Les porteurs du trait drépanocytaire AS

Par Assa Niakaté, Aurélie Stanislas, Christelle Rémus, Robert Girot

Publié le

La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémoglobine à transmission autosomique récessive due à la mutation S du gène de la β-globine. Il résulte de cette mutation la présence de l’hémoglobine S dans le globule rouge. La drépanocytose est une maladie génétique fréquente dans le monde.
L’Organisation Mondiale de la Santé estime à 230 000 le nombre d’enfants naissant chaque année atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur.
Le risque génétique auquel sont exposés les porteurs des traits AS ou AC de donner naissance à un enfant atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur étant identique, nous considérons dans ce travail comme porteurs du trait les sujets soit AS, soit AC (AS/AC). Nous préciserons cependant dans le texte les considérations ne concernant que les porteurs du trait AS.

I. Les circonstances du dépistage des porteurs du trait AS/AC

Elles sont nombreuses :

  • C’est encore trop fréquemment à l’occasion de la naissance d’un enfant atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur que les parents apprennent qu’ils sont porteurs du trait.
  • Ce peut-être aussi à l’occasion d’une enquête familiale faite à la suite de la découverte du trait chez un apparenté ; en effet, il est recommandé de diffuser l’information aux collatéraux, ascendants, descendants, chaque fois que la présence de la mutation est mise en évidence dans une famille.
  • D’autres circonstances de découverte du trait sont possibles : dépistage néonatal, projet parental de sujets informés, dépistage systématique, etc.…
  • Rarement, il s’agit d’un épisode clinique comme il peut en survenir dans certaines situations particulières (voir paragraphe « Informations destinées aux professionnels de santé »). A noter que la découverte du trait peut survenir à tous les âges de la vie.

II. Le diagnostic biologique du trait AS/AC

Le diagnostic biologique du trait drépanocytaire fait appel à la numération sanguine (normale chez les porteurs AS/AC) et à l’étude de l’hémoglobine (identification des fractions d’hémoglobine A, S, C, F et A2). Chez les porteurs des traits AS ou AC, le pourcentage de l’hémoglobine A est toujours supérieur à celui des fractions S ou C.
Les techniques usuelles d’étude de l’hémoglobine permettent d’obtenir un résultat certain dans la majorité des cas.

Chez les sujets AS, les globules rouges sont normaux ; en particulier, il n’existe pas de drépanocytes ou hématies falciformes. On peut provoquer leur formation en incubant le sang avec un agent réducteur (métabisulfite de sodium) : c’est le principe du test d’Emmel ou test de falciformation provoquée. Il permet d’identifier l’hémoglobine drépanocytaire S et, selon le contexte, d’avoir soit une valeur de dépistage, soit une valeur diagnostique. En revanche, il ne permet pas de distinguer les différentes formes génétiques de syndromes drépanocytaires, et notamment les porteurs sains AS des malades SS, CC…

Une fois établi, le diagnostic est valable toute la vie. Il ne se modifie pas avec le temps, sauf en période néonatale où le pourcentage d’hémoglobine F est le plus important de toutes les fractions, avec toujours, pour les porteurs AS/AC, un pourcentage de l’hémoglobine S ou C inférieur à celui de l’hémoglobine A.

III. Informations destinées aux porteurs du trait

Les trois informations principales à donner à tout porteur sain AS/AC sont les suivantes :

1. Définition de la drépanocytose

Pour définir la maladie, on peut s’aider de la numération sanguine et de l’étude de l’hémoglobine. Il faut d’abord expliquer que l’hémoglobine est le constituant principal du globule rouge, lui-même constituant principal du sang, et, ensuite, distinguer les différentes fractions de l’hémoglobine figurant dans le résultats de l’étude de l’hémoglobine, l’hémoglobine A, l’hémoglobine S de la drépanocytose, les autres hémoglobines C, D, E, etc. Au cours de l’entretien, les termes AS, AC, SS, SC, etc. doivent être précisés.

2. Transmission de la drépanocytose

La maladie est transmise par les deux parents et touche autant les garçons que les filles. Elle résulte de la transmission du gène S par l’un des parents et soit du gène S ou du gène C par l’autre. Les sujets SS et SC sont atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur.
Il existe d’autres formes génétiques plus rares de syndrome drépanocytaire majeur, les hétérozygotes composites Sβ-thalassémique (figure 1- couple 4), SE, SD-Punjab, SO-Arab, etc…


Figure 1 : Transmission génétique de la drépanocytose
Légende :
Couples AA-AS : 50% des enfants sont AA et 50% des enfants sont AS
Couples AS-AS : 25% des enfants sont AA, 50% sont AS et 25% SS
Couples AS-AC : 25% des enfants sont AA, 25% sont AS, 25% sont AC et 25% sont SC
Couples AS- Sβ-thalassémique : 25% des enfants sont AA, 25% sont AS, 25% sont Aβ-thalassémique et 25% sont Sβ-thalassémiques

NB : SS, SC et Sβ-thalassémique sont atteints de la maladie drépanocytaire et sont regroupés sous le terme de syndrome drépanocytaire majeur.

