Formation des soignants à l'éducation thérapeutique à travers les jumelages ESTHER
Expérience du partenariat du CHU de Besançon avec les structures de santé de la région de Porto Novo, (Bénin)
I. La démarche de formation au sein des jumelages ESTHER
Dr. Dominique Bettinger
Dominique Bettinger, vous êtes point focal des projets ESTHER pour le CHU de Besançon, en quoi consiste votre fonction ?
Je suis chargée d'élaborer les projets ESTHER et les budgets en fonction des demandes de nos partenaires béninois. Ce qui implique des contacts fréquents avec des relations de confiance. Je réalise le suivi du programme lors des missions biannuelles. Lors de ces missions, je participe aussi aux formations quand elles ont lieu et à des réunions (comité de liaison, rencontre des partenaires internationaux...).
Quelle est l'origine du partenariat entre le CHU de Besançon et les structures de la région de Porto Novo ?
Au cours de leurs études le Pr Bruno Hoen (chef de service maladies infectieuses de l'hôpital St Jacques à Besançon) et le Dr Lucien Dossou-Gbété (directeur de la clinique Louis Pasteur) ont tissé des liens d'amitié qui sont à l'origine de ce partenariat.
Tout commence bien avant 2001, quand le docteur Lucien Dossou-Gbété se rend compte qu'il n'a pas les moyens de traiter ses patients souffrant du VIH/SIDA. Il en fait part à Bruno Hoen qui crée l'association APTAA en 2001 avec pour premier objectif de recueillir des fonds pour traiter 30 patients pendant 3 ans (compte tenu du prix à l'époque des traitements ARV il était difficile au niveau d'une association de traiter plus de patients). APTAA signifie "Association pour le Partage des Traitements Antisida avec l'Afrique" ; c'est cette notion de partage qui nous a guidé et qui guide toujours l'ensemble de nos échanges avec le Bénin.
Puis l'initiative ESTHER est apparue en 2002 et nous avons demandé à être en partenariat avec une autre structure, le CHDO de Porto Novo, compte tenu de nos liens existants avec la clinique Louis Pasteur.
A partir de 2005, l'initiative ESTHER nous a permis de renforcer notre partenariat APTAA/Clinique Louis Pasteur (CLP), grâce à la création d'un partenariat ESTHER/ APTAA/CLP. Notre ambition est d'aider la clinique Louis Pasteur à devenir un centre d'excellence dans la prise en charge globale du VIH/SIDA. La clinique est aujourd'hui le premier centre de traitement de Porto Novo en nombre de patients traités et suivis.
Comment ont évolué ces partenariats ?
Aujourd'hui nous appuyons la prise en charge des PWIH dans le département de Ouémé Plateau où sont implantés la clinique Louis Pasteur et le CHDO de Porto Novo.
Nos principaux objectifs sont :
- D'accompagner les équipes de soin pour la prise en charge clinique, biologique et sociale des PVVIH.
- De créer un réseau départemental de soin des PVVIH et de formation des acteurs de la prise en charge afin de rapprocher l'offre de soin vers les patients éloignés des grands centres, pour le dépistage et le suivi.
Quelles sont les principales activités développées au travers des jumelages ESTHER ?
- La formation du personnel soignant. Notre objectif est que l'ensemble des acteurs soit formé à la prise en charge globale. L'éducation thérapeutique est par conséquent pour nous un axe majeur au sein de nos formations.
- La mise à niveau des plateaux techniques. Dans le cadre du réseau départemental, notre objectif est d'améliorer le plateau technique en mutualisant les moyens des différents centres de soin.
Quel processus de formation avez-vous mis en place ?
Le renforcement des compétences du personnel soignant se fait au travers d'un partage d'expertise au plus près du terrain. Cette démarche de "compagnonnage" s'effectue au travers d'ateliers de formation, de stages et de missions de tutorat.
Les ateliers de formation
Ils s'adressent généralement à l'ensemble des structures avec lesquelles nous sommes jumelées. Ce sont des sessions de 5 jours auxquelles participent plusieurs intervenants du CHU de Besançon : infirmière, biologiste, pharmacien, médecin.
