La quinine injectable diluée par voie intrarectale

Par voie intrarectale :

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La quinine injectable diluée par voie intrarectale : une solution pour le traitement précoce du paludisme grave de l'enfant ? Bilan des études cliniques sur les accès graves par Hubert Barennes Pédiatre, Cotonou, Bénin. Chaque année, plus de 300 millions d'individus développent des accès palustres. De 1,7 à 2,4 millions, principalement des enfants, en décèdent. En Afrique, prés de 80 % des enfants atteints d'accès palustres graves décèdent avant d'atteindre les structures de santé et une majorité n'a souvent reçu aucun traitement antimalarique. Parmi ceux qui, atteints d'accès palustre grave, accèdent aux centres hospitaliers 10 à 20 % en décèdent. Plus de 40 % des décès ont lieu dans les 12 heures suivant l'admission, ce qui suggère que le traitement hospitalier a alors peu de temps pour modifier le pronostic. Ces chiffres justifient d'améliorer le traitement précoce de tous les enfants susceptibles de développer une forme grave, sans attendre un transfert parfois aléatoire vers l'hôpital. La Quinine injectée par voie intrarectale (QIR), simple d'utilisation et réalisable dans le plus modeste des Centres de Santé, représente une forme de traitement particulièrement intéressante. En décembre 1996, nous avions présenté une synthèse des études cliniques et pharmacologiques de la quinine en solution injectable diluée par voie intrarectale menées de 1988 à 1995 à Madagascar puis au Niger, chez l'enfant atteint de paludisme justifiant une administration parentérale de quinine (vomissements répétés, convulsions, troubles modérés de la conscience, obnubilation, agitation, hypotonie). Nous avions montré l'intérêt de cette administration par sa simplicité d'utilisation, l'obtention rapide de concentration sanguine de quinine, en moins de deux heures, et son efficacité rapide. La QIR permet un traitement des accès graves dans les centres de santé et le retour de l'enfant à domicile, au bout de quelques heures, dès l'amélioration des signes. Nous présentons ici la suite des études d'efficacité de la QIR chez des enfants atteint de formes grave de paludisme. I. Matériel et méthode 1. Données communes Nous avons réalisé deux essais cliniques randomisés ouverts visant à montrer l'efficacité de la QIR dans le traitement des accès palustres graves. Nous avons exclu les enfants atteints de diarrhée, de pathologie anale préexistante ou présentant une pathologie prédominante, en détresse vitale imminente, avec des signes de chocs, une anémie décompensée ou un hématocrite inférieur à 15 %, ou encore ayant reçu de la quinine dans les 48 heures précédant l'admission (recherchée par l'anamnèse). Les enfants ont ensuite été répartis en groupe de traitement selon une liste de tirage préétablie (réalisée à l'aide d'une table de nombre de hasard). À Niamey: QIR ou QIV (intraveineuse). À Dosso: QIR ou QIM (intramusculaire). Les enfants exclus des études ont reçu le traitement en perfusion intraveineuse. Traitement antipalustre Le traitement a été réalisé avec du Quinimax® (Sanofi-Winthrop, Gentilly, France) (association hydrosoluble d'alcaloïdes du quinquina comprenant de la quinine (96,1 %), de la quinidine (2,5 %), de la cinchonine (0,68 %) et de la cinchonidine (0,67 %) correspondant à 59,3 % de quinine base). Les ampoules étant dosées à 100 mg/ml de quinine sel. Cette association est largement utilisée en Afrique francophone. À Dosso, un générique de Quinimax®, disponible au ministère de la Santé du Niger a été utilisé (Laboratoires Renaudin, Itsassou, France). Les posologies et les modes d'administration étudiés sont résumés dans le tableau n° 1. La solution de Quinimax® a été administrée dans le rectum des enfants placés en décubitus. Elle a été diluée avec 2 à 4 ml d'eau, à l'aide d'une seringue dépourvue d'aiguille. Nous n'avons pas utilisé de canule. Une pression manuelle était nécessairement exercée sur les fesses de l'enfant, afin d'éviter l'expulsion réflexe précoce du liquide. Le personnel surveillait les enfants pendant l'heure suivante, afin de vérifier l'absence de rejet et d'effets secondaires. Les doses de Quinimax®, 8 mg/kg, 12,5 mg/kg, 20 mg/kg et 30 mg/kg correspondent respectivement à 4,7 mg, 7,5 mg, 11,75 mg et 17,9 mg de quinine base. Les traitements