L'observance, un enjeu majeur du traitement des maladies chroniques
1. Définition de l'observance
L'observance a d'abord eu un sens religieux "pratique d'une règle en matière religieuse" (Dictionnaire Le Littré).
De façon plus générale, l'observance a été définie comme "le degré de concordance entre les recommandations du médecin et les comportements des malades" ou "l'adéquation des pratiques de prise de traitement aux indications médicales".
L'observance comporte trois composantes :
l'observance médicamenteuse : c'est bien sûr la plus importante. En plus du nombre de prises, il faut penser à évaluer le respect des doses, des horaires, des recommandations diverses (avant ou après les repas par exemple), les interactions médicamenteuses ;
l'observance des règles hygiéno-diététiques, c'est-à-dire les régimes, l'arrêt du tabac par exemple ;
l'observance du suivi médical, c'est-à-dire le respect du rythme des consultations ou des bilans.
Il. Comment évaluer l'observance ?
L'observance est un phénomène difficilement mesurable pour lequel on dispose d'indicateurs divers dont aucun n'est indiscutable.
Les différentes méthodes de mesure de l'observance utilisées sont les suivantes :
- dosage de médicaments,
- marqueur biologique,
- observation directe du patient,
- entretien,
- carnet,
- auto-questionnaire,
- dénombrement,
- registre de délivrance manuel ou électronique,
- pilulier électronique.
Il n'existe donc pas de méthode standard pour l'évaluation de l'observance.
En fait, la technique la plus simple est souvent la plus efficace. Il se dessine actuellement un consensus pour évaluer simplement l'observance médicamenteuse : il suffirait de demander au patient combien de fois il a oublié une prise de médicaments dans les sept derniers jours. Il faut ensuite noter sa réponse dans son dossier, comme on le fait pour l'évaluation de la douleur. D'ailleurs, des échelles visuelles analogiques du même type que celles qui existent pour la douleur sont actuellement testées afin d'évaluer l'évolution du niveau d'observance chez un patient donné.
III. Les déterminants de l'observance
De nombreux travaux ont tenté de définir les facteurs explicatifs d'une bonne observance dans le but de proposer une approche prédictive et des actions d'amélioration. Ces facteurs sont nombreux et complexes. Ils appartiennent néanmoins à trois grandes catégories :
les facteurs liés au traitement, bien que la complexité en soi d'un traitement ne soit pas le facteur majeur d'une mauvaise observance. Cependant la diminution du nombre de prises et des effets secondaires ne peut que favoriser une bonne observance. Le coût des traitements et la qualité de la prise en charge sociale sont bien entendu des facteurs très importants d'une bonne observance ;
les facteurs liés au médecin prescripteur l'adhésion aux traitements qu'il propose, la qualité de la relation médecin-malade. La place du médecin dans l'observance a longtemps été négligée, la plupart des études privilégiant plutôt le rôle du patient. Il faut donc insister sur l'importance de l'écoute et du dialogue entre le médecin et le patient ;
les facteurs liés au patient sont de différentes natures : facteurs socio-économiques, facteurs psychologiques, le système de représentations et de croyance auquel il adhère, le soutien relationnel et son environnement social et affectif, les conduites addictives, les co-morbidités.
De nombreuses enquêtes soulignent l'importance des perceptions qu'ont les personnes de leur traitement, mais aussi de la façon dont elles évaluent leur propre vie et se projettent dans l'avenir. Une bonne insertion sociale et une réponse correcte aux problèmes de logement, de revenus et d'alimentation favorisent une bonne observance. Lorsque les difficultés quotidiennes sont trop importantes, elles dominent tout le reste. La maîtrise des choix du traitement par les patients favorise également une bonne observance. L'information du patient est donc prépondérante afin qu'il n'ait pas l'impression de subir une décision qui le dépasse.
Pour prendre correctement son traitement il faut :
- savoir (pourquoi le prendre, son mode d'action),
- pouvoir (qu'il soit accessible sur le plan financier, simple à prendre, avec des effets indésirables acceptables),
- vouloir (c'est le patient qui, en dernier recours, décide de prendre son traitement quand il a pris conscience des bénéfices qu'il pouvait en tirer).
IV. Exemples
1. L'observance des traitements anti-rétroviraux
La prise en charge thérapeutique de l'infection à VIH a été marquée par un certain nombre de traits spécifiques : le profil des malades, l'angoisse véhiculée par cette maladie, les procédures dérogatoires de mise à disposition des médicaments, les contraintes de prise de ces médicaments, des effets secondaires nombreux, la participation des patients aux modalités de leurs traitements, les risques de discrimination.
