L'enfant pour l'enfant au Zaïre

Par 0. Wembonyama* * Professeur de Pédiatrie, Université de Mbujimayi, et Directeur du Centre de L'Enfant africain.

Publié le

Il est bien connu que l'enfant joue un rôle important dans la communauté en Afrique. Ce rôle, il le joue d'instinct, par imitation et dans le cadre d'une éducation organisée au sein de la famille et de la communauté. Pour jouer ce rôle, l'enfant passe par une période d'apprentissage faite d'observation, de pratique et enfin de responsabilisation.

Tout au long de ce processus, il doit apprendre à se préoccuper de lui-même, de sa santé, et à s'occuper du bien-être général des plus jeunes frères et sœurs et des autres enfants de sa communauté. Cet apprentissage peut être avantageusement renforcé par les programmes de l'enfant pour l'enfant qui aide l'enfant plus âgé à comprendre la nature de la responsabilité qu'il a vis-à-vis des jeunes et lui explique comment il peut contribuer de façon fructueuse à façonner l'avenir des petits enfants de sa famille et de sa communauté. Le rôle que l'enfant doit jouer ne va pas sans poser quelques problèmes à son niveau, au niveau de la famille et de la communauté.

Le but de ce travail est de dégager, à la lumière de notre expérience personnelle, l'intérêt de cette responsabilisation et les rôles de l'enfant plus grand envers les plus jeunes et de montrer les limites de ce rôle.

I. Les programmes de l'enfant pour l'enfant

Les résultats obtenus sont encourageants et des progrès considérables ont été réalisés ; les parents ont apprécié la démarche et le personnel médical est satisfait de collaborer avec des personnes à même de suivre les prescriptions.

II. Intérêt

1. Disponibilité

L'enfant plus âgé est en général plus disponible que ses parents, surtout s'il a abandonné des études. Il peut rester une journée entière à l'hôpital sans trop de pression. Cela n'est plus vrai s'il doit garder les enfants plus jeunes, s'il doit faire la cuisine. Pour un enfant en cours de scolarité, cette disponibilité peut comme on le verra plus loin, conduire à un absentéisme scolaire et un abandon des études.

2. Apprentissage

L'enfant qui conduit son jeune frère ou sa jeune sœur, apprend à les soigner, à éviter les maladies, à promouvoir des notions de santé, à vulgariser les informations en matière d'hygiène, de soins auprès de la communauté. Cet apprentissage étant non systématisé, sa portée peut être limitée.

3. Connaissance de l'enfant

Parfois la grande fille connaît mieux l'enfant que sa maman, pour s'en être occupée continuellement. C'est elle qui reste avec l'enfant toute la journée, et c'est elle qui, le plus souvent, signale le début de la maladie et c'est encore elle qui instaure les premiers soins. Elle est souvent le seul témoin d'un accident survenu à domicile.

4. Auxiliaire de santé

Les plus âgés des enfants servent d'auxiliaires de santé : peser les enfants, porter des indications sur les fiches, classer les fiches, nettoyer le centre de santé.

III. Rôles de l'enfant

En raison des charges et occupations multiples, les mères disposent de peu de temps pour s'occuper des jeunes enfants. Ce rôle est confié à la jeune fille âgée. C'est ainsi que dans nos consultations de pédiatrie, 30% des enfants sont conduits par une grande sœur. À domicile, la quasi-totalité des enfants est gardée par une aînée. C'est dans ce cadre que les enfants jouent un rôle triple :

  • dépister les maladies et déterminer les signes de gravité nécessitant une consultation et une hospitalisation précoce ;

  • conduire les petits à la vaccination, à la consultation et lors des hospitalisations ;

  • relayer des informations en matière de santé auprès des familles et renforcer l'éducation pour la santé dans la communauté ;

  • participer à l'amélioration de l'hygiène individuelle et collective ;

  • soigner à domicile les petits en cas de pathologie bénigne.

IV. Limites de l'intervention

1. Insuffisance de l'anamnèse

L'anamnèse est presque toujours incomplète. L'enfant raconte ce que sa maman lui a demandé de dire, elle interprète les signes, elle signale les faits qui l'ont traumatisée et impressionnée plutôt que raconter l'histoire de la maladie.

Bien sûr, certains enfants qui restent plus longtemps que la mère à côté de leurs petits frères et sœurs sont à certaines occasions plus utiles que leurs parents. Mais, de façon générale, les enfants ignorent souvent les antécédents de leur cadet, les maladies qui existent dans la famille et de quelle façon elles sont soignées.

