Diagnostic des schistosomoses
Diagnostic des schistosomoses
par jean-Louis Poirot et Anne-Marie Deluol
MCU-PH, Service de Parasitologie-Mycologie, Hôpital Saint-Antoine, 75012 Paris.
Les schistosomoses (ou bilharzioses) demeurent des parasitoses de premier plan, touchant environ 200 millions de personnes dans le monde, et cela malgré une meilleure connaissance de l'épidémiologie, de la physiopathologie et des avancées importantes en thérapeutique. Si dans certaines régions l'incidence de ces parasitoses tend à diminuer, elle reste toujours importante dans d'autres et augmente parfois lorsque les conditions écologiques se modifient, en particulier sous l'influence de l'homme (création de barrages ... ).
Quelles que soient les espèces en cause et les différentes méthodes indirectes de dépistage proposées, le diagnostic de certitude repose toujours, actuellement, sur la mise en évidence des oeufs du parasite.
I. Généralités sur les schistosomes et les schistosomoses
Deux principales espèces de schistosomes parasitent l'Homme: Schistosoma mansoni (S.m.), qui est un agent de schistosomose hépato-intestinale et Schistosoma haematobium (S.h.) qui est celui de la schistosomose génito-urinaire. D'autres espèces sont moins fréquemment retrouvées : Schistosoma intercalatum (S.i.), responsable d'une atteinte essentiellement rectale ; Schistosoma japonicum (S.j.) et Schistosoma mekongi (S.mk.) engendrent les schistosomoses dites artério-veineuses avec une pathologie hépato-intestinale.
Ces parasites se développent dans les vaisseaux sanguins intra-hépatiques puis, tout en restant intravasculaires, les femelles fécondées migrent vers un territoire d'élection où elles pondent leurs oeufs. Les prélèvements nécessaires à leur mise en évidence dépendent donc de cette localisation. Les oeufs sont de taille différente selon l'espèce mais ils contiennent tous une larve dénommée miracidium et possèdent tous un éperon. Il est important de connaître les caractéristiques morphologiques de chacun de ces oeufs, de
manière à établir un diagnostic précis. Par ailleurs, ils sont responsables de la pathologie observée : au cours de la traversée des tissus et lorsqu'ils sont embolisés par voie circulatoire puis bloqués dans différents organes (en particulier le foie), ils engendrent la formation de granulomes inflammatoires, dits granulomes bilharziens, dont le nombre sera en grande partie responsable de l'importance des troubles présentés.
Il. Répartition géographique des différentes schistosomoses
Pour toutes les schistosomoses, les miracidiums sortent des oeufs éliminés dans le milieu extérieur puis pénètrent chez un mollusque d'eau douce. Après diverses transformations et multiplications chez cet hôte intermédiaire, il en ressort d'autres larves dénommées furcocercaires. Ces dernières nagent librement dans l'eau et pénètrent chez l'homme par voie transcutanée à l'occasion d'un bain ou de toute autre activité aquatique. Les mollusques permettant cette évolution sont différents selon l'espèce de schistosome, leur présence ou absence dans certaines régions explique en partie la répartition géographique des différentes schistosomoses.
- Schistosoma mansoni est présent sur les continents africain et américain : en Afrique on le retrouve dans le delta du Nil, dans une zone au sud du Sahara, le Mozambique, l'Angola... Madagascar (côte Ouest) ainsi qu'en Arabie Saoudite et au Yémen ; sur le continent américain, il est présent au Brésil, au Surinam, au Venezuela, dans certaines îles des Antilles mais est absent dans d'autres (Cuba, Haïti ... ).
- Schistosoma haematobium est très fréquent dans la vallée du Nil, dans de nombreux pays d'Afrique, à Madagascar (côte est) ainsi que dans certains pays du Proche et Moyen- Orient. Ce parasite est absent du continent américain.
- Schistosoma intercalatum existe uniquement dans certaines régions d'Afrique centrale et de l'ouest.
- Schistosoma japonicum est retrouvé surtout au centre de la Chine, aux Philippines, en Indonésie. Comme son nom l'indique, des foyers avaient été décrits autrefois au Japon.
