L'éducation thérapeutique de l'enfant : expérience de l'Hôpital d'Instruction des Armées de Cotonou

Par Dr. Alain Azondékon et Fidélia Hinson Unité de Prise en charge de l'enfant Exposé ou Infecté au VIH (UPEIV), Hôpital d'Instruction des Armées, Cotonou, BÉNIN.

Publié le

La mise en oeuvre du programme d'éducation thérapeutique

Dr Alain Azondékon, Médecin Lieutenant-Colonel, Pédiatre, chef du Service de Pédiatrie, Hôpital d'Instruction des Armées (HIA), Cotonou, BÉNIN.

En 2006, grâce à un financement de la fondation GSK, le service de Pédiatrie de l'Hôpital d'Instruction des Armées a mis en place un programme d'éducation thérapeutique (ETP). Ce programme appelé "service d'écoute médicalisé du patient" s'est imposé du fait de la complexité de la prise en charge de l'enfant exposé ou infecté au VIH.

L'ETP pédiatrique permet à l'enfant et à ses parents de s'engager dans une perspective de vie. Elle s'adresse aux parents et à l'enfant directement dès que possible (dès qu'il est en âge d'interagir et avec l'accord des parents). Quand on s'adresse à l'enfant, le dialogue doit être direct, ludique, adapté à l'âge, au niveau d'éducation de l'enfant et à sa capacité de compréhension.

Quelles ont été les étapes importantes pour la mise en place des activités d'éducation ?

Les étapes principales ont été :

  • le respect des conditions préalables à la mise en place d'un programme d'ETP,
  • la formation par Format Santé,
  • les ateliers de formation et d'information de tout le personnel de l'hôpital,
  • la tenue d'un atelier de cadrage qui a permis de définir les thèmes qui doivent faire l'objet de l'éducation du patient, les objectifs à cours et moyen terme du programme d'ETP,
  • les réunions de pilotage et de suivi du programme qui orientent le programme et lui assurent un appui institutionnel.

La conception d'outils, les réunions de suivi et les activités promotionnelles de ce programme sont restés les constantes tout au long du processus.

Activités d'éducation thérapeutique,service de pédiatrie des armées, HIA
  • File active : 322 enfants
  • Nombre d'enfants sous antirétroviraux (ARV) : 89 de 0 à 15 ans
  • Nombre de prescripteurs d'ARV : 4
  • Nombre d'éducateurs : 1 (assistante sociale)
  • Nombre de séances individuelles par mois : 10

Qu'est-ce qui a favorisé le développement de l'ETP au sein de votre service ?

  • L'identification d'une personne chargée spécialement de cette activité après la phase prépilote, l'appui et la stimulation par les experts de Format Santé ainsi que la motivation du personnel ont été les facteurs clés du développement du programme.
  • Une stagiaire, étudiante du Master en éducation à la santé de l'Université de Paris 13, a aidé à la formation plus approfondie de l'éducatrice, au transfert de méthodes de conception et d'élaboration des outils et à la prise en compte de la recherche en matière d'ETP de l'enfant.
  • L'implication effective de l'administration de l'Hôpital d'Instruction des Armées et de la Direction du Service de Santé des Armées, a été un facteur d'accélération du processus. Ces 2 entités sont à l'origine de l'évaluation du programme à mi-parcours et de la conception d'un logo pour le programme d'éducation thérapeutique qui a été baptisé "WEZIZA". "WEZIZA" est un mot de la langue nationale Fon qui veut dire "éclairage" dans le sens du passage de l'obscurité à la lumière, de la nuit au jour par le lever du soleil. Le logo qui a été conçu dans un esprit de promotion du programme traduit bien cette vision en montrant une femme, un enfant, le soleil au lever.

Quelles sont les perspectives d'évolution du programme ?

Nos objectifs à court terme sont :

  • de concevoir des outils d'éducation (boîtes imagées, dessins animés, bandes dessinées),
  • d'évaluer à mi-parcours les stratégies du programme d'ETP pédiatrique : programmation, compétences des éducateurs et des patients. La recherche en ETP pédiatrique assurera la pérennité du programme.


Dr Alain Azondékon. 2007.

Nous prévoyons aussi d'introduire l'ETP pédiatrique dans les sessions de formation à la prise en charge pédiatrique de l'infection à VIH et d'étendre cette activité à deux sites de prise en charge pédiatrique de la ville de Cotonou d'ici un an.

