La maladie ulcéreuse gastro-duodénale

Par Lotfi Fandi Médecin, hôpital de Provins, France.

Publié le

La maladie ulcéreuse gastro-duodénale est une affection universelle, sa prévalence est estimée à 10 % de la population adulte dans le monde. Elle englobe en fait deux entités :

  • L'ulcère gastro-duodénal chronique caractérisé par son profil évolutif marqué par des rechutes fréquentes et son histologie, appelé encore maladie de Cruveilhier et associé dans la grande majorité des cas à une infection par Helicobacter pylori (Hp).
  • L'ulcère gastrique ou duodénal aigu lié à la prise de médicaments gastrotoxiques.

L'ulcère duodénal est plus fréquent que l'ulcère gastrique.
La maladie ulcéreuse est plus fréquente chez l'homme que chez la femme avec un ratio de 4/1 pour l'ulcère duodénal et 2/1 pour l'ulcère gastrique.
L'ulcère gastrique justifie une surveillance histo-endoscopique stricte.
L'ulcère duodénal ne justifie pas de surveillance histo-endoscopique particulière.

Les indications chirurgicales ont fortement diminué avec l'arrivée des antisécrétoires puissants.

Les symptômes de la maladie ulcéreuse gastro-duodénale ainsi que les complications qui font la gravité de la maladie sont toujours les mêmes.

I. Anatomie-pathologie

L'ulcère chronique se distingue de l'ulcère aigu.

1. Macroscopie

L'ulcère chronique correspond à une perte de substance de taille variable de forme arrondie ou ovalaire, avec un fond recouvert d'une fausse membrane jaunâtre. Dans l'estomac, il siège le long de la petite courbure dans 90 % des cas et dans l'antre dans 60 %. Dans le duodénum, il est pratiquement toujours dans le bulbe. Il est le plus souvent unique.

Dans l'ulcère alqu secondaire aux anti-inflammatoires et salicylés, les lésions sont souvent multiples.

2. Microscopie

L'ulcère chronique est une perte de substance détruisant la muqueuse, la sous-muqueuse jusqu'à la musculeuse, le fond de l'ulcère est occupé de tissu conjonctif avec un infiltrat inflammatoire présentant des capillaires dilatés ; après plusieurs poussées, un processus de sclérose tend à gagner vers la profondeur atteignant la séreuse.

La perte de substance dans l'ulcère aigu peut se limiter à la muqueuse et la sous-muqueuse, mais peut traverser la musculeuse et perforer la séreuse. Il n'y a pas de fibrose.

II. Facteurs étiologiques

1. Facteurs génétiques

Les données concernent surtout l'ulcère duodénal. Il est trois fois plus fréquent chez les descendants de premier degré des patients ayant un ulcère duodénal. Les patients ayant des ulcères duodénaux sont plus fréquemment de groupe sanguin O.

2. Tabagisme

Le tabagisme est associé à une augmentation de la fréquence d'ulcère duodénal et à une réponse diminuée au traitement.

3. Anxiété chronique et stress

Ils peuvent jouer un rôle dans l'exacerbation de l'activité d'un ulcère.

4. Helicobacter pylori (Hp)

Bacille spiralé Gram négatif multiflagelle avec une affinité pour un environnement micro-aérophile ; le germe n'envahit pas les tissus, il réside dans le gel muqueux enrobant les cellules épithéliales.

La colonisation duodénale par Helicobacter pylori est limitée aux régions de métaplasie gastrique. C'est un facteur important dans la pathogénie ulcéreuse. Cette bactérie est retrouvée dans 90 % des ulcères duodénaux au niveau de la muqueuse antrale et dans 70 % des ulcères gastriques. Il est démontré que son éradication entraîne la cicatrisation durable de l'ulcère duodénal et gastrique. Cela peut correspondre à un simple facteur permissif puisque la bactérie est fréquemment retrouvée dans des populations présentant une pathologie gastrique non ulcéreuse.

La vie en collectivité constitue le facteur de risque de transmission le plus important. L'infection se transmet de proche en proche au sein de petits foyers endémiques. Des cas de transmission professionnelle ont été rapportés (endoscopistes). Le mécanisme de transmission d'Helicobacter pylori reste mal connu. Le modèle le plus cohérent est celui d'une transmission inter-humaine directe principalement acquise pendant l'enfance, le passage de bactéries se faisant directement à partir de la salive, du liquide gastrique ou des selles.

5. Médicaments

La consommation d'aspirine entraîne un risque accru d'ulcère gastrique ; l'aspirine et les anti-inflammatoires sont sources de complications ulcéreuses.

