Elaborer un programme de formation pour du personnel soignant non médecin

Par Renée Leleu-Perrin

Publié le

Formation du personnel de santé non médecin

par Renée Leleu-Perrin

"Car l'enseignement doit l'être d'un cadre, d'une armature.

Non d'un contenu toujours faux."
Citadelle XLIII
A. de Saint-Exupéry

Durant ces dernières décades et jusqu'à présent, les pays du tiers monde ont bénéficié d'une assistance étrangère ou internationale, matérielle et technique qui a aidé à leur développement.

Sur le plan Santé publique, des écoles de formation ont été créées avec à leur tête des cadres nationaux très compétents.

Une expérience de dix années relative à la formation du personnel infirmier dans différents pays africains a changé notre conviction en certitude.

L'éducation des populations en matière de Santé

ne peut se concrétiser qu'en formant du personnel sanitaire à tous les niveaux capable d'instruire et d'enseigner.

Il est temps de faire confiance pour réaliser ce travail aux sages-femmes et lnfîrmiers-cadres, aux Ingénieurs sanitaires, au personnel auxiliaire, formés dans les écoles nationales actuelles des pays considérés.

Après quelques années d'expérience professionnelle, ceux ou celles-ci sont capables d'assurer la formation d'une jeunesse dynamique et avide de connaissances, s'intéressant aux problèmes de Santé publique. Nous pensons en particulier à la formation des agents de communauté sanitaires à laquelle le personnel infirmier devra sans doute participer.

Objectif et planification de l'étude

L'objectif de cet exposé n'est pas de construire un programme spécifique à chaque catégorie de personnel mais de proposer à tous ceux et celles qui prendront en charge la formation d'un ou plusieurs personnels de santé, une méthodologie, un plan de travail, dans le but d'élaborer un programme. Peuvent être envisagés :

  • La remise à jour de programmes trop anciens, en rapport avec l'évolution rapide de l'infrastructure sanitaire et de la société africaine.
  • L'élaboration de programmes de formation de nouvelles catégories de personnel pour les mêmes motifs.
  • La création d'une formation en cours d'emploi en vue de permettre à un personnel donné d'accéder à l'échelon supérieur.
  • La création de cours de recyclage afin d'assurer un perfectionnement et une remise à jour des connaissances du personnel.

Quelle que soit la formation envisagée, Il n'est pas question de copier des programmes du passé ou des modèles venus de l'étranger.

Le schéma intégré à cet exposé montre bien que l'élaboration d'un programme n'est pas un acte définitif. Selon l'évolution des besoins et des ressources des sociétés, les objectifs éducationnels seront à réviser et en conséquence le programme devra être modifié.

"...C'est en fonction des besoins de chaque pays que le système de formation du personnel médico-sanitaire, à tous les échelons, doit être réexaminé."

La tâche n'est pas facile et plusieurs stades seront nécessaires pour réaliser un programme de formation.

Ier stade: procéder à une étude préliminaire sous forme d'enquête pour identifier les besoins et les ressources du pays et de l'infrastructure sanitaire et déterminer les catégories prioritaires du personnel à former.

Ile stade: élaborer le programme de formation avec la mise en oeuvre de ce programme, son évaluation périodique en fonction des besoins et des ressources de la société.

L'étendue de cette étude nous oblige à la partager en trois parties selon les stades ci-dessus mentionnés. Nous développerons d'abord la première partie (Ier stade), les autres feront l'objet d'articles à paraître dans les deux numéros suivants de la revue.

ler stade: étude préliminaire

Pour mener à bien cette étude, nous recommandons:

  • La consultation des archives nationales déposées à l'échelon central. Exemple: plan quinquennal ou décennal au ministère du Plan documents de planification au ministère de l'Éducation nationale, plan de l'infrastructure sanitaire à la direction de la Santé, etc.

  • L'observation directe sur le terrain sous formes d'enquêtes sur place, auprès des formations sanitaires existantes, personnel et populations desservies.

Nous proposons, dans l'ordre, de procéder à:

1. L'identification des besoins sanitaires actuels des collectivités en tenant compte des facteurs suivants pour la région ou le pays considéré :

Sa situation géographique

  • Ouverture sur la mer ou situation à l'intérieur des terres.
  • Présence d'un fleuve navigable ou non.
  • Caractères de la végétation: Sahel, savane, forêts.
  • Situation politique et économique des pays limitrophes.
  • Incidence de la situation géographique sur le climat, le mode de vie des populations.

