Excision, conséquences médicales mais nécessité d'action plurisectorielle

Par Par Isabelle Huguet-Wachsmuth, OMS, Genève

Publié le

A l'invitation du collectif Excision, parlons-en ! et de l'association Formation permanente Développement et Santé, nous proposons ici notre éclairage sur la situation de l'excision et formulons quelques propositions pour l'avenir.

I. L'intérêt de l'excision pour l'initiative HIFA-EVIPNET de l'OMS

HIFA-EVIPNet-French est un forum international de l’Organisation Mondiale de la Santé pour l’ensemble des pays francophones permettant de soutenir, promouvoir et renforcer la prise de décision reposant sur des bases factuelles et ainsi faciliter l’amélioration de la formulation des politiques de santé.
Il est basé sur l’information en santé pour tous et sur le réseau de l’Organisation Mondiale de la Santé sur la prise de décision reposant sur des bases factuelles, appelé EVIPNet (1).

L'excision est une pratique dite traditionnelle ou encore une norme sociale qui a un impact significatif sur la santé des populations, en particulier des jeunes filles et des mères, mais pas uniquement. Du fait non seulement de son caractère néfaste mais également de l'importance d'impliquer les acteurs au-delà du secteur de la santé, cette pratique intéresse tout particulièrement notre initiative de l'OMS.

L'expérience de l'initiative HIFA-EVIPNET de l'OMS montre bien que la santé dépasse très largement le cadre purement médical et doit, pour être efficace et permettre le renforcement du système de santé dans son ensemble, prendre en compte un large panel d'actions multisectorielles.

II. Les études de l'OMS sur l'excision

L'OMS s'est intéressée depuis de nombreuses années à la pratique de l'excision. Plusieurs des études qu’elle a menées font aujourd'hui référence quant à ses conséquences médicales sur la santé des populations.
Nous pouvons ainsi suggérer la lecture de quelques-unes d'entre elles. Les points clés suivants ont été listés par l’OMS en 2014 (http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/) :

  • Les mutilations génitales féminines sont des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales.
  • Ces pratiques ne présentent aucun avantage pour la santé des jeunes filles et des femmes.
  • Elles peuvent provoquer de graves hémorragies et des troubles urinaires, et par la suite des kystes, des infections, une stérilité, des complications lors de l'accouchement, et accroître le risque de décès du nouveau-né.
  • Plus de 125 millions de jeunes filles et femmes sont victimes de mutilations sexuelles pratiquées dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient où sont concentrées ces pratiques(1).
  • Ces mutilations sont le plus souvent pratiquées sur des jeunes filles entre l'enfance et l'âge de 15 ans.
  • Les mutilations sexuelles féminines sont une violation des droits des jeunes filles et des femmes.

L'OMS propose une classification des formes de mutilation génitale féminine en quatre catégories :

  1. La clitoridectomie : ablation partielle ou totale du clitoris (petite partie sensible et érectile des organes génitaux féminins) et, plus rarement, seulement du prépuce (repli de peau qui entoure le clitoris).
  2. L’excision : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres (qui entourent le vagin).
  3. L’infibulation : rétrécissement de l'orifice vaginal par la création d'une fermeture, réalisée en coupant et en repositionnant les lèvres intérieures, et parfois extérieures, avec ou sans ablation du clitoris.
  4. Les autres types de MGF : toutes les autres interventions néfastes sur les organes génitaux féminins à des fins non médicales, par exemple piquer, percer, inciser, racler et cautériser les organes génitaux

Les principales conséquences à court, moyen ou long terme sont graves. L'article du Dr Béatrice Cuzin, dans ce numéro spécial de Développement et Santé, donne une bonne synthèse des complications.

III. L’action actuelle au niveau international

Depuis 1997, de grands efforts ont été entrepris pour lutter contre les mutilations sexuelles féminines, grâce à la recherche, à la collaboration au sein des communautés et à l'introduction de changements dans les politiques publiques. Parmi les progrès réalisés aux plans international et local, on relève :

  • un plus grand engagement international pour mettre un terme aux mutilations sexuelles féminines ;
  • la mise en place d'organes de surveillance internationaux et l'adoption de résolutions condamnant cette pratique ;
  • des cadres juridiques révisés et une volonté politique croissante de mettre fin aux mutilations sexuelles féminines (notamment l’adoption d’une loi contre les mutilations sexuelles féminines dans 24 pays africains et dans plusieurs états de deux autres pays, ainsi que dans 12 pays industrialisés accueillant des immigrés originaires de pays où ces mutilations sont pratiquées) ; et
  • dans la plupart des pays, un recul des mutilations sexuelles féminines et une augmentation du nombre de femmes et d'hommes favorables à leur suppression dans les communautés où elles sont pratiquées.

