Epidémiologie du SIDA et de l'infection par le VIH dans les pays en développement

Par Jean-Loup Rey ESTHER (Ensemble pour une solidarité hospitalière en réseau)

Publié le

I. L'état des lieux en Afrique

Nous nous attarderons sur l'Afrique car c'est le continent le plus touché par le VIH et nous visiterons les autres continents en insistant sur les différences. Alors que l'Afrique représente environ 11 % de la population mondiale, 75 % des enfants et des adultes infectés par le VIH vivent en Afrique sub saharienne. Les malades se comptent par millions, on déplore 3 millions de morts chaque année, il y a plus de 7 millions d'orphelins de mère ou de père.

Les chiffres souffrent d'imprécisions certaines, surtout en ce qui concerne le nombre de malades qui est très certainement sous-estimé, car la plupart des cas ne sont pas diagnostiqués. Mais le nombre de personnes infectées est basé sur des études validées. Les pays africains ont mis en place, dès 1988, des systèmes de surveillance de la séroprévalence très efficaces et fiables, en particulier la sérosurveillance des femmes enceintes, dans des centres sentinelles. Les résultats de ces études ne sont pas représentatifs de la population générale, mais ils n'en sont pas loin. D'autre part, ils sont comparables d'une année à l'autre. Dans la suite, nous ne parlerons donc que de l'infection par VIH qui se traduit par la séroprévalence ou séropositivité à VIH. Cette séroprévalence est le rapport du nombre de sujets séropositifs à VIH sur le nombre de sujets testés pour VIH.

Il. La situation antérieure à 2000

La séroprévalence était très hétérogène selon les espaces géographiques. Les taux de séroprévalence se situaient, chez les femmes enceintes, entre 0,2 % dans les pays du Maghreb et 35 % dans certains pays d'Afrique australe.

Il était possible de différencier grossièrement 8 zones géographiques :

  • l'Afrique du Nord, avec des taux inférieurs à 0,3%,
  • la majorité des pays du Sahel, avec des taux aux environs de 1 à 3 %,
  • la Côte-d'Ivoire et les pays voisins, avec des taux voisins de 7-8 %,
  • le Nigeria et les régions voisines, avec des taux de 1 à 3 %,
  • l'Afrique centrale francophone, avec des taux aux environs de 5-7 %,
  • l'Afrique australe et des grands lacs, avec des taux de 20 à 25%,
  • l'Afrique du sud pour laquelle les taux étaient mal connus, de 5 à 30 %,
  • Madagascar où les taux sont inférieurs à 1 %. L'hétérogénéité existait aussi pour les caractéristiques socio démographiques :
    • les taux de séroprévalence en milieu urbain étaient supérieurs à ceux du milieu rural,
    • les femmes étaient généralement plus atteintes que les hommes.
    • l'âge le plus atteint se situait entre 1 5 et 39 ans,
    • certaines catégories sociales étaient plus atteintes que les autres, comme les fonctionnaires, routiers ou lycéens, etc.

Enfin, les patients atteints de maladies sexuellement transmissibles (MST) et de tuberculose étaient très souvent infectés par le VIH.

III. Les évolutions constatées depuis 3 ans

Les disparités géographiques se sont estompées mais demeurent, avec des taux de séroprévalence entre 0,2 et 35 %. Il reste deux régions relativement épargnées, le Maghreb et Madagascar où les taux n'ont pas varié.

L'évolution, dans les pays du Sahel, s'est faite vers une augmentation des taux d'infection, sauf au Sénégal (et sans doute au Niger) où l'épidémie s'est stabilisée ou même s'est ralentie. L'importance des mouvements migratoires est la principale hypothèse expliquant l'aggravation de l'endémie au Sahel.

La région centrale d'Afrique, avec le Nigeria et la majeure partie du Cameroun, du Bénin et même le nord du Gabon, a vu une progression rapide de l'épidémie en 4 ou 5 ans. Les autres régions d'Afrique centrale, orientale et australe ont vu leur situation s'aggraver avec une exception pour l'Ouganda où les taux ont baissé. La carte d'Afrique des taux d'infection montre maintenant une progression nette du Nord au Sud, avec la place dramatique que tient l'Afrique du Sud. Pour le moment, il n'y a pas d'explication certaine pour comprendre ces différences et ces variations.

Deux pays africains ont vu leur séroprévalence stagner ou baisser : le Sénégal et l'Ouganda. Dans ces deux pays, il y a eu une forte mobilisation des autorités politiques.

Au Sénégal, le programme de lutte a gardé une planification forte avec un même responsable sur les 15 ans et une stratégie globalement inchangée, se renforçant chaque année. En Ouganda, le constat est plus mitigé, il y a une forte mobilisation du président, de nombreuses autorités politiques et religieuses n'ont pas fait preuve d'une même volonté politique. Il est vraisemblable que c'est la lutte contre les MST qui a joué le plus grand rôle dans cette amélioration de la situation épidémique.

Au Sénégal, il semble que les traditions, liées directement à l'Islam ou non, ont ralenti la diffusion du virus en contrôlant la sexualité des jeunes, en particulier lors des migrations saisonnières intérieures.

