La place des facteurs psychosociaux dans le décès prématuré des patients sous ARV à Yaoundé
I.Présentation du problème
Depuis mai 2003, le projet PARVY (programme d'ARV de Yaoundé) a enregistré une quinzaine de décès parmi les patients suivis et mis sous ARV.
A l'observation, nous avons constaté que la plupart de patients compliants à au moins 90 % voient leur état physique s'améliorer rapidement. Ils arrivent autour du sixième mois du traitement avec une charge virale indéterminée ou presque et un taux de CD4 en nette progression. Certains facteurs sociaux et psychologiques peuvent influencer négativement la compliance aux ARV et hypothéquer ainsi l'issue du traitement. Parmi ces facteurs, nous citerons entre autres la pauvreté, la malnutrition, les comportements à risque favorisant la réinfection,, le non partage de la connaissance du statut sérologique et les difficultés pour appliquer les consignes de suivi médico psychosocial à cause du déni développé par certains patients après la découverte de leur statut sérologique. Cette présentation se propose de rendre compte de notre réflexion sur la place de ces facteurs dans le décès prématuré de nos patients avec un accent particulier sur le facteur silence autour du statut sérologique comme facteur de non compliance et cause du décès.
II. Analyse de la situation
Parmi les patients décédés, la quasi totalité présentait des difficultés psychosociales majeures auxquelles ils étaient confrontés et qui provoquaient une gestion ambivalente du partage de leur séropositivité avec leur entourage familial ou autre. Par peur du rejet, de la stigmatisation et/ou des conséquences de la mauvaise gestion de l'information par les proches, ils souhaitaient tous pouvoir garder le silence et la confidentialité sur leur
statut et gérer seuls les retombées positives ou négatives de la situation. Selon la profondeur de leur adhésion à ce souhait et la capacité personnelle à l'assumer, ces patients ont manifesté différents comportements dont certains sont détaillés plus bas.
Dès l'annonce du résultat et malgré les précautions prises dans le cadre du conseil pré et post test, le patient développe des comportements de déni ; refusant d'accepter ce statut et d'y faire face ; refusant de reconnaître et d'accepter parfois même la réalité de la pandémie VIH.
Après ce déni suit le refus de se soigner et surtout d'en parler autour de soi. Il perd ainsi la chance de bénéficier assez tôt d'un bon suivi médical et psychosocial dans des services spécialisés. Pour cette raison la plupart sont arrivés tard à l'hôpital.
Le patient essaie ensuite de vivre une vie sexuelle avec son ou ses partenaires réguliers et/ou occasionnels sans les informer de son statut, multipliant ainsi les risques de réinfections pour lui-même et d'infection pour les autres. Ce comportement est un grand défi à relever pour les programmes de prévention dans les pays où le mode de transmission sexuelle est le plus courant.
Lorsque le patient commence à présenter diverses maladies à répétition, dans un environnement qui ignore tout des causes profondes de son état morbide, le rejet, ou la marginalisation vont s'exprimer de plusieurs façons insidieuses ou ouvertes selon les cas. De plus, dans le contexte africain en général et camerounais en particulier, une maladie à répétition que l'on soigne et qui persiste va faire penser à une cause non naturelle telle que la sorcellerie et autres pratiques mystico-religieuses souvent mal appréhendées par les non initiés. Il s'en suit dans les familles et l'environnement immédiat du patient, une tendance au rejet du malade que l'on soupçonne d'avoir peut-être trempé dans ces pratiques, à l'abandon du suivi médical au profit du tradipraticien et de l'automédication, avec les risques majeurs d'exposer le patient aux conséquences néfastes des interactions médicamenteuses.
III. Difficultés face au silence dans le suivi psychosocial des PVVIH
D'une manière générale, la non rupture du silence autour du statut sérologique contribue à retarder dramatiquement l'accès aux bienfaits d'un suivi médical précoce et efficace. Le fait d'arriver à l'hôpital tard, avec déjà deux ou trois infections opportunistes que l'on n'a pas pu traiter ailleurs ou que l'on a mal traitées pendant plusieurs mois et parfois avec un taux de CD4 en dessous de 200, est un facteur réduisant les chances des patients. Lorsque le patient est enfin mis sous ARV, le poids du silence qui pèse sur lui et sur sa conscience ainsi que l'ignorance de son statut sérologique par l'entourage vont induire diverses attitudes.
De la part du patient on relèvera
- Le désir de gérer la prise des ARV comme on gèrerait tout autre traitement avec pour conséquence, la difficulté de l'accepter comme un traitement à vie à prendre quotidiennement et à des heures régulières. La difficulté à prendre des médicaments de façon régulière en présence de personnes curieuses de comprendre ce dont on souffre et de se justifier éventuellement de leur compassion. Cette difficulté a provoqué chez de nombreux patients décédés la non prise régulière de leur médicament et parfois certains retards au rendez-vous, en particulier parce qu'il leur a été difficile de trouver un bon mensonge pour justifier la demande de permission d'absence auprès de leur patron. Celui-ci, ignorant tout de l'état de santé de son collaborateur, continue à exiger de lui toute la rigueur au travail et la régularité de service imposées par le contrat de travail qui les lie.
- La difficulté de gérer sa sexualité de façon responsable pour éviter d'infecter son ou ses partenaires et de se réinfecter. En effet comment justifier auprès du ou des partenaires réguliers ou occasionnels, la décision de n'avoir que des relations protégées ou de s'abstenir dorénavant donc de se soumettre à des obligations qui jusque-là n'avaient jamais été une source de difficultés particulières. Il s'en suit, soupçon et suspicion qui empoisonnent l'environnement psychologique et sentimental du patient à un moment où il devrait concentrer ses efforts pour garder un moral haut. Les cas de grossesses non désirées et de réinfections IST que nous avons observés sont les conséquences de cette difficulté, entre autres.
