Interactions médicamenteuses avec les anticoagulants

Par Pascale Lesseur, pharmacien, Paris Dominique Malègue, médecin, Paris

Publié le

Les anticoagulants sont prescrits dans la prévention ou le traitement des accidents thrombo-emboliques. Ils sont utilisés principalement dans le cadre d’affections cardio-vasculaires telles que l’insuffisance coronarienne et l’infarctus du myocarde, les troubles du rythme, les valvulopathies, les thromboses veineuses, l’embolie pulmonaire (ou le risque d’embolie pulmonaire).
Ces médicaments doivent être prescrits avec prudence et le traitement étroitement surveillé, le rapport entre dose efficace et dose toxique étant peu important.
Leur administration en association avec d’autres médicaments peut conduire à des interactions potentiellement dangereuses pouvant entraîner une inefficacité du traitement ou au contraire un surdosage (risque hémorragique).
C’est pourquoi il est essentiel de les connaître et d’expliquer précisément au patient la conduite et la surveillance du traitement.
La plupart des interactions avec les anticoagulants sont connues pour un médicament donné. On connait beaucoup moins bien les interactions éventuelles concernant plus de deux ou trois médicaments associés.
Il faut donc prescrire avec prudence et être sûr que tous les médicaments prescrits sont justifiés.

I. Quelques généralités sur les interactions

1. Les principaux types d’interactions médicamenteuses

Indépendamment du mécanisme ou de la cause, on définit trois types d’interactions entre deux ou plusieurs substances administrées simultanément :

  • Synergie (ou additivité) : les effets des substances s’additionnent. Il peut s'agir des effets thérapeutiques mais aussi des effets indésirables.
  • Antagonisme : une substance réduit (ou annule) les effets de l’autre.
  • Potentialisation : une substance augmente les effets d’une autre.

2. Les mécanismes des interactions

Les interactions médicamenteuses sont de deux types : pharmacodynamiques et pharmacocinétiques.

Les interactions pharmacodynamiques

Liées aux mécanismes d’action des médicaments, elles sont observées lorsque l’un des médicaments modifie les effets de l’autre. Elles concernent des médicaments ayant des propriétés ou des effets indésirables complémentaires analogues ou antagonistes vis-à-vis d’un même système physiologique. Les effets peuvent d’additionner ou au contraire s’annuler.

Les interactions pharmacocinétiques

Elles peuvent intervenir aux différentes étapes de la vie du médicament dans l’organisme :

  • Absorption depuis le lieu d’administration : un médicament peut modifier la vitesse d’absorption ou la quantité absorbée d’un autre (on dit que la biodisponibilité du médicament est modifiée).
  • Diffusion dans l’organisme : le médicament circule généralement dans le sang en partie sous forme liée aux protéines plasmatiques, en partie sous forme libre (non liée aux protéines). Seule cette dernière est active. Si un médicament A déplace un médicament B de sa liaison aux protéines plasmatiques, la forme libre (active) de B augmente, son activité est donc accrue, ce qui entraîne un risque de surdosage.
  • Métabolisme : un médicament peut modifier l’activité d’un autre en stimulant ou en inhibant les enzymes qui le métabolisent (donc le dégradent).En effet, la plupart des médicaments sont hydrophobes et ne peuvent donc être éliminés (par voie urinaire ou biliaire) qu'après transformation en métabolites plus hydrosolubles. Ce métabolisme a lieu surtout dans le foie (mais aussi au niveau de l'intestin).
  • Elimination : des interactions peuvent intervenir lors des deux étapes de l'élimination rénale : la filtration glomérulaire, et l'excrétion tubulaire active ou en cas de modification du pH urinaire.

Il convient de préciser que le risque d’interaction est augmenté en cas de pathologies associées (insuffisance rénale, hépatique…), notamment chez le sujet âgé, et lorsque plusieurs autres traitements sont associés (parfois indispensables…).

II. Niveau de l’interaction et recommandations

Contre-indication : l’association d’un anticoagulant avec un autre médicament peut être formellement contre-indiquée : parce qu’elle peut conduire soit à un surdosage (risque hémorragique), soit au contraire à une inefficacité.

Association déconseillée

Dans ce cas, il s’agit d’une contre-indication relative. L’association doit être de préférence évitée, et si cela est possible, la surveillance du traitement doit être renforcée.

Précaution d’emploi

C’est le cas le plus général. L’association est possible en respectant les recommandations.

