La médicalisation des mutilations génitales féminines et ses conséquences

Par Morissanda Kouyaté Directeur exécutif du Comité Inter-Africain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants (CI-AF)

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I. Introduction

Les mutilations génitales féminines sont une violation flagrante des droits des femmes et des filles ; quels que soient leurs formes, le lieu où elles sont pratiquées et la personne qui les pratique, elles sont néfastes et doivent buter contre notre volonté commune de les éliminer totalement du monde.

La lutte pour l’élimination des MGF n’est ni africaine, ni européenne, elle est un devoir universel de défense des droits des femmes et des filles.

L’une des caractéristiques fâcheuses de la lutte pour l’élimination des MGF est que la guerre sémantique continue de gaspiller notre temps et nos efforts, et surtout à fissurer notre mouvement. En effet, les termes ‘’mutilations génitales féminines’’, ‘’mutilations sexuelles féminines’’, ‘’female genital cutting’’ qui signifie littéralement ‘’coupures génitales féminines’’ chez certains anglo-saxons, continuent d’opposer des écoles et les acteurs, alors que les vraies victimes ont les vraies dénominations : ‘’Nè korossi’’ ou ‘’Bolo koli’’ qui signifient au Mali ‘’asseoir sous le fer’’, ou ‘’laver les mains’’ ; ‘’Kodjigui’’ signifie en Guinée ‘’aller à la rivière’’ ; en Somalie : Gudniin Fircooni (enlever selon le Pharaon d’Egypte) ; au Soudan : Khifad, Khitan Elbanat (purifier).

Il est aussi grave de réduire les mutilations génitales féminines à leur seul aspect sexuel alors qu’au-delà du sexe, il s’agit de la destruction des organes génitaux externes et souvent internes des filles et des femmes. C’est pourquoi j’aime à répéter que l’on ne peut pas réduire les mutilations génitales féminines à leur seul aspect freudien.

Cette guerre sémantique a semé tellement de confusion que le Comité Inter-Africain m’avait demandé d’écrire un article donnant la position des africains, article que l’on peut retrouver en intégralité sur le lien suivant : http://www.morissanda.com/mgffgm.htm

Le 20 décembre 2012, grâce à une campagne internationale féroce menée par le Comité Inter-Africain et deux de ses partenaires (No Peace without Justice et La Palabre) auprès des chefs d’états africains et des états membres des Nations-Unies, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté, à l’unanimité, la Résolution 67/146 : « Intensification de l'action mondiale visant à éliminer les mutilations génitales féminines » dans laquelle les 193 pays membres des Nations-Unies ont définitivement choisi le terme « mutilations génitales féminines ».’ Pour ceux et celles qui ont pour objectif réel d’éliminer les MGF, le débat sur la terminologie est clos depuis l’adoption de cette résolution.

II. Formes des MGF

Les mutilations génitales féminines sont souvent classées par type en fonction de la forme de ‘’l’opération’’ (1, 2, 3, 4) et/ou de la personne qui l’exécute ,exciseuse ou exciseur, traditionnel(le) ou médicalisé(e). Si ces classifications sont importantes du point de vue scientifique et permettent de mieux organiser la lutte contre les MGF, il faut s’empresser de noter qu’elles ne doivent en rien influencer la tolérance zéro à la pratique. Cette classification montrant certaines formes, plus sévères que d’autres, est souvent la cause du choix fait par certains pays de passer officiellement de l’infibulation à l’excision du clitoris, et d’enregistrer ce ridicule changement comme progrès dans la lutte contre les MGF.

Il est très important de noter que l’extrême gravité de la pratique des MGF réside dans la double violation de l’intégrité physique et des droits des femmes et des filles.

III. Médicalisation des mutilations génitales féminines

On appelle mutilation génitale féminine médicalisée toute mutilation effectuée par un agent de santé dans ou hors d’un centre de santé ou par un "non-agent" de santé dans une structure de santé.

La médicalisation des MGF est une conséquence perverse de la lutte des premières heures qui était entièrement axée sur les aspects médicaux et sanitaires de la pratique. En effet, les arguments utilisés au départ, dans les années 1970-1980, soutenaient que les MGF étaient pratiquées dans des conditions septiques, sans anesthésie, avec des conséquences médico-sanitaires graves telles que les infections, le choc hémorragique, la septicémie, l’infertilité, etc.)

