Intégration des activités d'éducation thérapeutique dans le soin et l'accompagnement du patient vivant avec le VIH
Expérience de l'hôpital Calmette de Phnom Penh (Cambodge).
I. Mise en oeuvre des activités d'éducation
thérapeutique à l'hôpital Calmette
Dans le cadre de l'initiative ESTHER, un partenariat entre l'hôpital du Kremlin Bicêtre et l'hôpital Calmette a été initié en 2003. L'objectif a été de créer un centre référent dans une logique de prise en charge globale et de continuité des soins apportés aux patients. L'accent a été notamment mis sur la formation de tous les acteurs clés du projet, le développement d'un programme d'éducation thérapeutique et l'implication du réseau associatif et du tissu communautaire dans l'accompagnement psycho-social des patients et des familles.
Le jumelage ESTHER vous a conduit à participer à la mise en place du service de consultations externes de l'hôpital Calmette. Comment se sont développées les activités d'éducation thérapeutique au sein du service ?
Le service de consultations externes de l'hôpital Calmette a ouvert ses portes le 17 février 2003 et les premières trithérapies ont débuté en juillet de la même année.
Dès le début de la consultation, en mai 2003, nous avons mis en place une consultation d'information sur l'infection à VIH et les traitements antirétroviraux (ARV) de manière à préparer les patients au traitement. Cette consultation était animée par les infirmiers après une formation théorique de 15 heures sous forme de cours théoriques et jeux de rôles. Les patients étaient adressés, sur prescription, à la suite de la consultation médicale afin de ne pas les faire revenir plusieurs fois.
- Lors de la première consultation : un questionnaire individuel permettait de cerner l'environnement psycho-social et le rapport à la maladie ainsi que l'état des connaissances du patient. Une note d'information sur les traitements était remise au patient et commentée.
- Au cours des deuxième et troisième consultations : une évaluation des acquis des précédentes consultations était effectuée.
Les compétences développées étaient les suivantes : citer et identifier les différents médicaments de son traitement, décrire la posologie et les modalités de prise de chacun des médicaments, comment rattraper une prise médicamenteuse en cas d'oubli, gérer son stock de médicament, comment gérer les effets secondaires...
Fin 2003, une demande de financement a été adressée à la fondation GSK pour mettre en place un programme d'éducation thérapeutique.
Ce programme a été coordonné par l'association Format Santé sous la direction du Pr. Rémi Gagnayre (Laboratoire de pédagogie des sciences de la santé de la faculté de médecine de Bobigny).
Les conditions préalables à la mise en œuvre du programme ont tout d'abord été explorées
Etude de pertinence, de faisabilité et de fonctionnalité pédagogique.
Les ressources humaines, matérielles, logistiques et organisationnelles ont été identifiées, ainsi qu'un coordinateur de l'activité.
Suite à cette première mission, il est ressorti que :
- Les pratiques éducatives étaient caractérisées par une forte propension à dispenser des conseils et des informations au lieu de partir des connaissances du patient, de ses problématiques et de l'écouter.
- Les équipes avaient des difficultés à travailler de manière multiprofessionnelle. Même si des projets de fiches de liaisons entre médecins et infirmiers étaient évoqués, il n'y avait pas de réunions abordant les problèmes médicaux psycho-sociaux et éducatifs de manière simultanée.
Une première mission de 2 semaines a eu lieu en janvier 2004
Une formation de 5 jours animée par Format Santé a tout d'abord regroupé une trentaine de participants parmi lesquels médecins, personnels de la maternité, de la pharmacie, représentants des associations et les 4 infirmiers de la consultation externe futurs éducateurs.
L'objectif de cette formation était de renforcer la démarche d'éducation thérapeutique dans la prise en charge médicale et infirmière du patient.
La deuxième semaine a été consacrée aux infirmiers éducateurs et à la mise en pratique de la formation : la qualité d'écoute a surtout été travaillée. Le but était d'établir un diagnostic éducatif en cernant les compétences acquises et celles à acquérir par le biais de questions ouvertes.
Malgré la barrière de la langue (les consultations s'effectuent en Khmer), nous avons pu communiquer et avons utilisé d'autres moyens pour l'observation des séances : le temps de parole laissé au patient, les silences, l'observation des gestes... nous ont donné beaucoup d'informations. En effet, si sur une séance de 20 mn, le patient ne parle que 5 mn, ce n'est pas de l'éducation mais juste de l'information !
