L'enfant pour l'enfant

Par M. Horeau

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L'enfant pour l'enfant

Sensibilisation des écoliers aux questions d'hygiène, de santé et de prévention.

par M. Horeau

Le siège francophone du mouvement initié par le pédiatre anglais David Morley (child-to-child) est basé à Paris. Il assure la formation de formateurs et élabore du matériel d'éducation à la santé à l'attention des enfants d'âge scolaire. (EPE, Institut Santé & Développement, 15, rue de l'École de Médecine, 75006 Paris. Tél./Fax: (+33) 1 43 29 33 74, e-mail: mailto:[email protected]).

I. Introduction

Nous avions présenté les objectifs, la réalisation et les résultats d'un premier projet : il s'agissait d'une action éducative réalisée auprès de 8 000 écoliers de 9 à 12 ans en République Démocratique du Congo, dans la région forestière du Mayumbe, à 550 km à l'ouest de Kinshasa.

Sur cette action, nous avions résumé le rapport qui était destiné au centre de promotion de la santé de Kangu-Mayumbe, initiateur de cette action éducative.

Rappelons que ce centre, créé en 1966 à l'initiative du docteur J. Courtejoie est une organisation non gouvernementale zaïroise. Il travaille à l'amélioration de la santé dans l'Afrique noire en général, et en République Démocratique du Congo en particulier. La contribution du centre porte essentiellement sur l'éducation dans le domaine de la santé par exemple en diffusant de l'information sanitaire aux différents groupes sociaux en vue de protéger la santé et le bien-être de tous dans la communauté. Ce centre veut aussi être un lien entre, d'une part les motivations et désirs exprimés par les communautés villageoises, et d'autre part les orientations proposées par les autorités de la santé publique et par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Dans l'article qui suit, nous avons résumé le rapport sur la 2e phase de ce projet réalisé de février 1998 à juin 1999.

1. Thèmes retenus

La première phase du projet portait sur 4 thèmes de santé

  • la diarrhée,
  • les accidents domestiques,
  • les enfants handicapés,
  • les vaccinations.

La méthode pédagogique qui avait été testée précédement a été reprise pour la deuxième phase du projet dont les thèmes choisis sont:

  • l'importance de l'allaitement maternel,
  • la réhydratation orale en cas de diarrhée, avec le souci pédagogique de lier ces 2 thèmes :
  • les vers parasites,
  • l'hygiène dentaire.

Les bénéficiaires directs de l'action sont les 8 000 écoliers répartis dans 35 écoles, et les 264 enseignants et directeurs d'école qui ont reçu une formation pédagogique dans le cadre de l'action " l'enfant pour l'enfant

2. Financement

Cette action a naturellement un coût : il faut payer les frais de déplacement de l'équipe de formateurs vers les différentes écoles, ainsi que le matériel pédagogique constitué de brochures et de manuels servant d'aide-mémoire.

Le financement a été rendu possible grâce à l'assistance de 3 ONG :

  • Kinderpostzegels (Leiden),
  • Caritas (Genève),
  • Kindermissionswerke (Aachen).

3. Rappel des objectifs de l'action

L'action part d'une prise de conscience que l'école n'est pas accessible à tous les enfants. L'écolier est donc dans une situation privilégiée par rapport aux enfants du même âge non scolarisés. Il convient donc de valoriser au maximum le séjour, si court soit-il de l'enfant à l'école afin de lui apprendre non seulement le calcul et la lecture, mais en même temps l'hygiène, la santé, la prévention des maladies, pour qu'à son tour il en fasse bénéficier ceux qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école, et pour qu'il soit une sorte de messager auprès de sa communauté.

Il. Le déroulement de l'action s'est fait en 5 étapes

1.Prise de contact avec les responsables scolaires

Les 4 responsables africains de l'action " l'enfant pour l'enfant " ont commencé par prendre contact avec le directeur de l'école pour lui expliquer le projet de promotion de la santé par les écoliers. Après leur départ, le directeur a réuni ses enseignants et ils ont vu ensemble comment collaborer à l'action proposée et comment éventuellement aménager les horaires des cours afin d'intégrer l'action dans le programme scolaire.