Sa situation démographique

  • Étude de la population actuelle et projection démographique selon l'âge et le sexe.
  • Densité et répartition de la population.
  • Espérance de vie des habitants.
  • Taux actuel de natalité et de mortalité infantile et adulte en projection.

Sa situation économique

  • A l'échelon du pays: valeur de la monnaie, production intérieure brute.
  • A l'échelon régional:
  • production agricole, industrielle, richesse minière;

  • échanges commerciaux.

Sa situation socioculturelle

  • Situation politique.

  • Étude des aspects linguistiques.

  • Étude des religions pratiquées.

  • Étude des coutumes et traditions.

  • Taux de scolarisation de la population et projection.

  • Nombre et qualité des établissements d'enseignement primaire, secondaire, technique et professionnel.

  • Type et nombre de diplômes délivrés.

La situation, le profil sanitaire des populations considérées

Identification des besoins sanitaires prioritaires aux populations:

  • Prévention et prophylaxie des maladies transmissibles.
  • Prévention et prophylaxie des maladies infectieuses.
  • Hygiène du milieu et de l'environnement.
  • Éducation sanitaire et nutritionnelle.
  • Étude des prestations médico-sanitaires fournies aux populations (types, qualité, quantité).
  • Pourcentage de la population desservie par les formations sanitaires existantes.

2. L'identification des ressources existantes

Ressources budgétaires provenant

  • Des organismes nationaux à l'échelon central, régional ou local.

  • Des formations sanitaires.

  • D'une assistance étrangère ou internationale.

  • Quelquefois des populations elles-mêmes (notables du pays, commerçants).

Ressources matérielles

  • Locaux mis à la disposition des services de santé.
  • Matériels d'équipement divers fournis par des organismes nationaux ou internationaux (FED, UNICEF).
  • Approvisionnement en eau.
  • Marchés africains et petits commerces. L'observation du marché est de la plus haute importance. Elle permet de situer le niveau de vie, le pouvoir d'achat des populations, et de déterminer les bases essentielles de l'éducation nutritionnelle et sanitaire.
  • Les voies et moyens de communications.

Ressources humaines offertes par les populations

  • Identification du pourcentage de population active.

  • Évaluation du nombre de personnes scolarisées titulaires d'un certificat ou diplôme sanctionnant la fin des études primaires, secondaires, techniques ou professionnelles.

  • Identification des personnalités de la région susceptibles de participer à une campagne de développement de la santé:

  • représentants de l'Administration;

  • notables de la localité: chefs de villages, chefs coutumiers, personnalités religieuses;

  • directeurs d'établissements d'enseignement;

  • membres du corps enseignant: importance de l'instituteur dans les villages;

  • responsables d'institutions religieuses locales.

Ressources offertes par l'infrastructure sanitaire actuelle

  • A partir d'une politique sanitaire adoptée à l'échelon central, l'organisation de l'infrastructure sanitaire du pays considéré devra faire l'objet d'une étude approfondie par toute personne qui voudra organiser un système de formation des personnels de santé.
  • Évaluation des formations sanitaires existantes: centres hospitaliers, centres de santé, centres de soins primaires, dispensaires, postes de secours, etc.

Pour chacune d'elles seront étudiés:

  • l'état des locaux;

  • l'état du matériel de soins;

  • les modalités d'approvisionnement;

  • la nature et qualité des prestations fournies aux populations;

  • les catégories, nombre, niveau professionnel du personnel en fonction;

  • le pourcentage de populations desservies.

  • Analyse des tâches des différentes catégories de personnel de santé actuelles :

Qui fait quoi, Ici et maintenant?