Au terme de ces 15 jours, 2 documents ont été élaborés et intégrés au dossier du patient : une liste de question pour faciliter le recueil de données, une fiche permettant de noter la compétence travaillée à chaque séance. Une réunion mensuelle infirmières-médecins a été décidée afin de mieux communiquer et d'échanger des informations sur un ou plusieurs patients.
Une mission de suivi a été effectuée par Format Santé en juillet 2004, avec les objectifs suivants
- Accompagner les infirmiers éducateurs sur le terrain professionnel au cours des séances d'éducation,
- Les aider à concevoir un support d'éducation et un support de transmission d'information entre médecin et infirmier,
- Aider les équipes à renforcer dans leur réunion les discussions portant sur les dimensions sociales et éducatives.
- Mettre en place un dispositif minimal d'évaluation de l'éducation thérapeutique.
En février 2005, au cours d'une mission dans le cadre du programme ESTHER, nous avons travaillé avec les éducateurs sur la mise en place du dossier d'éducation
Les recueils de données étaient conservés et non utilisés et il n'y avait pas de traces écrites des séances d'éducation.
Nous avons donc pris appui sur le dossier d'éducation de l'hôpital du Kremin Bicêtre que nous avons fait traduire en Khmer avant notre départ.
Après une présentation du dossier aux éducateurs et un travail d'adaptation, les éducateurs l'ont tout de suite utilisé avec les patients.
Entre 2005 et 2006, les infirmiers éducateurs sont venus en stage à l'hôpital du Kremlin Bicêtre.
Ils ont participé à des séances d'éducation, ont observé les conditions de travail, le lieu d'éducation, les outils et notamment le dossier infirmier. Ils se sont ainsi rendu compte que les infirmières travaillaient en étroite collaboration avec les médecins.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la mise en place des activités d'éducation thérapeutique ?
Lors de la mise en place en 2003 de ce que nous appelions les "consultations d'information", les médecins n'étaient pas convaincus de l'intérêt de l'éducation thérapeutique dans la prise en charge globale du patient. A cette époque ils pensaient que les patients allaient bien prendre leurs traitements et que ça n'allait pas poser de problème. Il était, de plus, difficile de faire travailler ensemble les médecins et les infirmiers, ils n'en avaient pas l'habitude.
C'est avec la formation animée par Format Santé que les choses ont commencé à changer. Toute l'équipe a participé à la formation et cela a permis de renforcer, aux yeux des soignants, l'importance et la place de l'éducation thérapeutique dans la gestion du patient. C'était pour eux une notion nouvelle et même si les infirmiers pratiquaient cette activité depuis quelques mois sur nos conseils, l'importance de cette activité n'était pas encore réellement perçue.
Les médecins, relativement peu motivés lors de la première semaine de formation et pris par leurs activités, se sont montrés très intéressés lors des séances d'éducation et sont même venus y participer au côté de leurs patients. Ils ont accepté progressivement le programme et se sont aperçu de l'appui considérable des éducateurs.
Les infirmières ont pu progressivement s'intégrer dans les réunions de service.
Les activités d'éducation thérapeutique sont aujourd'hui bien intégrées au soin. Quelles en sont selon vous les raisons ?
La mise en place de cette activité dès le début de la prise en charge a été un facteur important :
- La prise en charge était neuve, les infirmiers aussi et peu de mauvaises habitudes avaient été prises.
- D'autre part, la consultation d'éducation a pu tout de suite être intégrée dans le circuit du patient, avec une plage horaire, un lieu.
L'implication de l'ensemble du personnel soignant lors de la formation Format Santé a permis une adhésion progressive. L'éducation thérapeutique est alors devenue un projet de service. Aujourd'hui, les réunions mensuelles infirmières/médecins et l'existence du dossier d'éducation permettent de communiquer entre éducateurs et soignants.
Le lieu d'éducation est juste à côté de celui du médecin. Ce sont des salles à part où la confifentialité est respectée.
L'éducation est intégrée dans les fonctions des infirmiers et en représente une part importante. Par ailleurs, tous les infirmiers sont concernés par cette activité.
L'évaluation de l'impact du programme d'éducation a permis de faire reconnaître et de valoriser les activités d'éducation au sein du service : évaluation des compétences des patients, mesure de l'observance et de l'efficacité thérapeutique.
Et puis bien sûr, l'existence d'un coordinateur des activités d'éducation, le Dr. Ban Boroath.
Le Dr. Ban Boroath est aujourd'hui médecin référent et formateur en "éducation thérapeutique" au sein du cursus national des médecins et infirmières au Cambodge.
Tous les ans, une semaine de formation à l'éducation thérapeutique est dispensée par les médecins et infirmières de Calmette pour d'autres personnels.