III. Physiopathologie

Le vieil adage " pas d'acide, pas d'ulcère" reste vrai mais insuffisant pour expliquer à lui seul le mécanisme de l'ulcérogenèse.

Il y a conjoncture entre une défaillance des mécanismes de défense de la muqueuse (gel de mucus, barrière mucus-bicarbonates; diminution de la sécrétion épithéliale de bicarbonates ; modification du revêtement épithélial de surface ; diminution du flux sanguin muqueux) et les facteurs d'agression de la muqueuse (sécrétion chlorhydro-peptique ; Helicobacter pylori...).

IV. Étude clinique

Le symptôme essentiel de l'ulcère gastro-duodénal est la douleur classiquement de siège épigastrique sans irradiation, à type de crampe, de torsion survenant une ou plusieurs heures après le repas, calmée par l'ingestion d'aliments.

La douleur évolue par poussée de une à plusieurs semaines ; entre chaque poussée, le malade est asymptomatique.

L'intensité de la douleur est variable mais toujours identique chez le même malade.

Moins souvent, la douleur est atypique, sus-ombilicale ou dans les hypocondres, ressentie comme une gêne, une faim douloureuse, une sensation de brûlures avec un rythme et une périodicité moins nets.

Enfin la poussée ulcéreuse est parfois muette cliniquement, la maladie n'étant découverte qu'au cours d'un examen endoscopique systématique ou à l'occasion d'une complication inaugurale.

L'état général est le plus souvent conservé, parfois un amaigrissement est retrouvé lors des poussées douloureuses.

V. Éléments de diagnostic

1. La fibroscopie oeso-gastro-duodénale

En l'absence de contre-indications, c'est l'examen de référence ; elle est effectuée chez un patient à jeun, elle explore l'ensemble de l'estomac en insistant sur la petite courbure angulaire et la région sous-cardiale et la totalité du duodénum ; elle visualise l'ulcère et permet la réalisation de biopsies.

2. Le transit oeso-gastroduodénal

Il est encore utile en préopératoire en cas de suspicion d'ulcère perforé bouché afin de préciser la localisation exacte.

VI. Complications

L'incidence globale des complications est estimée à 3 à 5 % par an.

Elles comprennent l'hémorragie digestive, la perforation et la sténose pyloro-duodénale.

1. Hémorragie digestive

Il s'agit de la complication la plus fréquente avec une incidence de 2 % par an.

L'hémorragie relève de deux mécanismes :

  • L'hémorragie au niveau d'une gastrite ou d'une duodénite avec érosion des capillaires; dans ce cas elle est rarement grave.
  • L'hémorragie par ulcère profond érodant un vaisseau de plus gros calibre ; les vaisseaux les plus exposés sont l'artère gastro-duodénale à la face postérieuse du bul6e duodénal, les branches de l'artère coronaire stomachique au niveau de la petite courbure verticale ; dans ce cas il s'agit d'une hémorragie grave récidivante mettant en danger la vie du patient.

La survenue d'une hémorragie doit faire hospitaliser le patient en milieu spécialisé ; après rétablissement de l'hémodynamique, une endoscopie doit être réalisée précocement. Elle permet le diagnostic d'ulcère hémorragique dans 80 à 90 % des cas, la classification de Forrest est utilisée pour apprécier le risque de récidive :

I : Saignement lors de l'endoscopie : risque de récidive maximum.

IIA et IIB : Vaisseau visible sectionné ou caillot adhérent ne partant pas au lavage.

IIC : Tache noire au fond de l'ulcère.

III. : Pas de stigmate d'hémorragie.

Les stades Il C et III ont un risque faible de récidive.

2. Perforation

Deuxième complication en fréquence de la maladie ulcéreuse gastro-duodénale ; elle révèle la maladie ulcéreuse dans 1/4 des cas; sa prévalence est estimée à 1 à 2 %. La prépondérance masculine est nette. L'ulcère gastrique est en cause dans 25 à 30 % des cas.

Le tableau le plus fréquent est celui de la perforation en péritoine libre avec survenue brutale de douleur en coup de poignard suivie de malaise général et de vomissements. Cette douleur s'étend à tout l'abdomen et s'accompagne rapidement de fièvre. L'examen clinique met en évidence une défense épigastrique puis généralisée à tout l'abdomen, voire un état de choc dans les cas évolués.