2. Mesure des connaissances des écoliers avant l'action éducative

Dans un deuxième contact, l'équipe des formateurs, aidée par les enseignants, a procédé à une évaluation des connaissances des écoliers. Un questionnaire a été utilisé. Les élèves n'étaient pas préparés à l'interrogatoire car l'objectif était d'arriver à ce que les enfants parlent le plus librement possible. Les formateurs ont veillé à poser des questions claires et précises pour avoir des réponses spontanées ne nécessitant pas un grand effort de réflexion. Exemple : " Comment votre maman nourrit-elle son bébé ? " ou encore " Y a-t-il des WC à l'école ? ".

Les formateurs ont posé des questions qui touchent à des faits observés par les écoliers dans leur entourage le plus proche. Exemple :

" Avec quoi soigne-t-on une carie dentaire ?".

L'analyse des réponses au questionnaire montre que les écoliers de 9 à 12 ans ont déjà des connaissances sur la santé, les maladies et l'hygiène, mais elles sont parfois confuses et souvent incomplètes ou erronées.

Sur l'alimentation des bébés au sein maternel

Des réponses reçues, il ressort que les écoliers ont une conception de l'alimentation de l'enfant qui montre une dévalorisation de l'alimentation au sein : on préfère le lait en poudre et le biberon, signe de richesse et de prestige. Le risque d'une stérilisation incorrecte du biberon ne constitue pas un problème pour la très grande majorité des enfants.

Sur la réhydratation orale en cas de diarrhée

Pour tous les écoliers interrogés, la diarrhée est connue et son danger mortel pour les petits enfants est très bien perçue. La cause la plus souvent donnée est : " le lait du sein est devenu mauvais ". Pour 60 % des écoliers : " la maman doit d'abord arrêter de donner le sein, car c'est le lait de la maman qui est devenu mauvais et qui a provoqué la diarrhée ".

Mais certains enfants répondent que : " la diarrhée est provoquée par l'eau non bouillie ".

Comme traitement, 70 % des écoliers mentionnent " les médicaments ", et 12 % seulement mentionnent la solution salée/sucrée préparée à la maison. Deux écoliers parlent de la nécessité " d' une perfusion intraveineuse " sans même avoir mentionné la réhydratation orale.

Sur les vers intestinaux

Ces vers parasites sont connus par 100 % des écoliers. Beaucoup ont déjà vu des ascaris dans leurs propres selles. Quelques-uns ont déjà vu un oeuf de ver au microscope chez l'infirmier du centre de santé. Le WC existe dans 60 % des écoles mais son usage est une question très controversée. Parmi les réponses on peut relever : " je vais au WC de l'école pour ne pas exposer mon corps devant tout le monde", mais aussi : "je n'utilise pas le WC de l'école car il est sale ".

D'après les réponses, 70 % des écoliers déclarent que le WC de la maison est mieux entretenu que celui de l'école.

D'autre part, la contamination par les mains sales et par les pieds nus dans la boue (ankylostomes) est bien connue ainsi que l'usage du savon et le port de souliers. Mais " ... il n'y a pas d'eau à l'école... le savon est précieux et on le garde pour la lessive... on n'a pas d'argent pour acheter des souliers ".

Sur l'hygiène des dents

Tous les écoliers connaissent l'importance des bonnes dents et le rôle du brossage régulier pour leur protection. Plus de la moitié connaissent le rôle du sucre dans l'apparition des caries.

Mais on trouve aussi ce type de réponse : " la carie est provoquée par un ver qui se cache sous la dent ", " la nourriture avariée provoque des caries " ou encore : " je ne bois jamais de Coca-Cola (noir) pour arrêter les caries (noires) tondis que l'Orangina ou le Fanta (orange) sont sans danger "...

La carie est toujours associée à la douleur, et selon certains enfants on peut la supprimer en introduisant, dans la carie, de l'essence... ou un morceau de feuille de safoutier ou de l'arbre " bunzi ". L'aspirine est connue mais très peu utilisée car peu disponible. Presque personne ne fait la distinction entre dents de lait et dents définitives. Pour 70 % des écoliers "une dent arrachée repousse toujours". On ignore les possibilités de traitement par plombage de la carie débutante. Même si 2 services de dentisterie existent dans la région, c'est l'infirmier du centre de santé ou parfois le menuisier du village qui extrait la dent malade.