En Ouganda, il est possible que les forts taux d'infection constatés dans les années 1980 aient provoqué une mortalité élevée, faisant baisser le nombre absolu et relatif de séropositifs.

Le même constat peut expliquer que les taux de séroprévalence semblent stagner, dans la population générale, à un niveau variable selon les régions, mais toujours inférieurs à 35 %. Il est vraisemblable que, dans ces situations, le nombre de "susceptibles" soit atteint et que le virus ne trouve plus de nouveaux hôtes à contaminer. La population susceptible est la part des sujets qui, lors d'une épidémie, n'a pas rencontré le virus ; les autres sujets malades, décédés ou déjà infectés ne sont plus susceptibles de contracter l'infection. La dynamique est différente dans une population soumise de manière intense et répétée au risque de transmission comme les polytransfusés ou les prostituées. Pour ces femmes, le taux de séroprévalence peut dépasser 95 % comme cela a été vu lors de certaines enquêtes.

Lorsqu'une baisse de séroprévalence est constatée dans un groupe, il n'est pas certain que cela traduise un progrès, il faut vérifier si cette baisse n'est pas due à un renouvellement de la population composant le groupe. Ainsi, en Côte-d'Ivoire, des études récentes montrent que la séroprévalence a baissé chez les prostituées, mais parallèlement que :

  • l'âge moyen des prostituées a baissé de 30 à 23 ans,
  • leur durée moyenne d'activité a baissé de 3 à 1,5 ans,
  • leur taux de scolarisation a augmenté,
  • la proportion de femmes de nationalité ivoirienne a augmenté.

La répartition de l'infection par VIH selon les caractéristiques démographiques s'est aussi modifiée : l'infection par VIH a diffusé parmi toutes les classes sociales, elle s'est " démocratisée ".

Le sexe ratio est voisin de un, il y a environ autant de femmes que d'hommes infectés, mais les femmes s'infectent beaucoup plus tôt que les hommes et la différence va en s'aggravant. Cette dynamique différente doit être expliquée par des études complémentaires car elle peut permettre des actions plus efficaces pour améliorer la prévention.

Le milieu rural n'est plus épargné. Ainsi, en Côte-d'Ivoire où les taux de séroprévalence des femmes enceintes étaient 2 à 3 fois plus élevés en zone urbaine qu'en zone rurale, les derniers résultats de la surveillance sentinelle montrent que les taux chez les femmes enceintes sont aux environs de 11 % sur tout le territoire, quelle que soit la région concernée.

Certains groupes de populations restent ou deviennent plus vulnérables, comme les prostitués, les routiers, mais aussi les jeunes, scolarisés ou non, les militaires et les policiers. La situation des femmes et surtout des jeunes filles est particulièrement sensible. Les femmes restent un groupe très vulnérable car leur sensibilité à l'infection est forte, surtout les jeunes filles. Des études comparatives entre garçons et filles montrent que, même avec des rapports sexuels moins nombreux, les filles s'infectent beaucoup plus rapidement que les garçons.

IV. Une première certitude

La transmission du VIH en Afrique se fait essentiellement par voie sexuelle. Les statistiques récentes montrent que 95 % des sujets infectés l'ont été par voie sexuelle, 3 % sont des enfants infectés dès leur naissance et 2 % ont été infectés après transfusion sanguine. La voie sexuelle est quasi totalement hétérosexuelle, entre hommes et femmes.

De plus, il est important de rappeler que ces 5 % " autres transmissions " sont indirectement des transmissions par voie sexuelle, les femmes enceintes ont été infectées par voie sexuelle avant de transmettre à leur enfant, il en est de même des donneurs de sang positifs. Ce rappel est important pour la lutte, car la prévention de la transmission mère-enfant doit toujours être complémentaire de la prévention de la transmission sexuelle des futures mères. Les autres modes sont anecdotiques, la transmission nosocomiale (par acte de soins) existe sûrement mais ne peut pas être chiffrée, elle est proportionnellement rare. La transmission par pratiques traditionnelles (tatouages, scarifications, excision, circoncision) est exceptionnelle, elle n'a jamais pu être démontrée. L'excision doit être combattue pour d'autres raisons que la transmission du VIH.

La circoncision, au contraire, diminue le risque de transmission. Les données en faveur de ce résultat s'accumulent et il est envisageable de recommander la circoncision, à ceux qui l'acceptent, pour les jeunes garçons, avant toute activité sexuelle.

Pour terminer sur les pratiques traditionnelles, je rappellerai, avec la présidente de la SWAA (société des femmes africaines contre le SIDA), que les traditions qui favorisent le développement de l'épidémie de VIH/SIDA sont l'exclusion, la stigmatisation, la répudiation, la non reconnaissance des droits de la femme et de l'enfant, beaucoup plus que les scarifications rituelles ou thérapeutiques.

