L'ulcère de jambe : la conduite de l'infirmier au dispensaire

Par jean-Nicolas Gbegjanhoungbo Infirmier, Centre de santé de Gbahouete, Bénin

Publié le

L'ulcère de jambe est une pathologie fréquente dans nos villages d'Afrique, à cause de la consultation trop tardive après les petites blessures lors des travaux champêtres.
L'infirmier étant le premier contact avec le malade, il doit connaître les conduites diagnostique et thérapeutique à tenir en vue d'un bon traitement, ou pour éventuellement décider l'évacuation précoce vers un centre mieux équipé.

I. Définition et causes

1. Définition

L'ulcère de jambe est défini comme une perte de substance cutanée siégeant sur la jambe, mais débutant souvent au pied.

2. Causes

a. Les facteurs favorisants

Ecologiques

Ce sont essentiellement la chaleur et l'humidité qui favorisent les infections mycosiques cutanées et la surinfection des dermatoses suintantes et prurigineuses.

Socio-économiques

On peut citer :

  • la malnutrition,
  • les avitaminoses, qui entraînent des anomalies cutanées et qui retardent la guérison,
  • la promiscuité,
  • le manque d'hygiène,
  • les scarifications rituelles et thérapeutiques.

b. Les causes proprement dites

Quatre principales causes sont à l'origine de l'ulcère de jambe :

  • vasculaires : insuffisance veineuse et artérielle : on parle d'ulcère trophique,

  • bactérienne : de loin la plus fréquente. Les principaux germes rencontrés sont le streptocoque, les colibacilles, et plus rarement Treponema pertenue en zone endémique. Ici, l'ulcère tropical "en cupule"" est évocateur,

  • parasitaire : leishmaniose,

  • métabolique surajoutée parfois : diabète.

En absence de causes évidentes, on parle d'ulcère phagédénique. L'évolution est alors extensive et chronique.

II. Description clinique (quand la cause est bactérienne)

L'ulcère siège habituellement au tiers inférieur de la jambe et au pied.

Le contexte clinique est celui d'un oedème du membre inférieur, unilatéral. Il s'agit d'un oedème géant, intéressant le pied et la jambe, dur, ne prenant pas le godet.

  • C'est dans ce contexte que survient la perte de substance. L'épiderme se détache, mettant à nu les tissus nécrosés, blanc-sales, parfois jaunes, rarement noirs. Un suintement abondant de liquide séreux, parfois purulent, existe. Mais une évacuation de ce liquide séreux est impossible du fait de l'absence d'une collection circonscrite, le liquide étant diffus dans les tissus.

  • La fièvre est modérée : 38-38,5°C, parfois absente.

  • La porte d'entrée du germe (une plaie) est souvent connue du malade mais parfois non évidente.

Cet aspect clinique peut faire défaut, et l'ulcère survient sans même un oedème du membre.

III. Les formes cliniques

1. L'ulcère de jambe sur un terrain drépanocytaire

Il est peu fréquent et difficile à différencier des autres ulcères tropicaux.

2. L'ulcère de Buruli

Les bords sont irréguliers, décollés du plan musculo-aponévrotique par suite de la nécrose cellulo-adipeuse de l'hypoderme, creusés en profondeur avec une destruction des tissus sous-cutanés bien au-delà de ces bords.

3. L'ulcère du diabétique

Il est de survenue banale, capricieux,sa cicatrisation est fonction de l'équilibration du diabète. Il faut donc y penser devant un ulcère insensible au traitement et demander une glycémie à jeun.

IV. Diagnostic différentiel

Face à une perte de substance cutanée sur un membre oedématié, l'infirmier doit penser à certaines maladies telles que :

  • la filaire de Médine : en zone endémique,
  • la gangrène gazeuse : en présence de crépitations neigeuses (bien que ce terme puisse étonner en pays tropical) à la palpation et d'une mauvaise odeur, parfois nauséabonde.

V. Traitement

Bain quotidien pendant quinze minutes au moins avec du cétrimide ou avec de l'eau permanganatée (1 comprimé de 1 g de permanganate pour 10 litres d'eau) pour ramollir les lésions.

Excision des tissus nécrosés : à faire avec douceur afin que le malade ait moins mal.
Attention au saignement qu'il faut éviter à tout prix, car, dans ce cas, difficilement maîtrisable

Pansement humide quotidien au Dakin.

Repos strict au lit, au domicile, jambe surélevée, surtout en cas d'insuffisance veineuse.

Antalgique pour soulager le malade: paracétamol, novalgine... en comprimés. Eviter l'acide acétyl-salicilique qui peut faciliter le saignement.

Antibiothérapie per os

  • Amoxicilline :
    • adulte 2 g/jour en deux prises pendant 7 à 10 jours,
    • enfant 50 à 100 mg/kg/jour en trois prises pendant 7 à 10 jours,
      ou
    • Pénicilline V :
      • adulte : 2,4 millions UI/jour en trois prises pendant 7 à 10 jours,
      • enfant : 100 000 Ul/kg/jour en trois prises pendant 7 à 10 jours.

Si ce traitement est inefficace :

  • Érythromycine per os : 50 mg/kg/jour en trois prises pendant 7 à 10 jours.

Prévention antitétanique : SAT (sérum antitétanique), VAT (vaccin antitétanique) en absence de vaccination.

VI. Indications thérapeutiques

Ulcère débutant ou peu large : traitement au dispensaire.

Ulcère géant, invétéré, intéressant une grande surface cutanée : évacuation sur un centre mieux équipé.

Ulcère de Buruli : évacuation sur un centre chirurgical mieux équipé. Rappelons qu'il faut attaquer une excision large dans les tissus.

Gangrène gazeuse : évacuation rapide sur centre équipé.

Filaire de Médine : traitement au dispensaire et conseils sur la désinfection de l'eau de consommation.

Conclusion

L'ulcère de jambe a une forte propension à l'extension rapide. L'infirmier ne doit donc pas s'acharner à traiter au dispensaire un ulcère pendant plus de dix jours sans amélioration.

Dans le cas contraire, l'extension s'estompe sous traitement, la plaie devient propre, l'oedème régresse et la cicatrisation s'amorce. Il importe donc que l'infirmier sache reconnaître l'ulcère afin de mettre très tôt un traitement adéquat et énergique, et évacuer à temps une gangrène ou un ulcère de Buruli pour éviter au malade une amputation de jambe très difficile à supporter.

Développement et Santé, n° 134, avril 1998