symptomatiques associés étaient selon les besoins : anticonvulsivant, antipyrétique, et transfusion. Surveillance et critères d'évolution L'évolution clinique du paludisme et l'absence d'effets secondaires du traitement intrarectal ont été appréciées par le médecin, lors de chaque prélèvement, puis deux fois par jour après l'arrêt des prélèvements. Les enfants ont été convoqués au 7e jour pour une visite de contrôle. Le niveau de coma a été mesuré par le score de Blantyre qui cote de 1 à 5 par ordre de gravité décroissante. Les critères majeurs d'appréciation de l'efficacité du traitement étaient la mortalité et les séquelles au contrôle du septième jour et à la sortie. Les critères secondaires étaient les temps de récupération du coma, de l'aptitude à boire, à s'asseoir, à jouer, du retour à la normale de la température ainsi que l'évolution des parasitémies, appréciées par la décroissance de 50 % de la parasitémie initiale. Un frottis sanguin et une goutte épaisse ont été réalisés avant traitement, puis 4, 8, 12, 16, 24, 32, 48, 60, 72 h et 7 jours après traitement. Une surveillance des glycémies par bandelettes réactives (gluco-testB, Dextrostix®) a été réalisée à l'admission puis en cas d'aggravation du patient. Une numération formule sanguine et un hématocrite ont été effectués à l'admission. 2. Première étude La première étude, réalisée à Niamey, a comparé l'efficacité de l'administration triquotidienne de la QIR à celle de la perfusion intraveineuse (QM au cours du neuropaludisme. Les enfants (1 à 15 ans) étaient inclus, après information et accord des parents, s'ils présentaient un neuropaludisme (coma aréactif sans autres causes évidentes) - (définition OMS) - et, en particulier, en excluant les états d'inconscience post-critiques. Les perfusions de Quinimax® ont été réalisées en perfusion lente de 8 mg/kg (c'est-à-dire 4,7 mg quinine base) perfusé pendant 4 h toutes les 8 h dans 20 ml/kg de sérum glucosé isotonique à la seringue électrique ou à l'aide de microperfuseurs pédiatriques. 3. Deuxième étude La deuxième étude réalisée à Dosso a inclus les enfants avec forme grave de paludisme. Cette étude réalisée dans un hôpital secondaire du Niger a évalué l'efficacité d'une administration biquotidienne de QIR chez les enfants présentant un accès grave. En effet, trois administrations de quinine par jour sont parfois difficilement réalisables sur le terrain et rarement pratiquées. Or, nous avions observé, avec la dose de 20 mg/kg toutes les 12 heures, une quininémie infra-thérapeutique à la 12e heure. Nous avons donc utilisé une dose de charge de quinine et comparé l'efficacité de cette dose de charge de QIR (30 mg/kg suivis de 20 mg/kg toutes les 12 heures) à celle du protocole d'injection intramusculaire (12,5 mg/kg toutes les 12 h) en usage dans le service de pédiatrie d'un hôpital régional à Dosso. Les administrations intramusculaires de quinine ont été réalisées dans le quadrant supéro-externe de la fesse. Il. Résultats 1. Étude de Niamey Efficacité de la QIR versus la QIV lors du neuropaludisme (n = 76). Les caractéristiques cliniques et parasitologiques des deux groupes, " intrarectal " (n = 39) et " perfusion " (n = 37), étaient comparables à l'admission. Trente-deux enfants dans le groupe " intrarectal " et 26 dans le groupe " perfusion" présentaient un score de coma de Blantyre inférieur ou égal à 3. À Niamey, chez les enfants atteints de neuropaludisme, malgré une anamnèse négative à l'admission, 7 enfants seulement dans le groupe QIR et 8 dans le groupe QIV avaient des quininémies négatives ; 3 dans le groupe intrarectal et 1 dans le groupe intraveineux avaient des taux thérapeutiques avant l'admission. La prise antérieure de quinine était plus fréquente chez les enfants en coma modéré que grave (58,3 versus 21,7 %) (p < 0,01). Cette prise de quinine antérieure étant répartie de façon aléatoire et similaire dans les 2 groupes n'a donc pas modifié la comparabilité des résultats. Treize enfants sont décédés (17,1 %), 4 enfants le groupe QIR (10,3 %) et 9 dans le groupe QIV (24,3 %) avec une médiane de 14,4 h (4-36 h) après l'admission (ns). Sept enfants (54 %) sont décédés dans les 6 premières heures et 10 (77 %) dans les premières 24 heures. Parmi eux, 2 dans le groupe intrarectal et 8 dans le groupe intraveineux avaient un coma de score < 3 à l'admission (p = 0,06). Les enfants décédés ne différaient pas des survivants selon l'âge, le poids, la température, le degré d'hypotonie ou d'hypertonie, l'hématocrite, ni selon le groupe de traitement. Mais leur score de coma était plus souvent inférieur à 3 (10 sur 13 soit 77 %) par rapport aux survivants (9/63 soit 14 %) (p < 0,001) et ils étaient plus souvent en hypoglycémie (6/13 versus 5/63, p < 0,003). En outre, une transfusion a été plus souvent requise en urgence chez les enfants décédés (6/13) que chez les survivants (3/63) (p < 0,001). Le retard de la transfusion, non réalisée avant le décès chez 4 enfants, a pu contribuer à l'aggravation de la mortalité. Chez les survivants, les réponses au traitement étaient similaires dans les 2 groupes avec une récupération de la conscience en moins de 35 heures et une défervescence de la température en moins de 40 heures (tableau n° 2). L'évolution des parasitémies est rapide dans les 2 groupes et montre une réduction de 50 % des parasitémies initiales en moins de 16 heures. Les concentrations résiduelles de quinine dans le sang total obtenues à la 48e heure se situent à un niveau thérapeutique de façon similaire dans les 2 groupes QIR et QIV : 7,4 Mg/l et 7,2 Mg/l. Ces résultats confirment la validité de ce schéma thérapeutique et les résultats déjà obtenus lors des études cinétiques antérieures qui montraient la nécessité d'utiliser le double de la dose intraveineuse en intrarectale. 2. Étude de Dosso Efficacité de la QIR en 2 administrations par jour, suivant une dose de charge versus OIM lors d'un accès palustre grave. À Dosso, l'interrogatoire dirigé basé sur 4 questions a permis de diminuer sensiblement le nombre de fausses réponses : 7 (17,2 %). D'août à novembre 1997, 123 enfants ont été admis dans le service de pédiatrie de Dosso pour paludisme grave. Quatorze sont décédés (11, 3 %). Parmi ces admissions, 58 enfants répondant aux critères d'inclusion ont été répartis dans 2 groupes : groupe QIR (n = 32) et groupe QIM (n = 26). Les caractéristiques cliniques et parasitologiques ne différaient pas entre les 2 groupes d'enfants. Quinze enfants avaient un score de coma de Blantyre inférieur ou égal à 3. Les autres (n = 43) avaient une conscience conservée réactive mais présentaient une hypotonie importante et des vomissements répétés rendant impossible la prise orale. Un enfant était aphasique avant l'admission. Dix enfants étaient malnutris (indice poids/taille < - 2 Écarts types). L'évolution a été satisfaisante pour 52 des 58 enfants avec une évolution rapide des symptômes, défervescence de la température en moins de 40 heures et sortie des enfants en moins de trois jours. Dans le groupe QIR aucun enfant n'est décédé. Dans le groupe QIM, 2 enfants (score de coma 0 et 1) sont décédés respectivement au bout de 28 et 36 heures. L'état clinique général de l'enfant aphasique s'était amélioré mais il présentait toujours une aphasie à la sortie. Dans le groupe QIR, l'apparition de diarrhée à H8, 16 et 24 chez 4 enfants a imposé un traitement parentéral chez 2 d'entre eux et par voie orale chez les 2 autres (cependant, leur état clinique s'était déjà amélioré : température inférieure à 38' et conscience normale). La réduction des parasitémies a été rapide dans les deux groupes. Au 7e jour, tous les enfants revus (25/56) avaient une parasitémie nulle (tableau n° 3). III. Discussion Ce travail, faisant suite aux études antérieures, a permis de montrer l'efficacité de l'administration intrarectale de la quinine dans le traitement du paludisme grave de l'enfant en Afrique subsaharienne. La perfusion contrôlée de quinine dans les accès graves constitue la voie de référence, objet d'un certain consensus. Néanmoins, cette technique n'est pas réalisable dans bien des centres de santé en zone tropicale. L'injection IV directe de quinine est particulièrement dangereuse. L'injection IM représentait jusqu'alors la seule alternative, d'autant plus que l'efficacité de cette voie a été confirmée récemment, tant dans les accès palustres simples que graves. Très utilisée, mais souvent dans de mauvaises conditions, l'injection IM de quinine entraîne des effets secondaires importants chez le jeune enfant avec un risque élevé de transmission d'hépatite, VIH, fièvres hémorragiques, tétanos, un risque de paralysies sciatiques ou d'abcès. La quinine intrarectale