Cette enquête est de la plus haute importance car, c'est à partir de cette analyse que seront déterminés les objectifs éducationnels de la formation. Trois méthodes peuvent être proposées pour faire ce travail:

a)Méthode d'observation directe

Chaque membre du personnel est suivi et observé dans son travail par un observateur qui note les différents actes accomplis au cours de la journée, en mentionnant chaque fois le temps passé à chacun d'eux. On peut alors déterminer objectivement les tâches quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles, occasionnelles.

b) Méthode par questionnaires

Ces questionnaires devraient être établis en collaboration avec un statisticien habitué à cette méthode analytique. La liste des tâches figure sur le questionnaire; les personnels qui reçoivent le document n'ont qu'à pointer les tâches qu'ils exécutent.

c)Méthode d'entretien avec le personnel interrogé

La première méthode exige beaucoup de temps mais donne des résultats plus objectifs que la seconde. Par contre, la deuxième méthode offre la possibilité de mener l'enquête auprès d'un plus grand nombre de personnels mais elle est plus imprécise (questionnaires incomplètement ou mal remplis, ou non restitués à l'enquêteur). La troisième méthode, imprécise également, ne donne pas les meilleurs résultats.

3. L'établissement d'un bilan après comparaison des besoins et des ressources va naturellement aboutir à :
Comparer les résultats donnés par l'analyse des tâches avec:

  • les besoins sanitaires des populations dans le but d'assurer à celles-ci une qualité optimale des prestations;
  • les exigences de l'infrastructure sanitaire.

A la lumière de cette comparaison, déterminer les qualifications requises nécessaires à l'exécution correcte des tâches à accomplir:

  • niveau de base du personnel;

  • niveau de recrutement;

  • niveau professionnel.

Procéder à une révision de description et de répartition des tâches en fonction des qualifications requises, ce qui conduit à envisager différentes catégories de personnel:

  • personnel auxiliaire;
  • personnel qualifié diplômé d'État;
  • personnel diplômé d'encadrement et de supervision;
  • personnel spécialisé.

Établir une description de poste pour chaque catégorie de personnel envisagée.

Déterminer si possible pour les cinq années à venir, les catégories de personnel à former ou à recycler dans un but d'efficacité pour le développement sanitaire du pays, en fonction:

  • de l'urgence et de l'évolution des besoins;

  • de l'expansion de l'infrastructure sanitaire;

  • du coût probable de la formation avec son incidence budgétaire;

  • du coût des salaires à prévoir avec l'incidence budgétaire.

A l'intérieur de chaque catégorie déterminée, le nombre de personnels à former par an (alternative maximale et minimale).

Pour chaque catégorie choisie, déterminer les objectifs éducationnels de la formation.

L'étude de ces objectifs sera faite au cours du prochain article à paraître dans le numéro 33 de la revue.

L'ampleur de cette étude préliminaire nécessite un travail d'équipe et ne peut en aucun cas être réalisée par une seule personne. Il appartiendra aux futurs formateurs du personnel des services de santé de se mettre en rapport avec les autorités nationales, régionales ou locales qui leur fourniront sans aucun doute, les moyens matériels et humains pour réaliser ce travail d'enquête préalable, nécessaire à l'élaboration de tout programme de formation.

Ile stade: détermination des objectifs éducationnels

1. Définition

Le dictionnaire de langue française Petit Robert, donne cette définition de l'objectif:

"but précis que se propose l'action. "

Pour ce qui nous concerne, l'action est de former du personnel de santé.

Le but ou objectif est d'obtenir des infirmiers(res), des accoucheuses, des aides-soignants(tes), etc. d'une haute compétence professionnelle, capables d'exercer leur profession en milieu urbain et en milieu rural. Prenons un exemple: la formation des infirmiers d'État en région africaine. L'action de formation se décompose ainsi:

a. recruter des élèves d'un niveau scolaire déterminé: BEPC par exemple,

b. transformer ces lycéens(nes) en infirmiers(res) avec l'aide d'un programme d'enseignement spécifique.

c. obtenir, à la fin des études, des infirmiers(res) capables de :

  • pratiquer certains actes médicaux ou chirurgicaux en cas d'urgence en l'absence de médecin,
  • procéder à des accouchements normaux,
  • dispenser des soins,
  • éduquer les populations sur le plan sanitaire et nutritionnel,
  • organiser une unité de soins en milieu hospitalier ou un centre de santé en milieu rural.

