Interactions médicamenteuses

Par Philippe Reinert Pédiatre, Hôpital Intercommunal, Créteil, France.

Publié le

Devant un malade souffrant de courbatures, de fièvre, de toux, de fatigue, la tentation est grande pour l'infirmier de prescrire par exemple de l'acide acétylsalicylique (aspirine), de la quinine, un antitussif, et un fortifiant. Or, dans notre organisme un tel mélange de substances chimiques peut avoir des conséquences parfois graves: disparition de l'effet thérapeutique souhaité, action toxique sur un organe donné ou enfin un résultat tout à fait imprévu.

Pour éviter ce type d'accident thérapeutique, tout prescripteur devra s'efforcer d'éviter les associations de médicaments (trois devant être le maximum).

I. Schématiquement, on oppose

  • les interactions médicamenteuses propres survenant dans l'organisme sous l'effet des enzymes : elles sont complexes et mal connues,

  • aux incompatibilités qui peuvent se produire avec des produits injectables : lire entièrement les recommandations du fabricant.

Les interactions médicamenteuses ne sont pas toujours nuisibles pour le malade: on utilise ainsi les synergies.

1. Synergies

Pour détruire une bactérie, il sera utile quelquefois d'utiliser deux antibiotiques attaquant à un niveau différent le germe à détruire.

Exemples

  • Pénicilline-aminoside : la pénicilline agit sur la membrane bactérienne: elle facilite la pénétration de l'aminoside (gentamycine) qui agit au centre de la bactérie. L'aminoside sera donc beaucoup plus efficace s'il est associé à la pénicilline.
  • Le sulfaméthoxazole et le triméthoprime sont de médiocres antibactériens bactériostatiques. Associés, ils constituent le un puissant sulfamide bactéricide (les deux substances bloquent la synthèse de l'acide folique à deux niveaux : or l'acide folique est indispensable à la croissance des bactéries).
  • L'association amoxicilline-acide clavulanique constitue l'exemple le plus démonstratif d'association bénéfique : cet antibiotique est certainement le plus utile dans de nombreuses infections bactériennes chez l'enfant.

Ailleurs, la potentialisation de l'effet thérapeutique peut avoir des conséquences graves :

  • L'action anticoagulante des antivitamine K peut être augmentée par de nombreux médicaments : aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens ; à l'inverse, des aliments riches en vitamine K peuvent en diminuer les effets (choux, tomates, épinards).
  • De nombreux médicaments provoquent une diminution de la vigilance : l'utilisation de tranquillisants (dériv"s le plus souvent des benzodiazépines), de plus en plus répandue, provoque cet effet, ce qui aboutit à de fréquents accidents de circulation.
  • L'action des antidiabétiques oraux (le diabète est de plus en plus fréquent en Afrique) est facilement perturbée par les inducteurs enzymatiques, tels que la rifampicine.

2. Antagonismes

A l'opposé, un médicament peut s'opposer à l'action d'un autre. La tétracycline freine la multiplication des bactéries : la pénicilline agit sur la synthèse bactérienne quand elles se multiplient: l'association pénicilline-tétracycline est donc illogique puisqu'un antibiotique gêne l'action de l'autre.

II. Perturbations pharmacologiques

Un médicament peut agir sur :

  • l'absorption intestinale,

  • la modification par des enzymes (hépatiques par exemple),

  • la répartition dans l'organisme,

  • l'élimination urinaire ou intestinale.

1. Modification de l'absorption intestinale

a) Les pansements gastriques

Les pansements gastriques du type carbonate de soude diminuent l'absorption intestinale des médicaments acides : ils les rendent donc moins efficaces. C'est le cas des antivitamine K, des anti-inflammatoires non stéroïdiens, des pénicillines orales, des sulfamides et de l'aspirine. Or, combien de malades prennent à votre insu une " poudre pour l'estomac "!

b) Les sels de calcium (et le lait)

Ils transforment en complexe non assimilable par l'intestin certaines tétracyclines : l'antibiotique deviendra donc totalement inactif (rappelons au passage que les cyclines sont contre-indiquées avant sept ans car elles peuvent teinter les dents de façon définitive).

c) Les sels d'aluminium (alumine)

Autre pansement gastrique, de la même manière transforment en produit non absorbable le furosémide (diurétique). Pour remédier à cet effet néfaste, il faut donner le comprimé de furosémide une heure avant l'alumine.