- Schistosoma mekongi, proche de S.j., est signalé dans la vallée du Mékong.
III. Diagnostic des schistosomoses
Le diagnostic peut être évoqué d'emblée, en fonction de la symptomatologie et de l'origine géographique du patient : par exemple, l'existence d'une hématurie chez une personne originaire d'Afrique tropicale fera systématiquement rechercher une schistosomose génito-urinaire à S. h. alors que cette hypothèse sera exclue chez un patient originaire d'Amérique du Sud.
Si la clinique est parfois évocatrice, dans d'autres cas, elle l'est beaucoup moins et c'est alors un bilan systématique qui permet d'établir le diagnostic.
Parmi les examens biologiques de base, l'hyperéosinophilie sanguine peut manquer dans les schistosomoses anciennes. Présente, elle est souvent peu importante lorsqu'il s'agit d'une schistosomose sans autre parasitose associée. Élevée, elle peut correspondre au début de l'infestation (phase dite d'invasion) mais elle doit surtout faire rechercher une autre helminthiase associée, en particulier filariose ou anguillulose.
De nombreuses réactions sérologiques ont été décrites, elles demandent cependant plus de moyens (en matériel, réactifs ... ) que la recherche des oeufs du parasite. Bien que parfois utiles, elles peuvent être mises en défaut. Le diagnostic repose donc avant tout sur la mise en évidence des oeufs.
1. Dans quels prélèvements peut-on retrouver les oeufs du parasite ?
-Pour S. h., il s'agit essentiellement des urines, bien que, parfois (en cas d'infestation importante), ils puissent être retrouvés dans les selles. Pour les autres espèces, la voie
d'élimination des oeufs est le tube digestif et c'est l'examen parasitologique des selles qui permettra d'établir le diagnostic.
Lorsqu'il existe une possibilité d'effectuer des biopsies rectales, cette méthode diagnostique est intéressante car les oeufs peuvent être mis en évidence très simplement et rapidement, parfois même au cours de la consultation si l'on dispose d'un microscope.
Enfin, lors d'interventions chirurgicales, des oeufs de schistosomes peuvent être visualisés dans les tissus. Il s'agit alors de techniques anatomopathologiques.
2. Recueil des prélèvements et modalités techniques
- Urines
Recueil :le but est d'obtenir des urines en favorisant le détachement des oeufs en cours d'élimination au niveau de la paroi vésicale. Différentes modalités sont proposées :
Miction unique mais, auparavant, faire un massage sus-pubien ou effectuer 20 flexions rapides ou courir un 100 mètres ou encore descendre plusieurs fois un escalier...
Si possible, recueil de la totalité des urines de 24 heures.
Modalités techniques
Lorsque le volume d'urines émises est peu important, la totalité sera centrifugée
(3 000 tours/mn pendant 5 mn).
Si le volume est trop important pour être centrifugé d'emblée, deux solutions sont possibles : soit sédimentation puis centrifugation, soit filtration.
Sédimentation puis centrifugation : dans un premier temps, on effectue une sédimentation pendant 2 heures environ :
En utilisant un ou plusieurs verres à pied, le surnageant étant aspiré avec une trompe à vide et le fond du verre à pied centrifugé.
Ou en versant les urines dans une ampoule à décanter, 20 ml sont recueillis après ouverture du robinet (ne pas oublier d'enlever le bouchon auparavant) puis centrifugés.
Après centrifugation, le cône est retourné avec précaution pour éliminer le surnageant :
Si le culot paraît très hémorragique, les hématies sont lysées avec de l'eau acétique (ou quelques gouttes de soude à 10 %), l'opération est ensuite recommencée.
Si le culot est très trouble (dépôt de cristaux divers), il est le plus souvent éclairci avec quelques gouttes d'acide acétique (ou autre produit modifiant le pH et entraînant une solubilisation des cristaux), l'opération est ensuite recommencée.
La totalité du culot est examinée entre lame et lamelle à l'objectif x 10 puis x 40 lorsqu'un élément suspect est repéré.