Sur le schéma* ci-dessous illustrant notre action de formation, l'élève (a) entre à l'école d'infirmiers avec un BEPC, niveau requis pour

\ Schéma d'après R. Mager : "Comment définir les objectifs pédagogiques"*

entreprendre ses études et suivre le programme. Il acquiert des connaissances, une certaine habileté technique. A la fin des études, il aura atteint un niveau de performance professionnelle sanctionné par un diplôme. Cet infirmier diplômé (A) n'est plus le même que celui qui est entré à l'école trois ans auparavant. Il a subi une transformation de comportement: de l'état de lycéen, il est passé à celui d'infirmier.

L'objectif précise ce que l'élève doit être capable de faire après avoir suivi avec succès un programme d'enseignement déterminé; il décrit le résultat qu'on attend de cet élève (des actes professionnels précis) alors que la description du programme ne doit relater que le contenu des cours, de l'enseignement.

En résumé, établir les objectifs éducationnels d'une formation ou d'un cours donnés c'est répondre à la question:

  • "que faut-il que les étudiants soient capables de faire à la fin d'un cours qu'ils n'étaient pas capables de faire avant?"

2. Formulation des objectifs éducationnels

Les objectifs éducationnels n'indiquent pas ce qu'un étudiant doit savoir (enregistrement de connaissances) à la fin des études, mais ce qu'il doit savoir faire (aptitudes techniques, actes observables concrets). Ils seront donc rédigés sous forme de verbes actifs à l'infinitif indiquant une manifestation de comportement.

Exemple :

  • mesurer la tension artérielle chez un sujet,
  • identifier les symptômes de la rougeole chez un nourrisson.

En effet, on peut savoir son cours sur la tension artérielle et être incapable de mesure la TA sur quelqu'un. On peut connaître son cours sur la rougeole et être incapable d'en identifier les symptômes.

Ceci revient à dire que les termes savoir, connaître prêtent à confusion car ils sont trop abstraits, imprécis et non mesurables. Il faut donc les oublier dans la rédaction des objectifs éducationnels et en choisir d'autres plus précis.

Termes à supprimer Termes à utiliser
connaître déterminer
comprendre identifier
savoir écrire, énumérer
se rendre compte différencier

Si un élève est capable d'identifier, d'énumérer les symptômes de la rougeole, c'est qu'il possède son cours et qu'il l'a assimilé.

3. Classification des objectifs

Les objectifs éducationnels sont classés en trois catégories:

Les objectifs institutionnels

Ils sont décrits au niveau de l'institution de l'école, de l'établissement d'enseignement. Ils définissent exactement tout ce que les élèves doivent être capables de faire à la fin de leur formation.

Ex.: objectifs institutionnels d'une école d'infirmiers d'État en région africaine.

A la fin de sa formation, l'infirmier d'État devra être capable de:

  • gérer un dispensaire, un centre de santé, ou une unité de soins en milieu hospitalier,

  • pratiquer des consultations médicales ou chirurgicales en l'absence d'un médecin,

  • procéder à des accouchements normaux en l'absence de sage-femme ou d'accoucheuse,

  • dispenser les soins infirmiers dans une optique préventive ou curative en médecine, chirurgie et spécialités,

  • éduquer les populations sur le plan sanitaire et nutritionnel dans un but de développement de la santé,

  • collaborer avec d'autres organismes engagés eux aussi pour le développement de la santé,

  • se perfectionner et évoluer dans sa profession en fonction de l'évolution de la société africaine et des besoins de l'infrastructure sanitaire de la région,

  • évaluer périodiquement les activités du centre de santé ou de l'unité de soins en vue d'améliorer la situation sanitaire de la région.

Il est à remarquer que ces objectifs sont en rapport direct avec l'analyse des tâches en fonction des ressources et des besoins du pays.

Les objectifs intermédiaires

Ce sont des objectifs plus précis, directement en rapport avec un ou plusieurs des objectifs institutionnels. Ils ont pour but de préciser davantage l'une des actions attendues de l'infirmier diplômé.

Ex.: pour l'objectif institutionnel ci-dessus :

  • gérer un dispensaire, etc. les objectifs intermédiaires peuvent être définis ainsi :

a. contrôler au niveau du dispensaire, ou centre de santé, ou unité de soins:

  • l'approvisionnement et le fonctionnement du matériel d'équipement et de soins,
  • l'approvisionnement et la distribution des médicaments,
  • l'entretien et la propreté du matériel et des locaux;

b. tenir en ordre les registres statistiques, fiches et archives;

c. procéder à la déclaration des maladies infectieuses et contagieuses;

d. en cas d'urgence, organiser les évacuations de malades vers un centre spécialisé;

e. superviser le personnel placé sous ses ordres, etc.