Au total, les réponses au questionnaire montrent que si des connaissances justes existent, il y a beaucoup de lacunes et beaucoup d'erreurs. Mais les enfants sont capables de citer un bon nombre de maladies courantes, ils sont conscients de l'impact positif de l'hygiène sur la santé et du lien " microbe-maladie " ; ils savent que l'adoption d'une bonne hygiène est la source d'un bien-être personnel et communautaire. Le rôle des formateurs est de capitaliser ces atouts en obtenant que les attitudes et connaissances se traduisent en habitudes et comportements positifs. Par exemple, l'idée selon laquelle le lait maternel provoque la diarrhée et qu'il faut arrêter l'allaitement en cas de diarrhée a des racines dans la culture. Les formateurs ne doivent pas s'y opposer brutalement mais susciter une pédagogie adaptée.

3. Formation des enseignants

À la lumière des enseignements tirés de l'analyse des réponses des écoliers, les 4 formateurs ont alors proposé une formation thématique aux enseignants sur les thèmes choisis. Les enseignants devront à leur tour sensibiliser les écoliers en se fixant des objectifs précis selon les thèmes. Chaque écolier saura :

  • sur l'allaitement au sein : qu'il est le meilleur mode de nourriture pour le bébé, il connaîtra le danger du lait en poudre dans le biberon, l'obligation de poursuivre l'allaitement en cas de diarrhée et il devra savoir transmettre le message à son entourage et spécialement à sa maman;

  • sur la diarrhée et la réhydratation orale définir la diarrhée et la déshydratation, énumérer leurs signes et leurs dangers, préparer et donner la solution de réhydratation par voie orale et transmettre le message à son entourage et spécialement à sa maman;

  • sur les vers intestinaux : le danger des vers intestinaux, l'importance du WC à l'école et à la maison et de son entretien et usage et il saura convaincre ses parents de l'importance de ces questions;

  • sur l'hygiène dentaire : l'importance des dents définitives saines et leur brossage régulier surtout le soir, le risque des sucreries et de toutes les boissons sucrées, l'importance de l'examen régulier des dents par l'infirmier du centre de santé, la possibilité de soigner une carie débutante.

À l'issue de leur formation, les enseignants ont reçu une documentation pédagogique où sont repris les 4 thèmes ainsi que les divers objectifs à atteindre. Les directeurs d'école ont reçu chacun un exemplaire du manuel " les enfants pour la santé " diffusé par l'UNICEF et qui explique de façon élargie la pédagogie de " l'enfant pour l'enfant ".

4. Sensibilisation des élèves par les enseignants

Avec l'accord des directeurs d'école, comme prévu, les enseignants ont intégré la seconde action " l'enfant pour l'enfant " dans le programme des cours habituels. Ils ont organisé 4 séances de sensibilisation par classe, chaque thème faisant l'objet d'une séance. Dans la plupart des cas, les écoliers se sont montrés éveillés et attentifs aux différents thèmes proposés, ceux-ci étant plus proches de leurs préoccupations quotidiennes que les leçons de calcul.

À chaque écolier, les formateurs ont remis 4 brochures :

  • " Le vieux roi et la petite fiancée "* (l'alimentation des bébés),
  • " Le lièvre musicien "* (la diarrhée et la réhydratation orale),
  • " Le jeune homme et le dragon,,* (les vers parasites),
  • " Sanko le lièvre arracheur de dents "* (l'hygiène des dents).
  • Auteur: Dr Yvon Moren.

Ces brochures de 40 pages environ se présentent sous forme d'un conte africain. Elles sont très agréables à lire, contiennent de nombreuses illustrations et se terminent soit par un jeu, soit par un théâtre éducatif. Elles servent d'aide-mémoire et de complément d'information. Les enfants étaient très contents de recevoir ces brochures qui leur servent aussi de livre de lecture ; en effet, les écoliers ne disposent pas de livres leur appartenant, vu le faible pouvoir d'achat de leurs parents. De retour à la maison après les cours, ces brochures étant la seule lecture disponible dans la famille, elles ont été lues par certains parents initialement non prévus comme bénéficiaires directs de l'action.

5. Dans quelle mesure les objectifs fixés au départ ont-ils été atteints ?

Il s'agissait d'évaluer après l'action :

  • le relèvement du niveau des connaissances des écoliers sur les différents thèmes évoqués,
  • les changements d'attitude et l'adoption de comportements favorisant une meilleure santé,
  • l'impact de l'action dans la communauté.

