L'éducation thérapeutique des patients
Le souci de la capacité des personnes à prendre soin d'elles-mêmes dans le cadre d'une pathologie chronique, l'infection à VIH, à travers l'acquisition de compétences et l'évolution de la relation entre soignant et soigné, a été souvent relégué au second plan devant l'urgence de l'accès aux traitements dans les pays dits en développement.
En d'autres termes, la formation des praticiens à la délivrance d'antirétroviraux, l'acquisition de matériels à visée diagnostique et assurant un suivi biologique de l'infection et la fourniture d'antirétroviraux ont été définis comme prioritaires. L'observance, ce résultat attendu susceptible de démontrer le bien fondé des programmes de coopération concernant le VIH et d'éviter le développement trop rapide de résistances virales, a mis l'accent sur le comportement du patient en vue d'une efficacité de la prescription médicale. En revanche l'autonomie des personnes soignées face à des traitements complexes qui évoluent rapidement, les conditions sociales et économiques de cette observance, tout comme les pratiques des soignants, ont été peu abordées dans les dispositifs de soins ; même si certains déterminants économiques et sociaux sont connus pour faciliter l'accès et le maintien des personnes dans le système de soins. La préoccupation du devenir des perdus de vus, qui peuvent dépasser 20 % des personnes suivies au sein d'une consultation de soins, souligne d'ailleurs la pertinence de cette autonomie.
A ce titre l'éducation thérapeutique apporte un renversement de perspective puisqu'elle se propose de prendre en compte les représentations de la santé des personnes soignées et des soignants, de leur apprendre un certain nombre de techniques de soins pour un " auto soin ", et une certaine maîtrise du traitement par les personnes soignées, comme de revisiter les conditions de la prescription médicale. La personne soignée devient ainsi le sujet de son soin et non plus un objet du soin. C'estainsi que "les principes guides" de l'éducation thérapeutique sont présentés et discutés ici à partir d'exemples concrets, dont certains sont directement issus des partenariats inter hospitaliers soutenus par ESTHER. Au-delà d'une approche systémique, la relation contractuelle entre soignants et soignés est particulièrement abordée à travers la démarche pédagogique de l'éducation thérapeutique dans son sens premier d'épanouissement de soi ; ce qui vaut tant pour les usagers du système de santé que pour les équipes de soin. De la même façon les outils, approfondis à partir des programmes d'éducation thérapeutique en Afrique et en Asie ces dernières années, tiennent particulièrement compte des problématiques du soin avec les personnes infectées par le VIH, comme la question de la prévention de la transmission de la mère à l'enfant indissociable de celle des soins pédiatriques, et plus généralement des soins familiaux.
Et pourtant l'intitulé "éducation thérapeutique du patient" introduit une ambiguité qu'il est nécessaire de lever en même temps. Ne s'agirait-il pas en fait d'un travail de l'équipe soignante vers le "patient" (et non pas avec) pour délivrer un savoir à travers une éducation et pour contrôler l'observance, encore appelée adhérence (terme emprunté à l'anglais et moins précis), en contradiction avec l'approche pourtant annoncée ci-dessus ? C'est pourquoi ce numéro de Développement et Santé consacre également une place significative à l'évaluation de l'éducation thérapeutique pour mieux la différencier des méthodes de mesure de l'observance. Certes, si la nécessité de vérifier l'acquisition de compétences par les personnes soignées est rappelée ici, les pratiques des soignants sont aussi évaluées à travers un certain nombre de critères de qualité et d'organisation des soins. Cette évaluation est construite avec le programme mis en ouvre pour fournir la base de la démarche pédagogique et d'un suivi continu, et non seulement la mesure a posteriori d'un dispositif d'éducation thérapeutique. La coopération avec les personnes soignées, particulièrement à travers les associations de personnes touchées par le VIH, est ici essentielle pour co-définir l'éducation thérapeutique. A cet égard, le développement de l'éducation thérapeutique repose de plus en plus sur de nouveaux acteurs, intégrés dans l'équipe de soins à l'hôpital, souvent issus d'associations, parfois appelés "éducateurs associatifs" dont le statut n'est pas toujours établi au démarrage des programmes, introduisant des confusions quant à leurs responsabilités et tâches quotidiennes. Si ce choix, qui ne doit pas se faire à la place et au détriment des soignants, doit être questionné pour clarifier les niveaux de responsabilité et la cohérence entre les différents intervenants du soin, il y a aussi parfois une dérive de la fonction d'éducateur thérapeutique au profit d'autres activités suscitée par l'équipe soignante, comme la prise des constantes médicales (poids, taille, température...), le rangement des dossiers, l'assistance aux malades hospitalisés (rôles administratifs ou d'aide soignant...) dans un contexte de ressources humaines limitées, qui n'est d'ailleurs pas propre à l'éducation thérapeutique. Ceci reflète également la difficulté pour un acteur issu des associations de participer aux soins hospitaliers.
