Hypertension artérielle et grossesse
I. Définition
Une HTA se définit par une pression artérielle systolique (PAS) supérieure à 140 mm Hg et/ou une pression artérielle diastolique (PAD) supérieure à 90 mm Hg, prise en décubitus latéral gauche après un repos de 30 min.
On distingue plusieurs formes cliniques :
- L'HTA gravidique, apparaissant après la 20e semaine d'aménorrhée chez une femme primipare.
- L'HTA chronique ou permanente connue avant la grossesse ou apparaissant avant la 20ème semaine d'aménorrhée et indépendante du rang de la grossesse.
- La pré-éclampsie, associant une HTA sévère (PAS > 160 mm Hg et/ou PAD > 110 mm Hg) et une protéinurie (0,30 g/l ou 0,50 g/24 h) ou une HTA modérée (PAS >140 mm Hg) une protéinurie et l'un des facteurs suivants : barre épigastrique, hyperréflectivité ostéotendineuse, céphalées, troubles visuels, thrombopénie, hyperuricémie et cytolyse hépatique.
II. Épidémiologie
L'hypertension artérielle est la complication la plus fréquente de la grossesse, survenant chez plus de 10 % des femmes enceintes en France où elle représente la première cause de mortalité maternelle. La fréquence serait encore plus élevée dans la population de race noire. Dans plus de 80 % des cas, l'HTA apparat lors de la première grossesse. De nombreux facteurs de risque ont été retrouvés : âge inférieur à 15 ans et supérieur à 35 ans, mauvaises conditions socio-économiques, diabète, grossesses multiples et une prédisposition familiale et génétique.
III. Physiopathologie
La grossesse toxémique se caractérise par une ischémie placentaire responsable d'une altération des cellules de l'endothélium vasculaire. Ceci a trois conséquences :
- une sensibilisation accrue des vaisseaux aux substances vasoconstrictives,
- une activation de la coagulation et de l'agrégation plaquettaire,
- et une altération de la paroi capillaire responsable d'une fuite de liquide et de protéines.
Il existe une augmentation des résistances vasculaires et une hypovolémie relative liée à une redistribution des liquides vers le secteur interstitiel. C'est donc une maladie générale qui débute dès la placentation et qui peut atteindre tous les organes maternels et retentir également sur le fœtus.
IV. Conduite à tenir devant une HTA modérée
1. HTA connue
Si l'HTA est bien contrôlée, il faut poursuivre le traitement à l'exception des inhibiteurs de l'enzyme de conversion et des diurétiques. Si l'HTA n'est pas traitée et que la PAD est supérieure à 110, à deux reprises au repos, il faut débuter un traitement.
2. HTA non connue, découverte en début de grossesse
Une HTA retrouvée à deux reprises au repos justifie une prise en charge tout au long de la grossesse, voire une hospitalisation si des signes de gravité apparaissent.
a) Prise en charge en début de grossesse
Elle associe un bilan, un traitement et une surveillance.
Le bilan initial comprend : protéinurie (bandelette urinaire), numération formule sanguine et plaquettes, glycémie, et si l'on dispose d'un laboratoire : créatininémie, ionogramme, uricémie et ECBU. Un électrocardiogramme et un fond d'oeil complètent le bilan.
Le traitement associe :
- Des mesures hygiéno-diététiques avec arrêt de travail complet et repos au lit en décubitus latéral gauche plusieurs heures par jour, et un régime normo-sodé.
- Un traitement médicamenteux avec l'introduction progressive de l'Aldomet® 250 : 2 à 6 cp/j, que l'on peut associer à un ß-bloquant (labétalol : 1 à 3 cp/j, aténolol : 1/2 cp à 2 cp/j) quand il existe une composante sympathique importante, et un inhibiteur calcique (nicardipine LP 1 à 2 cp/j) quand il existe une contre-indication aux bêta-bloquants (un asthme, un diabète ou un utérus contractile). La surveillance tous les 15 jours permet d'adapter le traitement de façon progressive avec d'abord une monothérapie puis une bithérapie (ne pas associer deux bêta-bloquants).
