Drépanocytose et grossesse
Dans la prise en charge de la femme enceinte atteinte de drépanocytose, l’élément le plus important, qui semble superflu mais ne l’est pas du tout, est le fait de confirmer le diagnostic avec la concernée. Pour cela, il faut l’écouter, savoir si elle comprend sa maladie et en être sûr. Bien souvent, étant donné que la pathologie a été diagnostiquée depuis l’enfance, du fait d’antécédents transfusionnels multiples, les femmes connaissent plus ou moins leur maladie. Inversement, on est surpris par le fait que la « connaissance de la maladie » se limite parfois à des croyances, ce qui ne favorise pas les actions de prévention.
Fort heureusement, grâce à de grandes campagnes de sensibilisation organisées pour améliorer la connaissance de la maladie dans la population, ces cas sont en nette régression.
Il est alors nécessaire de fournir un complément d’information majeur, surtout pour les primigestes, dans un contexte où la maternité a une place de choix dans la société africaine.
Précisons que ce groupe de femmes était taxé de femmes « stériles », ne pouvant pas concevoir, ni mener à terme leur grossesse sans risque pour leur vie ; elles sont donc très attentives aux conseils et souvent bien compliantes au traitement. Toutefois, les plus jeunes, parfois très jeunes encore scolarisées, ont quelques difficultés.
I. Prise en charge des gestantes ayant la drépanocytose
Il est recommandé de prévoir une consultation pré-conceptionnelle avec le couple, à défaut avec la femme seule, pour une bonne orientation et un meilleur suivi.
Il s’agit de discuter avec la patiente, en période anté-conceptionelle, des éléments suivants :
- désir de grossesse,
- statut martial,
- typage de l’hémoglobine du père,
- traitement éventuel en cours, qui doit être arrêté : la patiente qui serait traitée par hydroxyurée devrait arrêter le traitement avant de concevoir, sauf s’il existe un risque de complication grave ou si la femme est difficilement transfusable . Cette décision de poursuite du traitement est prise au cas par cas. C’est aussi l’occasion d’échanger sur les médicaments à éviter au premier trimestre, notamment les antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui pouvaient être pris précédemment en cas de douleurs.
La prise en charge de la grossesse est multidisciplinaire et implique l’intervention des hématologues, sages-femmes, obstétriciens, anesthésistes et néonatologistes, prenant part chacun à cette prise en charge globale.
1. Les consultations prénatales (CPN)
En République Démocratique du Congo, et selon les recommandations de l’OMS, le programme national prévoit au moins 8 ou 9 consultations prénatales pour les grossesses à risque. Le calendrier des CPN se présente alors de la manière suivante :
- une CPN par mois jusqu'à 6 mois,
- une CPN toutes les 2 semaines entre 6 et 7 mois,
- une CPN par semaine dès le 7ème mois jusqu'à l’accouchement, qui a souvent lieu de la 34ème à la 37ème semaine.
2. Le contenu des CPN
La première consultation permet de relever les antécédents gynéco-obstétricaux : le nombre de grossesses, les fausses-couches et avortements éventuels, les cas de MIU etc., ainsi que les antécédents transfusionnels, le statut vaccinal et la prise des médicaments.
A chaque visite, il est recommandé de déterminer :
- le poids (gain normal : 400 - 500 g par semaine) : tout gain pondéral excessif est à signaler ;
- la pression artérielle (Nle < 135 / 85 mmHg). Une élévation de ≥ 30 mm Hg pour la systolique et 15 mmHg pour la diastolique doit être considérée comme des signe d'hypertension ;
- la présence ou non d'œdèmes des membres inférieurs ; leur apparition, associée à une élévation des chiffres tensionnels et à la présence d’une protéinurie, fait poser le diagnostic d’une pré-éclampsie (gestose), complication majeure ;
- les mouvements fœtaux actifs (MFA), signe de vitalité du fœtus ;
- la hauteur utérine (HU), un des marqueurs de la croissance fœtale ; la croissance attendue est en moyenne de 4 cm par mois ;
- le rythme cardiaque fœtal (RCF), preuve de vie fœtale ;
- la recherche d’une protéinurie et/ou d'une glucosurie (au moyen de la bandelette urinaire).
Les autres éléments à adapter à chaque cas sont par exemple le test de Coombs indirect (à la recherche d’agglutinines irrégulières) chez les gestantes Rhésus négatif, l’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) chez les femmes avec facteur(s) de risque diabétique, le groupage sanguin élargi.
3. La vaccination au cours des CPN et les autres mesures prophylactiques
La vaccination obligatoire au cours des CPN concerne la vaccination antitétanique. Pour une primigeste, il faut un minimum de 2 vaccins (à 1 mois d’intervalle) pour une couverture acceptable.