Aujourd'hui, quand nous partons en mission à l'hôpital Calmette et que nous rencontrons les infirmiers éducateurs, c'est à notre tour d'apprendre ! L'éducation est en effet complètement intégrée à la prise en charge, la file active est importante et les infirmiers se consacrent presque exclusivement à l'ETP ; par conséquent, ils mènent plus de séances d'éducation que nous à l'hôpital de Kremlin Bicètre et ont la possibilité de développer leurs compétences notamment en pédagogie.
II. Activités d'éducation thérapeutique à l'Hôpital Calmette
Par Dr. Boroath Ban,
Coordinateur des activités d'éducation thérapeutique à l'hôpital Calmette.
Dr. Ban, vous êtes médecin clinicien du VIH/SIDA à l'hôpital Calmette et coordinateur de l'éducation thérapeutique. En quoi consistent vos fonctions
En tant que coordinateur, j'ai deux missions principales : l'organisation des activités d'éducation et le suivi des éducateurs. Concernant l'organisation des activités d'éducation, je suis en charge du plan d'activités et du circuit des patients. Je détermine les critères d'inclusion des patients pour l'éducation et prépare les dossiers et les outils des séances.
Le suivi des éducateurs consiste à faire de la supervision et à les accompagner, répondre à leurs questions et à leurs besoins et mettre à jour les connaissances scientifiques autour du VIH/SIDA.
Quelle formation avez-vous reçue en éducation thérapeutique ? Que vous a apporté cette formation ?
Une première formation de 2 semaines avec l'équipe du Pr. Rémi Gagnayre, Format Santé, m'a permis de mieux comprendre l'éducation thérapeutique.
Puis j'ai participé à la Maîtrise éducation thérapeutique de la faculté de Bobigny en tant que candidat libre, pendant 5 jours et j'ai beaucoup appris sur la méthodologie pédagogique.
Au cours de deux stages pratiques d'un mois au CHU de Bicêtre j'ai pu améliorer mes compétences en organisation et méthodologie de l'éducation thérapeutique.
Activités d'éducation thérapeutique à l'hôpital Calmette, Juin 2007
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Comment l'éducation thérapeutique est-elle intégrée dans le circuit de prise en charge du patient ?
Les séances d'éducation se font systématiquement après la consultation médicale : 3 séances avant la prescription des ARV par les médecins et 1 séance trimestrielle chez tous les patients sous ARV.
Les éducateurs et les médecins collaborent étroitement : les éducateurs aident les médecins à suivre les patients dans le cadre de la consultation médicale ; ils accueillent les patients traités avant et après la consultation et adressent les patients aux médecins en cas de problèmes médicaux.
Enfin, des réunions mensuelles et le dossier d'éducation leur permettent d'échanger des informations.
Quels ont été les éléments favorables à la mise en place et l'intégration au soin de l'éducation thérapeutique à Calmette ?
La direction, les responsables et les médecins de l'hôpital comprennent l'intérêt de l'éducation thérapeutique ; c'est un point capital ! Notre circuit de prise en charge est bien organisé : accueil, consultation externe, pharmacie et services hospitaliers et a intégré dès le début l'éducation thérapeutique. L'ensemble des acteurs hospitaliers appuient cette démarche : médecins, infirmiers, conseillers et le personnel administratifs.
III. L'articulation avec le conseil psychologique et social
Par Dr. Ly Cheng Huy
coordinateur ESTHER Cambodge.
A Calmette, les patients sont aussi suivis par des conseillers psycho-sociaux. Quelle est leur mission ?
6 conseillers psychosociaux travaillent à plein temps. Recrutés en mars 2005, ils ont pour rôle de faciliter les soins et l'accompagnement psychosocial des personnes soignées à travers notamment :
- L'articulation entre l'éducation thérapeutique et la relation d'aide pour répondre à des situations familiales et personnelles qui rendent l'observance difficile,
- La médiation entre le personnel de soin et les patients pour faciliter le circuit des patients,
- Le travail en réseau avec le tissu associatif et les différents services de santé et d'accompagnement pour orienter les patients vers des services sanitaires et de soutien sociaux et économiques adaptés (centre d'hébergement, soins à domicile, soutien économique...).
Ils travaillent dans les salles d'accueil des patients spécifiques à cette activité (salles de conseil) et aux lits des patients hospitalisés. Depuis mars 2005, 4641 patients ont été sui vis en consultation ; 150 patients sont suivis par mois.
