Dyspnées obstructives de l'enfant : étiologies, diagnostic et prise en charge

Par Valérie Tessier, pédiatre, Pédiatres du Monde

Publié le

I. L'analyse clinique de toute dyspnée haute constitue la clef du diagnostic et des premiers gestes thérapeutiques

1. L'interrogatoire des parents doit préciser

  • L'âge de l'enfant : plus il est jeune plus c'est grave.
  • Les circonstances d'apparition de la dyspnée.
  • Notion de syndrome de pénétration, traumatisme, contexte infectieux.
  • Le début brutal ou progressif.
  • La durée d'évolution: quelques minutes ou quelques heures.
  • L'évolution spontanée: aggravation, stabilité.
  • Les antécédents: stridor*, rhino-pharyngite, laryngite, fausses routes − Les troubles associés: modification de la voix, toux, troubles de la déglutition, fièvre, troubles de la conscience.

*Stridor : bruit aigu anormal émis lors de la respiration, témoin d’un obstacle le plus souvent laryngé, rarement trachéal.

2. Signes de gravité

La durée de la dyspnée

La durée supérieure à une heure est considérée comme un indice de gravité du fait de la fatigue qui en résulte avec risque d'épuisement.

Les signes de lutte respiratoire

Le tirage, le battement des ailes du nez, le balancement thoraco-abdominal, le hochement de haut en bas de la tête lors des inspirations.

Les signes d'insuffisance respiratoire aiguë sévère

On appréciera l'aspect général de l'enfant : signes d'épuisement, pâleur intense, cyanose, rythme respiratoire irrégulier, pauses respiratoires bradypnée extrême, troubles de conscience.

Interdiction formelle d'imposer le décubitus à un enfant ayant adopté spontanément la position assise : danger d'arrêt respiratoire.

Score de gravité des laryngites : un score > 8 indique une laryngite grave
Stridor inspiratoire Aucun 0
Au repos + stéthoscope 1
Au repos sans stéthoscope 2
Tirage sus-sternal Aucun 0
Léger 1
Modéré 2
Sévère 3
Inspiration Normale 0
Diminuée 1
Très diminuée 2
Cyanose Aucune 0
Avec agitation 4
Au repos 5
Etat de conscience Normal 0
Altéré 5

Le temps inspiratoire ou expiratoire, les bruits et le tirage associés amènent à préciser au moins le site de l'obstacle, au mieux l'étiologie.

Il faut savoir différencier les obstacles nasaux ou rhino-pharyngés qui apparaissent chez le nouveau-né en cas d'obstacle nasal ou rhino- pharyngé.
Chez le nouveau-né, la respiration est uniquement nasale au repos (en dehors des pleurs), ainsi l'obstruction nasale entraîne un tirage typiquement sous-mandibulaire ; la disparition de la dyspnée s'observe quand l'enfant ouvre la bouche.
En cas de gêne avec obstruction nasale majeure, en particulier malformative : mettre en place une canule de Mayot.

II. À chaque tranche d'âge correspondent des pathologies particulières

1. Les causes de dyspnée laryngée chez les nourrissons de moins de six mois sont la laryngomalacie et l'angiome sous-glottique

a. La laryngomalacie

Elle est la plus fréquente des anomalies laryngées congénitales du nouveau-né, du nourrisson et du petit enfant. Dans le cas où elle se limite à une dyspnée isolée, seule une surveillance de l'enfant sur les plans staturo-pondéral et respiratoire est nécessaire. En cas de complication un avis spécialisé sera nécessaire.

b. L'angiome sous-glottique

Deuxième cause à moins de six mois. On retrouve une dyspnée laryngée chronique ayant débuté à quelques semaines ou mois de vie. Il s'agit d'une dyspnée parfois accompagnée de toux et d'un cri rauque. Le traitement repose sur la corticothérapie générale à la dose de 0,125 à 0,375 mg par kilo et par jour de bétaméthasone pendant 10 à 15 jours puis à doses dégressives pendant 4 à 12 semaines. Dans les formes cortico-résistantes, on doit demander un avis spécialisé.

Les causes plus rares sont : les sténoses laryngo-trachéales congénitales, les paralysies laryngées, les kystes laryngés.

2. Au-delà de six mois

Ce sont les corps étrangers et les laryngites aiguës qui sont les plus fréquents.

a. Corps étranger

C'est la première éventualité à envisager face à un enfant apyrétique ayant une dyspnée laryngée. Les corps étrangers sont volontiers enclavés au niveau sous glottique.
Le diagnostic est évoqué sur la notion de syndrome de pénétration, souvent en pleine journée lors d'un repas ou d'un jeu.
La dyspnée obstructive est brutale avec accès de suffocation, toux expulsive parfois cyanose et inspiration bruyante.

En cas de suffocation, les gestes d'urgence s'imposent :

La manœuvre de Heimlich consiste en une brusque compression de la région épigastrique de bas en haut pour tenter de désenclaver le corps étranger. Une trachéotomie d'extrême urgence ou une ponction trachéale avec un trocart ou une aiguille sont réalisées en situation extrême.
Il est déconseillé de faire des manœuvres de désobstruction telles que l’introduction de doigts dans la bouche ou la suspension de l'enfant par les pieds, qui pourraient rendre le corps étranger complètement obstructif.
En cas d'impossibilité d'expulsion du corps étranger, administrer un corticoïde injectable et transférer l'enfant en urgence en milieu spécialisé.
Le plus souvent, l'obstruction cède spontanément par migration du corps étranger en distal. Les signes seront alors la toux au changement de position, le wheezing unilatéral ou l'évolution vers une pneumopathie systématisée

b. Les laryngites aiguës

Généralement dans un contexte fébrile, elles peuvent toucher les trois étages du larynx.

