L'extraction dentaire au CHU-campus de Lomé (Togo) : à propos de 981 malades, de 1996 à 2001
I. Méthodologie
C'est une étude rétrospective dans le service de stomatologie du CHU-Campus de Lomé de janvier 1996 à décembre 2001. Le matériel d'étude était composé de dossiers de malades ayant bénéficié d'une extraction dentaire. Les renseignements recueillis au niveau des dossiers concernaient la nature du traitement, le motif de la consultation, la date de la consultation, l'âge et le sexe des malades, le diagnostic, le siège de l'extraction, le type de dent victime et le besoin prothétique créé par l'extraction dentaire.
III. Résultats
Sur 3 885 malades consultés durant l'étude, 981 soit 25,2 % ont bénéficié d'une extraction dentaire ; 1 651 actes de soins chirurgicaux bucco-dentaires dont 1 581 extractions dentaires ont été effectués sur les 981 malades. L'extraction dentaire a occupé 95,8 % des actes chirurgicaux avec une moyenne de 1.6 extractions par malade. Les différents motifs de consultation ont été les suivants douleur, tuméfaction. mobilité dentaire, trouble de l'esthétique. La douleur a été le motif le plus représenté (99,4% des cas). On a enregistré une moyenne de 263,5 extractions par an.
Les malades dont l'âge était situé entre 33 et 43 ans puis 22 et 32 ans avec respectivement 40,7 % et 28,5 % des extractions dentaires ont été les plus représentés, les moins représentés se situant dans la tranche d'âge de 0 et 10 ans. Les malades de sexe masculin ont été également les plus affectés avec 52 % des extractions avec un sex-ratio de 0,9. La carie dentaire avec 23,2 % d'extractions et ses complications (25 % d'extractions) ont été les principales affections causales de ces extractions dentaires (Tableau 1). Les complications de la carie dentaire qui ont été à l'origine de ces extractions sont présentées en détail dans le tableau 2. 52,3 % des extractions ont été effectuées sur l'arcade mandibulaire et 47.7% au maxillaire. Le secteur dentaire molaire a été le plus affecté (51.4 % des extractions) contre 37,4 % pour le secteur des incisives et canines puis celui des prémolaires (11,2%). Ces extractions dentaires ont créé chez 65,5 % des malades affectés, le besoin d'un traitement prothétique et seuls 8 % de ces besoins ont été satisfaits par des prothèses réparatrices.
Tableau 1 : Les affections causales d'extractions dentaires
Affections | Malades (nb.) | Extractions % |
Carie dentaire | 271 | 23,2 |
Complications de la carie dentaire | 289 | 25,0 |
Accidents d'éruption | 39 | 7,8 |
Parodontopathies | 169 | 16,2 |
Anomalies dentaires | 61 | 9,2 |
Traumatismes dentaires | 104 | 11,4 |
Rhizalyse | 48 | 7,1 |
Total | 981 | 100 |
III. Discussion
1. Les limites de l'enquête
Cette étude est hôspitalière, ses résultats ne peuvent donc être extraposables à tout le Togo, mais la particularité du cadre (centre de référence) justifie l'intérêt et l'importance de cette enquête.
2. La fréquence de l'extraction dentaire
Nos résultats sur la fréquence des extractions dentaires corroborent ceux d'autres pays africains [1,2]. Ces fréquences sont en général très élevées dans ces pays comparativement à celles des pays développés [3,4]. Cette différence de pratique peut s'expliquer par plusieurs raisons dont les principales sont :
- La progression des chiffres de la prévalence de la carie dentaire dans les pays africains surtout en zone urbaine en raison des modifications des habitudes alimentaires, associées à la négligence et/ou l'ignorance des maladies bucco-dentaires et de leurs conséquences.