Recommandations en cas d’interaction médicamenteuse

  • Remplacement du médicament associé à l’anticoagulant par une substance ayant un effet thérapeutique comparable et n’interagissant pas avec l’anticoagulant.
  • Si l’association est inévitable, il faut :
    • informer le patient,
    • et mettre en place une surveillance renforcée clinique, voire biologique.

Pour la surveillance biologique : l’effet anticoagulant des antivitamine K est surveillé par un test sanguin appelé INR (International Normalized Ratio), expression du Taux de Prothrombine (TP).

III. Les principales interactions avec les anticoagulants essentiels

Les interactions médicamenteuses avec les anticoagulants essentiels seront évoquées :

  • Anticoagulants oraux : antivitamine K (acénocoumarol, warfarine, fluindione).
  • Anticoagulants injectables = héparine (héparine sodique).
  • Médicaments administrés par voie orale comme antiagrégants plaquettaires = acide acétylsalicylique, clopidogrel, ticlopidine.

1. Interactions avec les antivitamine K

Médicament Risque Niveau de l'interaction Recommandations
Acide acétylsalicylique Majoration du risque hémorragique notamment en cas d’antécédent d’ulcère gastro-duodénal CONTRE-INDICATION Association déconseillée à faible doses Autre antalgique : paracétamol, codéine, morphine, selon l’intensité de la douleur. Contrôle biologique, en particulier temps de saignement.
Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) Augmentation du risque hémorragique Toxicité digestive des AINS Association DECONSEILLEE Paracétamol, codéine, morphine, selon l’intensité de la douleur.
Phénylbutazone Inhibition de la fonction plaquettaire + toxicité digestive des AINS CONTRE-INDICATION Si association inévitable, surveillance clinique étroite, voire biologique.
Glucocorticoïdes Méthylprednisolone Risque hémorragique Effet éventuel sur le métabolisme de l’AVK et sur celui des facteurs de la coagulation (à forte dose ou en traitement prolongé > 10 jours) Augmentation de l’effet AVK (si doses 0,5-1 g en bolus) Précaution d’emploi Précaution d’emploi Surveillance clinique et contrôle biologique au 8ème jour, puis tous les 15 jours et après son arrêt. Contrôle de l’INR 2-4 jours après bolus ou si signes hémorragiques.
Héparine Augmentation du risque hémorragique Précaution d'emploi Renforcer la surveillance clinique et biologique lors du relais.
Ticlopidine Augmentation du risque hémorragique Association déconseillée
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine Augmentation du risque hémorragique Précaution d'emploi Surveillance clinique et contrôle de l'INR. Adaptation de la posologie de l'anticoagulant oral.
Antifongiques Miconazole Hémorragies imprévisibles,éventuellement graves CONTRE-INDICATION Autre antifungique
Fluconazole Itraconazole Voriconazole Augmentation du risque hémorragique Augmentation de l’effet de l’AVK Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant et 8 j après arrêt du trt antifongique.
Griséofulvine Risque thrombo-embolique Diminution de l’effet de l’AVK par augmentation de son métabolisme hépatique par la griséofulvine Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant et 8 j après arrêt du trt antifongique.
Antibiotiques Certaines céphalosporines (céfamandole, cefoperazone, cefotetan, ceftriaxone) Fluoroquinolones Cyclines Macrolides (sauf spiramycine) Augmentation du risque hémorragique Augmentation de l’effet de l’AVK Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant et 8 j après arrêt de l’antibiotique
Rifampicine Risque thrombo-embolique Diminution de l’effet de l’AVK par augmentation de son métabolisme hépatique par la rifampicine Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant et 8 j après arrêt de l’antibiotique
Sulfaméthoxazole Chloramphénicol Augmentation du risque hémorragique Augmentation importante de l’effet de l’AVK Association DECONSEILLEE Si association ne peut être évitée, contrôle plus fréquent de l’INR et adaptation de posologie de l’AVK pendant et après arrêt du traitement antiinfectieux.
Noscapine (antitussif morphinique) Augmentation du risque hémorragique Augmentation importante de l’effet de l’AVK Association DECONSEILLEE Si association ne peut être évitée, contrôle plus fréquent de l’INR et adaptation de posologie de l’AVK pendant et après arrêt du traitement associé.
Antalgiques Paracétamol Augmentation du risque hémorragique Augmentation de l’effet de l’AVK si posologie de paracétamol 4 g/j pendant 4 j ou plus Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant la durée de l’association et à son arrêt.
Tramadol Augmentation du risque hémorragique Augmentation de l’effet de l’AVK Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant la durée de l’association et à son arrêt.
Amiodarone et autres anti-arythmiques Augmentation du risque hémorragique Augmentation de l’effet de l’AVK Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant la durée de l’association et à son arrêt.
Anticonvulsivants inducteurs enzymatiques Risque d’accident thrombo-embolique Diminution de l’effet de l’AVK par augmentation de son métabolisme hépatique par l’anticonvulsivant Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK pendant et 8 j après arrêt de l’anticonvulsivant.
Fluorouracile Augmentation du risque hémorragique Augmentation importante de l’effet de l’AVK Association DECONSEILLEE Si l’association ne peut être évitée, contrôle plus fréquent de l’INR et adaptation de posologie de l’AVK pendant et après arrêt du traitement associé.
Allopurinol Augmentation du risque hémorragique Augmentation de l’effet de l’AVK Précaution d'emploi Contrôle plus fréquent de l’INR. Adaptation de la posologie de l’AVK.
Pansements gastriques Baisse de l’effet anticoagulant Diminution de l’absorption digestive Association DECONSEILLEE
Millepertuis Risque thrombotique Diminution des concentrations plasmatiques de l’AVK (effet inducteur enzymatique) avec baisse d'efficacité voire annulation de l'effet CONTRE-INDICATION En cas d'association, ne pas interrompre brutalement la prise de millepertuis, mais contrôler l'INR avant et après son arrêt.