Qu'est ce que l'éducation thérapeutique a apporté dans la prise en charge des enfants vivant avec le VIH dans votre structure ?

Après une courte expérience, l'ETP a permis :

  • Sur le plan du paquet minimum de service : la disponibilité d'un service d'écoute médicalisé pour l'enfant.
  • Sur le plan de l'organisation : une meilleure référence interne et un début de bon ancrage entre les diverses sections de l'unité (médicale, sociale, psychologique et de dispensation des médicaments).
  • Au niveau du patient : une meilleure observance dans le suivi grâce à une compréhension de leur perception de la maladie et des facteurs de rupture du suivi. De plus, l'entourage du patient est davantage pris en compte du fait de la disponibilité du service d'éducation.

Les outils d'éducation et l'animation des séances d'éducation

Fidélia Hinson, assistante sociale, coordinatrice du programme d'éducation thérapeutique, Hôpital d'Instruction des Armées, Cotonou, BENIN.

Alain Azondékon et son équipe ont suivi 3 modules de formation en éducation thérapeutique prévention de la transmision mèreenfant et pédiatrie animés par Format Santé. La mise en oeuvre des activités d'ETP et la conception d'outils d'éducation se sont effectués en parallèle de la formation.

Qu'est ce qui vous a le plus marquée au cours de votre formation en éducation thérapeutique ?

La méthodologie de l'éducation thérapeutique. Apparemment l'éducation thérapeutique ressemble à un entretien simple, mais les séances d'éducation sont menées avec des objectifs pédagogiques précis préalablement définis avec le patient.

Préalablement aux séances d'éducation, il faut mener un diagnostic éducatif pour connaître le patient puis établir un contrat d'éducation.

Pouvez vous nous décrire les outils d'éducation que vous avez développés au cours et à l'issue de la formation ?

Nous avons développé des outils d'apprentissage et d'évaluation ; les outils ont été conçus en atelier au cours des différentes formations. La conception des outils tient compte des objectifs pédagogiques que nous souhaitons développer. Ces outils ont été testés, corrigés et validés par les participants au cours de la formation en les utilisant dans des exposés interactifs ou des jeux de rôle.

Nous les avons exploités dans nos structures respectives et un feed bock de l'utilisation a été fait à la deuxième formation ; les modifications apportées ont permis de les finaliser.

L'histoire de CRAKA est un outil qui résume l'épidémiologie du VIH dans une forme accessible au jeune enfant. L'histoire est traduite en images ce qui permet de capter l'attention de l'enfant pour une bonne compréhension ; elle est d'une grande portée car on peut l'adapter à plusieurs objectifs pédagogiques et à tout public.