- Les 2 premiers jours la formation est pluridisciplinaire et consacrée à des apports théoriques. Nous considérons que tout le monde doit partager les mêmes notions, le même langage afin que la prise en charge soit de qualité. Par exemple, pour mener des séances d'éducation thérapeutique, les éducateurs doivent avoir une notion de la maladie bien documentée.
Nous nous sommes rendus compte que ces formations pluridiciplinaires avaient servi de pivot pour un échange entre structures : certains s'appellent, des conseils et avis sont échangés.
- Puis les participants se retrouvent pendant 3 jours en petits groupes au sein d'ateliers pratiques sur des thèmes spécifiques : éducation thérapeutique, accidents d'exposition au sang (AES), prévention de la transmission mère-enfant (PTME), traitements...
Les stages
Des stages de 1 mois sont organisés au sein du CHU de Besançon en complément des ateliers de formation.
L'objectif principal de ces stages est que les soignants du Bénin puissent observer notre "modèle" de prise en charge dans sa globalité, participer aux consultations afin qu'à leur retour ils puissent mettre en oeuvre certains aspects de la prise en charge. Les 3 infirmières du CHDO que nous avons formés à l'éducation thérapeutique ont ainsi pu participer lors de leur venue à Besançon à des séances d'éducation thérapeutique, en plus de la formation aux soins infirmiers.
Le tutorat
Un soignant de l'équipe de Besançon s'intègre pendant une semaine aux équipes de la structure béninoise, observe et questionne les pratiques. C'est véritablement une formation de terrain, qui permet de renforcer les compétences et d'effectuer un suivi de formation.
Quelles ont été les grandes étapes du développement de l'éducation thérapeutique (ETP) dans la région de Porto Novo ?
C'est à la clinique Louis Pasteur, en 2002, que l'éducation thérapeutique a d'abord été mise en place.
Suite à une formation de l'ensemble des acteurs de Porto Novo au sein de laquelle un volet ETP a été développé, Christiane Chervet, infirmière éducatrice à Besançon, a effectué une première mission de 3 semaines à la clinique pour aider à la mise en place des activités d'ETP.
Quatre aides-soignantes ont été formées et encadrées par le directeur de la clinique qui a compris dès le départ l'importance de l'éducation thérapeutique et l'a intégré systématiquement dans la prise en charge de tous ses patients.
Grâce à une subvention de la fondation GSK nous avons pu valoriser l'éducation thérapeutique :
- en finançant les consultations : les éducatrices bénéficient donc d'une rémunération complémentaire pour leurs activités d'éducation. L'une d'entre elles est aujourd'hui détachée à plein temps pour cette activité.
- en mettant à la disposition de tous les sites des mallettes pédagogiques créées pour l'Afrique par la fondation GSK.
Aujourd'hui, grâce à l'initiative ESTHER, nous développons à partir de la clinique Louis Pasteur les activités d'éducation thérapeutique pour le réseau de soin du département de Ouémé et Plateau ; les éducatrices de la clinique Louis Pasteur sont tuteurs des autres sites. L'éducation thérapeutique constitue donc le premier élément concret du réseau.
La réussite de la clinique Louis Pasteur a créé une émulation auprès des autres structures et notamment au CHDO où 3 infirmières animent des séances d'éducation thérapeutique.
II. La formation des soignants à l'éducation thérapeutique
Christiane Chervet
Christiane Chervet, vous avez participé au développement des activités d'éducation thérapeutique à la clinique Louis Pasteur; quelles sont uos fonctions au sein du CHU de Besançon et quelle formation avez vous suivi en éducation thérapeutique ?
Je suis infirmière et depuis le mois de juillet 2001 je travaille auprès des patients vivant avec le VIH en hôpital de jour de dermatologie. Je fais de l'éducation thérapeutique depuis 2003 et suis aussi coordinatrice du dispositif d'aide à domicile. Je participe au projet ESTHER depuis 2002 et j'ai effectué 7 missions au Bénin à Porto Novo.