2. Interactions avec les héparines

Médicaments Risque Niveau de l'interaction Recommandations
Dextran Augmentation du risque hémorragique Inhibition de la fonction plaquettaire par le dextran Association DECONSEILLEE Renforcer la surveillance clinique et si possible biologique (TCA* et contrôle de l’activité anti-Xa).
Acide acétylsalicylique Augmentation du risque hémorragique Inhibition de la fonction plaquettaire et toxicité de l’acide acétylsalicylique sur la muqueuse gastroduodénale Association DECONSEILLEE Paracétamol, codéine, morphine, selon l’intensité de la douleur.
Anticoagulants oraux Augmentation du risque hémorragique Précaution d'emploi Renforcer la surveillance clinique et si possible biologique (TCA et contrôle de l’activité anti-Xa) lors du relais.
Anti-inflammatoires non stéroïdiens Augmentation du risque hémorragique Toxicité des AINS sur la muqueuse gastroduodénale Association DECONSEILLEE Si l'association est inévitable, surveillance clinique étroite.

3. Interactions avec l'acide acétylsalicylique à visée anti-agrégante

Médicament Risque Niveau de l'interaction Recommandation
Anti-inflammatoires non stéroïdiens Augmentation du risque hémorragique Toxicité des AINS sur la muqueuse gastroduodénale CONTRE-INDICATION avec la phénylbutazone. Association DECONSEILLEE avec les autres AINS. Paracétamol, codéine, morphine, selon l’intensité de la douleur. Si association inévitable, surveillance clinique étroite, voire biologique.
Anticoagulants oraux Héparine Augmentation du risque hémorragique Précaution d’emploi Surveillance clinique et biologique.
Pansements gastriques Baisse de l’effet antiagrégant plaquettaire Diminution de l’absorption intestinale Association DECONSEILLEE

Conclusion

En pratique, il est indispensable de connaître les principales interactions médicamenteuses avant de prescrire un médicament à un patient traité par anticoagulant.
Il faut consulter la notice du médicament sur laquelle sont indiquées les recommandations, notamment poir tous les médicaments non cités dans cet article.
L’éducation du patient est essentielle :

  • il doit comprendre l’importance de la surveillance du traitement,
  • il ne doit pas prendre d’autres médicaments sans avis médical (pas d’automédication).
Antivitamine K Héparine Acide acétylsalicylique à faible dose et autres antiagrégants plaquettaires
CONTRE-INDICATIONS Acide acétylsalicylique Phénylbutazone Miconazole Millepertuis AINS Methotréxate à forte dose
Associations DECONSEILLEES AINS Sulfaméthoxazole Noscapine Fluorouracile Pansements gastriques Ticlopidine Dextran Acide acétylsalicylique AINS Clopidogrel Ticlopidine AINS Pansements gastriques Héparine AVK Ticlopidine