  • L'épiglottite ou laryngite supra-glottique est plus rare que les autres formes mais beaucoup plus dangereuse. Elle est d'origine bactérienne (Haemophilus influenzae). Son début est très brutal, avec une fièvre supérieure à 39 °C.
    La dyspnée s'aggrave rapidement, la dysphagie est importante.
    L'attitude de l'enfant est évocatrice : assis, tête penchée en avant, bouche ouverte, hypersialorrhée claire, altération de l'état général.
    Le traitement repose sur l'association antibiotiques : cefotaxime 200 mg/kg/j et corticoïdes prednisolone 1 mg/kg intra veineux.
    En l'absence d'amélioration rapide, transfert d'urgence dans un service spécialisé pour intubation.
    L’épiglottite ne devrait plus se voir car le vaccin anti-Haemophilus B a été introduit dans le PEV (en 1998).
  • La laryngite aiguë striduleuse et la laryngite œdémateuse
    Ce sont les causes les plus fréquentes des dyspnées laryngées de l’enfant, heureusement les plus bénignes.
    Elles se manifestent par une dyspnée obstructive de début brutal, volontiers nocturne, un tirage sus sternal et un cornage. La fièvre modérée, l’état général conservé. La toux rauque et aboyante, en quinte.
    Traitement : 1 mg/Kg de prednisolone à renouveler une demi-heure après si les signes persistent
    On peut associer des aérosols : 2 à 3 mg d'adrénaline par aérosol 3 à 4 fois par jour. En l'absence d'amélioration rapide, transfert vers un service spécialisé.
  • La laryngite spasmodique peut accompagner l’éruption de la rougeole.Elle ne devrait plus se voir grace à la vaccination. ou bien s'associer à une varicelle. Dans ces cas, elle un facteur de mauvais pronostic pouvant annoncer une forme de grave avec encéphalopathie.
  • La laryngite diphtérique
    Elle ne devrait plus se voir, la vaccination antidiphtérique faisant partie du PEV.
    La laryngite est secondaire à une angine diphtérique à fausses membranes. L’état général est altéré, avec fièvre et tachycardie. La dyspnée s'associe à une toux rauque et une voix éteinte.
    Le traitement classique de la diphtérie consiste à administrer immédiatement un sérum anti-diphtérique en injection intramusculaire et des antibiotiques. Une antibiothérapie par amoxicilline ou macrolides est conseillée en cas d’allergie aux bêta-lactamines.

c. Deux causes sont fréquentes mais d’installation progressive

  • Le phlegmon rétro-pharyngé
    Contexte fébrile à 39-40 °C avec, à l’ouverture de la bouche, un bombement de la paroi pharyngée postérieure et, au toucher, une masse mollasse. Il faut alors :
    Mettre en œuvre un traitement antibiotique
    Ponctionner le phlegmon
    Et si du pus vient, inciser sous couvert d’une intubation pour éviter les inhalations.
  • L’hypertrophie amygdalienne
    Elle survient le plus souvent au cours d’une poussée d’amygdalite. Il s’agit d’une pathologie du carrefour dont le diagnostic est fait aisément avec un abaisse-langue. Il faut instaurer une antibiothérapie et placer une canule de Mayo pour libérer le carrefour. L’amygdalectomie sera faite au décours du processus infectieux.

d. Autres causes plus rares

  • La papillomatose laryngée : lésion tumorale bénigne d'origine virale qui devient dyspnéisante après une longue période de dysphonie.
  • Les traumatismes laryngés sont suspectés devant un contexte de traumatisme, des lésions cutanées cervicales et un emphysème sous-cutanée
  • L'ingestion de liquide caustique ou bouillant survient généralement dans un contexte évocateur avec présence de lésions buccales.
  • L'œdème laryngé allergique, par exemple consécutif à une piqûre d'insecte, survient dans un contexte évocateur. Traitement par adrénaline sous-cutanée ¼ mg et corticothérapie : 1 mg/kg de prednisolone.

Conclusion

L'interrogatoire et l'examen permettent de déterminer l'origine de la dyspnée, il convient d'évaluer rapidement la sévérité et ainsi d'adapter le traitement.

En cas de détresse respiratoire aiguë, si l'on ne dispose d'aucun matériel d'intubation ni de trachéotomie et que le transfert est impossible, il faut mettre en place deux à trois aiguilles intraveineuses ou un cathéter n°14 en trans-trachéal, ce qui shunte toutes les causes de dyspnée jusqu'à la sous-glotte comprise, et permet un minimum d'hématose compatible avec un transfert.

Matériel nécessaire au dispensaire

Un abaisse-langue, un laryngoscope, une pince de Magill, un jeu de sondes d'intubation, un bistouri et des cathéters n°14 ou des aiguilles équivalentes, des canules de Mayo.