L'hémospermie

Par François Pernin Chirurgien urologue, Centre hospitalier Notre-Dame de la Miséricorde, Ajaccio, France.

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L'hémospermie, c'est-à-dire la présence de sang dans le sperme, est un symptôme toujours angoissant pour le malade et qui l'amène à consulter souvent en urgence.
Fort heureusement, les causes en sont le plus souvent tout à fait bénignes.

I. Rappel anatomique

Les voies génitales, chez l'homme, sont constituées par :

1. Les testicules

Situés dans les bourses (ou scrotum), ils ont pour rôle de fabriquer les spermatozoïdes, ainsi, la sécrétion testiculaire n'est que très peu abondante en volume, ne représentant qu'environ 1% du volume du sperme (ou éjaculat). Mais c'est bien évidemment l'élément essentiel du sperme, puisque ce sont ces cellules qui permettront la procréation.

Le reste du sperme, plus abondant, a pour rôle d'être un élément nutritif pour des cellules et de permettre leur évacuation dans les meilleures conditions au moment de l'éjaculation.

Les testicules ne sont pas, quelles que soient les maladies dont ils peuvent être atteints, à l'origine d'une hémospermie.

2. Les épididymes

Coiffant les testicules, ils sont constitués de fins pelotons canalaires chargés d'amener les spermatozoïdes en dehors des testicules jusqu'aux canaux déférents. Ces fins canaux se rassemblent en canaux de plus en plus gros de la tête vers la queue de l'épididyme pour ne plus former finalement qu'un seul canal à l'extrémité de la queue de l'épididyme, qui peut alors se poursuivre vers le canal déférent.

L'épididyme n'est jamais en cause dans les hémospermies.

3. Les canaux déférents

Ce canal d'un millimètre de diamètre environ part de la queue de l'épididyme (dans le scrotum), suit le canal inguinal où il peut être aisément palpé grâce à sa consistance très ferme, et se dirige dans le pelvis vers les vésicules séminales et la prostate qui sont situées sous le col de la vessie.

Le canal déférent, grâce à son péristaltisme, a pour rôle d'amener les spermatozoïdes du testicule aux vésicules séminales. Il n'est jamais à l'origine d'hémospermie.

4. Les vésicules séminales

Ce sont des réservoirs musculo-membraneux qui ont pour rôle d'emmagasiner les spermatozoïdes dans l'attente des prochaines éjaculations.
Le réservoir est capable de se contracter au moment de l'éjaculation pour expulser le sperme emmagasiné.
Les vésicules séminales ont aussi pour rôle de sécréter un liquide abondant qui constitue environ 70 % du volume du sperme et permet la survie des spermatozoïdes avant leur grand voyage.
Cette sécrétion est évacuée dans la deuxième partie de l'éjaculation et son volume varie selon la fréquence des éjaculations.

Les vésicules séminales sont situées au-dessus et en arrière de la prostate, sous le col vésical, et viennent se jeter dans l'urètre prostatique par l'intermédiaire des canaux éjaculateurs qui mesurent environ 1 centimètre et ressemblent beaucoup au canal déférent.

On comprend donc facilement que les vésicules séminales sont souvent en cause dans les hémospermies.

5. La prostate

Cette glande, de 3 à 4 centimètres de diamètre environ, est située sous le col vésical et entoure l'urètre.
Les nombreuses glandes qui la constituent et qui se jettent dans l'urètre prostatique ont pour rôle de sécréter une partie du sperme représentant environ 30 % de son volume au moment de l'éjaculation et en constitue la partie s'évacuant en premier.

Certaines maladies prostatiques peuvent donc être en cause pour expliquer une hémospermie.

6. L'urètre

Le sperme, une fois éjaculé, parcourt l'urètre qui représente donc une voie commune génitale et urinaire.

L'urètre, au moment de l'éjaculation, sécrète un liquide fluide, transparent et peu abondant. Cependant, la pathologie urétrale ne peut pas être retenue dans les causes d'hémospermie, les maladies de l'urètre donnant plus facilement lieu à des écoulements ou à des urétrorragies (saignement d'origine urétrale).

II. Les signes cliniques

1. Hémospermie

La présence de sang dans le sperme est remarquée immédiatement après l'éjaculation par le malade lui-même ou sa partenaire. Plus rarement secondairement, par l'observation de taches sanglantes sur les vêtements ( il faut alors, dans ce cas, être bien certain qu'il s'agit d'un écoulement d'origine séminal et non urinaire).

Selon l'importance de l'hémorragie, le sperme peut être simplement teinté, rosé, ou franchement rouge. Il peut être d'aspect brunâtre, sale, si l'hémorragie est déjà ancienne.