V. Une deuxième certitude

Les MST favorisent la transmission du VIH. Ce constat est intégré à la lutte contre le SIDA depuis le début des années 90. La lutte contre les MST permet de diminuer l'incidence de l'infection par le VIH dans la population générale comme le montrent les résultats de l'Ouganda, du Sénégal ou de Thaïlande. Les résultats de l'Ouganda démontrent clairement que la lutte contre les MST et leur traitement ralentira la progression de l'infection par le VIH.

Les études récentes menées dans quatre villes africaines confirment le rôle des MST et mettent en lumière le rôle particulier de deux MST qui étaient négligées jusqu'alors, la trichomonose et surtout l'herpès génital. Ces deux MST semblent jouer un rôle majeur pour expliquer la sensibilité de certaines populations au VIH. En Tanzanie, le risque de séroconversion au VIH est multiplié par 9 pour les jeunes hommes infectés par le virus de l'herpès de type 2.

VI. La situation en Amérique latine

Les Caraïbes sont la deuxième région du monde la plus touchée; dans plusieurs de ces pays, le SIDA est devenu une des premières causes de décès. La transmission est essentiellement sexuelle, pour les 3/4 hétérosexuelle, mais dans certains pays ou dans certaines régions d'un même pays, la contamination se fait majoritairement entre hommes. Les chiffres d'incidence sont actuellement en baisse par suite de la mise en place de programmes dynamiques de lutte. Dans presque tous les pays, ces programmes s'accompagnent d'interventions importantes pour l'accès aux traitements. Au Brésil plus de 105 000 personnes sont sous trithérapie.

VII. La situation en Asie

Asie centrale et Europe orientale

Ce sont les régions de la planète où l'incidence est la plus forte, on estime à 250 000 le nombre de nouvelles infections en 2001. En Ukraine, le taux de séropositivité est de 1%. Le premier mode de transmission est l'utilisation de drogues par voie veineuse, mais comme il s'agit de sujets jeunes, la transmission secondaire par voie sexuelle est quantitativement importante.

Asie et Pacifique

L'épidémie est apparue plus tard, mais aujourd'hui, plusieurs pays sont dans des situations critiques. En Chine centrale, des dizaines de milliers de paysans ont été contaminés en donnant leur sang, ailleurs, les taux d'infection sont très élevés parmi les consommateurs de drogues injectables. En Inde, les taux de séroprévalence sont très hétérogènes, la moyenne chez les adultes est aux environs de 1%. Dans ce continent, les modes de transmission les plus fréquents sont les rapports sexuels non protégés avec les prostitués, les rapports sexuels non protégés entre hommes et l'utilisation commune de matériel d'injection chez les consommateurs de drogues injectables.

VIII. Au total : Trois remarques

1. Les études récentes semblent montrer que la dynamique particulière du SIDA en Afrique n'est pas due aux seuls comportements et que des facteurs biologiques entrent sûrement en ligne de compte. Des groupes de population ont des comportements semblables et l'infection par VIH ne s'y développe pas avec la même vitesse. L'hétérogénéité des données asiatiques pourrait être expliquée par les mêmes raisons.

En attendant un hypothétique vaccin, la prévention par la promotion de comportements responsables continue à être le seul moyen de prévention primaire*, mais nécessite que : - toute la population se mobilise. Pour paraphraser l'ancien président des USA, J.F. Kennedy, "il n'est plus temps de demander aux pouvoirs publics et à la communauté internationale des moyens, il faut que tout un chacun se demande ce qu'il fait pour lutter contre le SIDA et chacun a un rôle à jouer ";

  • les jeunes, premières victimes et avenir des sociétés, se mobilisent et fassent l'objet d'une attention plus importante de la part des pouvoirs publics ;
  • le statut et le rôle des femmes soient reconnus et améliorés ;
  • des moyens nouveaux de sensibilisation soient initiés par la base et soutenus par les responsables ;
  • les recherches pour expliquer les constats épidémiologiques soient renforcées ;
  • des recherches pour développer de nouveaux moyens de lutte et de protection soient développées car, dans l'histoire, il n'existe pas de pandémie qui ait été endiguée ou éradiquée avec un seul moyen.

2. Pour lutter efficacement contre une pandémie, il faut plusieurs moyens complémentaires. Dans le cas du SIDA, et sans attendre le vaccin, des virucides utilisables par les femmes par voie génitale sont une nécessité urgente et cruciale en complément du préservatif masculin (et féminin).

3. Pauvreté et SIDA sont malheureusement fortement liés. Il est maintenant admis par tous, ou presque, que lutter contre l'un des deux fléaux permet d'abaisser le poids de l'autre et qu'il est impossible de lutter contre l'un des deux fléaux sans envisager de lutter contre l'autre.

Puisque nous parlons monnaie et que le CFA
se maintient face à l'Euro, maintenons

la signification préventive de CFA soit :
*Condom Fidélité Abstinence*

Prévention primaire : action destinée à prévenir la contamination.
Prévention secondaire : toutes actions destinées à empêcher l'apparition de la maladie.
Prévention tertiaire : action destinée à empêcher les complications chez le malade.

Développement et Santé, n°162, décembre 2002