présente une alternative à l'injection intramusculaire particulièrement intéressante. Indolore et d'utilisation facile, bien tolérée, elle est réalisable par un personnel sans formation spécifique. L'accessibilité au médicament est facile, le matériel nécessaire à son exécution est disponible pratiquement dans les plus petites formations sanitaires : de la quinine, des seringues, de l'eau bouillie. Au cours des neuropaludismes, l'administration triquotidienne par la voie intrarectale a permis un traitement aussi efficace que la perfusion intraveineuse de Quinimax® trois fois par jour. L'évolution des comas a été rapide (moins de deux jours) et similaire dans les 2 groupes de traitement. Au cours des formes graves, nous avons montré l'efficacité d'administration intrarectale biquotidienne avec une dose de charge de 30 mg/kg de sel de quinine. L'évolution des enfants a été aussi favorable, y compris parmi les 7 qui présentaient des neuropaludismes (aucun décès dans ce groupe). La majorité des enfants a récupéré cliniquement en moins de 40 heures, ce qui est conforme aux résultats publiés par ailleurs pour des formes graves avec le traitement IV de référence. La poursuite par un traitement per os et une sortie de l'hôpital étaient envisageables au bout de 48-72 heures. La durée de traitement par la voie intrarectale dépend essentiellement du temps de reprise de la voie orale. Dès que celle-ci est possible, le relais per os doit se faire. Au cours du neuropaludisme, la reprise orale a été possible au bout de 30 heures (8-40 heures), le relais par la quinine orale permet de compléter le traitement de 3 à 7 jours, selon les recommandations en vigueur localement. La survenue d'hypoglycémie au décours du paludisme grave est observée dans 10 à 20 % des cas. Le traitement par la quinine augmente le risque d'hypoglycémie, plus particulièrement chez les enfants initialement hypoglycémiques. Sur le terrain, lorsqu'il n'est pas possible d'administrer une injection intraveineuse de sérum glucosé, nous avons recommandé l'administration préventive, systématique, en sublinguale, de glucosé ou d'une solution de sucre. Les limites à l'utilisation de la QIR sont la présence de diarrhée (beaucoup plus rare dans le paludisme grave que dans les accès simples), de lésions anales préexistantes. La QIR implique la nécessité d'un calcul de dose précis en fonction du poids (commun à toute thérapeutique pédiatrique), la nécessité d'une dilution (la forme très liquide de la solution occasionne des expulsions réflexes) qui justifierait la mise au point d'une préparation galénique mieux adaptée à la voie rectale. Ceci permettrait de mettre, un jour, ce traitement à la disposition de toutes les familles éloignées des centres de santé et/ou la réalisation de kit de traitement du paludisme grave de l'enfant. Le laboratoire Sanofi devait mettre en route, en 1999-2000, le développement d'une forme galénique adaptée de la QIR. IV. Conclusion L'administration intrarectale de la quinine représente un apport important dans la chimiothérapie du paludisme de l'enfant en Afrique, lorsque le traitement per os n'est pas possible ou lorsque les conditions de terrain ne permettent pas un traitement parentéral avec une sécurité suffisante. La QIR limite ainsi le retard du traitement lié à la difficulté de réalisation de perfusion et permet d'obtenir, rapidement, des taux efficaces de quinine en moins de deux heures, aussi rapidement que l'injection intramusculaire, et plus rapidement que la perfusion intraveineuse. En zones isolées, ces résultats permettent de proposer l'administration intrarectale de quinine comme traitement de première intention en cas de manifestations graves du paludisme afin d'éviter une évolution défavorable des signes cliniques et d'envisager une évacuation vers un centre de traitement dans de meilleures conditions. L'efficacité de la quinine intrarectale démontrée à la dose de 50 mg/kg/j de Quinima® permet aussi de la proposer en milieu hospitalier comme un schéma thérapeutique plus facile à réaliser et à surveiller que les perfusions, associé à un traitement préventif systématique des hypoglycémies. En effet, sa simplicité d'utilisation et de surveillance allège notablement la charge du personnel infirmier des services de pédiatrie souvent débordés. Développement et Santé, n° 146, avril 2000