Les recherches montrent que, si ces communautés décident elles-mêmes de l'abandonner, cette pratique pourrait disparaître plus rapidement.

En 2008, l'OMS et 9 autres partenaires des Nations-Unies ont adopté une nouvelle déclaration sur l’élimination des mutilations sexuelles féminines. Celle-ci apporte de nouveaux éléments recueillis au cours de la dernière décennie au sujet de cette pratique. Elle met en évidence la reconnaissance croissante des dimensions juridiques du problème et les liens avec les droits de l'homme, tout en apportant des données actualisées sur la fréquence et l'ampleur de ces mutilations. Elle résume aussi les recherches sur les causes de la persistance de cette pratique, sur les moyens d'y mettre fin et sur ses effets néfastes pour la santé des femmes, des jeunes filles et des nouveau-nés.
Cette nouvelle déclaration fait suite au premier texte adopté en 1977 que l’OMS a publié avec le Fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations-Unies pour la Population (FNUAP).

L’OMS a publié en 2010 une Stratégie mondiale visant à empêcher le personnel de santé de pratiquer des mutilations sexuelles féminines, et ce en collaboration avec d’autres grandes instances des Nations Unies et organisations internationales.
Enfin, en décembre 2012, l'Assemblée générale des Nations-Unies a adopté une résolution sur l'élimination des mutilations sexuelles féminines.

IV. L'action actuelle de l'OMS

L’Assemblée mondiale de la Santé a adopté en 2008 une résolution (WHA61.16) sur l'élimination des mutilations sexuelles féminines, soulignant qu’une action concertée est nécessaire dans les secteurs tels que l’éducation, les finances, la justice et les affaires féminines.
Les efforts de l'OMS en vue d'éliminer les mutilations sexuelles féminines mettent l'accent sur (2) :

  • le renforcement des systèmes de santé : élaboration de matériels de formation et de lignes directrices à l'intention des professionnels de la santé pour les aider à prendre en charge et à conseiller les femmes qui ont subi ces pratiques ;
  • la recherche de preuves scientifiques : acquisition de connaissances sur les causes et les conséquences de cette pratique, sur les moyens de l'éliminer et sur les soins à dispenser à celles qui ont subi ces mutilations ;
  • la sensibilisation : élaboration de publications et d’outils de sensibilisation pour permettre des actions aux niveaux international, régional et local afin d'en finir avec les mutilations sexuelles féminines en moins d'une génération.

V. Les recommandations de l'OMS

L'OMS recommande sans ambigüité l'abandon de l'excision, quelle que soit la forme pratiquée. Nous ne voyons aucun bénéfice en termes de santé et l'OMS s'associe très largement aux initiatives qui permettront un abandon massif et rapide.

Pour les professionnels de santé, l'OMS recommande :

  • De ne participer en aucun cas à la médicalisation de la pratique. L'OMS est particulièrement préoccupée par le fait que les mutilations sexuelles féminines sont de plus en plus pratiquées par du personnel médical qualifié. L'OMS engage vivement les professionnels de santé à ne pas se livrer à de telles pratiques.
  • Une stratégie mondiale visant à empêcher le personnel de santé de pratiquer des mutilations sexuelles féminines implique de nombreux acteurs internationaux : OMS, ONUSIDA, PNUD, UNFPA, UNHCR, UNICEF, UNIFEM, FIGO, ICN, IOM, MWIA, WCPT, WMA.
  • De diffuser largement aux familles, et également aux différents décideurs, une information médicale sur les méfaits de la pratique.

Les professionnels de santé peuvent ainsi favoriser l'abandon de l'excision par la diffusion d'une information élaborée sur des bases factuelles.

VI. Les limites de l'action des professionnels de santé

Si les conséquences sont médicales, tant sur le plan physique que psychologique, il est cependant important d'identifier l'ensemble des déterminants qui favorisent la pratique de l'excision ou en limitent l’abandon.