Filtration
Les urines sont filtrées sur un filtre (d = 8 microns) en s'aidant d'une trompe à vide. À la fin de la filtration, un peu de lugol à 1 % est ajouté de manière à colorer les oeufs. Après découpage et dépôt sur une lame, la totalité du filtre est examinée au microscope, en utilisant un faible grossissement (objectif x 10) et un fort éclairage.
Le système de filtration sous vide (comprenant un entonnoir pour le dépôt des urines, la base avec prise de vide, la pince d'assemblage , la fiole de réception, le support filtre avec la grille et les filtres) est proposé par différentes sociétés (Millipore ... ).
Quelle que soit la modalité technique adoptée, lorsque les urines ne peuvent être examinées rapidement, il est possible de les conserver en y ajoutant, par exemple, quelques gouttes d'eau de Javel.
- Selles
Recueil :il n'existe pas de particularités, il s'agit d'un examen parasitologique des selles classique.
Modalités techniques : les oeufs étant éliminés au niveau de la paroi colique, l'examen direct est effectué sur la partie superficielle des selles (au niveau des glaires si elles sont présentes).
Les techniques de concentration utilisées dépendent des habitudes et moyens de chacun. Parmi les techniques courantes, le MIF concentration (Merthiolate-lode-Formol) est d'un bon rendement.
- Biopsie rectale
Recueil : au cours d'une consultation, le clinicien peut effectuer une biopsie rectale à l'occasion d'une rectoscopie. Le fragment prélevé ne doit en aucun cas être placé dans un liquide fixateur.
Si cet examen ne peut être effectué lors de la consultation, le fragment prélevé est transmis au laboratoire dans un peu de sérum physiologique de manière à éviter sa dessiccation.
Modalités techniques :la biopsie peut être examinée immédiatement après avoir été écrasée entre lame et lamelle. Une observation microscopique à l'objectif x 10 puis x 40 est suffisante pour repérer les oeufs de schistosomes.
- Si la biopsie est trop épaisse, elle doit être éclaircie par de la gomme au chloral ou du chloral-lactophénol mais toujours dans un deuxième temps, après examen direct sans préparation particulière, de manière à ne pas méconnaître des éventuelles amibes hématophages (provoquant des ulcérations, repérées et prélevées par le clinicien).
Le montage s'effectue entre lame et lamelle, dans une goutte de produit éclaircissant et la lecture est possible quelques heures ensuite
Formule du chloral-lactophénol :
Hydrate de chloral cristallisé 2 parties
Acide phéniqué neige 1 partie
Acide lactique pur 1 partie
Formule de la gomme au chloral:
Hydrate de chloral 50 g
Eau distillée 20 ml
Glycérine 20 ml
Gomme arabique 30 g
Faire dissoudre à froid le chloral dans l'eau. Ajouter la glycérine. Bien mélanger le tout ; mettre la gomme arabique dans un nouet formé de plusieurs couches de gaze. Suspendre le nouet dans le liquide mis dans un flacon bien bouché. Attendre la dissolution complète (parfois plusieurs jours).
- Biopsies anatomopathologiques
Recueil : des biopsies peuvent être effectuées lors d'une intervention et leur envoi au laboratoire ne nécessite pas de particularités par rapport aux techniques anatomopathologiques classiques.
Modalités techniques : Darmi les colorations utilisées, celle de Brygoo (Ziehl - Vert de Méthyle) présente un intérêt particulier dans la mesure où la paroi des oeufs de certaines espèces prend le Ziehl, ce qui permet parfois un diagnostic différentiel lorsque la coupe de l'oeuf ne passe pas au niveau de l'éperon.
3. Résultats - Identification
L'examen des urines permet de retrouver les oeufs de S.h. (de manière très exceptionnelle, des oeufs de S. m. ont pu être mis en évidence dans les urines).
Les oeufs de tous les schistosomes peuvent être mis en évidence dans les selles (y compris ceux de S.h., cependant beaucoup moins fréquemment que dans les urines, prélèvement de choix pour cette espèce).
