L'éducation thérapeutique peut-elle avoir un retentissement sur l'équilibre psychologique du patient ?

Par Fidélia Odjo (1), Anicette Toudonou (2), Alain Azondekon (3) , Fidélia Hinson (4) Psychologue Clinicienne, (2) Éducatrice Thérapeutique, (3) Pédiatre, (4) Assistante Sociale. Unité de Prise en charge de l'enfant Exposé ou Infecté au VIH (UPEIV). Hôpital d'Instruction des Armées (HIA). Camp Guézo, Rue du Caporal Anani, Cotonou, Bénin, upeiv [email protected].

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Depuis un peu plus d'un an, l'UPEIV (Unité de Prise en charge de l'Enfant Exposé ou Infecté au VIH) de l'HIA (Hôpital d'Instruction des Armées) de Cotonou dispose d'une section d'éducation thérapeutique (ETP) pour les enfants vivants avec le VIH et leur parent. Cette activité permet au patient de com­prendre sa maladie, de mieux supporter les éventuelles complications et aussi de suppor­ter les contraintes liées au traitement antiré­troviral. Étant donné que l'ETP met "l'éduqué" au centre du dispositif d'enseignement ou d'apprentissage, nous pouvons nous deman­der quel retentissement elle peut avoir sur l'équilibre psychologique des patients et quelle est par conséquent l'articulation sur le terrain entre une consultation psychologique et la consultation d'ETP ? Voici quelques éléments de réflexion issus de notre pratique clinique.

I. Définition de l'éducation thérapeutique

et implications psychologiques

1. Définition

"L'éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d'acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s'agit, par conséquent, d'un processus permanent, intégré dans les soins, et centré sur le patient. L'éducation implique des activités organisées de sensibili­sation, d'information, d'apprentissage de l'au­togestion et de soutien psychologique.: concer­nant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les infor­mations organisationnelles et les comporte­ments associés à l'état de santé et de maladie. Elle vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus saine­ment maintenir ou améliorer leur qualité de vie (1)''.

2. Implications psychologiques

De cette définition, nous pouvons comprendre que c'est une activité qui est d'un soutien capi­tal dans l'équilibre psychologique du patient dans la mesure où :

  • Le patient est mis au centre des séances. Il ne s'agit pas ici de tenir forcément un discours de "médecin" où tout est imposé pratiquement au patient sans explications. Les explications lui permettent de mieux s'intégrer dans son suivi et dans son traite­ment et de comprendre le bien fondé des soins.
  • Une marge de manoeuvre est offerte au patient : il pourra poser des questions, obte­nir des explications nécessaires à sa compré­hension, et s'engager dans une dynamique d'acteur de ses soins à travers le processus d'apprentissage. Cette acquisition et cette transformation lui donnent un certain senti­ment de "puissance" pour pouvoir faire face à sa maladie.

Ainsi le patient, par la consultation d'ETP, bénéficie d'un soutien psychologique si les séances se déroulent selon les règles de l'art. Il s'agit donc de savoir bien mener les séances avec des outils pouvant permettre d'atteindre les buts fixés dans le contrat thérapeutique.

II. Impact des outils d'éducation thérapeutique

sur l'équilibre psychologique des patients

1. Chez les enfants

L'ETP pratiquée à l'Hôpital d'Instruction des Armées de Cotonou a la particularité de s'adresser à des enfants en bas âge avec des outils appropriés comme : l'histoire de Craka, l'histoire de Brenda et d'autres sup­ports d'apprentissage (boîtes de comprimés, images de sensibilisation).

Histoire de Craka

Ce récit, décrit dans l'encadré, met en scène des personnages dont Craka le bri­gand qui a tué tous les membres d'une famille sauf un seul membre qui représente l'espoir. Etant entendu que, devant la force de Craka, la famille est restée impuissante, cela peut faire naître chez l'enfant des troubles émotionnels (tristesse surtout). Cet outil peut rappeler à l'enfant qu'il est en danger si l'édu­catrice n'a pas la présence d'esprit de lui rappeler que ce n'est qu'une analogie et qu'il peut toujours compter sur les "voisins" et les "policiers" pour lui venir en aide. En vérité cette histoire rappelle à l'enfant qu'il est souffrant car le récit a un caractère tragique. Il est donc normal qu'on observe chez lui des réactions émotionnelles. L'idéal serait donc, d'avertir l'enfant, de le préparer pour qu'il soit en mesure de supporter l'histoire et d'en saisir le sens éducatif. Cette préparation doit en réalité passer par une consultation psychologique. A la sortie de la consultation d'ETP, l'enfant doit être revu au plus tard dans les 48 h.