Si l'HTA persiste, il faut hospitaliser la patiente mais à l'opposé, il ne faut pas baisser la PA au-delà de 140/85.
b) Prise en charge après la 24e semaine d'aménorrhée (6e mois)
Elle associe un bilan maternel tous les 15 jours et un bilan foetal tous les mois en fonction duquel on adapte le traitement. Le repos strict et le DLG sont imposés.
c) Exemples de critères d'hospitalisation
- PA systolique >160 mmHg et/ou PA diastolique > 111 mmHg sous traitement ;
- signes fonctionnels neurologiques (céphalées, somnolence, ROT vifs), visuels (amaurose), digestifs (vomissements, barre épigastrique) ;
- apparition brutale d'œdèmes (surtout de la face et des doigts) et prise de poids rapide ;
- protéinurie (> 3 g/24 h ou +++ à la bandelette) ;
- métrorragies.
d) Surveillance après l'accouchement
Le traitement anti-HTA est poursuivi s'il s'agit d'une HTA chronique et diminué progressivement s'il s'agit d'une HTA gravidique. La protéinurie peut persister deux mois.
Le bilan post-natal (OMS) effectué 6 semaines à trois mois après l'accouchement comprend une consultation post-natale avec un bilan sanguin si l'on dispose d'un laboratoire : NFS, ionogramme, créatininémie, uricémie, glycémie.
Le risque de récidive de la maladie au cours des grossesses ultérieures est de 22-34 % et le risque de développement d'une HTA chronique est 10-50 %.
e) Le traitement préventif
Une prise en charge précoce permet une réduction de la morbidité. Un dépistage des populations à risque et un traitement préventif sont parfois proposés.
La population à risque de pré-éclampsie est représentée par les femmes présentant une HTA chronique personnelle ou familiale, les primipares jeunes ou âgées (plus de 35 ans), des grossesses multiples, un diabète.
La prévention est difficile et décevante. L'indication de l'aspirine préventive (100 mg/j supérieurs ou égal à 14 SA), est prouvée en cas d'antécédents de complication maternelle ou foetale ou d'une pré-éclampsie.
V. Conduite à tenir devant une HTA sévère
C'est une urgence de la 2e moitié de la grossesse. Le traitement maternel vise à éviter les complications (en particulier la crise d'éclampsie), il est symptomatique. La prise en charge est multidisciplinaire (obstétricien, pédiatre, anesthésiste-réanimateur). La guérison ne peut être apportée que par l'accouchement.
1. Bilan de gravité
Une PA supérieure à 160-110 mmHg impose l'hospitalisation. Le diagnostic établi, la surveillance porte à la fois sur les paramètres maternels et foetaux, la décision d'interrompre la grossesse étant prise devant l'aggravation maternelle et/ou foetale.
a) Le bilan maternel recherche un retentissement clinique et biologique
Sur le plan clinique, on recherche l'apparition de signes fonctionnels neurologiques (céphalées, somnolence, ROT vifs), visuels (amaurose), digestifs (vomissements, barre épigastrique), d'une protéinurie, d'une prise de poids brutale (oedèmes doigts, visage), d'une oligurie.
Sur le plan biologique, on surveille l'uricémie (gravité si augmentation rapide), la créatininémie, la protidémie, les transaminases (ASAT > 2 fois la normale), la NFS (une thrombopénie < 100 000/mm3), la crase sanguine et la protéinurie > 3 g/I, un fond d'oeil.
b) Le bilan foetal recherche une souffrance foetale
Il repose sur l'examen clinique et l'échographie (courbe de croissance, mobilité foetale, poids, quantité de liquide amniotique et localisation du placenta avec la recherche d'un décollement). Il recherche des signes de souffrance foetale chronique (voir tableau n° 1).
2. Traitement
a) Extraction foetale (quand ?)
Dans un délai de quelques heures pour un sauvetage maternel devant une éclampsie, une HTA grave (PAD > 120), des signes oculaires, neurologiques, des troubles de la crase sanguine. Dans un délai de quelques jours en préparant le futur enfant à une naissance prématurée en accélérant la maturation pulmonaire par une corticothérapie avec une surveillance foetale (recherche et traitement d'une infection) et maternelle.
b) Traitement médical
La baisse de la pression artérielle doit être progressive pour préserver une perfusion viscérale et placentaire satisfaisante. Les bases du traitement sont l'administration d'anti-hypertenseurs et la correction volémique.