Outils d'évaluation Le vrai/faux : C'est l'outil d'évaluation des connaissances par excellence. Il reformule les idées de l'apprentissage selon l'objectif pédagogique et vérifie l'assimilation par un vrai et faux. Il permet à l'éducateur de revenir sur les points faibles pour les améliorer. Il peut être utilisé à tout âge et pour des objectifs pédagogiques courants en pédiatrie par exemple : expliquer le but du traitement. Les QROC : Questions à Réponses Ouvertes et Courtes ; c'est un outil d'évaluation dont les questions sont formulées de telle manière que les réponses soient claires, concises et précises. Exemple : quelle est la répercussion de l'arrêt des ARV sur les CD4 ? Il est adapté à la mère ou aux adultes et adolescents responsables de l'enfants.
Outils d'apprentissage Le planning thérapeutique : Selon l'âge de l'enfant, c'est un tableau ou un dessin qui montre les horaires de prise adaptés à la posologie. Il est aussi très pratique pour la mère analphabète pour qui la vue du petit déjeuner correspond au matin, le lit au soir et le soleil au midi. On associe donc à chaque dessin la couleur du sirop et la quantité à prendre. On l'utilise pour l'adulte ou le grand enfant pour les objectifs pédagogiques suivants : préparer la dose prescrite, montrer le traitement, planifier le traitement en fonction du rythme de vie. Les cartes de Barrows : C'est un excellent outil d'apprentissage ; il aide le patient à prendre une décision et lui permet d'analyser les avantages, inconvénients et conséquences des choix réalisés. Il éclaire la personne sur son choix et la rend surtout autonome. Cet outil est plus adapté au grand enfant et à l'adulte avec des objectifs comme : choisir un mode d'allaitement, adopter la conduite à tenir en cas d'oubli et de vomissement, expliquer l'intérêt du suivi clinique et biologique de l'enfant. La procédure du geste : C'est un outil d'apprentissage qui décrit les étapes d'un geste et permet à l'éducateur de disposer d'idées claires mais surtout ordonnées sur une technique donnée. Il répond aux objectifs pédagogiques tels que : préparer un biberon, mettre un préservatif, administrer la dose prescrite à l'enfant. Il peut être utilisé pour la mère, le tuteur ou substitut. Son évaluation se fait par l'observation du geste à l'aide d'une grille ; au cours de la démonstration, l'éducateur complète les informations et corrige les imperfections. Les histoires et contes : Ils sont surtout adaptés aux petits enfants car ils captent plus leur attention et concernent tout ce qui touche le quotidien de l'enfant. Les personnages utilisés représentent le quotidien ou même le vécu de l'enfant. On peut utiliser les histoires pour les objectifs suivants : expliquer l'intérêt du traitement, expliquer le mécanisme de la maladie. L'histoire que nous avons développée et que nous utilisons le plus est celle de CRAKA. C'est un outil d'apprentissage qui explique la physiopathologie de l'infection par VIH.
L'histoire de CRAKA Craka est le personnage clé de l'histoire et donne de ce fait son nom à l'histoire. Il représente le virus. Les personnages de l'histoire sont constitués d'une famille nommée Money Man. La famille Money Man est riche. Elle possède une vaste maison à l'entrée de laquelle se trouve un gardien du nom de Zannou qui représente les cellules défensives de l'organisme. Un jour, la famille heureuse de Money Man a eu la visite des voleurs dont le meneur est Craka. La maison a été dévastée, Zannou et les membres de la famille ont été tués à l'exception de Money Man le chef de famille. Le voisinage alerté, fait appel à la sécurité qui riposte en attrapant les voleurs. Money Man qui s'était caché a eu le soutien des voisins et de la police. Il s'en est sorti heureux et souhaite reprendre le cours normal de la vie. La maison heureuse est l'organisme, sa destruction est l'évolution de la maladie, le voisinage et la police comme secours représente les soins en particulier les ARV et le soutien de l'équipe soignante.

Comment intégrez-vous la famille dans les séances d'éducation ?

En pédiatrie, bien que parfois l'enfant soit lui même éduqué (grand enfant), il arrive plus souvent que les parents soient sollicités pour l'accompagnement de l'enfant en raison de son jeune âge. Ce sont les parents que nous éduquons mais c'est l'enfant qui en reste le bénéficiaire.

Lors des séances d'éducation, quels principaux bénéfices avez-vous observés chez vos petits patients et leurs familles ?

Nous notons d'abord un changement de comportement qui s'explique par la régularité dans le suivi, une bonne adhésion à la prise en charge.

L'éducation thérapeutique a aidé les familles à faire face à certaines difficultés de leur enfant, par exemple le refus de venir aux soins ; les parents se sentent plus intégrés dans la prise en charge de leur enfant.

Les enfants quant à eux sont surtout impressionnés par la considération et la collaboration qui naissent des séances d'éducation. Certains enfants, ont eux mêmes administré l'outil pédagogique comme un jeu à leur parent ou jeune frère ; ceci illustre le processus d'apprentissage par les enfants.