2. La responsabilité des parents

Beaucoup de parents se déchargent volontiers sur l'aîné. Celui-ci ou celle-ci doit tout faire, même lorsqu'ils ont le temps de s'occuper eux-mêmes des tout-petits. Certaines filles deviennent de véritables épouses pour leur père.

"Elle doit apprendre pour pouvoir s'en sortir chez elle" nous répète-t-on continuellement. Ces parents oublient que cette enfant responsabilisée précocement a besoin d'être encadrée, initiée, soutenue, soulagée.

3. Absentéisme à l'école

Les filles aînées s'absentent à l'école plus souvent que les garçons. Elles doivent accompagner leur cadet à l'hôpital pendant les heures de cours. En cas d'hospitalisation, elles interrompent les cours pendant cette durée.

Un nombre important d'élèves abandonnent simplement les études pour se consacrer aux soins des plus jeunes. Lorsque leurs absences sont nombreuses, elles sont renvoyées de l'école ou souvent elles abandonnent d'elles-mêmes, incapables de continuer les cours.

4. Insuffisance dans la diffusion de l'information médicale

En général, le personnel médical donne des conseils à la jeune personne qui accompagne l'enfant et qui est chargée de les transmettre aux parents. Or, ces jeunes sont sous-informées ou ont une information erronée sur les maladies, ses causes et les moyens de les soigner. Les idées reçues sont si fortes qu'elles éprouvent des difficultés lorsqu'elles essayent de convaincre leurs parents ; elles se font souvent rabrouer.

5. Compréhension difficile de la prescription

Avec les adultes, nous avons du mal à faire comprendre et respecter les prescriptions ; avec les enfants, la tâche est encore plus difficile, d'autant plus que les enfants doivent ré expliquer aux parents les conseils du médecin.

6. Traumatisme

Certains enfants très sensibles ont eux-mêmes peur des piqûres et supportent mal la vue d'une seringue. L'enfant est plus impressionnable en cas de plaie importante ou d'une grande crise convulsive. Nous en avons vu refuser de conduire leurs jeunes frères et sœurs à l'hôpital parce qu'ils ne souhaitaient pas assister aux soins. Les enfants passent de plus en plus de temps à l'hôpital car ils n'ont pas les moyens de bousculer les adultes afin de se faire servir avant eux.

V. Comment pallier ces insuffisances

1. L'IEC

Un programme spécifique d'information, d'éducation et de communication en faveur des jeunes filles est entrepris avec le concours des personnels soignants, des élèves-infirmières et des enfants eux-mêmes. Ainsi, en fonction du thème choisi, la formation se déroule en plusieurs parties : une introduction par un membre de l'équipe soignante, un témoignage par un enfant et une séance pratique avec les étudiants ou les élèves infirmières.

2. Les visites à domicile

Elles servent à renforcer l'éducation sanitaire, à contrôler l'état de santé des enfants et le niveau des connaissances des aînés, les conditions de vie de la famille ainsi qu'à rappeler aux parents la nature de leur responsabilité.

3. Le travail avec les parents

Ce travail consiste à renforcer leurs connaissances et à leur rappeler leurs responsabilités vis-à-vis de l'ensemble des enfants. Ils ont le devoir de continuer l'éducation de tous leurs enfants et de s'occuper d'eux.

4. Encourager les jeunes filles à poursuivre leur scolarité

Étant donné le taux relativement élevé d'abandon scolaire, une action spécifique de sensibilisation, d'encouragement et de motivation est menée à tous les niveaux. Les parents, les enseignants, le personnel médical, les jeunes filles elles-mêmes et toutes les personnes ayant une influence sont contactés, informés de la nécessité pour une jeune fille de poursuivre ses études. Les mariages précoces sont également découragés.

Conclusion

Devant le rôle important que joue l'enfant dans notre milieu, nous devons étendre les programmes qui le rendent apte à être utile à la communauté tout en évitant de le charger des préoccupations qui relèvent des adultes. La tentation est grande de tout demander à l'enfant. Nous oublions qu'il n'est qu'un enfant et qu'il a besoin de notre aide, de notre encadrement et d'une bonne information pour qu'il devienne véritablement un agent de changement.

Références bibliographiques

Wembonyama 0 et Mbuy B. Les enfants des écoles au service de la santé.

Développement et Santé, 1992 : 20-2.

Wembonyama 0. Comportement et connaissance de la mère face à la prescription de médicaments. Bulletin du CERP, 02/91-3.

Développement et Santé, n° 128, avril 1997