- L'insuffisance d'équipement et le manque des matériaux et produits dans les cabinets dentaires africains. De ce fait, les énormes progrès de la science dans ce domaine permettant de traiter et de reconstituer parfaitement et morphologiquement une dent infectée même délabrée sans avoir recours à l'extraction, ne peuvent profiter aux pays en développement. Les résultats d'une enquête réalisée en France [3] ont montré une diminution des extractions dentaires de 6,6 % en 1980 à 4,8% en 1991. Cette performance, selon les auteurs présente un lien direct avec l'augmentation des séances comprenant les actes de radiologie de 0,3 % à 4,0 %. Il serait difficile d'atteindre des progressions similaires dans les pays en développement si des solutions appropriées ne sont trouvées au problème crucial du sous-équipement des services d'odonto-stomatologie.
- L'insuffisance en personnel qualifié pour l'élaboration et l'application des programmes de prévention ou de prise en charge précoce des affections bucco-dentaires.
Types de complications | Nombre d'extractions | Fréquence (%) |
Cellulites d'origine dentaire | 219 | 55,5 |
Gangrène dentaire | 95 | 24,0 |
Kyste et granulome dentaires | 49 | 12,4 |
Ostéites maxillaire et mandibulaire | 19 | 04,8 |
Sinusite maxillaire d'origine dentaire | 13 | 03,3 |
Total | 395 | 100 |
Les données de la littérature [1,5]. confirment nos résultats (98,38% des cas) quant à la place importante qu'occupe la douleur en odontostomatologie comme motif de consultation. La faible représentativité des malades dont l'âge est situé entre 0 et 10 ans (2,4% des cas) s'explique par le faible taux de consultation à cette période. L'essentiel du point de vue dentaire étant marqué par la rhizalyse physiologique des dents temporaires pour l'éruption de la denture définitive, cette période se passant généralement dans les pays en développement sans soucis de la part des parents de faire consulter leurs enfants [13,14].
La prédominance des malades dont les tranches d'âge se situent respectivement entre [33 et 43] ans et [22 et 32] ans parmi les cas s'explique par la prévalence élevée de la carie dentaire et de ses complications au niveau de ces tranches d'âge comme le confirment les résultats d'une enquête réalisée en 1998 au Togo [11].
La prédominance masculine dans nos résultats peut trouver une explication à travers d'autres travaux effectués au Togo notamment au sujet des maladies parodontales [12], qui viennent directement après la carie dentaire et ses complications parmi les pathologies à l'origine des extractions dentaires dans notre étude.
La prédominance de la carie dentaire et ses complications comme causes principales des extractions dentaires fait l'unanimité dans les données de la littérature en Afrique [1,2]. Ce résultat est la conséquence de la négligence et/ou l'ignorance des maladies buccodentaires souvent constatées dans nos pays en développement et qui se traduisent par des consultations tardives ou à des phases très avancées de la pathologie dentaire. La prédominance du siège mandibulaire et du groupe molaire dans la fréquence d'extractions dentaires est retrouvée dans la littérature tant en Europe [7,8] qu'en Afrique [1,9]. Quant au besoin prothétique créé par ces extractions dentaires, il est semblable à celui des autres pays africains [2,10]. La même similitude est constatée au niveau de ces pays
en développement à propos des difficultés de prise en charge des édentations ainsi créées. Ceci se traduit par le très faible taux de couverture prothétique trouvé dans cette étude (8 %) tout comme dans les autres pays africains [10], malgré les conséquences d'ordre physiologique et esthétique provoquées par l'extraction dentaire sur le système manducateur des sujets affectés. La fréquence élevée des extractions dentaires, au regard du très faible taux de couverture prothétique constitue un problème de santé publique dans les pays en développement.
IV. Conclusion
- La fréquence élevée d'extractions dentaires devrait appeler à une prise de conscience pour la valorisation des soins bucco-dentaires conservateurs au Togo.
- Les besoins prothétiques importants créés par ces extractions dentaires constituent un problème de santé publique.
V. Recommandations
- Intégrer les soins bucco-dentaires parmi les composantes des soins de santé primaires (SSP) dans les pays africains.
- Initier et/ou renforcer la sensibilisation de la population sur les dangers de la négligence des maladies bucco-dentaires et instaurer des programmes de dépistage et de prise en charge précoce.
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Développement et Santé, n°178, août 2005