Les objectifs spécifiques appelés également instructionnels

Ils définissent un acte précis, observable et mesurable.

Ex.: En ce qui concerne le contrôle des médicaments pour un centre de santé ou une unité de soins, on peut définir ainsi les objectifs spécifiques:

  • vérifier les bordereaux accompagnant les médicaments à leur arrivée,
  • vérifier les dates de péremption,
  • classer les médicaments selon les différents tableaux A, B, C, D,
  • procéder au conditionnement des différents médicaments,
  • procéder à la mise à jour des inventaires,
  • vérifier la fermeture à clef des armoires à pharmacie en particulier celle de l'armoire où sont entreposés les médicaments du tableau B, etc.

Pour les infirmiers appelés à participer à l'enseignement, ils auront à déterminer les objectifs spécifiques d'un cours.

Ex.: objectifs spécifiques d'un cours intitulé: "Surveillance d'un malade traité aux anticoagulants ".

A la fin du cours les élèves devront être capables de :

  • énumérer les médicaments anticoagulants utilisés actuellement,
  • déterminer les examens de sang à exécuter avant, au cours du traitement et leur fréquence,
  • citer les premiers signes d'alarme annonciateurs d'hémorragie chez le malade traité avec anticoagulants,
  • décrire l'action de l'infirmier lors de ces signes d'alarme,
  • énumérer les conseils à donner à un malade traité aux anticoagulants, etc.

A partir de ces objectifs spécifiques, il sera très facile ensuite d'écrire le contenu du cours avec les différents chapitres.

4. Qualités d'un objectif éducationnel
Il doit être:

Pertinent

En relation directe avec le but à atteindre.

Ex.: l'objectif institutionnel d'une école d'accoucheuses est de former des jeunes filles capables de faire des accouchements normaux, et non pas de produire des aides-soignantes pour l'hôpital voisin.

Logique

Résultat d'un raisonnement méthodique.

Ex.: dans les objectifs institutionnels, pour faire une formation d'infirmiers d'État, il a été mentionné:

  • faire des accouchements normaux.

Dans les pays africains au niveau des dispensaires ruraux, il n'y a pas toujours un médecin ou une sage-femme, l'infirmier responsable du dispensaire doit savoir faire un accouchement, ce qui est logique. Cela ne le serait pas pour des infirmiers travaillant en Europe où l'accouchement est l'affaire de la sage-femme ou du médecin accoucheur.

Précis

C'est-à-dire en termes concrets, ne prêtant pas à confusion (paragraphe 2).

Réalisable

Il doit indiquer un acte possible, avec les moyens disponibles en fonction des ressources locales:

Ex.: préparer un biberon à partir du lait en poudre.

Dans une région sahélienne où le lait en poudre et l'eau minérale sont introuvables ou vendus à prix d'or, où l'eau potable est rare, cet objectif s'avère irréalisable. Il conviendra de le remplacer par:

  • développer l'allaitement maternel.

Observable

Sur place, démontré effectivement :

Ex.: pratiquer une injection intramusculaire.

Pour un élève, il ne s'agit pas de reproduire le cours théorique sur l'injection intramusculaire, mais de la faire sur un sujet déterminé.

Mesurable

C'est-à-dire pouvant être évalué avec un instrument de mesure, selon des critères définis.

Ex.: de ces deux objectifs a et b :

  • expliquer le rôle de l'infirmier dans l'administration d'un traitement anticoagulant, ou
  • énumérer les éléments de surveillance chez un malade traité aux anticoagulants.

Il est évident que l'objectif (b) posé de façon plus précise implique une réponse plus rationalisé, d'où un avantage:

  • pour l'élève: qui mesure exactement les limites de la question et de ses réponses.
  • pour l'enseignant: qui, par l'instrument de mesure qu'est la notation évaluera la réponse de façon plus précise: la note maximale sera donnée si tous les éléments de surveillance sont énumérés (objectif atteint) sinon l'élève n'obtiendra qu'une note inférieure à la note maximale (objectif non atteint). Il appartient à l'enseignant de chercher pourquoi l'objectif n'est pas complètement atteint.

