Infections urogénitales et reproduction

Par Stéphane Bodika* * Médecin, Maternité Christ-Roi, Mbujimayi (Kasaï oriental), Zaïre.

Publié le

Ces derniers temps, les infections urogénitales prennent de plus en plus d'importance dans la pathologie féminine, et plus particulièrement chez la jeune femme, au point que beaucoup de questions d'ordre thérapeutique et diagnostique sont posées. Celles-ci à la différence des hommes consultent tard, ignorant souvent que le risque majeur est la stérilité. L'autre problème majeur est bien sur le sida qui n'est pas le sujet de cet article.

Ce n'est pas le propos de notre article dans lequel nous voulons montrer l'impact négatif de ces infections sur la reproduction, en particulier dans la ville de Mbujimayi.

Nous débutons par la présentation du milieu, suivi d'un rappel sur les pathologies fréquemment rencontrées, leurs conséquences sur la reproduction, et le traitement.

Nous terminons par quelques chiffres relevés à la maternité Christ-Roi où nous travaillons, suivis d'un bref commentaire.

I. Du milieu et de ses habitudes

S'il y a des villes qui accusent moins le coup de la crise multifactorielle que traverse le Zaïre actuellement, la ville de Mbujimayi, chef-lieu de la province du Kasaï oriental, est de celles-là. Située au centre du pays, cette région a économiquement mieux amorti les coups de la crise qui a mis à genoux toute la république et cela grâce à cette pierre précieuse dont regorge son sous-sol : le diamant.

Mais hélas, ce dernier n'est pas seulement un porte-bonheur comme on serait tenté de le croire surtout lorsque l'on sait que son exploitation a été libéralisée depuis un peu plus de dix ans.

En effet, la ruée vers le diamant a causé la désertion des jeunes gens dans les écoles laissant ainsi la province en retard sur le plan de l'instruction. Etudier est devenu un passe temps désagréable pour beaucoup de jeunes. Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire " Français tshi nfalanga too " (littéralement : " Le français n'est pas de l'argent ", " Ne deviennent pas riches seuls ceux qui s'instruisent "). Cette situation a fait qu'à ce jour la grande majorité des jeunes s'adonne à l'exploitation artisanale du diamant et néglige l'instruction Le niveau moyen d'études pour ces jeunes est d'un ou deux ans postprimaires.

Comme la coutume l'encourage, ils se marient très jeunes, à l'âge de quatorze ans environ (souvent à l'âge des premières règles). Ces infortunés vont prendre en mariage des jeunes filles aussi illettrées qu'eux-mêmes, à la seule différence que celles-ci sont éduquées de manière à devoir obéissance absolue au mari. Ce dernier, lorsqu'il est dans les mines de diamant, peut s'adonner à toute activité sexuelle avec les filles de son choix sans que les femmes ne puissent s'en plaindre. Ainsi, dans ce cycle de vie où le mari est presque toujours à la mine, où il peut changer de partenaire au gré de sa chance à trouver quelques pierres précieuses, les épouses sont exposées à toutes sortes d'infections génitales (la polygamie étant admise). Quand bien même le mari serait conscient qu'il a une chaude-pisse ou une autre infection, c'est lui qui décide du traitement à prendre pour son/ses épouse(s) et pour lui-même. Très souvent il commence par une automédication : deux capsules de 500 mg d'ampicilline par jour pendant deux à cinq jours selon ses moyens financiers, ou quelques capsules à 250 mg de tétracycline pendant trois jours. L'arrêt du traitement est souvent lié à la disparition des signes. Mais, quelques jours plus tard, lorsqu'il y a rechute, la confiance dans la médecine moderne tombe, suite à l' " échec " du traitement, et on s'adresse à la médecine traditionnelle. Le mari amène un breuvage à son/ses épouse(s), qui l'accepte(nt) sans broncher (obéissance oblige). Très souvent c'est seulement après l'échec du traitement traditionnel que l'époux - toujours lui - accorde à sa/ses femme(s) l'autorisation d'aller voir un médecin. Là, le problème diagnostique est résolu d'avance car le motif de consultation est simple : " Mon époux m'a contaminé et m'envoie vous voir pour que vous me prescriviez un traitement. "

L'unique raison pour laquelle la femme peut prendre l'initiative d'aller consulter un médecin dans un service de gynéco-obstétrique est pour stérilité primaire ou secondaire.