Ma formation en Education Thérapeutique (ETP) a été organisée par le laboratoire GSK en 2002, le projet s'appelait "Temps Clair". Le programme de cette formation de 5 jours a principalement porté sur : des cours théoriques sur l'ETP, une présentation des outils pédagogiques (chevalet, planning thérapeutique), des mises en situation (jeux de rôle) et des travaux en groupe pour s'approprier ces outils. La mallette pédagogique GSK nous a été remise à l'issue de la formation. Une fois par an, à Paris, une réunion multisites est organisée pour faire un bilan des activités de chaque site impliqué dans l'éducation thérapeutique.
Vous avez formé les soignants des 3 sites de prise en charge de Porto Novo à l'éducation thérapeutique et participé au développement des activités ; comment avez-vous procédé ?
Sensibilisation des soignants
En septembre 2004, nous avons présenté l'éducation thérapeutique et la mallette pédagogique de la fondation GSK à l'ensemble des soignants pour les sensibiliser à cette approche. Le personnel a accueilli le concept avec enthousiasme.
Formation des éducatrices
Suite à cette intervention, je suis restée 3 semaines à Porto Novo à la clinique Louis Pasteur pour former les éducatrices et mettre en place les activités d'ETP. Nous avons travaillé ensemble les séances d'éducation; les éducatrices ont pu manipuler les outils de la mallette et notamment le chevalet, échanger leurs impressions et mettre en pratique par des jeux de rôle pour bien se familiariser à ce nouveau support. Les premières séances d'éducation thérapeutique ont débuté durant mon séjour et les patients étaient enchantés de cette prise en charge individualisée.
Une formation continue sur la pathologie VIH/SIDA a été réalisée à l'aide d'un jeu de cartes nommé "les experts". Chaque carte comporte une question posée par les patients sur la pathologie et les traitements. Cela permet de revoir les notions médicales tout en mettant les éducatrices en situation.
Suivi de formation
J'effectue 2 missions par an pour assurer le suivi de formation des éducatrices ainsi que la formation d'autres sites.
A chaque mission, je rencontre toute l'équipe d'éducation et nous travaillons sous forme de réunion. L'équipe parle de ses difficultés et de ses souhaits.
Mon objectif est de leur permettre d'évoluer, d'être autonomes et de les encourager dans leur fonction et dans leurs projets. Par exemple, lors de ma dernière mission en mars 2007, les souhaits de l'équipe étaient :
- d'élaborer une plaquette d'information sur l'ETP pour les PVVIH sachant lire,
- d'échanger avec les autres sites formés une fois par mois sous forme de réunion d'équipe.
A Besançon, nous avons conçu un outil d'information sur l'ETP distribué aux patients ou en salle d'attente ; nous allons donc pouvoir aider les éducatrices du Bénin sur ce projet de plaquette.
Enfin, entre chaque mission, le contact ne se perd pas : certaines éducatrices m'envoient un courrier dans lequel elles me parlent de leurs difficultés et je leur réponds.
La Clinique Louis Pasteur (CLP) est aujourd'hui un modèle en ETP ; elle apporte son savoir faire et ses compétences sur d'autres sites. En Décembre 2006, les éducatrices de la CLP ont formé le personnel de 3 autres sites de leur département et assurent aujourd'hui un suivi régulier.
III. Programme de formation à l'ETP : objectifs et techniques
Objectifs pédagogiques
- Acquérir des notions sur la dynamique de l'infection par le VIH.
- Connaître les différents types de traitements antirétroviraux, leur modes d'action, objectifs, contraintes de prise et effets secondaires.
- Mener un diagnostic éducatif
- Utiliser différents outils d'éducation thérapeutique.
- Réaliser une séance d'éducation thérapeutique individualisée, répétée et évaluée régulièrement.
Techniques pédagogiques
- Jeux de rôles ; utilisation d'outils pédagogiques : chevalets, planning...
- Discussions, échanges en sous-groupes.
Documents pédagogiques remis
- Définition sur l'éducation thérapeutique.
- Dossier d'éducation.
- Documents sur le VIH/SIDA et les traitements.
Matériel pédagogique
- Mallette d'éducation thérapeutique comprenant les différents outils pédagogiques.
- Questions/réponses pour l'évaluation des connaissances des personnes formées.
Développement et Santé, N°187, 2007