Il nous a paru important d'insister sur ce travail de détermination des objectifs éducationnels. En effet, l'expérience a montré que s'ils ne sont pas clairement définis, en termes précis de comportement, il sera pratiquement impossible d'élaborer un programme de formation ou d'enseignement, de choisir des méthodes pédagogiques et de procéder à l'évaluation correcte du programme.

Ille stade: élaboration du programme

L'élaboration du programme comprend cinq opérations successives:

1. construction du contenu du programme

2. évaluation de l'enseignement

3. approbation du programme

4. mise en oeuvre du programme

5. évaluation périodique du programme

1. Construction du contenu du programme

Qu'est-ce qu'un programme?

Selon le dictionnaire: "ensemble de connaissances des matières qui sont enseignées dans un cycle d'études, ou qui forment les sujets d'un examen, d'un concours".

Selon le Guide Pédagogique de l'OMS: "ensemble d'activités éducatives planifiées qu'un étudiant est appelé à suivre avec l'aide des enseignants". Cette seconde définition, exprimée de manière plus dynamique retiendra notre attention, car elle fait appel aux trois facteurs de l'action éducative:

Ces trois facteurs sont intimement liés; il existe entre eux, au niveau de la communication un effet d'aller et retour constant (feed-back). En conséquence, l'élaboration d'un programme n'est pas un acte autoritaire accompli par le personnel de direction d'une école; c'est le résultat d'un travail d'équipe, avec participation des enseignants et des utilisateurs des futurs diplômés.

Après détermination des objectifs éducationnels réalisés au niveau des responsables de la formation choisie, nous proposons de procéder ainsi:

1.1 Réunir tous les enseignants choisis selon des critères bien définis:

  • connaissances approfondies,
  • expérience professionnelle,
  • qualités pédagogiques,

sans oublier le personnel d'encadrement des élèves sur le terrain: responsables des services de soins de santé primaires, personnel d'encadrement d'établissements hospitaliers.

1.2 Distribuer à chaque enseignant la liste des objectifs proposés, rappelons-le, en fonction des besoins du pays.

1.3 Après examen et discussion des différents objectifs, demander à tous les enseignants de bien vouloir donner leur approbation globale de la liste établie.

1.4 Faire une mise au point des matières à enseigner en rapport avec chacun des objectifs institutionnels et spécifiques déterminés.

Exemple: pour l'un des objectifs institutionnels d'une formation d'accoucheuses auxiliaires, à savoir: faire des accouchements normaux. La liste des matières à enseigner se décompose ainsi:

  • Anatomie/physiologie de l'appareil génital féminin,
  • obstétrique,
  • hygiène de la femme enceinte,
  • hygiène du nouveau-né,
  • technique professionnelle, etc.

1.5 Pour chaque matière, établir les objectifs spécifiques des cours:

Exemple: à la fin du cours d'obstétrique:

  • l'accoucheuse auxiliaire devra être capable de:

a. identifier les signes de grossesse normale,

b. énumérer les différents stades de développement du foetus,

c. identifier les signes du travail,

d. énumérer les éléments de surveillance de la mère et de l'enfant durant le travail,

e. procéder à l'accouchement de l'enfant,

f. procéder à l'évacuation du placenta, etc.

1.6 En fonction de chaque objectif spécifique, établir le contenu du cours.

Exemple: afin de satisfaire aux objectifs ci-dessus (a) et (b), on trouvera dans le contenu du cours les titres suivants:

  • la fécondation: mécanisme - nidation de l'oeuf fécondé,
  • les signes confirmant la grossesse,
  • modifications de l'organisme féminin,
  • les différents stades de la grossesse normale, etc.