Les enfants constituant une richesse pour le mari, toute épouse frappée de stérilité, souvent secondaire dans notre milieu, se voit retirer l'affection de son mari. Ce dernier, fort de son pouvoir sur la femme, en épouse d'autres, avec ou sans l'accord de sa femme.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi la fréquence des infections urogénitales dans notre milieu est très élevée au point d'inquiéter toute bonne conscience, car la reproduction en est gravement affectée.

II. Les infections couramment rencontrées

1. Les vulvo-vaginites

Sous cette appellation sont regroupées toutes les inflammations, quelle qu'en soit la cause, de la vulve et du vagin.

Bien que l'un des signes communs soit une leucorrhée abondante, il est étonnant que peu de femmes viennent consulter pour vulvo-vaginites, sauf lorsque le prurit qui accompagne souvent la leucorrhée est présent et encore faut-il qu'il soit plus ou moins intense et cause un certain inconfort. Dans la majorité des cas, les vulvo-vaginites sont découvertes fortuitement lors d'un examen général chez une patiente venue consulter pour désir de conception.

La clinique est souvent éloquente, une présomption sur le germe en cause est très souvent faite et le traitement instauré, lorsque le laboratoire ne peut donner son concours immédiat.

Devant un écoulement abondant, aéré, de couleur verdâtre, d'odeur fade, le diagnostic étiologique penche en faveur d'une vulvo-vaginite à Trichomonas. La vulve est rouge, ecchymotique, le vagin rouge, le col participe très souvent à l'infection.

L'examen microscopique de cet écoulement fraîchement prélevé révèle, dans la plupart des cas, la présence de Trichomonas vaginalis.

Une leucorrhée blanchâtre, grumeleuse, associée à un prurit intense, une brûlure mictionnelle et une dysparéunie font penser à une candidose. Les lésions cutanées intéressent la vulve et le périnée. A l'examen au spéculum, la paroi vaginale est rouge, recouverte d'un dépôt blanchâtre se détachant très facilement.

À l'examen microscopique, on isole des filaments mycéniens. Lorsque la leucorrhée est abondante, grisâtre et d'odeur fétide, une vulvite très importante et qu'il existe parfois des brûlures vaginales mais un col sain, le gardnerella est très souvent soupçonné. Le test à la potasse tranche de manière nette par l'odeur de poisson pourri que dégage le contact de la leucorrhée et de quelques gouttes de potasse qu'on y adjoint.

Le tableau le plus fréquent dans nos milieux est celui causé par le gonocoque.

Le diagnostic est basé sur :

  • la notion de contact sexuel récent (le retour récent de déplacement du mari),

  • l'existence d'une urétrite,

  • un écoulement purulent,

  • une vaginite.

Le diagnostic est confirmé par le laboratoire où le diplocoque intracellulaire gram négatif est isolé.

2. Les cervicites

L'inflammation du col est très souvent associée aux vulvo-vaginites, surtout quand le gonocoque est en cause car il progresse vers l'appareil génital haut où il provoque des complications assez sérieuses : cervicite-salpingite-endométrite...

La clinique est caractérisée par une leucorrhée purulente provenant de la muqueuse de l'endocol. Le col est gros, oedématié. La dyspareunie est souvent fréquente, parfois accompagnée de métrorragie de contact. Le laboratoire permet d'identifier le germe en cause.

3. Les salpingites (maladie inflammatoire pelvienne)

L'inflammation des trompes de Fallope et celle intéressant à la fois le col (cervicite), l'utérus (endométrite) et parfois les ovaires (appelée maladie inflammatoire pelvienne) sont très fréquentes chez les jeunes femmes en âge d'activité sexuelle (il varie dans notre milieu entre quatorze ans et la ménopause).

L'agent pathogène principal est le Neisseria gonorrhoeae, mais d'autres germes, notamment des bactéries gram négatif et coques gram positif. Les cas de salpingite tuberculeuses ne sont pas très rares. Ils font suite à une tuberculeuse systémique mal traitée ou méconnue.

Très souvent l'infection part du vagin, à la faveur d'un rapport infectant et les gonocoques remontent la filière génitale après une phase de reproduction dans la muqueuse endocervicale qui offre des conditions optimales à leur reproduction.