En tout cas, quel que soit le degré d inquiétude du malade, l'abondance de cette hémorragie est toujours minime en terme de volume de sang perdu.

L'évolution se fait le plus souvent vers la cédation spontanée de l'hémorragie. Mais le fait que le sperme a pour particularité d'être stocké et éliminé à intervalle plus ou moins régulier explique que :

  • même si l'origine de l'hémorragie a cessé, du sperme sanglant peut continuer à être éliminé pendant un certain temps (parfois quelques semaines).
  • le sang accumulé commence à s'hémolyser au fil du temps et prend alors une teinte brunâtre qui inquiète encore plus le malade.

Quel que soit l'aspect du saignement (couleur, abondance), sa signification est la même : les vésicules séminales ou la prostate sont, ou ont été, le siège d'un saignement dont il convient de rechercher la cause.

2. Signes d'accompagnement

Qu'ils soient spontanément décrits par le malade ou décelés à l'interrogatoire, la découverte de ces signes éventuels permet d'orienter le diagnostic même si le plus souvent l'hémospermie paraît totalement isolée.

On recherchera ainsi :

a) les caractères de l'éjaculation

  • douloureuse
  • moins abondante

b) des signes d'accompagnement urinaires

  • hématurie, en précisant son caractère :
    • initial (seules les premières gouttes sont rouges, l'origine est alors urétro-prostatique)
    • terminal (les dernières gouttes sont rouges, l'origine est vésicale)
    • total (l'origine ne peut être alors déterminée par ce seul caractère)
  • brûlures mictionnelles
  • pollakiurie récente ( mictions anormalement fréquentes)
  • écoulement urétral purulent
  • douleur testiculaire ou épididymaire
  • dysurie récente

c) Antécédents récents de

  • sondage vésical ou endoscopie urinaire
  • fièvre
  • notion de tuberculose ou de Bilharziose urinaire.

3. Examen clinique

a) L'observation du sperme lui-même est rarement possible et il faut se fier aux dires du malade. Dans les cas douteux, il ne faudra cependant pas hésiter à demander au malade d'apporter un échantillon fraîchement émis.

b) Palpation des testicules et des épididymes à la recherche de signes d'épididymite aiguë (nodule ou prise en masse douloureuse) qui irait dans le sens du diagnostic de prostatite aiguë.

c) Observation des urines à l'oeil nu à la recherche d'une infection urinaire (présence de filaments, urines troubles).

d) Toucher rectal à la recherche d'une prostatite (douleur ... ), d'un adénome (bien banal à partir de 50 ans), d'un cancer de prostate (dureté pierreuse).

e) La pression sur la prostate à l'occasion du toucher rectal favorise l'issue de sperme au moment de l'examen et son observation. Ce sperme paraît toujours trouble : c'est son aspect normal.

Le plus souvent, à l'issue de cet examen clinique, l'hémospermie apparaît isolée, c'est-à-dire accompagnée d'aucun autre signe.

III. Diagnostic différentiel

Certains pièges existent, pouvant faussement faire croire à l'existence d'une hémospermie, alors que le saignement provient d'une autre origine.

a) Il s'agit en fait d'une hématurie survenant lors de la miction qui suit l'éjaculation et que le malade interprète à tort comme une hémospermie. Le problème diagnostique est alors différent.

b) Le sperme est trouble, purulent et le malade interprète faussement cet aspect comme du sang.

c) Il s'agit d'une urétrorragie, le sang s'écoule par le méat urétral, en dehors de toute miction et de toute éjaculation : cette hémorragie est d'origine urétrale.

d) Après un coït, le sperme revient mêlé de sang... le saignement peut, en fait, provenir de la partenaire (période de règles, métrorragie quelle qu'en soit l'origine, notamment cancer du col utérin). Il faut toujours évoquer cette possibilité et examiner la partenaire ou demander au "malade" d'observer si son sperme est toujours sanglant après une masturbation ou un rapport protégé par un préservatif.

IV. Examens complémentaires

Le plus souvent, aucun examen complémentaire n'a de valeur décisive pour pouvoir porter le diagnostic et décider du traitement. De plus, ces examens ne sont pas toujours possibles à pratiquer selon l'endroit où l'on exerce et leurs résultats doivent toujours être interprétés avec prudence et bon sens chez ces malades souvent angoissés.

a) L'ECBU (examen cyto-bactériologique des urines )

Il doit être pratiqué sur les urines du premier jet, c'est-à-dire que ce sont les premières gouttes qui doivent être recueillies au cours d'une miction (n'importe laquelle, pas obligatoirement celle du matin) car ces urines récupèrent au passage les germes présents dans l'urètre. Ces germes là ont de fortes chances d'être en cause en cas de prostatite cliniquement diagnostiquée.

b) La spermoculture

Elle n'a d'intérêt que dans les cas ou l'on suspecte une infection et qu'elle a résisté au premier traitement.