Le diagnostic, généralement facile cliniquement, est confirmé par la présence d'un pneumopéritoine (figure n° 1) à la radiographie de l'abdomen sans préparation en station debout. Le tableau peut être trompeur chez les sujets âgés ou lorsqu'il y a perforation en péritoine cloisonné ou dans un organe de voisinage (perforation bouchée).

3. Sténose pyloro-duodénale

Dans la majorité des ca, il s'agit d'un ulcère duodénal. La prévalence se situe entre 1 et 2 % au cours de la maladie ulcéreuse ; le plus souvent, l'histoire de la maladie ulcéreuse a débuté 10 à 15 ans auparavant.

Les manifestations associent des vomissements post-prandiaux tardifs et des douleurs épigastriques ; l'examen peut mettre en évidence un amaigrissement et en cas de vomissements abondants une déshydratation, un clapotis épigastrique. Après évacuation de l'estomac par aspiration, l'endoscopie confirme le diagnostic et élimine un cancer de l'antre pouvant donner le même tableau clinique.

VII. Prise en charge thérapeutique

1. Moyens médicaux

a. Conseils hygiéno-diététiques

La consommation de cigarettes doit être réduite, arrêtée ; la suppression des aliments épicés, des alcools, des repas trop riches en graisses, bien que n'ayant pas d'effet démontré sur la vitesse de cicatrisation, aide au soulagement des douleurs ; les traitements gastro-toxiques (aspirine et anti-inflammatoire non stéroïdien) sont contre-indiqués sauf indication formelle.

b. Traitement médicamenteux

Les médicaments anti-ulcéreux sont classés en 2 classes pharmacologiques : les antisécrétoires (les anti-H2, les inhibiteurs de la pompe à protons), et les protecteurs de la muqueuse (sucralfate, prostaglandines et antiacides).

Les antisécrétoires

A - Antagonistes des récepteurs H2 à l'histamine :

Ils inhibent la sécrétion acide en bloquant de façon sélective les récepteurs H2 de l'histamine des cellules pariétales de la muqueuse gastrique : cimétidine 800 mg/j ; ranitidine 300 mg/j ; famotidine 40 mg/j ; nizatidine 300 mg/j .

B - Inhibiteurs de la pompe à protons

Les inhibiteurs de la pompe à protons bloquent l'activité de l'enzyme H+-K+-ATPase ultime maillon du processus sécrétoire de l'acide chlorhydrique qui permet la sécrétion d'ions H+ du milieu intracellulaire vers la lumière gastrique oméprazole 20 mg/j ; lanzoprazole 30 mg/j ; pantoprazole 40 mg/j.

Les protecteurs de la muqueuse

A - Prostaglandines

Aux doses utilisées en thérapeutique elles ont également un effet antisécrétoire : misoprostol 800 mg/j . Il inhibe la sécrétion acide par un effet direct sur la cellule pariétale, il a à la fois des effets antisécrétoires et cyto-protecteurs. Ils sont contre-indiqués chez la femme enceinte.

B - Sucralfate 4 g/j.

C - Les anti-acides ne sont utilisés que comme traitement d'appoint car s'ils soulagent la douleur, ils n'accélèrent pas la cicatrisation: sels d'aluminium et de magnésium.

Modalités du traitement

En absence d'infection par Helicobacter pylori ; le traitement anti-ulcéreux repose soit sur les anti-H2, (cimétidine 800 mg/j, ranitidine 300 mg/j, famotidine 40 mg/j, nizatidine 300 mg/j), soit sur les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole 20 mg/j, lanzoprazole 30 mg/j, pantoprazole 40 mg/j).

La durée du traitement est de 4 à 6 semaines. En cas de rechutes fréquentes, un traitement d'entretien continu à demi-dose est indiqué.

L'association de 2 anti-ulcéreux, même à 2 classes pharmacologiques différentes, n'a pas prouvé son intérêt.

c. Traitement d'éradication d'Helicobacter pylori (Hp)

Faut-il rechercher l'Helicobacter pylori avant d'instituer un traitement d'éradication ?

La réponse à cette question dépend de la prévalence de l'infection à Hp. La prévalence retenue est de plus de 90 % pour l'ulcère duodénal et de 70 % pour l'ulcère gastrique. En l'absence de fibroscopie, il n'y a pas de signe clinique permettant d'affirmer la maladie ulcéreuse et donc pas d'indication à un traitement à l'aveugle. En présence d'un ulcère, un traitement est préconisé par certains.