L'action seule des professionnels de santé n'est pas de nature à stopper cette pratique. On constate par exemple que la prévalence de l'excision évolue peu sur certains pays africains, alors même que des programmes y sont en place depuis de nombreuses années.
Ainsi, le dernier rapport publié en juillet 2014 indique, que malgré des baisses enregistrées ces dernières décennies, le nombre de victimes à l'avenir pourrait augmenter du fait de la croissance démographique.
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=33005#.U-HwIxZvzC8

Cette situation interpelle fortement les acteurs qui ne peuvent considérer comme acquise une situation qui ne verra pas d'amélioration très sensible et au moins un abandon total s'opérer rapidement.

VII. Elargir le débat sur les déterminants en vue d'actions plurisectorielles

Ainsi, il est instructif de noter que l'abandon de l'excision est très favorablement influencé par le niveau éducatif des parents. De nombreuses études ont ainsi démontré que plus le niveau d'éducation était élevé, plus l'abandon était marqué. Ceci tend à démontrer que l'environnement culturel ou traditionnel n'est pas suffisant pour expliquer la pratique, mais par contre que la capacité des personnes à comprendre les messages de santé est une clef pour ne plus perpétuer des pratiques néfastes pour la santé.
Nous pourrions, par exemple, mettre en exergue le cas de l'Egypte, pourtant considérée par de nombreuses études comme le berceau de la pratique de l'excision du temps des pharaons. On relève ainsi un effondrement de la pratique dans les milieux les plus instruits.
Ce constat est également révélé sur d'autres pays d'Afrique. Nous devons ainsi considérer que l'éducation est un déterminant puissant et évident pour l'abandon de l'excision, ce qui nécessite l'implication multisectorielle de responsables publics pour favoriser l'accélération de la baisse.

Il est également possible que la baisse, encore trop lente, de la pauvreté en Afrique sub-saharienne soit un frein direct à l'accès à l'éducation systémique d'une part, aux services de santé d'autre part (y compris de prévention), et à l'émancipation individuelle via des ressources financières autonomes. Les importantes inégalités de revenus constatées en Afrique peuvent aussi expliquer une baisse décevante de l'abandon de l'excision dans de nombreux pays.
De plus, le débat sur les actions plurisectorielles devrait permettre de contribuer à la résolution adoptée en 2009 lors de la 62ème Assemblée Mondiale de la Santé de l’Organisation Mondiale de la Santé sur « La réduction des inégalités en santé à travers les actions sur les déterminants sociaux de la santé ».

"Cette résolution recommande que les états membres devraient développer, utiliser et si nécessaire améliorer leur capacité en recherche et systèmes d’information en santé pour pouvoir suivre et mesurer la santé des populations au niveau national avec des données disponibles par âge, genre, origine ethnique, race, caste, occupation, éducation, revenu et emploi, là où les lois nationales s’appliquent et le contexte le permet, pour ainsi pouvoir détecter les inégalités en santé et mesurer l’impact des politiques sur l’équité en santé".

Cette prise en compte des déterminants sociaux de la santé dans l’approche de l’excision devrait faire partie du mécanisme de suivi des inégalités sociales en santé, analyser leurs tendances et leurs déterminants, et évaluer les politiques et programmes qui permettent de résoudre de telles disparités et ainsi de mettre en œuvre, réorienter et dédier des politiques publiques à la promotion de l’équité en santé. Les données, les informations et les analyses produites au sujet de l’excision devraient prendre cet aspect en considération.

Le schéma ci-dessous montre de manière synthétique comment les différentes étapes d'action ou de conscientisation des acteurs doivent pleinement intervenir pour diminuer la charge de mortalité et de morbidité qui affecte les populations.

L'exemple de l'excision montre clairement que l'action des professionnels de santé est nécessaire mais pas suffisante. L'appareil éducatif, au travers duquel on voit l'impact sur la pratique de l'excision, doit pleinement jouer son rôle de levier majeur bien en amont, afin d’améliorer la capacité des individus à comprendre les messages de santé et à être conscients des mauvaises pratiques à abandonner.

Référence sur les déterminants sociaux de la santé SDH Portal : http://www.dssbr.org.