Les biopsies rectales permettent de retrouver les oeufs de chacune des espèces.
Dans tous les cas, il est intéressant de préciser la vitalité des oeufs (ondulation des cils périphériques des miracidiums et examen des flammes vibratiles : deux au tiers supérieur et deux autres au tiers inférieur du miracidium, produisant un mouvement continuel et rapide des cils avec brassage de liquide).
Parfois, une éclosion de l'oeuf peut avoir lieu dans le produit pathologique, on trouve alors des coques vides et des miracidiums libres, mobiles (à ne pas confondre avec des ciliés).
- Caractéristiques des oeufs de S.h.
Taille : 120-150/55-60 microns,
Couleur : grisâtre,
Coque: lisse et mince,
Forme ovoïde avec un pôle arrondi,
Éperon situé à l'autre pôle, fin, terminal, dans la continuité de l'oeuf.
L'oeuf peut être entouré d'un amas de leucocytes pouvant cacher en partie l'éperon terminal.
Sur les coupes anatomopathologiques, un diagnostic avec une autre espèce est parfois difficile si la coupe ne passe as au niveau de l'éperon. La paroi de l'oeuf est Ziehl négative, contrairement aux autres espèces.
- Caractéristiques des oeufs de S. m.
-Taille: 110-170/60-70 microns,
Couleur : jaune clair,
Coque : lisse, fine,
Forme : ovoïde, un pôle plus arrondi et l'autre plus conique,
Éperon : net, latéral, en " épine de rose", de 15 microns environ. Il peut être difficilement visible si l'oeuf est mal disposé, il faut alors faire varier la vis micrométrique ou tapoter sur la lamelle de manière à le faire tourner.
- Caractéristiques des oeufs de S. i.
Leur morphologie est proche de celle des oeufs de S. h. mais ils sont plus grands
Taille : 140-240/50-85 microns,
Forme en fuseau,
Éperon à base large, prolongeant l'oeuf, de taille assez grande (10 microns).
Le miracidium présente deux dépressions de chaque côté, à hauteur du centre de l'oeuf.
Rappelons que sur une biopsie, en cas de doute avec S. h., la paroi des oeufs de
S. i. est Ziehl positive alors que celle des oeufs de S. h. est négative.
- Caractéristiques des oeufs de Sj.
Ce sont des oeufs de petite taille par rapport aux précédents :
-Taille: 60-80/45-55 microns,
Couleur : transparents à jaune clair,
Éperon : latéral, petit, arrondi, difficile à repérer, il peut être caché par des précipités granuleux.
- Caractéristiques des oeufs de S. mk.
Leur morphologie est proche de celle des oeufs de S.j. mais au plan épidémiologique, la répartition géographique est différente (vallée du Mékong).
Conclusion
Si, dans certaines régions du monde, une conjugaison des efforts a permis de faire reculer l'incidence des schistosomoses, elle demeure encore très élevée dans beaucoup d'autres.
En attendant une hypothétique éradication de ces parasitoses, il est toujours important de savoir les diagnostiquer. Actuellement, ce diagnostic repose encore sur la mise en évidence des oeufs des parasites et une bonne méthode de recueil des prélèvements ainsi qu'une bonne connaissance de la morphologie des oeufs restent indispensables.
Quelques références pouvant être utiles :
O'Fel Ann, (Association française des enseignants en parasitologie), Parasitologie Mycologie, Ed. Format Utile, 1995.
Deluol AM. Atlas de parasitologie, t. III, les helminthes, Éd. Varia, 1989.
De Gentile L, Cimon B, Chabasse D. Schistosomoses, EMC, 8, 513-A-10.
Gentilini M, Duflo B. Médecine tropicale, Paris : Flammarion médecine-sciences.
Golvan YJ, Ambroise-Thomas P. Les nouvelles techniques en parasitologie, Paris : Flammarion médecine-sciences.
OMS Manuel des techniques de base pour le laboratoire médical, 1982.
Rousset JJ. Copro-parasitologie pratique. ESTEM/AUPELF, 1993.
Développement et Santé, n°, 133, février 1998