Il est recommandé de :
- prescrire les sérologies VIH et hépatite B ainsi qu’un bilan hématologique ;
- faire une prophylaxie antipaludique par l’administration d’une dose curative de sulfadoxine-pyriméthamine à raison de 3 comprimés en une fois au 2ème trimestre puis au 3ème trimestre (les 2 prises étant espacées d’au moins 4 semaines ; il est important de choisir la molécule en tenant compte de la résistance aux germes ;
- administrer une supplémentation en vitamine A, et des vermifuges pour déparasiter ;
- encourager l’utilisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticide.
La prescription d’aspirine à faibles doses, dès le premier trimestre est recommandée par certaines équipes, compte tenu du risque de survenue de prééclampsie. D’autres équipes débutent le traitement au deuxième trimestre de la grossesse seulement s’il existe des facteurs de risque.
4. Les recommandations particulières
L’hygiène alimentaire comportant un régime varié et équilibré est un élément préventif majeur qui encourage à :
- stimuler la gestante à consommer du fer héminique contenu dans les viandes et les poissons (protéines animales), dont le taux d’absorption est hautement supérieur à celui du fer non héminique (contenu dans les végétaux) ;
- mettre en garde la gestante face aux interdits alimentaires qui souvent proscrivent les aliments dont elle a justement besoin à cette période de sa vie : les œufs, le gibier, le poisson du fleuve... ;
- encourager la consommation de fruits de notre milieu (riches en ascorbates, citrates et acide folique) au moment des repas car ils contiennent des activateurs de l’absorption du fer non héminique ;
- réduire sensiblement ou interdire la consommation des inhibiteurs de l’absorption du fer non héminique chez la femme enceinte : les tanins (thé), les polyphénols (argile), les fibres végétales (mfumbwa) ; ces derniers n’ont aucun effet sur l’absorption du fer héminique ;
- veiller à l’hygiène vestimentaire (vêtements amples, aérés et confortables), l’activité physique (modérée, adaptée à l’état gravidique), et sexuelle (modération dans le premier mois pour éviter les avortements, ainsi que dans le dernier mois pour éviter la rupture prématurée des membranes). Eviter également la prise de substances nocives comme l’alcool et le tabac, des médicaments tels que les cyclines, les quinolones, les AINS qui pourraient s’avérer nocifs pour la grossesse ou le fœtus.
5. Explorations fonctionnelles au cours de la grossesse
Au premier trimestre, il est important de bien définir l’âge gestationnel par une échographie précoce de datation, de localisation du sac gestationnel et du nombre des sacs (gémellité).
Une échographie abdominale permet d'apprécier l’état rénal et détecte une éventuelle lithiase biliaire.
Les autres échographies du 2ème et du 3ème trimestre permettront l’exploration du fœtus à la recherche d'éventuelles malformations et l'appréciation de sa croissance. En fin de la grossesse, l'échographie évalue le pronostic d’accouchement en recherchant la présentation fœtale, la placentation, la quantité du liquide amniotique et l’estimation pondérale.
Des échographies supplémentaires sont prévues en cas de grossesse compliquée ou d’altération de l’état de la gestante.
II. Attitude thérapeutique
1. Pendant la grossesse
- Hospitaliser la gestante en cas de complication
- O2 : 4 à 6 litres /minutes avec objectif SpO2 ≥ 94 %
- Hémogramme une fois par mois (si possible)
- Transfusion sanguine de culots globulaires à partir de la 23ème semaine d'aménorrhée ou si faible taux d’hémoglobine (⩽ 7g /L).
(Pour certaines écoles, la transfusion ne doit pas être systématique, surtout là où la sécurité transfusionnelle fait quelque peu défaut : risque d’infarctus post-transfusionnels et d’alloimmunisations) - Prescription des antalgiques : paracétamol, tramadol voire morphine. Les AINS sont contre-indiqués.
2. Accouchement
- L’accouchement doit être préparé et programmé.
- L’objectif est d’atteindre au-moins 35 à 36 semaines d'aménorrhée car la prématurité expose aux complications.
- Surveillance de l’hémogramme avec un taux d’hémoglobine cible d’au-moins 8 g /dl (ou selon les valeurs habituelles en phase stationnaire) avant l’accouchement, sinon transfuser au préalable. Demander du sang phénotypé AA si possible. Le sang AS n'est pas contre-indiqué ; la transfusion présente dans ce cas deux intérêts : correction de l'anémie et amélioration de la rhéologie.
- Vérifier la saturation en oxygène (oxymètre de pouls).