VIII. Conclusions

Si l'excision est clairement une pratique qui a des conséquences médicales majeures et doit de ce fait impliquer le corps médical, dans certains pays, les stratégies menées contre cette pratique néfaste n'ont pas eu encore d'impact.
De ce fait, l'OMS ne peut qu'encourager des visions plus holistiques qui prennent en compte l'ensemble des déterminants agissant sur cette situation. Les politiques éducatives et macro-économiques doivent aussi être appréhendées pour mieux favoriser l'abandon de l'excision, il conviendrait peut être d'élargir le champ d'horizon des travaux des chercheurs.

L'initiative HIFA-EVIPNET agissant avec les décideurs de santé et les chercheurs africains, mettra l'accent sur l'importance d'une vision plus globale et de fait sur les responsabilités élargies.
Nous prévoyons d'organiser en janvier 2015 un rendez-vous sur le sujet de l'excision avec nos experts de l'OMS et en collaboration avec le collectif francophone Excision, parlons-en. Ce rendez-vous sera l'occasion de débattre des stratégies menées qui ont été pertinentes ou insuffisantes, des approches novatrices à approfondir pour tendre vers un abandon massif et rapide.
A noter que nous organiserons également en mars 2015 un rendez-vous mensuel sur les déterminants de santé, afin d'identifier les facteurs externes au milieu médical mais qui influencent fortement la santé des populations. L'OMS a régulièrement produit des analyses sur les déterminants et dispose de solides compétences internes sur le sujet, encore sous exploité au sein des politiques publiques de santé.
http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB124/B124_R6-en.pdf?ua=1

IX. Perspectives et proposition de l'OMS

Considérant que l'excision risque de ne pas disparaître rapidement malgré les actions en cours il conviendrait d'étudier en profondeur l'ensemble des déterminants de nature à favoriser son abandon rapide.
Dans ce cadre, l'OMS suggère la création d'une commission scientifique pour étudier tous ces déterminants en impliquant les principaux acteurs concernés.

Cette commission pourra permettre :

  • d’établir les bases sur les données et informations essentielles et consistantes qui doivent être considérées pour faire l’analyse des conditions de vie qui conduisent aux pratiques de l’excision dans le pays ;
  • de coordonner la participation des institutions qui contribuent à la production des données sur l’excision et leurs analyses ainsi que les indicateurs qui sont reliés aux conditions de santé ;
  • de mettre en œuvre un mécanisme de suivi et de support pour amener des améliorations continuent dans la production des données et la mise à disposition de l’information relative ;
  • de promouvoir les échanges avec d’autres spécialistes qui reconnaissent l’importance de la problématique de l’excision. A savoir la commission des droits de l’homme et les institutions qui travaillent dans les secteurs de l’éducation ;
  • d’introduire des mécanismes qui permettent d’utiliser de manière systématique les informations et bases factuelles disponibles et essentielles pour guider le processus de prise de décision comme par exemple le réseau de promotion d’utilisation des bases factuelles en prise de décision politique EVIPNet, incluant HIFA-EVIPNet de l’OMS.

Notre expérience à travers l'initiative HIFA-EVIPNET montre que l'implication des décideurs de la santé et des chercheurs à ce type d'études permet une meilleure prise de conscience et plus facilement et rapidement transposable dans les politiques publiques. Nous pensons qu'il est possible de lister les principaux déterminants sur l'excision et de préciser leur niveau d'impact, ce qui devrait faciliter par la suite l'accélération de l'abandon de cette pratique.

L'OMS ayant répondu à l'invitation faite par le collectif francophone Excision, parlons-en ! et l'association Formation permanente Développement et Santé pour échanger et donner son éclairage sur cette problématique de l'excision, nous formulons donc une proposition concrète pour aller de l'avant face à une décrue qui reste encore très largement décevante sur de nombreux pays et hélas sans changement sur d'autres.

Des formulations claires permettant à tous les acteurs de bien comprendre l'ensemble des déterminants seront de nature à aller plus vite par un meilleur alignement des stratégies et à économiser des ressources financières en les positionnant là où l'efficacité est maximale.

L'OMS sera disponible pour apporter son soutien technique à cette commission sur les déterminants liés à l'excision, ainsi que son savoir faire en matière d'animation d'ateliers à destination des décideurs. Sa capacité de mobilisation, d'échanges interactifs avec les acteurs de terrain, d'expertise et de conseil aux dirigeants sur les politiques de santé peuvent permettre des avancées significatives.