Bien que la clinique soit prédominante d'un côté, les deux trompes participent à l'infection en produisant une exsudation abondante tendant à s'agglutiner dans la lumière tubaire, conduisant à l'occlusion de celles-ci, cause principale de stérilité chez la jeune femme.

Les ovaires peuvent résister à l'infection pendant un moment, puis céder.

Lors de l'examen, il y a toujours une histoire, un rapport sexuel récent (retour récent de l'époux), un accouchement récent, un avortement, l'existence d'un DIU (dispositif intra-utérin), etc. La clinique est dominée par une leucorrhée purulente abondante, un malaise général, des fébricules accompagnés par un écoulement urétral purulent, quelquefois, une pollakiurie et une dysurie. La patiente accuse une douleur vive à l'hypogastre, signe d'une dissémination péritonéale.

À l'examen gynécologique, la mobilisation du col utérin et la palpation des annexes réveillent une douleur très vive. Les complications courantes en sont :

  • un abcès tubaire qui peut se drainer spontanément dans l'utérus ou dans la cavité péritonéale et réaliser une péritonite ;

  • une urgence chirurgicale, pouvant évoluer de manière dramatique vers un choc septique qui emporte parfois la patiente dans les heures qui suivent.

Les abcès tubo-ovariens et les hydrosalpinx ne sont pas rares. Toutes ces complications menant inévitablement vers la stérilité.

4. Les infections urinaires

La promiscuité du méat urinaire par rapport au vagin fait que les infections urinaires accompagnent très souvent les infections génitales basses. Aussi, nous avons l'habitude de les associer, tant dans la démarche diagnostique que thérapeutique, lorsque la preuve clinique et paraclinique est établie.

5. Les condylomes acuminés

Cette maladie virale prend de plus en plus d'ampleur. Elle s'observe surtout chez les jeunes femmes nouvellement mariées. L'infection à HIV lui est souvent associée dans notre milieu.

III. Les conséquences des infections urogénitales

Elles sont multiples et nous en évoquerons quelques-unes dont l'importance est en rapport avec notre sujet.

1. Les fausses couches et les accouchements prématurés

Les différents germes pathogènes peuvent, en remontant la filière génitale, atteindre l'embryon et l'infecter. Une fois mort, l'embryon est expulsé hors de l'utérus. C'est le cas des avortements. En effet, beaucoup de patientes admises pour avortement spontané présentent une infection urinaire, ou génitale basse (vulvo-vaginite ou cervicite).

L'infection peut aussi entraîner des accouchements prématurés par l'apparition précoce de contractions utérines.

2. La stérilité

La stérilité provoquée par des infections urogénitales est un drame chez nous. Elle est très mal supportée par l'homme et par la femme, parce que, pour les Africains, les enfants sont une richesse.

Cette infertilité est souvent secondaire. Dans la plupart des cas, elle survient chez la femme jeune, après qu'elle ait conçu et accouché de deux à trois enfants. Il faut souligner le rôle néfaste que joue l'homme dans la contamination. Ces jeunes filles sont épousées, pour la plupart, vierges (il y va de l'honneur des parents) et sont contaminées par leurs époux. Au bout de quelques années, la stérilité (plus particulièrement la stérilité par obstruction tubaire bilatérale) s'installe, conséquence fréquente d'une gonococcie à répétition et mal soignée.

Parfois le divorce est la conséquence de cette stérilité. Les croyances traditionalistes intervenant, la pauvre femme est répudiée, taxée de sorcellerie. L'homme se remarie, le cycle reprend son cours.

D'autres se réfugient dans la polygamie. Avant que les nouvelles épouses n'arrivent à des complications du genre stérilité, l'homme a l'occasion d'avoir encore un ou deux enfants avec chacune d'elles, sans oublier le nombre de fausses couches qu'elles feront et dont la cause sera encore attribuée à la sorcellerie.

3. Les douleurs pelviennes chroniques

Elles sont les conséquences de traitements inadéquats et de courte durée. Après la stérilité, ces douleurs sont causes de plus en plus fréquentes de consultations. L'unique plainte signalée par la patiente à la consultation est une douleur hypogastrique. Au médecin de l'interroger pour faire ressortir son désir de maternité, ou découvrir une infection sous-jacente.