3. Pendant le travail d’accouchement
- Eviter le refroidissement de la parturiente, en étant vigilant lorsque la salle est climatisée.
- Assurer l’aération de la salle pour éviter l’asphyxie et l’hypoxie.
- O2 : 4 à 6 litres /minutes au masque.
- Préparation de la salle pour l’accueil du nouveau-né.
- Monitoring tocofœtal lorsque c'est possible.
4. La voie d’accouchement
- La voie haute
- La voie basse sous analgésie péridurale.
Certains auteurs encouragent le recours à la voie basse mais sous anesthésire péridurale afin de supprimer la douleur d’accouchement. On peut associer éventuellement l’extraction instrumentale.
La délivrance devra être assistée dans le but de réduire le risque hémorragique et les utérotoniques sont administrés : ocytocine à raison de 2,5 -5 UI, en IVDL puis 5 -10 UI dans la perfusion pendant 24h, et le misoprostol à raison de 600 µl en intrarectal à la fin de l’intervention, afin de prévenir une hémorragie du post-partum.
Antibioprophylaxie : céphalosporine de 2ème génération après clampage du cordon : céfuroxime à raison de 1500 mg (2 ampoules de 750mg) ou céfamandole.
- Dépistage néonatal de la drépanocytose chez le nouveau-né permettant une prise en charge immédiate de l’enfant SS.
- Si la mère est porteuse d'HBs (hépatite B), la vaccination du nouveau-né contre l'hépatite B doit être immédiatement entreprise.
5. Le post-partum
C'est une période à haut risque, en particulier à risque de syndrome thoracique aigu.
La prévention de complications thromboemboliques se fait par la levée précoce et par l’administration d'enoxaparine à dose préventive à raison de 1 x 0,4 ml /j par voie sous -cutanée et cela pendant 5 jours.
La gestion de la douleur post-opératoire est multimodale et comporte :
- Les morphiniques : la morphine elle-même, le tramadol.
- Les anti-inflammatoires non stéroïdiens : ibuprofène, kétoprofène.
- Le paracétamol.
- Si la morphine a été utilisée en rachianesthésie, donner du tramadol à la 24ème heure.
- Si on réalise une anesthésie générale, administrer la morphine 20 minutes avant la fin de la chirurgie ou du tramadol.
Donner durant les deux premiers jours d’emblée 3 antalgiques, toujours en évaluant et en adaptant.
L’accouchée peut s’alimenter dès la 6ème heure de façon progressive, en commençant par une alimentation liquide (thé, potage, etc.), semi-liquide puis solide :
- Encourager la prise des fruits et la mobilisation pour réduire le risque de constipation
- Allaitement : dès que possible, si rien ne le contre -indique et si l’état général de l’accouchée le permet.
Le séjour hospitalier peut être en moyenne d’une semaine pour permettre une appréciation suffisante de l’évolution de l’accouchée et du nouveau-né. Pendant le séjour, procéder à la surveillance des signes vitaux : PA, FC, FR, T°, la coloration des conjonctives, montée laiteuse, aspect du pansement, tonicité utérine, lochies et œdèmes des membres inférieurs.
III. Planning familial
Les différents moyens contraceptifs disponibles sont :
- Les oestroprogestatifs : risque thrombo-embolique
- Le D.I.U : risque infectieux
- Les progestatifs seuls : risque d’hémorragie
- Les microprogestatifs : leur contrainte de nombre de prises et de durée élevées les rendent très contraignants.
- Les méthodes naturelles : méthode sympto-thermique, méthode de calendrier (Ogino Knauss), de la glaire cervicale (Billings), l’allaitement, etc.
Un délai moyen de 2 ans entre les grossesses permet à la femme de refaire des réserves pour accueillir une éventuelle nouvelle grossesse dans les meilleures conditions.
CONCLUSION
La grossesse chez la femme atteinte d'un syndrome drépanocytaire majeur est à risque pour la mère et pour l'enfant, avec la possibilité d’une issue favorable lorsque le suivi est précoce et multidisciplinaire.
Bibliographie
- Tshilolo L, Aissi LM. Guide pratique de diagnostic et de prise en charge de la drépanocytose en RDC, 2ème édition, 2011 [CEFA] .
- Bachir D. La grossesse reste une situation à haut risque pour les femmes atteintes de syndrome drépanocytaire majeur, Hématologie vol. 21 n° 3, mai-juin 2015.
- Lansac J, Berger C, Magnin G. Obstétrique pour le praticien : 5ème édition, 2008 [Elsevier/Masson, Paris]
- Merger R, Lévy J, Melchior J. Précis d’Obstétrique : 6ème édition, 2008 [Elsevier/Masson, Paris].