- La difficulté de gérer ses relations avec autrui de façon sereine. Toute attitude de l'autre envers le patient est vécue de façon avilissante. Certains patients dans ces conditions, réagissent avec agressivité, reconnaissant souvent difficilement à leur juste valeur les peines que l'entourage se donne pour eux sans savoir ce dont ils souffrent. Les cas de conflits familiaux et conjugaux les plus ardus que nous avons eu à gérer avec nos patients n'ont finalement pu trouver d'issue qu'à la suite de la rupture du silence sur leur statut sérologique. L'une des conséquences de cette difficulté est la relation conflictuelle avec les soignants ou avec les gardes malades, avec les patrons et bien d'autres encore.
- La part de l'automédication dans la rupture de la compliance aux ARVn'est pas négligeable même si elle reste modeste et non encore expliquée à ce jour.
Concrètement il est possible de rencontrer diverses situations de patients qui s'abstiennent de prendre leurs médicaments et finissent par succomber. Ces patients peuvent présenter plusieurs visages dont nous citerons quelques exemples caractéristiques.
Le patient, qui convaincu de l'incurabilité de cette pandémie, se ferme le coeur et les oreilles à tous les conseils et se laisse aller à la mort tout en faisant croire autour de lui qu'il se bat pour survivre avec son VIH.
Certains patients développent une forte combinaison de culpabilité et d'infériorité qu'ils subliment dans une participation excessive à des campagnes de sensibilisation antisida, des témoignages de vie active avec le VIH dont ils n'appliquent pas les recommandations pour leur propre cas. L'ambivalence de leur comportement fait que l'on se trompe parfois sur leur sincérité et que l'on passe souvent royalement à côté de leur importante souffrance psychologique en le découvrant sous son vrai visage un peu trop tard.
Le patient qui se focalise sur les effets secondaires des ARV à court et/ou à long terme. Il s'appuie sur ces effets pour bâtir ses stratégies de rejet de ce type de traitement.
Le patient qui parallèlement au traitement ARV, reste très attentif à tous les autres types de traitement traditionnel ou religieux, supposés autant ou plus efficaces par la rumeur publique. Ce patient, souvent animé d'un profond sentiment de déni de son statut sérologique va se laisser influencer par des croyances ou des convictions fondées sur les traditions ou la religion. C'est ici que le rôle important joué par des tradipraticiens, ou des gourous de certaines communautés religieuses dites du réveil doit être exploré dans notre effort de soutien à la compliance que nous apportons à nos clients.
Le patient qui après une bonne cure d'ARV, se convint qu'il est guéri et décide d'arrêter son traitement, oubliant tous les conseils relatifs au fait qu'il est nécessaire de prendre ce traitement à vie. En effet, il faut surtout éviter de croire qu'il est facile d'adhérer à la nécessité de continuer à se soigner alors que l'on se sent bien portant et d'assumer en restant compliant à son traitement malgré une charge virale indétectable ou un taux de CD4 élevé.
Ces cas pris au hasard pour étayer notre réflexion ne sont pas dus à l'insuffisance ou à l'absence de l'information mais peut-être à l'insuffisance d'adhésion à ces informations. Convaincus aujourd'hui que le niveau d'adhérence au traitement est proportionnel à l'adhérence aux informations sur VIH/ SIDA/ARV, les précautions prises par notre équipe avant la mise sous ARV (enquête psychosociale de pré inclusion), au moment de la mise sous ARV (entretien au jour 0) et tout au long du traitement (entretien de suivi) sont destinées à mettre en permanence à la disposition des patients les informations utiles pour les aider à garantir une adhésion à leur traitement. La stratégie de suivi au cas par cas, quoique très contraignante pour nos collaborateurs de plus en plus confrontés à l'augmentation de la pression de travail nous semble la plus adaptée à la réalisation de cette préoccupation.
IV. Leçons à tirer de ces observations
La non rupture du silence sur son statut sérologique, est un obstacle majeur à la compliance au traitement ARV. Elle réduit la disponibilité du patient à adhérer aux informations utiles à un changement de comportement nécessaire au renforcement de son adhésion au traitement.
La capacité du PVVIH à collaborer positive ment pour elle-même aux activités de sensibilisation et de prévention du VIH/SIDA est également dépendante du niveau d'acceptation de son statut sérologique.
Toute décision de rompre le silence reste certainement à l'initiative du patient même si nous avons mission de l'y accompagner. Elle peut aboutir soit à un rejet et une stigmatisation, soit à une meilleure prise en charge familiale et sociale du patient. Mais le rejet venant de proches informés du statut sérologique est socialement plus facile à résorber que celui fondé sur une ignorance de ce statut. Dans la plupart des cas, une bonne information sur les modes de transmission du VIH rassure les proches et les encourage à mieux vivre une relation épanouissante pour eux-mêmes et leurs proches.
V. Recommandations
Rompre le silence et vivre mieux et longtemps avec le VIH ! Telle pourrait être la recommandation essentielle à faire à l'issue de cette réflexion.
Aider les PVVIH à rompre le silence et à s'assumer en tant que tel devrait être l'objectif à terme du soutien psychologique et social, en appui indispensable au suivi médical.
Prévenir la transmission du VIH en développant de bonnes stratégies de rupture du silence autour de cette pandémie est une arme de prévention incontournable.
Développement et Santé, n°172, 2004