Les cliniciens s'inquiètent de plus en plus de l'augmentation du nombre de souches virales résistantes aux anti-rétroviraux. La cohorte américaine de 2000 patients, pilotée par la Rand Corporation de Santa Monica et l'université de San Diego, comprend 63 % de patients ayant une charge virale délectable (parmi eux, 78% ont une souche virale résistante à au moins un médicament). Cette situation est mise sur le compte d'un non respect des prescriptions.
L'observance aux traitements anti-rétroviraux est un déterminant crucial du succès thérapeutique. La plupart des études ont démontré l'étroite corrélation entre l'observance et la charge virale, le nombre de lymphocytes CD4 et le taux de mortalité des patients VIH/SIDA. Pour maintenir une suppression virologique, le niveau d'observance requis doit être supérieur ou égal à 95 %. Néanmoins, la plupart des études montrent que 40 % à 60 % des patients ont un niveau d'observance inférieur à 90 %.
2. La tuberculose
La stratégie recommandée par l'OMS pour le dépistage et la guérison de la tuberculose est la stratégie DOTS (Directly Observed Treatment Short-Course) ou, en français, "Traitement de brève durée sous surveillance directe". Cette stratégie associe cinq éléments : l'engagement politique, le dépistage des cas par examen microscopique des frottis de crachats, la fourniture de médicaments, l'existence de systèmes de surveillance et de suivi, et la surveillance directe du traitement.
Une fois que les cas infectieux à frottis positif ont été dépistés au microscope, les agents de santé ainsi que les agents communautaires et les bénévoles ayant reçu une formation adéquate surveillent directement et s'assurent qui les malades prennent la dose voulue de médicaments antituberculeux pendant 6 à 8 mois. Après deux mois, on procède à un nouvel examen de frottis pour vérifier les progrès obtenus, et l'opération est répétée à la fin du traitement. Un système d'enregistrement et d, notification permet de suivre les progrès des malades ainsi que le résultat final du traitement.
Selon l'OMS, le DOTS est la stratégie la plus efficace actuellement disponible pour endiguer une épidémie de tuberculose :
- La stratégie DOTS donne des taux de guéri son allant jusqu'à 95 %, même dans les pays les plus pauvres.
- Elle permet d'éviter les nouvelles infections en guérissant les cas infectieux.
- Elle empêche l'apparition d'une tuberculose résistante à un ou plusieurs médicaments en veillant à ce que le traitement soit suivi jus qu'au bout.
- Les médicaments nécessaires pour un traitement DOTS de six mois coûtent 11 dollars US par patient dans certaines parties du monde.
La Banque mondiale considère la stratégie DOTS comme l'une des interventions sanitaires les plus rentables.
V. Existe-t-il des difficultés spécifiques en Afrique ?
Une étude faite par l'initiative Sénégalaise, d'accès aux ARV (ISAARV) a mis en lumière un certain nombre de données intéressantes Il n'y a pas de différences notables entre les patients du Sud et du Nord en ce qui concerne les difficultés liées aux effets secondaire et les oublis de prises médicamenteuses. Par contre, les difficultés plus spécifiques au Sud sont liées aux coûts des médicaments, à l'éloignement géographique qui ne permet pas de respecter les rendez-vous, à des arrêts du traitement à cause de l'absence du prescripteur ou d'une rupture d'approvisionnement du médicament à la pharmacie.
Il existe, en revanche, un phénomène paradoxal : trop d'adhésion nuit à l'observance. Le patient croit tellement à l'efficacité du traitement qu'il ne prend que quelques comprimés en pensant que cela suffira.
VI. Que faire pour améliorer l'observance ?
Les actions visant à améliorer l'observance doivent être adaptées au contexte dans lequel on intervient.
Elles doivent à la fois concerner le patient et le dispositif de soins.
Vis à vis du patient, il peut y avoir un soutien informatif (fiches récapitulatives des traitements, ordonnance-planning), des démarches amenant le patient à prendre en charge son état de santé, des approches individualisées basées sur le soutien relationnel (counselling). Les associations d'usagers ont une part active à prendre dans ces démarches.
Il faut également mener des actions sur le contexte institutionnel afin que l'organisation des soins soit mieux adaptée aux besoins des patients : respect de l'anonymat et de la confidentialité, accompagnement social, dossier médical, etc.
Une bonne observance est donc le résultat de nombreux facteurs qui sont rarement tous réunis. Cependant, s'il faut veiller à l'amélioration de chacun d'entre eux, n'oublions pas que le facteur principal est la relation que le soignant établit.
Développement et Santé, n° 172, 2004