1.7 Choisir les méthodes d'enseignement qui correspondent à chaque discipline en envisageant :

a. Un enseignement théorique sous forme de:

  • Cours magistral, toujours valable pour donner aux élèves les bases des connaissances indispensables, par exemple en anatomie/physiologie, obstétrique, pathologie médicale et chirurgicale, etc.
  • Les travaux de groupes pour développer chez les élèves l'esprit de recherche, d'analyse et de synthèse.
  • L'enquête sur le terrain pour habituer les élèves à observer, à prendre contact avec l'environnement dans lequel ils devront travailler à l'avenir.
  • L'exposé pour aider les étudiants à adapter l'enseignement à des situations données, et mettre en relief les connaissances assimilées et les qualités pédagogiques des élèves.

b. Un enseignement pratique sous forme de:

  • Priorité au savoir-faire.
  • Démonstrations pratiques sur le terrain.
  • Stages encadrés au niveau des formations sanitaires du pays.

1.8 Choisir le matériel didactique en fonction des possibilités matérielles locales et de la matière enseignée:

  • Si on est pauvre, il sera toujours possible d'obtenir:

  • Un tableau noir.

  • Un flanellographe.

  • Des fiches techniques élaborées en travaux de groupe par les élèves.

  • Le petit matériel professionnel que l'on demandera à certains organismes (UNICEF par exemple) ou que l'on empruntera aux formations sanitaires existantes.

  • Des projections de films organisées par les centres culturels des différentes ambassades.

  • Si on est riche, il sera plus facile de se procurer et d'utiliser:

  • les cours polycopiés,

  • des planches anatomiques,

  • des livres et revues professionnels,

  • les moyens audio-visuels:

  • rétroprojecteur,

  • épidiascope,

  • diapositives,

  • films.

1.9 Chiffrer par discipline:

  • Le volume horaire des cours théoriques, des cours pratiques, des stages, visites documentaires sur le terrain.
  • Le volume horaire réservé à l'évaluation de l'enseignement et des élèves: travaux écrits, interrogations orales, examens (ce volume horaire sera calculé largement afin de laisser une certaine liberté d'action aux enseignants pour établir leur système d'évaluation).

1.10 Après avoir chiffré le volume horaire total nécessaire à l'enseignement du programme, il reste à fixer la durée des études. Nous attirons l'attention du lecteur sur le fait que c'est le volume horaire ainsi calculé pour réaliser les objectifs du programme qui détermine la durée des études et non pas un temps d'études fixé arbitrairement qui détermine le contenu de l'enseignement.

Pour obtenir la durée des études, il suffit de diviser le chiffre (volume horaire total) par le chiffre indiquant l'horaire hebdomadaire de travail en vigueur dans le pays; on détermine ainsi le nombre de semaines de cours à répartir sur un an ou plus.

1.11 Établir une planification des matières à enseigner sur la durée des études en commençant toujours par les matières de base.

2. Evaluation de l'enseignement

L'évaluation de l'enseignement permet de voir si les objectifs institutionnels de la formation ont été atteints ou non. C'est un processus continu s'étendant sur toute la durée des études, ce qui implique que le choix des méthodes d'évaluation doit se faire avant la mise en oeuvre du programme. Cette évaluation a lieu à trois niveaux:

2.1 Au niveau des enseignés:

a. Sélection des élèves avant les études: en fonction de la description des tâches et des objectifs institutionnels de la formation, on détermine le niveau requis (ce qu'un étudiant doit être capable de faire pour pouvoir entreprendre un programme éducationnel). Ce niveau requis peut être un niveau de connaissances de base: CEP - BEPC - BAC ou un niveau de connaissances professionnelles: examen d'aide-soignant, brevet d'infirmier auxiliaire, etc.

b. Évaluation des élèves en cours et en fin d'études. Il s'agit de vérifier si les élèves ont atteint les objectifs éducationnels de la formation envisagée. On évaluera chaque élève en fonction d'un niveau de performance déterminé (le minimum que doit faire l'étudiant pour convaincre l'enseignant qu'il peut le laisser poursuivre ses études ou aller exercer sa profession sans aide ni supervision).

Quelles que soient les méthodes employées:

  • tests,
  • questions à choix multiples,
  • devoirs composés,
  • interrogations écrites ou orales,
  • travaux pratiques,
  • exposés,

elles doivent être:

  • construites en rapport direct avec les objectifs spécifiques des cours,
  • rédigées en termes précis, décrivant un acte

observable et mesurable, ce qui facilitera la notation.

Exemple:

  • question précise à poser: décrivez les différents stades de l'accouchement normal.

- question vague à ne pas poser: que savez-vous de l'accouchement?