3. Les porteurs du trait AS/AC sont-ils malades ?

Les porteurs du trait AS/AC ne sont pas malades et ne souffrent pas de symptômes vaso-occlusifs dans les conditions physiologiques. Leur espérance de vie est identique à celle des sujets sains. Etre porteur du trait drépanocytaire n’a aucune conséquence sur les choix de carrière professionnelle et les choix personnels de vie.
Les porteurs du trait AS/AC pratiquant une activité physique intense (sportifs de haut niveau, militaires, etc.) doivent cependant être informés de certaines précautions à prendre (voir paragraphe «Conseils particuliers destinés aux porteurs du trait AS/AC »). Certaines pathologies peuvent survenir chez les porteurs du trait AS/AC dont le degré de liaison avec le caractère AS est indiqué ci-dessous.

IV. Informations pour les professionnels de santé

Ce paragraphe ne concerne que les porteurs du trait AS.
Certaines situations pathologiques ont un lien avec le trait drépanocytaire AS (voir ci-dessous les associations certaines). Une seconde catégorie de situations pathologiques peut être liée au trait drépanocytaire (voir les associations probables). Une troisième catégorie d’association d’événements pathologiques au trait drépanocytaire n’a pas aujourd’hui de lien de cause à effet établi avec certitude (voir les associations indépendantes).

1. Les associations certaines

  • Infarctus splénique
    L’infarctus splénique se manifeste par une douleur de l’hypochondre gauche qui peut durer plusieurs jours. Il survient en situation d’hypoxémie et en particulier en altitude, au-delà de 3 000 mètres lorsqu’un effort physique lui est associé (alpinisme).
  • Hématurie
    Des hématuries parfois importantes peuvent survenir chez les porteurs du trait AS soit spontanément, soit provoquées par un exercice intense. Ce n’est qu’après avoir éliminé lithiase, infection, cancer, etc., qu’on rapportera l’hématurie au trait AS. Le traitement médical par l’acide epsilon aminocaproïque est efficace.
  • Rhabdomyolyse induite par un exercice intense
    Des cas de rhabdomyolyses aiguës induites par un effort intense et évoluant parfois vers une hyperkaliémie et un arrêt cardiaque ont été rapportés à plusieurs reprises chez les porteurs du trait AS. La compréhension physiopathologique de ces événements n’est pas claire. Il est possible que l’association à d’autres facteurs (déficit enzymatique érythrocytaire, etc.) puisse augmenter le risque de rhabdomyolyse d’effort dans cette population, mais les preuves expérimentales manquent encore.

2. Les associations probables

La survenue de complications thrombo-emboliques (phlébites, embolies pulmonaires), d’anémie et, au cours de la grossesse, d’interruption spontanée et de pré-éclampsie, ne sera reliée au trait drépanocytaire qu’après avoir éliminé toutes les autres causes favorisant ces événements pathologiques.

3. Les associations indépendantes

Dans l’état actuel de nos connaissances, il n’y a pas de lien de cause à effet établi entre le trait drépanocytaire AS et les situations pathologiques suivantes : rétinopathie, lithiase pigmentaire, priapisme, ulcère de jambe, nécrose avasculaire de la tête fémorale et accident vasculaire cérébral.

V. Quels conseils donner aux porteurs du trait AS/AC ?

Ce paragraphe ne concerne que les porteurs du trait AS.
Les conseils donnés aux porteurs du trait drépanocytaire dépendent du contexte dans lequel se déroule l’entretien, du volume des informations à transmettre selon la demande et de l’intérêt de l’interlocuteur.

1. Sujets se plaignant de douleurs

  • Un symptôme douloureux persistant ne doit pas être négligé chez un sujet porteur du trait drépanocytaire AS. Il doit entraîner une consultation car des examens complémentaires peuvent être nécessaires si le contexte clinique y conduit.
  • Les activités physiques régulières, en particulier la natation, la gymnastique en piscine, ont par elles-mêmes une action musculo-squelettique favorable et antalgique et doivent être recommandées.
  • Il convient de remettre à sa place le trait drépanocytaire en tant que « particularité génétique » et non pas « maladie ». Il ne faut pas incriminer le « trait » à la légère ; la prise en charge médicale des patients doit être rigoureuse.
  • Il est par ailleurs indispensable de prendre en compte la souffrance personnelle et familiale quand elle existe, dépendant ou non de la drépanocytose présente dans l’entourage du patient. Il ne faut pas méconnaître ou éluder, ou pire, nier la souffrance sociale comme facteur de déclenchement et de pérennisation de la douleur physique.