Le dispositif d'accompagnement psycho-social Dr. Pascal Revault, GIP ESTHER Au-delà de l'éducation thérapeutique, du soutien économique pour l'accès aux soins, l'offre de soin a grand besoin d'un accompagnement des personnes. Il s'agit ici "d'aller de compagnie" avec la personne pour améliorer son accès et sa participation aux soins, ce qui n'est pas accessoire. Etre accompagné, c'est aussi être soutenu, voire protégé d'une certaine violence des soins, enrichi dans son parcours de soins. Le dispositif d'accompagnement psychosocial est un espace d'accompagnement à l'intérieur de l'hôpital. L'initiative ESTHER (Ensemble pour une Solidarité Thérapeutique et Hospitalière en Réseau) s'est attachée depuis 2002 à faciliter l'accès aux soins des personnes vivant avec le VIH dans les pays partenaires, principalement à travers des échanges d'expertise et d'expériences entre les équipes soignantes de centres hospitaliers en France, en Afrique et en Asie. Dans le même temps, des associations locales souvent en lien avec la société civile en France, des soignants, des familles, des personnes touchées par le VIH étaient déjà mobilisés autour des différentes structures de soin publiques pour améliorer l'accès aux soins et accompagner les personnes. La rencontre de praticiens de terrain (écoutants, psychologues, médecins, personnes touchées par le VIH mobilisées dans la médiation familiale et l'accès aux soins à l'hôpital...) entre la France, le Cambodge et le Bénin a été initiée par ESTHER entre 2004 et 2007 et a permis de déboucher sur des propositions concrètes d'un accompagnement psychologique et social à l'intérieur de l'hôpital. Ces propositions sont présentées au sein d'un guide édité par ESTHER. |
Quelle formation ont-ils reçue ?
La formation a été animée par des partenaires locaux, des intervenants d'ESTHER et l'association Sida Info Service selon le processus suivant :
- Vingt jours de formation théorique (150h) réparties en 3 sessions (3 modules : prendre soin, accompagner, travailler en réseau).
- Un stage pratique des participants dans les services de consultation et d'hospitalisation de l'hôpital, centré sur le parcours de soin des personnes : 10 jours (40h) validé par un rapport de stage.
- Une validation écrite des savoirs et un entretien personnalisé confidentiel préalable avec un counselor indépendant.
- Un suivi continu des pratiques des conseillers psychosociaux est réalisé deux fois par an, (2 fois une semaine) par les formateurs pour discuter de cas concrets, échanger et renforcer les pratiques.
- Tous les 2 mois, une supervision est effectuée par un counselor indépendant du dispositif de soin et d'accompagnement (vécu personnel à partir des difficultés et réussites rencontrées et mise à jour des connaissances).
Comment les éducateurs se coordonnent-ils auec les conseillers psycho-sociaux ?
Le circuit de prise en charge a été formalisé entre les conseillers et les éducateurs. Ils échangent au cours de la réunion hebdomadaire de staff dans laquelle sont présents les médecins, infirmiers, conseillers, et coordinateurs.
Enfin, une réunion mensuelle est organisée entre les éducateurs et les conseillers psychosociaux.
M. VAN Thieng, M. PAO Sam Oen Infirmiers, éducateurs à l'hôpital Calmette Qu'est-ce qui vous a le plus marqué au cours de votre formation en éducation thérapeutique ? Ce qui m'a le plus marqué, c'est que l'éducation thérapeutique permet d'aider les patients à trouver une solution par eux-mêmes. Je me suis aussi rendu compte que l'observance au traitement était souvent liée aux problèmes sociaux du patient. Quels conseils donneriez vous à de futurs éducateurs ? En tant qu'éducateur, il est important d'avoir de bonnes connaissances sur la maladie et les traitements. Notre langage doit être adapté aux patients. Il faut prendre du temps pour les écouter et toujours faire préciser les problèmes posés. Les éducateurs ne doivent ni juger, ni prendre les problèmes des patients pour eux. Ils doivent respecter la confidentialité. |
Dr OUK Vara Chef de l'Unité des maladies infectieuses et responsable des activités médicales du programme ESTHER à l'hôpital Calmette Qu'est-ce que l'éducation thérapeutique a changé dans votre pratique quotidienne ? L'éducation thérapeutique a permis d'attirer l'attention des médecins sur l'observance. Nous donnons plus de conseils aux patients et nous sommes conscients que patients et médecins doivent partager les connaissances autour de la maladie et du traitement. L'éducation thérapeutique a permis d'améliorer les résultats et conditions de prise en charge thérapeutique des patients. |
Remerciements pour le recueil d'interview à Dr. LY Cheng Huy, coordinateur ESTHER Cambodge
Développement et Santé, n°187, 2007