2.2 Au niveau des enseignants: Ceux-ci peuvent:

  • s'évaluer eux-mêmes en fonction des résultats obtenus par les élèves: ont-ils ou non atteint les objectifs?
  • se faire évaluer par des collègues durant les cours,
  • pratiquer la double ou triple correction des travaux des élèves,
  • se faire évaluer par un supérieur hiérarchique qualifié en pédagogie et possédant une réelle expérience d'enseignement paramédical.

2.3 Au niveau des utilisateurs des élèves:

  • Observations recueillies auprès du personnel d'encadrement des élèves en stage (remettre aux responsables des terrains de stage une feuille d'évaluation de l'élève construite en fonction des objectifs spécifiques du stage).
  • Observations recueillies auprès des populations en contact avec les élèves sur le terrain.

3. Approbation du programme

Le programme ainsi établi et dactylographié devra être soumis aux Autorités nationales compétentes afin de solliciter:

  • son approbation,

  • un statut du personnel ainsi formé avec indication de sa position dans le système hiérarchique du personnel de santé.

4. Mise en oeuvre du programme

Après approbation du programme, nous proposons de réunir à nouveau le corps enseignant afin de:

  1. Mettre en place les modalités de sélection et d'inscription des élèves.
  2. Demander à chaque enseignant de préciser sa participation à l'enseignement selon ses qualifications et disponibilités.
  3. Distribuer à chaque enseignant un condensé du cours choisi comprenant la description des objectifs spécifiques du cours, les méthodes d'enseignement et d'évaluation.
  4. Établir l'emploi du temps hebdomadaire des cours en tenant compte des jours et heures de disponibilité du personnel enseignant, et de la planification des matières à enseigner.

5. Évaluation du programme

Il est nécessaire à une école pour démontrer son efficacité de savoir si le programme d'enseignement qu'elle a adopté mène ou non à la réalisation des objectifs de la formation qu'elle offre. Ces objectifs doivent constamment satisfaire les besoins d'une société qui évolue, ce qui implique que le programme soit périodiquement revu et corrigé en fonction de ces objectifs (cf. schéma ci-joint). L'évaluation d'un programme implique:

5.1 L'évaluation de l'enseignement donné à l'école (cf. paragraphe 2. 1) par l'intermédiaire des élèves, des enseignants et des utilisateurs des élèves.

5.2 L'évaluation des jeunes diplômés sortis de l'école après un ou deux ans.

Il s'agit de savoir si les jeunes infirmiers, par exemple, satisfont aux besoins des populations et aux exigences de l'infrastructure sanitaire du pays. Sont-ils efficaces dans l'exercice de leur profession ou se révèlent-ils un danger public? Pour le savoir, certaines méthodes ont été préconisées:

  • envoi de questionnaires aux jeunes diplômés pour mettre en évidence la réalisation des objectifs de la formation,
  • envoi de questionnaires aux utilisateurs du personnel formé,
  • visites et contrôle des anciens élèves sur le terrain.

(cf. tableau: dynamique de réalisation d'un programme)

5.3 Evaluation du programme tous les cinq ans systématiquement, c'est-à-dire révision des objectifs de la formation en fonction:

  • d'une étude sur les ressources et les besoins des collectivités,
  • des exigences du plan quinquénal de développement élaboré par les Autorités nationales,
  • de la politique sanitaire adoptée,
  • du développement de l'infrastructure sanitaire prévu,
  • de l'expansion démographique.

En résumé, l'évaluation d'un programme conditionne la qualité de la formation et lorsqu'il s'agit de formation de personnel de santé, elle devient indispensable. Elle vise davantage un savoir-faire que les seules connaissances théoriques.

L'objectif proposé dernièrement par l'OMS " la santé pour tous d'ici l'an 2000" est parfaitement réalisable à partir d'une réorganisation de l'infrastructure sanitaire. L'importance donnée à la prévention des maladies, à l'éducation sanitaire des populations et à la création des services de soins de santé primaires implique la révision de nos programmes de formation du personnel de santé et la création de nouvelles catégories de personnel. Puisse notre exposé, peut-être un peu long, rendre service à tous ceux qui auront à accomplir les tâches de formation, lourdes de responsabilités, mais tellement passionnantes...

Développement et Santé, n°32, 33, 34, août 1981