Principales associations à éviter
Risques
Erythromycine + théophylline Intoxication à la théophylline
Tétracycline + calcium (ou lait) Non absorption des cyclines
Rifamycine + pilule Acide valproïque + pilule Grossesse
Antivitamine K + aspirine Antivitamine K + chloramphénicol Hémorragie
Morphine + alcool Coma
Paracétamol + AZT (anti SIDA) Toxicité hématologique
Aminoside + aminoside Toxicité rénale et auditive
Antiseptiques mercuriels + antiseptiques iodés Toxicité cutanée ++
Anti-inflammatoires non stéroïdiens + stérilet Grossesse

2. Activation enzymatique

Deux médicaments, très utilisés activent certaines enzymes du foie et peuvent faire chuter les taux sériques d'un médicament donné (qui devient alors inefficace). Ce sont surtout :

  • le phénobarbital, médicament de base de l'épilepsie,

  • la rifamycine, antituberculeux majeur.

Le phénobarbital peut ainsi diminuer les taux d'antivitamine K (anticoagulants).
La rifampicine peut rendre inefficace la pilule contraceptive (oestroprogestatifs) et être responsable de grossesses non désirées.

3. Modification de répartition dans l'organisme

Notion de liaison protéique

De nombreux médicaments se fixent dans le sérum aux protéines et en particulier à l'albumine.

La forme fixée n'est pas directement active (par exemple la céfalotine se fixe à 75 % à l'albumine : seuls les 25 % libres ont un effet antibiotique).

Certains médicaments donnés simultanément peuvent se fixer à leur tour sur l'albumine et chasser la céfalotine. Le résultat sera un renforcement de l'effet antibiotique.

Dans d'autres circonstances, le "déplacement" du médicament lié à l'albumine aura de graves conséquences. Par exemple: les anticoagulants antivitamines K (warfarine) "chassés" de l'albumine par les anti-inflammatoires peuvent provoquer des hémorragies par hypocoagulation brutale.

Certains sulfamides antibactériens peuvent déplacer de l'albumine les sulfamides hypoglycémiants si utiles dans le diabète de l'adulte. Cette libération brutale peut provoquer une hypoglycémie mortelle.

L'érythromycine élève le taux sérique de la théophylline si utile dans l'asthme: l'intoxication à la théophylline peut être mortelle chez le petit enfant.

4. Modification de l'élimination urinaire

Toute acidification des urines va freiner l'élimination des médicaments alcalins. A l'inverse le carbonate de soude, alcalinisant, administré par voie intraveineuse entraîne une élimination massive du Gardénal sérique (les perfusions de bicarbonate sont le traitement des intoxications barbituriques).

5. États pathologiques et interactions médicamenteuses

Chez certains sujets, le nourrisson, le sujet âgé, la femme enceinte, l'insuffisant hépatique ou rénal, les interactions sont plus graves. Ici plus qu'ailleurs, il faudra, autant que faire se peut, ne prescrire qu'un médicament à la fois.

Chez le nouveau-né par exemple, les enzymes hépatiques sont à 25 % des taux adultes, le pouvoir d'élimination rénale est diminué : il ne faudra donc jamais administrer en même temps des médicaments à métabolisme hépatique ou à élimination rénale.

Conclusion

  • En prescrivant un médicament, il est possible de savoir l'effet attendu.
  • En en prescrivant deux, les incidents et accidents ne sont pas rares.
  • Avec trois, quatre, cinq médicaments, vous devenez franchement dangereux !

Développement et Santé, n°89, octobre 1990