Le traitement anti-hypertenseur vise à conserver une PAD entre 90 et 105 mmHg, ou une pression artérielle moyenne (PAM) entre 105 et 125 mmHg [8].
Souvent, les anti-hypertenseurs sont utilisés en association.
- L'alphaméthyldopareste le traitement standard de la toxémie modérée.
- L'hydralazine, après un bolus test de 5 mg puis des bolus 5-10 mg toutes les 30 min si nécessaire, répétés toutes les 20 min, jusqu'à une dose totale de 20 mg, le relais est assuré par une perfusion IV continue de 3 à 5 mg/h. Il existe des échappements au traitement et des effets secondaires maternels qui peuvent nécessiter son interruption (tachycardie, céphalée, nausées).
- Le labétalol (alpha et bêta bloquant) est administré en bolus lent 50 mg IV puis en perfusion IV à la dose de 10-20 mg/h.
- La nicardipine (inhibiteur calcique) est proposée soit en bolus de 1 mg IVD, soit en traitement de fond 1-2 mg/h.
L'expansion volémique ne semble pas donner de meilleurs résultats maternels et/ou foetaux qu'un traitement n'en comportant pas.
Les diurétiques sont contre-indiqués.
3. Complications
a) L'éclampsie
L'éclampsie reste une complication redoutée. Elle se définit comme la survenue d'une ou plusieurs crises convulsives chez une patiente toxémique. Les crises surviennent en ante-partum (38 %) des cas, pendant le travail (18 %) ou en post-partum (44 %) jusqu'au 7e jour. Elle est plus grave pour la mère lorsqu'elle survient en ante-partum et/ou avant terme.
L'éclampsie peut être l'épisode inaugural de la maladie toxémique ou précédée de prodromes : céphalées 80 %, troubles visuels 40 %, anomalies du comportement. Il y a un risque immédiat vital et fonctionnel++.
Traitement de l'éclampsie :
Une prise en charge multidisciplinaire vise à :
- assurer la liberté des voies aériennes,
- faire céder les convulsions,
- faire baisser la pression artérielle en conservant une PAM à 80 mmHg,
- provoquer l'accouchement (césarienne sauf multipare à terme avec col favorable).
Il faut prévenir l'hypotension artérielle trop brutale.
La réanimation comprend la stabilisation de la PA, l'expansion volémique par cristalloïdes (Ringer lactate) ou gélatines, un apport hydrique adéquat réduit au minimum (surcharge : OAP), le maintien d'une diurèse. La surveillance associe pouls et PA, sondage urinaire, prévention des morsures (canule), prévention de l'inhalation bronchique avec intubation si score de Glasgow (GCS) inférieure ou égala à 9.
Les médicaments associent :
- Les anti-hypertenseurs : dihydralazine (perfusion continue 2-4 amp/j 3/5 mg/h), labétalol (perfusion continue 1-4 amp/j = 1020 mg/h), nicardipine (perfusion continue 2-4 amp/j) ;
- Les anti-convulsivants :
- Diazépam 10 mg IV bolus avec relais par la phénytoïne 15 mg/kg IV en bolus et 2 h plus tard 5 mg/kg puis 300 mg/12 h ou 200 mg x 2 per os pendant 48 h.
- Clonazépam 2 mg IV bolus puis perfusion 6-12 mg/j.
- Sulfate de magnésie 20 % : bolus IV lente 4 g en 20 min, puis perfusion IV 2 g/h.
En post-partum, le risque majeur dans les trois premiers jours est l'aggravation de l'HTA (défaillance cardiaque, OAP, éclampsie) par augmentation de la volémie.
Le traitement : associe repos, rééquilibration du bilan hydrique (furosémide : 1-2 amp IV si oedèmes) avec limitation des apports liquidiens ; le maintien des anti-hypertenseurs en perfusion pendant 24 h jusqu'à stabilisation de la PA : nicardipine (vasodilatateur++) ou labétalol, avec un relais per os ensuite alphaméthyldopa, labétalol. Les anti-convulsivants sont à maintenir au cas par cas.
b) Les complications hépatiques
Trois types d'atteinte hépatique clinique sont associés à la toxémie gravidique :
- le HELLP syndrome,
- la stéatose hépatique aiguë gravidique (SHAG) et
- l'hématome sous-capsulaire du foie, ce dernier pouvant être associé au HELLP syndrome ou à la SHAG.