La contractualisation institutionnelle et son suivi, particulièrement entre l'hôpital et les associations partenaires, prend ici tout son sens et nécessite une construction préalable au même titre que l'évaluation du dispositif.
Plus largement il faut s'interroger ici sur la place des différents acteurs du soin pour répondre aux besoins spécifiques qui mobilisent et engagent un accompagnement adapté et efficace avec les personnes soignées. Les questions qui touchent à la sexualité, au désir d'enfants, l'évolution du schéma corporel suite aux effets secondaires d'un traitement nécessitent souvent l'intervention d'un accompagnement psychologique approprié, ce que n'est pas l'éducation thérapeutique. De la même façon, la médiation intrafamiliale autour de la stigmatisation, de l'annonce du statut sérologique, des conflits interpersonnels, fait appel à un savoir faire spécifique et à un positionnement professionnel et social pertinent. La collaboration au Cambodge, décrite dans ce numéro spécial, entre les infirmiers éducateurs
thérapeutiques et les conseillers psychosociaux, dont certains sont touchés par le VIH, dans le même bâtiment, illustre un mode d'articulation possible entre acteurs du soin.
Les effets secondaires des traitements, la relation entre soignant et soigné, et l'environnement psychologique et social sont des déterminants dont le poids a été rappelé sur la capacité des personnes à s'inscrire dans le soin, lors de la 8ème Conférence Internationale des Sciences Humaines, Economiques et Sociales liées à l'infection du VIH/SIDA, qui s'est tenue à Marseille cet été (Aids Impact 2007). En particulier la qualité de la relation entre soigné et soignant est significativement corrélée à une meilleure observance.
Si l'efficacité dans ce domaine de la démarche générale et des outils de l'éducation thérapeutique est maintenant connue, il reste à intégrer cette approche de façon systématique dans les programmes de soins et d'accompagnement des personnes infectées par le VIH dans les pays dits en développement et à approfondir l'évaluation autour des pratiques des soignants, de l'état de santé et du devenir des personnes soignées et de leur qualité de vie.
En miroir de ce qui s'est réalisé en Europe, où l'éducation thérapeutique s'est d'abord construite pour répondre aux besoins des pathologies chroniques comme l'asthme et le diabète, il est à souhaiter que la transition sanitaire dans nombre de pays tropicaux puisse bénéficier du travail réalisé dans le domaine du VIH. D'ailleurs pourquoi la clarification en cours des enjeux et les réponses concrètes fournies autour de l'éducation thérapeutique n'apporteraient elles pas aux structures sanitaires et sociales d'autres régions du monde, un soin et un accompagnement des/avec les personnes atteintes de pathologies chroniques plus efficaces ?
Précisément les modalités d'articulation entre les acteurs du soin au sein de plateformes de santé qui relient les hôpitaux publics aux associations (à commencer par la question du statut des éducateurs), représentent une condition de réussite essentielle pour améliorer la continuité des soins.
Développement et Santé, n°187, 2007