Histoire de Brenda

Dans cette bande dessinée, nous pouvons constater qu'il n'y a pas un drame mais qu'il s'agit surtout de la vie quotidienne avec le virus. Elle démontre à l'enfant qu'il peut mener une vie saine et productive avec son petit dragon (le virus) et il doit être observant pour éviter que son "animal" ne se réveille. Dans l'utilisation de cet outil, nous n'avons pas constaté de réaction "anormale" de la part des enfants. Cet outil peut être utilisé, même chez l'enfant qui ne connaît pas son statut sérolo­gique au VIH, l'essentiel est de pouvoir atteindre l'objectif fixé au préalable. Vu l'ac­ceptation facile de cet outil, ne serait il pas mieux de l'utiliser en introduction à l'histoire de Craka ?

Autres supports

Parmi les support utilisés, nous avons les images de sensibilisation, qui servent surtout dans l'explication des voies de transmission de l'infection à VIH et les moyens de préven­tion. Il y a aussi les boîtes de comprimés qui servent soit à montrer le traitement, à éta­blir un planning thérapeutique ou à faire une démonstration concernant la prise des médi­caments, la conservation etc. Ces outils ne génèrent pas en principe de troubles émotion­nels chez les enfants et nous n'en avons pas rencontrés jusqu'à ce jour parmi les enfants l'ayant utilisé.

2. Chez les parents

Tout comme chez les enfants l'ETP chez l'adulte se fait avec des outils appropriés. L'histoire de Craka est parfois utilisée aussi chez l'adulte mais elle n'a pas les mêmes répercussions psychologiques car l'adulte a la possibilité de constater qu'il s'agit d'une fiction même si celle-ci est à but éducatif. Les outils utilisés doivent permettre de bien comprendre la maladie et de connaître les dispositions à prendre très tôt en cas d'urgence (apparition d'effets secondaires, fièvres, éruptions cuta­nées etc.). Par contre s'il y a un mauvais trans­fert d'information entre l'éducateur et l'édu­que, nous pouvons assister à plusieurs sortes de manifestations chez l'adulte, allant de la crainte à une grande anxiété ou à une situa­tion de dépression. L'éducateur doit donc veiller à ce qu'un bon transfert s'opère entre son éduqué et lui.

III. Conclusion

Les bienfaits de l'activité d'ETP pour les patients surtout du point de vue psychologique sont nombreux. Cette éducation fournit un grand soutien psychologique dans la mesure où elle leur permet de bénéficier d'une écou­te, capable de leur fournir des informations pouvant leur permettre de lever certaines incertitudes, sources de troubles psycholo­giques. Elle favorise un sentiment d'auto efficacité et les personnes se sentent aptes à affronter leur maladie, les contraintes et les éventuelles complications. Mais l'ETP, en ce qui concerne les enfants, revêt un caractère particulier. Il faut que les outils utilisés soient adaptés à la compréhension de chaque enfant et que la capacité des enfants à supporter

certains outils soit évaluée avant la séance. Ceci relève d'une consultation psychologique à l'issue de laquelle les éventuelles réactions de l'enfant face à certains outils d'ETP doivent être détectées et prises en compte. Revoir ces enfants en consultation psychologique post ETP serait idéal car cela nous permettrait de savoir si les objectifs thérapeutiques ont été atteints d'une part, et de l'autre, connaître les répercussions de la séance sur le fonction­nement psychique de l'enfant.

Bibliographie :

  1. Rapport technique OMS région Europe (1998), in Apprendre à éduquer le patient, JF d'IVERNOIS - R. GAGNAYRE, ed Maloine 2004.

Développement et Santé, n°187, 2007