Pourquoi le système de référence fonctionne-t-il souvent mal?

Il est extrêmement difficile de répondre à cette question. C'est pourtant en y répondant que nous pourrons souvent améliorer les soins de la population dont nous avons à nous occuper.

Plusieurs catégories de problèmes peuvent servir de pistes de réflexion:

  • les conditions matérielles de transport et de recours aux soins,
  • les attitudes des personnels de santé et
  • celles des malades et de leur famille.

Mais nous verrons que dans cette dernière catégorie, le système de soins est parfois la source de comportement qu'il ne faut pas trop rapidement rapporter à un manque d'éducation sanitaire.

1. Transport

Le problème du transport est parfois le premier obstacle à lever, si l'hôpital de référence est lointain, la piste peu praticable, les véhicules (taxis ou ambulances) non disponibles ou trop chers.

2. Les personnels de santé

Ces conditions peuvent amener les personnels de santé à ne pas recourir à la référence s'ils pensent que les familles ne le feront pas ou que c'est trop cher. Adresser un malade dans un autre centre est aussi parfois difficile pour un(e) infirmier(e) qui redoute de montrer ainsi les limites de sa compétence. Le manque de retour d'informations sur ce qui est arrivé au malade lorsqu'il est arrivé au centre de référence n'incite pas à adresser un malade au niveau de référence supérieur.

3. Le malade ou sa famille

Parfois les personnels de santé ont conseillé une référence, mais le malade ou sa famille ont refusé de suivre le conseil ou simplement ne l'ont pas suivi en pratique. Dans ce cas, il s'agit pour l'infirmier d'expliquer les enjeux, pourquoi il adresse le/la malade vers des niveaux mieux équipés ou compétents dans un domaine précis. Ecouter, expliquer, comprendre pourquoi les consultants ne pensent pas utile d'aller à l'hôpital. Quelles sont leurs idées sur la maladie, l'accident, ce qui arrive... Cette démarche vous est bien connue dans les autres domaines des soins ou de l'éducation pour la santé.

Un problème particulier: la qualité au centre de référence.

Dans le cas de la référence, une autre question se pose: et si les malades et leurs familles avaient raison ? Parfois, les soins qu'ils vont recevoir au niveau de soins supérieurs ne sont pas de meilleure qualité que ceux qu'ils sont venus chercher au niveau primaire. Autrement dit, le trajet parfois long, les frais à débourser et l'inquiétude de partir dans un endroit inconnu n'offriront aucun bénéfice de santé, aucune chance supplémentaire de recevoir des soins de qualité, aucune certitude d'avoir accès à des techniques ou des traitements. La qualité est bien sûr la qualité technique, mais c'est aussi, et c'est essentiel, l'accueil qui est fait au malade et à sa famille. Dans ce cas l'attitude des malades et de leur famille est très compréhensible.

En d'autres termes, un système de référence qui ne fonctionne pas bien peut refléter les soins de faible qualité offerts aux niveaux élevés de référence. La qualité des soins, de l'accueil aux niveaux des services de référence sont dans ces cas les premières questions qu'il faut se poser. L'information des patients et de leur famille n'est pas le premier objectif, puisqu'ils font en définitive un bon choix.

Prévenir

Même si la référence concerne les soins curatifs, et que ce numéro est consacré à l'urgence, prévenir reste là aussi une attitude sage et efficace. Avant que la référence ne devienne impérative et une question d'extrême urgence, il est sage de la prévoir à un stade précoce où il sera plus facile d'expliquer à la famille qu'il faut consulter dans un centre plus spécialisé ou équipé.

Par exemple, s'il s'avère qu'une femme dont le bassin est étroit doit accoucher en maternité, il est préférable de la conseiller calmement, sans précipitation, en lui donnant le temps de réfléchir, que de devoir l'adresser vers la maternité dans des conditions dramatiques et urgentes, avec de grands risques pour sa santé. Les visites prénatales permettront ainsi d'améliorer le système de référence et les soins d'urgence.

En somme, le bon fonctionnement du système de référence est une condition pour que les malades reçoivent le meilleur niveau de soins possible. Les problèmes à résoudre sont multiples. Mais pour qu'il soit efficace, une bonne qualité de soins est nécessaire à chaque niveau, et la prévention a là aussi un grand rôle à jouer.

Développement et Santé, n°118, août 1995