Si la porte d’entrée médico-sanitaire permettait de captiver rapidement et efficacement l’attention des populations, la description scientifique était si belle qu’elle aboutissait à la conclusion indirecte suivante : Pourquoi pas à l’hôpital, pour limiter les dégâts ?

La réaction des populations à ces arguments fut immédiate : « Effectuer les MGF dans de ‘’bonnes conditions’’ médico-sanitaires, c'est-à-dire à l’hôpital et de surcroît par un agent de santé ».

Il faut ajouter à cela le fait que les agents de santé (sages-femmes, infirmières, matrones…) sont rémunérés pour exécuter l’excision.

Devant l’immense difficulté de faire changer les comportements face aux MGF, les activistes ont aussi adopté une stratégie dite ‘’faire semblant’’. Elle consistait à collaborer avec les agents de santé qui acceptaient de recevoir les filles à exciser et à faire semblant d’exécuter ‘’l’opération’’ alors que le clitoris de la fille n’aurait été que légèrement pincé.

La synergie de ces différentes considérations a conduit à créer un phénomène gravissime dans la problématique des mutilations génitales féminines : la médicalisation.

Il est regrettable de constater que, pendant que des exciseuses traditionnelles déposent leurs couteaux, des agents de santé prennent la relève. Au plus fort de notre combat contre la médicalisation, nous avons été confrontés à ce que l’on appelle ‘’l’exciseuse fantôme’’. Alors que l’exciseuse traditionnelle, mythiquement habillée et fière de ses pouvoirs surnaturels, esquisse publiquement des pas de danse devant la file des excisées, la praticienne médicale boude la foule et les festivités car elle est convaincue d’avoir agi contre la déontologie médicale et contre sa mission première : sauver et protéger des vies.

C’est pourquoi le Comité Inter-Africain a développé une stratégie spécifique de lutte contre la médicalisation.

IV. Comment lutter contre la médicalisation des MGF ?

Il est important de noter que si la sensibilisation des populations et des exciseuses traditionnelles requiert du temps, celle des agents de santé devrait être plus facile, étant donné leur mission et leur niveau d’éducation. À ce titre, la lutte contre la médicalisation doit être menée comme suit :

  • L’application stricte des règles de déontologie médicale dans toutes les structures de santé et par conséquent, une interdiction totale de la pratique des MGF par les agents de santé et dans les centres de santé, par des non-agents de la santé. Les ministères de la santé, les ordres des médecins, doivent prendre des actes administratifs tels que le retrait ou la suspension de diplômes ou d’agréments de ceux ou celles qui pratiquent les MGF médicalisées.
  • L’application intégrale de la loi anti-MGF dans les pays où elle existe et, comme le CI-AF le propose, la sévérité des sanctions judiciaires à l’encontre des agents de santé coupables.
  • La poursuite de l’information et de la sensibilisation du personnel de santé et son implication dans la campagne anti-MGF. En effet, l’expérience du terrain montre, très souvent, que l’évidence des connaissances des agents de santé sur les mutilations génitales féminines est fausse ou surévaluée. Il nous est arrivé de rencontrer des agents de santé qui faisaient plus confiance aux paroles de faux marabouts dans ce domaine qu’à leurs livres d’anatomo-pathologie.

C’est pour cette raison que le Comité Inter-Africain a créé le réseau africain des professionnels de la santé contre les mutilations génitales féminines, à l’instar des réseaux des leaders religieux, des médias, des jeunes et des communicateurs traditionnels.

V. La réparation chirurgicale des dommages causés par les MGF/

la reconstruction/l’anti-médicalisation des MGF

La réparation chirurgicale des dommages causés par les mutilations génitales féminines, ou la reconstruction anatomique, a redonné l’espoir à des milliers de femmes victimes et d’activistes ; elle doit être soutenue et encouragée. Des témoignages éloquents et souvent poignants de femmes ayant bénéficié de cette reconstruction corroborent ce choix.

Il faut cependant éviter de tomber dans le piège de la perversité des conséquences car, en sachant que ce service existe, il est possible d’entendre : « Coupons le clitoris pour respecter notre tradition, ils vont réparer après. »

Conclusion

Les mutilations génitales féminines sont à éliminer totalement dans le monde et sous toutes leurs formes, car elles sont une violation inacceptable des droits des femmes et des filles. Avec l’adoption de la Résolution 67/146 de l'Assemblée Générale des Nations-Unies : « Intensification de l'action mondiale visant à éliminer les mutilations génitales féminines », les instruments au triple niveau national, régional et international, sont désormais réunis. Il faut agir !