IV. Traitement

Le traitement des vulvo-vaginites est plus guidé par les caractéristiques de leucorrhée et la clinique.

En cas de vuivo-vaginites à :

  • Trichomonas vaginalis : le traitement comprend un volet local et un volet général. On utilise des ovules de métronidazole (Flagyl®) : 1/j pendant dix jours. Par voie générale, le traitement de cure en dose unique est préférable. Vu son prix coûteux dans nos milieux, le métronidazole seul est utilisé à la dose de 500 à 750 mg en deux ou trois prises par jour pendant sept jours.

  • Mycosique

  • par voie locale : ovules de mycostatine (Nyitatine®), 2 x 1/j pendant dix jours ;

  • par voie générale : kétoconazole (Nizoral®), 2 x 1 c à 200 mg/j pendant dix jours.

  • À gardnerella
  • par voie locale : ovule d'amphocycline, 1/j pendant sept jours ;

  • par voie générale : tétracycline, 3 x 500 mg/j pendant sept jours.

  • À gonocoques
  • par voie locale : Amphocycline®, 1 ovule/soir pendant sept jours

  • par voie générale : gentamycine 2 x 80 mg/j pendant sept jours ;

ampicilline 3 x 500 mg/jour pendant dix jours.

Les cervicites à gonocoques bénéficient du même traitement que les vulvo-vaginites à gonocoques.

Les maladies inflammatoires pelviennes sont traitées par la triple association : gentamycine-ampicilline-métronidazole. Nous y ajoutons un anti-inflammatoire et nous avons des résultats satisfaisants.

Les stérilités tubaires, jusqu'à présent, ne bénéficient que des hydrotubations et des

insufflations en vue de les déboucher, si cela est possible. Lorsqu'elles ont été traitées suffisamment tôt, les résultats sont parfois positifs. Sinon, c'est pour le médecin un exercice de conscience plutôt que thérapeutique, quand bien même certains cas positifs sont reconnus après traitement.

La chirurgie de réparation n'est pas encore en application dans notre milieu par manque d'équipement de microchirurgie.

Dans le traitement de ces infections, pour amener le partenaire à suivre également le traitement, nous lui adressons une convocation à se présenter à notre cabinet avant de délivrer l'ordonnance à l'épouse (sauf quand la gravité du cas n'autorise aucun retard dans le début du traitement).

A cette occasion, nous faisons une petite éducation sanitaire à l'intention du couple avant de soigner également le partenaire. La réticence à se présenter commence à se dissiper et les époux répondent cordialement à cette convocation.

V. Quelques données statistiques de la maternité Christ-Roi

Pendant les sept mois que nous venons de passer au sein de cette formation médicale où la fréquentation journalière est l'une des plus grandes de la ville (variant entre 20 à 50 malades pour deux médecins), sur les 3 836 patients que nous avons personnellement consultés et pour lesquels un diagnostic a été arrêté, 2024 présentaient une infection urogénitale associée ou non à une autre pathologie.

Dans ces 2024 cas, il y a eu : 691 cas d'infections urogénitales (c'est-à-dire infections génitales basses : vulvo-vaginite et cervicite associées ou non à une infection urinaire), 167 cas de cervicite isolée, environ 698 cas de maladie inflammatoire pelvienne, 146 cas d'annexites, 23 cas d'endométrite isolée, 17 cas de condylomes acuminés, 267 cas d'infections urogénitales sur grossesse, 11 cas de syphilis, 2 cas d'orchi-épididymite et 2 cas de néo du col.

De tous ces chiffres, il se dégage que l'infection génitale est très répandue dans notre milieu, soit 52 % des patients vus pendant ces sept derniers mois présentaient une infection urogénitale.

Il existe aussi un cercle vicieux difficile à briser : manque d'instruction, argent facile (diamant), libertinage sexuel, désir d'avoir beaucoup d'enfants, infections urogénitales, stérilité, polygamie, infections...

A notre avis, pour couper cette chaîne de malheur, il faut intensifier le contact avec la population pour une éducation sanitaire visant à prévenir les infections en corrigeant le comportement sexuel de ces jeunes gens qui brassent des sommes d'argent colossales avec lesquelles ils vont " s'acheter" aussi, malheureusement, toutes ces infections.

Développement et Santé, n°119, octobre 1995