Nathalie, mon seizième enfant reçu en éducation thérapeutique Nathalie est une petite fille de 13 ans, en classe de 6ème qui vit avec sa grand-mère parce qu'orpheline de mère. Au cours de la séance dont l'objectif pédagogique était d'expliquer l'intérêt du traitement, nous avions noté une bonne participation de Nathalie, notre approche était d'atteindre notre objectif sans nommer la maladie, l'annonce n'étant pas faite. Nathalie n'a pas voulu que sa grand-mère soit présente (ce que nous avons respecté) à cause, nous l'avons su après, de la relation dominatrice de la grand-mère dont elle s'est plainte dans la suite de notre entretien. Habituellement timide lors des soins, elle a montré un intérêt énorme à la séance au cours de laquelle nous avons su qu'elle connaissait sa maladie grâce à la lecture des notices. Nathalie savait donc qu'elle était atteinte par le VIH et que le traitement qu'elle prenait était un traitement à vie. Mais ce qui nous a impressionnés, c'est le désir ardent de cette petite à soigner son père, lui aussi malade, bien que ce dernier lui cache sa séropositivité ne voulant pas que sa nouvelle épouse soit au courant de la maladie. "Je sais que mon père aussi a le SIDA mais refuse de se soigner... s'il continue, il en mourra" nous confia t-elle. Notre projet était d'inviter le père pour susciter sa prise en charge mais c'est Nathalie qui nous a devancé en expliquant à son père le mécanisme de la maladie et l'intérêt du traitement ; en somme, le feed-back de la séance d'éducation. On a noté une grande précision mais surtout un discours qui a pu convaincre son père réticent à la prise en charge depuis 1994. Aujourd'hui, le père est sous ARV, lui qui se faisait remplacer par la grand-mère parce qu'il ne voulait pas se montrer, vient actuellement sans complexe prendre son traitement et celui de sa fille. L'éducation thérapeutique peut donc désamorcer plusieurs situations même complexes pour le bien-être des enfants mais aussi de leur entourage familial.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours des séances d'éducation ?

Les difficultés sont nombreuses.

  • La compréhension de l'activité par l'équipe soignante est la première difficulté ; en effet, pour certains, l'éducation thérapeutique sert à évaluer uniquement l'observance des enfants alors que pour nous éducateur, cela va au-delà de cette attente. Mais une bonne information nous a permis de baliser le terrain et de susciter l'adhésion de tout le monde.
  • L'ancrage de l'éducation thérapeutique dans le suivi clinique : l'ETP est déjà incluse dans les activités de soins habituels : mais si on n'y prend pas garde, elle sera étouffée par les activités cliniques. Il faut donc une explication claire sur le circuit des malades pour une bonne référence vers l'ETP.
  • Au niveau des patients, il y a le non respect des rendez-vous ; même si, au départ, un contrat éducationnel est conclu, les parents et surtout les substituts n'honorent pas leur rendez-vous car cela constitue un rendez-vous de plus. Ce qui fait que certains répondent à l'apprentissage mais ne viennent plus pour l'évaluation. Cette difficulté est en train d'être maîtrisée grâce à l'appui financier institué depuis mars 2007 pour les frais de déplacement (500 à 2 000 cfa).
  • La dernière difficulté concerne les outils utilisés : nous devons sans cesse adapter les outils pédagogiques que nous avons et en créer parfois même en cours de séance. En effet les objectifs pédagogiques sont nombreux et parfois notre outil ne peut couvrir l'objectif traité ; il faut aussi s'adapter au niveau d'étude ou au degré de compréhension de la personne qui se trouve en face de vous.

Il revient donc à l'éducateur d'avoir une imagination fertile mais aussi d'user de tact pour réussir ses séances d'éducation.

Qu'est ce que l'éducation thérapeutique a changé dans votre pratique quotidienne ?

Ma manière de conduire mes entretiens avec plus de structuration. L'éducation thérapeutique m'a permis de comprendre comment expliquer, d'avoir une compréhension claire de mes activités et, également, une définition nette de mes actions en fonction des objectifs pédagogiques.

Quels conseils donneriez-vous à de futurs éducateurs ?

  • Maîtriser la méthodologie de l'éducation thérapeutique.
  • Maîtriser l'outil de chaque séance : compréhension, public, avantages et difficultés. Préparer les séances : l'improvisation n'est pas souhaitable.
  • Assurer l'ancrage de l'activité avec les autres unités du service.
  • Susciter l'adhésion de toute l'équipe de soins.
Pour vous qu'est ce que l'éducation thérapeutique ? L'éducation thérapeutique est un processus qui permet à un individu d'acquérir des connaissances et des pratiques par le biais d'un apprentissage conduit par un éducateur avec un ou des objectif précis à atteindre. Ce processus vise surtout à rendre autonome la personne par la compréhension claire et l'appropriation de savoirs, savoirs-faire et savoirs-être. L'éducateur a aussi le devoir d'évaluer son travail pour un réajustement de l'éducation si nécessaire.

Développement et Santé, n°187, 2007