Comme l'éclampsie, le HELLP syndrome, la SHAG et, plus rarement, l'hématome sous-capsulaire du foie peuvent être révélateurs de la toxémie.
*HELLP syndrome. Il est caractérisé par une hémolyse (H), une élévation des enzymes hépatiques (EL = elevoted liver enzymes) et une thrombopénie (LP = low platelet count)* survenant chez une patiente toxémique.
Parmi les signes cliniques, il faut insister sur la douleur (épigastrique, de l'hypocondre droit ou de l'épaule droite) chez 70 % des patientes et la survenue de nausées ou vomissements dans 36 % des cas, les autres signes cliniques sont ceux de la série toxémique (céphalée, phosphènes). Il existe une incidence élevée de complications maternelles, en particulier des insuffisances rénales aiguës (IRA) par nécrose tubulaire, nécessitant une épuration extrarénale transitoire, des hématomes rétroplacentaires, des hémorragies, des OAP, des épanchements pleuraux...
Stéatose hépatique aiguë gravidique *(SHAG).* C'est une complication très rare de la grossesse, survenant le plus souvent dans le troisième trimestre. Les signes cliniques sont peu spécifiques, associant nausées, vomissements, pyrosis, fatigue intense et douleur épigastrique. L'évolution spontanée se fait vers l'insuffisance hépatocellulaire et les patientes décèdent d'hémorragie et de défaillance multiorganique, dans un tableau de coma hépatique. Le traitement est l'interruption de grossesse, associée à une correction symptomatique des désordres biologiques.
*Hématome sous-capsulaire du foie (HSC).* C'est une complication rare de la toxémie gravidique sévère et plus particulièrement du HELLP syndrome. Le risque est la rupture hépatique. Devant un HSC non rompu, la terminaison rapide de la grossesse par césarienne est proposée.
VI. Implications anesthésiques
La patiente toxémique sévère est, comme nous venons de l'exposer, hypertendue, hypovolémique et susceptible de présenter des troubles de coagulation.
L'anesthésiste-réanimateur doit bien connaître cette pathologie car il y est confronté, soit en pré-partum, soit dans le post-partum : éclampsie tardive, OAP...
Deux situations sont à considérer, l'analgésie pour le travail et l'anesthésie pour césarienne.
1. Analgésie pour le travail
L'analgésie péridurale diminue les phénomènes douloureux et donc la sécrétion de catécholamines et ses effets délétères sur le plan maternel et foetal (diminution du flux utéro-placentaire ; diminution de poussée hypertensive). Elle améliore la sécurité au moment de l'accouchement et permet d'éviter l'anesthésie générale si une césarienne est décidée au cours du travail.
L'anesthésiste-réanimateur doit disposer d'un bilan biologique (coagulation) de moins de 2 heures.
Le syndrome cave doit être prévenu systématiquement par un large décubitus latéral gauche. Le niveau doit être environ D10 ombilic pour assurer une bonne analgésie.
2. Anesthésie pour une césarienne
L'anesthésie loco-régionale est la technique de choix. Le traitement anti-hypertenseur doit être provisoirement arrêté. Le niveau d'anesthésie doit être obtenu en fractionnant les doses d'anesthésiques locaux.
L'anesthésie péridurale est en théorie préférable à la rachi-anesthésie car ses effets hémodynamiques sont moins brutaux.
L'anesthésie générale est nécessaire dans les formes sévères et/ou quand il existe une contre-indication à l'anesthésie loco-régionale ou si urgence extrême : il faut se rappeler que le risque d'intubation difficile est augmenté car les voies aériennes supérieures sont modifiées par l'oedème. L'anesthésie doit être profonde et stable.
VII. Conclusion
C'est une maladie générale affectant tous les appareils (système nerveux central, foie, reins) et la coagulation.
La toxémie reste une maladie grave pour la mère et l'enfant nécessitant une prise en charge multidisciplinaire par une équipe entraînée en centre de référence (mise en place de réseau).
Le traitement est symptomatique visant à éviter les complications maternelles et le retentissement foetal.
Source majeure de mortalité, pouvant aussi bien intervenir en pré-, per- et post partum, son étiologie reste encore largement inconnue, rendant sa prévention difficile.
Développement et Santé, n° 145, février 2000