Intérêts et résultats de l'éradication de l'Hp

L'éradication permet une cicatrisation accélérée de l'ulcère, un raccourcissement de la durée du traitement d'attaque, la prévention des récidives ulcéreuses ou hémorragiques. L'éradication réduit les risques de récidive à long terme des ulcères duodénaux de 70 à 5 % et des ulcères gastriques de 60 à 5 %. Les réinfections sont rares : < à 2 % après trithérapie d'éradication. La réduction du coût de la maladie est importante.

Le traitement repose actuellement sur une trithérapie de 7 jours

Le traitement d'éradication en cas d'association d'une infection à Hp à des lésions ulcéreuses justifie le recours à 2 antibiotiques et un inhibiteur de la pompe à proton donné à double dose (oméprazole 40 mg par jour) ; pour une durée d'une semaine. Lorsque le choix de l'antisécrétoire porte sur un anti-H2 (ranitidine 300 mg deux fois par jour par exemple) la durée du traitement d'éradication est prolongée à 2 semaines. Le choix porte sur les antibiotiques suivants : amoxicilline 1 000 mg deux fois par jour, métronidazole 500 mg deux fois, par jour ; clarithromycine 500 mg deux fois par jour. En cas d'allergie à la pénicilline on remplace l'amoxicilline, par le métronidazole.

Ce traitement d'éradication est suivi d'un traitement antisécrétoire de 3 semaines dans le cas d'un ulcère duodénal, et de 5 semaines dans le cas d'un ulcère gastrique. En l'absence de facteurs de risque associés (prise de médicaments gastro-toxiques) la tendance actuelle est de ne traiter l'ulcère duodénal que pendant 1 semaine, durée de la trithérapie d'éradication. Le contrôle endoscopique dans l'ulcère gastrique avec biopsies est obligatoire.

2. Traitement chirurgical

Les indications opératoires ont fortement diminué depuis l'avènement des antisécrétoires. Il est actuellement réservé aux formes compliquées.

Pour l'ulcère gastrique, le traitement repose sur la gastrectomie des deux tiers enlevant l'ulcère avec un rétablissement de la continuité gastro-duodénale termino-terminale (intervention de Pean) ou gastro-jéjunale (intervention de Finsterer) (figure n°2). Le traitement de l'ulcère duodénal repose le plus souvent sur la vagotomie-antrectomie (figure n°3).

3. Traitement des complications

a. Hémorragie digestive

La majorité des hémorragies s'arrêtent spontanément ; le traitement endoscopique doit être tenté en cas de saignement actif ou de vaisseau visible le plus souvent avec injection d'adrénaline diluée au 1/10 000 dans l'ulcère ; le traitement antisécrétoire doit être débuté par voie intraveineuse. Le traitement ultérieur dépend du statut Helicobacter pylori, l'éradication de la bactérie en cas d'infection permet d'éviter les récidives hémorragiques.

b. Perforation

Le traitement par la méthode de Taylor peut être tenté en cas de perforation vue précocement à distance d'un repas: il associe une diète avec aspiration digestive à un traitement antisécrétoire par voie intraveineuse et à un traitement antibiotique avec une surveillance stricte clinique toutes les 4 heures en quête de la moindre aggravation. Le traitement chirurgical est de mise dans les autres cas, il associe une toilette péritonéale à une suture de l'ulcère et éventuellement un traitement de la maladie ulcéreuse (figure n°4).

c. Sténose pyloro-duodénale

La sténose peut être réversible lorsqu'elle est secondaire à l'oedème péri-ulcéreux ou irréversible en cas de sténose fibreuse. Le traitement médical par aspiration et antisécrétoires est suffisant dans le premier cas ; le traitement chirurgical est indiqué dans la sténose fibreuse (antrectomie-vagotomie ou gastrectomie des 2/3).

VIII. Diagnostic de l'infection à Helicobacter pylori

On dispose de nombreuses méthodes diagnostiques parmi lesquelles :

1. Test à l'uréase

L'uréase de la bactérie transforme l'urée en ammoniac et CO2, l'ammoniac fait virer un indicateur coloré sensible au pH (du jaune au rouge) ; on dépose en pratique 1 ou 2 biopsies antrales de la région angulaire dans un gel coloré en jaune. Le délai de virement varie de quelques minutes à un maximum de 3 heures en cas d'infection antrale à Helicobacter pylori. La sensibilité et la spécificité sont de l'ordre de 90 %.C'est un examen rapide et peu coûteux.

2. Sérologie

Cet examen plus coûteux que le test à 1'uréase consiste à rechercher par méthode ELISA des IgG anti-Helicobacter pylori. La sensibilité et spécificité sont bonnes, et cet examen est très utile pour les études épidémiologiques.

Développement et Santé, n° 147, juin 2000