Il s'agit de rechercher sur un échantillon de sperme fraîchement émis la présence de leucocytes altérés (signe d'infection), d'hématies en abondance (confirmant l'hémospermie) et de germes, mais il faut savoir que la présence de ces germes est fréquente sans infection réelle car il peut s'agir des microbes naturellement présents dans les premiers centimètres de l'urètre (staphylocoques epidermis, streptocoques, entérocoques... sont possibles en l'absence de toute infection véritable).

On ne retiendra donc comme réellement pathologiques que les germes retrouvés dans un contexte de prostatite patente et accompagnés de leucocytes altérés. D'autant que le germe le plus souvent responsable est très difficile à mettre en évidence.

c) L'échographie endo-rectale

Cet examen montre bien la prostate et les vésicules séminales, mais le toucher rectal apprécie aussi bien, si ce n'est mieux, la prostate.
Les images, fréquentes dès l'âge de 40 ans, d'adénome prostatique, n'ont pas grande signification pathologique.
En tout cas l'échographie pratiquée par voie sus-pubienne n'a aucune valeur pour juger de l'état de la prostate, seule la voie endorectale est intéressante.

Au terme de ce bilan, essentiellement clinique, on peut le plus souvent aboutir au diagnostic et rassurer le malade.

V. Les causes et leurs traitements

a) Les hémospermies idiopathiques

Elles correspondent à plus de 70 % des cas, aucune cause précise n'est décelée, il n'y a rien de grave derrière tout cela. L'hémospermie cédera spontanément rapidement ou en 2 à 3 semaines.

On suppose qu'il s'agit de la rupture spontanée sans gravité d'une petite veine d'une vésicule séminale (comme pour un épistaxis banal).

En dehors de l'hémospermie, l'examen clinique est entièrement normal et il ne faut donner aucun traitement particulier.

Il n'est pas dangereux, dans ce cas, que le malade continue à avoir des rapports sexuels. Dans ce type d'hémospermie, il est important aussi de rassurer la partenaire qui n'est en rien responsable des symptômes.

b) Les prostatites

La prostatite aiguë associant fièvre, pollakiurie intense, douleurs mictionnelles est une véritable septicémie à point de départ prostatique... et l'on comprend facilement, que dans cet état, le malade ait d'autres soucis que d'éjaculer...

En revanche, les prostatites subaiguës (ou chroniques, mais elles sont plus rares) sont en cause dans 25% des cas, elles sont souvent dues à une infection à Chlamydiae. Ce germe est très difficilement mis en évidence dans les examens bactériologiques car c'est un germe intracellulaire, mais il est facile à traiter car il est régulièrement sensible au traitement par tétracycline. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à traiter sans preuve bactériologique pendant 15 jours à 3 semaines.

D'autres germes peuvent être en cause : colibacille, proteus, klebsielle, streptocoque D... Pendant la durée du traitement, il faut conseiller d'éviter les rapports sexuels et examiner la partenaire.

Ces prostatites sont souvent dues à des urétrites négligées, mais parfois aussi secondaires à un sondage ou une endoscopie urinaire.

Le toucher rectal montre une prostate un peu molle et douloureuse.

  • La prostatite bilharzienne est à évoquer chez un bilharzien connu car ce n'est pas un signe révélateur habituel.
  • La prostatite tuberculeuse, bien que rare, doit être évoquée devant une petite prostate indurée au toucher rectal.

c) Autres causes plus rares

  • l'adénome de la prostate est fréquemment palpé au toucher rectal chez l'homme à partir de 50 ans mais rarement en cause.
  • le cancer de la prostate : ildonne une volumineuse prostate pierreuse au toucher rectal, ce cancer est fréquent, mais l'hémospermie rare.
  • le cancer d'une vésicule séminale : il est exceptionnel.

Conclusion

L'hémospermie est une éjaculation sanglante qui peut se répéter pendant quelques semaines. Toujours inquiétante pour le malade, elle est le plus souvent due à une cause bénigne, idiopathique dans la majorité des cas, parfois due à une prostatite subaiguë, notamment à Chlamydiae, curable par les antibiotiques.

Développement et Santé, n°155, octobre 2001