Pour ces évaluations, 3 outils de travail ont été élaborés sous forme de questionnaires :

  • un questionnaire destiné aux écoliers sensibilisés,
  • un questionnaire destiné aux enseignants,
  • un questionnaire destiné à l'entourage des écoliers dans la communauté villageoise.

6. Bilan

L'analyse des réponses montre que les connaissances sont devenues plus précises. Par exemple à la question : " Quel est le meilleur aliment pour le bébé ? ", 80 % des écoliers ont cité d'abord et sans hésitation " le lait de la maman ".

Quarante pour cent des écoliers interrogés expliquent sans hésiter la recette pour la préparation à la maison de la solution sel-sucre donnée aux jeunes enfants en cas de diarrhée. Un seul propose , la perfusion " d'emblée.

Les écoliers ont une compréhension plus élargie et plus éclairée de quelques problèmes de santé et leur prévention. À la question "Qu'est-ce qui abîme les dents ?", plus de 80 % des écoliers citent le sucre. Ils ont enfin raffermi leurs connaissances sur le lien entre les maladies et l'absence d'hygiène.

Les instituteurs ont noté dans l'ensemble l'adoption d'habitudes nouvelles. Plusieurs écoliers ont entrepris des démarches auprès de la direction de l'école pour que les aînés obtiennent la permission d'aménager eux-mêmes des WC scolaires. Des démarches ont aussi été faites par les écoliers en vue d'un meilleur entretien des installations sanitaires de l'école. Plusieurs parents ont signalé qu'ils avaient construit un WC à l'arrière de la maison sur l'instance de leur enfant. Quatre-vingts pour cent des parents ont dit aux formateurs qu'ils avaient acheté du dentifrice à la demande de leur enfant suite aux conseils reçus à l'école.

Certains parents ont aussi observé que leurs enfants étaient devenus un peu plus propres : lavage des mains avant de manger, et pour certains, lavage du corps une fois par jour.

Soixante-quatorze pour cent se brossent les dents le matin et 17 % le matin et le soir.

Huit élèves sur 10 interrogés ont déclaré avoir perdu une partie de leurs brochures, elles ont été récupérées par un frère aîné ou un parent, et quelquefois démantibulées par les enfants plus jeunes, et utilisées par leur maman, par exemple pour l'emballage des arachides vendues au marché.

Mais 7 élèves sur 10 déclarent avoir raconté l'une ou l'autre histoire de ces brochures à un membre de la famille ou à un voisin.

Tous les enseignants formés ont estimé que l'action " l'enfant pour l'enfant " était positive. Ils ont tous émis le voeu de se voir impliqués davantage dans la prochaine phase de cette action éducative. Ils souhaitent tous un renouvellement de cette action et sont tous prêts à y collaborer. Au-delà des écoles directement concernées, cette action éducative a eu un rayonnement sensible dans de nombreuses écoles primaires du Mayumbe; on peut le mesurer à l'intérêt suscité par l'action auprès des personnels enseignants et des écoliers. Une fois l'action lancée dans les écoles de la région de Kangu, le centre a enregistré de nombreuses demandes de la part de chefs d'établissements scolaires des régions voisines qui ont demandé de bénéficier de l'action dans leurs écoles respectives.

III. Conclusion

L'idée très féconde du centre pour la promotion de la santé de Kangu-Mayumbe est de considérer l'écolier comme un partenaire privilégié, un ambassadeur pour promouvoir une meilleure santé dans sa communauté. Celle-ci ne nourrit aucune méfiance à son égard et l'écolier peut réussir là où des animateurs étrangers à la communauté échoueront.

Les écoliers peuvent transmettre à leur parents et amis les nouveaux savoirs et savoir-faire acquis... Les connaissances acquises dans le domaines de l'allaitement maternel ou sur la réhydratation orale si leur petit frère a la diarrhée, ainsi que les connaissances sur l'hygiène dentaire seront partagées. Les écoliers et écolières d'aujourd'hui seront demain des parents, des éducateurs et transmettront les bonnes habitudes aux enfants sous leur responsabilité. La fécondité de cette idée est très justement exprimée dans la conclusion du rapport: "investir aujourd'hui dans les enfants en faisant d'eux des partenaires pour la santé constitue un investissement durable ".

Développement et Santé, n°145, février 2000