2. Sports

Les compétitions sportives sont autorisées. Au cours de l’entrainement, les niveaux de performance doivent être atteints graduellement. L’entrainement doit être interrompu en cas de douleurs ou faiblesses musculaires, fatigue soudaine, malaise général. Il faut savoir que des facteurs peuvent prédisposer à ces symptômes : chaleur, altitude, déshydratation, asthme, etc…
Les performances extrêmes sont déconseillées.

Cas particulier su sport en altitude
Les activités sportives usuelles en montagne (ski de descente, ski de fond, courses en montagne) sont autorisées sans réserve. En revanche, l’alpinisme ou tout effort intense au-dessus de 3000 m sont déconseillés en raison du risque de survenue d’infarctus splénique.

3. Grossesse

Chez une femme enceinte, l’association entre interruption spontanée, pré-éclampsie, enfant mort-né et le trait AS n’est pas clairement établie ; les infections urinaires seraient plus fréquentes que dans la population générale. Chez une femme qui se sait porteuse du trait AS/AC, on s’assure qu’elle est bien informée du risque génétique auquel elle est exposée. Le dépistage du trait chez une femme à risque d’être porteuse du trait mais qui ne le sait pas, est l’objet de discussions (voir paragraphe «Conseils particuliers destinés aux porteurs du trait AS/AC»).

4. Chirurgie

La chirurgie n’est pas considérée comme une situation à risque chez les patients porteurs du trait drépanocytaire. Toutes les méthodes anesthésiques peuvent être utilisées.

5. Protection contre le paludisme

Les sujets porteurs du trait drépanocytaire AS ne sont pas protégés à titre individuel contre le paludisme. Les mesures prophylactiques à l’égard du paludisme sont identiques à celles de tout sujet se rendant en zone à risque (chimioprophylaxie, moustiquaire, répulsifs, etc…).

6. Risque d’hypoxémie et voyages en avion

Toutes les situations exposant à un risque d’hypoxémie sont déconseillées notamment la pratique de la plongée sous-marine en apnée.
En ce qui concerne les voyages en avion, les voyages en cabine pressurisée sont autorisés et les voyages en cabine non pressurisée sont déconseillés.

7. Risque thrombotique

Quelques publications récentes suggèrent que les porteurs du trait drépanocytaire AS seraient plus exposés au risque de thrombose que les sujets non porteurs. Il est donc conseillé de recourir à une protection large contre ce risque dans toute situation favorisant la thrombose (hospitalisation avec alitement, chirurgie orthopédique, post-partum, etc.).

8. Don du sang des porteurs AS

Les porteurs du trait AS peuvent donner leur sang. Cependant, les porteurs AS et les hémobiologistes doivent savoir que 30 % des concentrés globulaires issus de donneurs AS colmatent les filtres lors de la déleucocytation, ces culots devant être éliminés. A noter que la transfusion de concentrés érythrocytaires provenant de donneurs AS a une efficacité clinique identique à celle des concentrés provenant de donneurs non porteurs.

VI. Le conseil génétique dans la drépanocytose

Le conseil génétique dans la drépanocytose consiste à informer tout porteur d’un gène S, C
ou β-thalassémique :

  • de son état,
  • du risque génétique auquel il est exposé de donner naissance à un enfant atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur,
  • des moyens mis à sa disposition pour faire face à ce risque.

Les situations les plus courantes sont les suivantes :

  • Sujet porteur de l’un des gènes indiqués ci-dessus sans projet parental immédiat : donner les informations contenues dans le paragraphe « Informations destinées aux professionnels de santé ».
  • Couples dont les deux conjoints sont l’un porteur du gène S et l’autre d’un gène C ou β-thalassémique. Il y a quatre options. En pré-conceptionnel, soit le couple décide de ne pas avoir d’enfant, soit il peut demander un diagnostic préimplantatoire, Si la femme est enceinte, le couple peut demander un diagnostic prénatal en vue d’une interruption médicale de grossesse si le fœtus est atteint, ou bien attendre la naissance de l’enfant pour savoir s’il est atteint dans le cadre d’un dépistage néonatal.
  • Chez une femme enceinte qui ne sait pas si elle est porteuse du gène S, il est conseillé de se rapprocher des recommandations formulées par le Collège des Obstétriciens de son pays dans ce domaine. En l’absence de ces recommandations, il est conseillé aux professionnels de santé des maternités de se rapprocher d’une consultation de conseil génétique compétente pour discuter la meilleure attitude devant chaque cas particulier.

Conclusion

L’information des porteurs AS/AC occupe une place croissante dans les pratiques quotidiennes de nombreux professionnels de santé. Cette information est simple à délivrer dans la plupart des cas ; elle doit faire appel à des généticiens compétents dans le domaine du conseil génétique appliqué aux maladies génétiques de l’hémoglobine face à un couple exposé au risque de donner naissance à un enfant atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur.

Pour tester vos connaissances sur le trait drépanocytaire AS, cliquez ici :Quiz trait AS

Bibliographie

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