Diabète

Par Maguy Nigri Médecin, Centre de Santé de Békamba, Tchad.

Publié le

Le diabète est connu en Afrique : on l'appelle "la maladie du sucre". Toutefois, il est rarement mentionné et, à plus forte raison, étudié dans les revues médicales. Les statistiques le concernant ne peuvent pas révéler la vérité, car le plus souvent le diagnostic est ignoré. De plus, comme il n'est pas "une priorité", il n'entre pas dans les rapports mensuels des centres de santé ni même dans ceux des hôpitaux.
Diagnostiqué trop tard le diabète est plus difficile à traiter : la recherche de sucre dans les urines doit être un examen systématique en dispensaire.

L'équipe sanitaire de Békamba (district de Koumra, Moyen Chari, Tchad), composée d'infirmiers brevetés (1er cycle), d'un infirmier diplômé d'État et d'un médecin, pédiatre française, suit actuellement dix diabétiques insulino-dépendants (DID).

Le début de l'expérience de prise en charge des diabétiques insulino-dépendants remonte à dix ans. Durant cette période, quinze malades ont fréquenté le centre de santé. Le tableau n° 1 réunit différents paramètres concernant ces quinze malades.

L'article est basé sur cette expérience. Il expose les différents objectifs à atteindre pour réussir une prise en charge des diabétiques insulino-dépendants à savoir :

  1. Être capable de diagnostiquer le diabète.

  2. Être capable d'informer et éduquer le diabétique en vue de son autonomisation.

  3. Être capable de traiter le diabétique.

I. Etre capable de diagnostiquer le diabétique insulino-dépendant

1. Qui peut dépister le diabétique insulino-dépendant ?

L'infirmier bien formé connaît le diabète. Il l'étudié à l'École d'infirmiers.

Dans dix des quinze cas mentionnés ci-dessous, les infirmiers avaient suspecté le diagnostic.

2. Quand dépister le diabète insulino-dépendant ?

C'est à la consultation curative que l'infirmier doit dépister le diabète insulino-dépendant.

La triade (trois signes associés) : polyurie (abondance des urines), polydypsie (soif), polyphagie (faim), est bien connue de l'infirmier. Elle est fréquemment retrouvée. C'est souvent la polyurie, gênante pour le patient, qui amène à consulter. L'amaigrissement est un bon indicateur. La grande asthénie (fatigue) et même la cachexie (état grabataire et dénutrition) sont fréquentes.

L'infirmier doit penser au diabète devant ces signes.

3.Comment confirmer le diabète insulino-dépendant ?

a) Rôle de l'infirmier

Tout infirmier formé est capable de faire le dosage du glucose dans les urines et dans le sang.

Glucosurie et cétonurie

Nous avons toujours utilisé des bandelettes réactives pour la recherche de glucosurie et de cétonurie. Il est vrai que l'ensemble des centres de santé n'en dispose pas, dans leur dotation officielle de matériel médical. Mais il n'est probablement pas impossible d'en trouver dans les hôpitaux du district.

À retenir :
Les bandelettes bien conservées à l'abri de la lumière et de l'humidité servent longtemps au-delà des dates de péremption. Elles restent, alors, de teinte claire ; les jeter si elles ont bruni.
Une bandelette peut être découpée avec des ciseaux propres et secs, en deux et même en trois dans le sens de la longueur. Une bandelette peut donc faire neuf examens.

La lecture de la bandelette est, en général, très simple à partir de l'échelle calorimétrique collée sur le flacon de bandelettes.
La même bandelette teste le glucose et les corps cétoniques dans les urines.

Glycémie

Elle exige une bonne technique ; à ne pas faire si la technique n'est pas fiable.
L'appareil à lecture automatique, sur pile, de type One Touch que nous utilisons à Békamba est facile à manipuler. Il faut suivre correctement les indications du guide technique.
Nous l'utilisons pour le suivi des malades et non pour adapter quotidiennement les doses d'insuline.

b) Rôle du médecin

Le médecin doit confirmer le diagnostic. Dès que l'infirmier a suspecté un diabète, même s'il n'a que des signes cliniques, sans possibilité de tests urinaires, il doit présenter son malade au médecin : référence, en général, au médecin de l'hôpital de district.

Le médecin doit décider la prise en charge du malade, avec son équipe d'infirmiers.

Le médecin peut transférer le malade vers un autre hôpital, ou juger que la prise en charge est impossible, ou accepter, parce qu'il en a les moyens, de mettre ce malade en traitement.

L'objet de cet article étant de relater une expérience de prise en charge du diabétique insulino-dépendant, nous entrons donc maintenant dans le deuxième objectif à atteindre.

II. Être capable d'informer et d'éduquer le diabétique insulino-dépendant en vue de son autonomisation

Le médecin et les infirmiers qui prennent en charge un diabétique insulino-dépendant doivent savoir qu'il est impératif que le diabétique insulino-dépendant devienne autonome : il ne restera pas, à vie, accroché au centre de santé. Il est soigné pour reprendre une vie sociale, familiale et professionnelle la plus normale possible.

Dans notre expérience, les dix malades suivis sont dans leur village (distants de huit à deux cents kilomètres, les plus nombreux à trente, quarante kilomètres).

L'enfant de douze ans est scolarisé (milieu rural). Les adultes sont tous paysans ou fonctionnaires actifs. Après un délai plus ou moins long, selon l'état initial, le malade reprend ses activités ou se lance dans une vie active s'il n'avait pas encore commencé.

Précisons le rôle du soignant.

1. Expliquer sa maladie au diabétique et à sa famille

  • Il ne faut rien cacher au malade. Il doit savoir qu'il est diabétique jusqu'à la fin de sa vie et qu'il est obligatoire qu'il se traite tous les jours jusqu'au dernier jour.

  • La famille, elle aussi, est informée car, surtout au début, elle doit accompagner le malade pour le nourrir selon nos conseils.

  • Si le malade vient seul, nous ne le traitons pas tant qu'il n'a pas une accompagnatrice capable de le nourrir et nous les maintenons surtout en période de mise en route du traitement ou lors de contrôles plus précis au cours du suivi du malade. En règle générale, chez lui, le malade fait seulement la glucosurie du matin à 7 heures.

2. Expliquer le traitement

  • L'injection d'insuline est quotidienne.

  • Le malade fera lui-même sa piqûre et il apprendra à faire son analyse d'urine, à remplir son cahier de surveillance, à calculer ses doses d'insuline.

  • Expliquer le régime : il peut manger de tout sauf le sucre (thé sans sucre !), les viandes grasses. Surtout insister sur la répartition de la nourriture en trois ou quatre repas par jour. Cela reste assez difficile à obtenir (garder une part de boule pour le soir n'est pas évident !).

  • Parler de l'hypoglycémie (malaise à type de sueurs, vertiges, lassitude, somnolence, faim...) et insister sur la nécessité d'avoir toujours à portée de main deux ou trois sucres, à manger en cas de malaise.

3. Expliquer notre soutien

Le soignant doit dire sa disponibilité :

  • pour écouter et conseiller le diabétique
  • pour lui fournir le matériel d'injection
  • pour fournir l'insuline

Le soignant doit :

  • insister sur le contrat qui s'établit entre le soignant et le diabétique ;
  • Sa disponibilité a pour objectif une autonomisation du diabétique.

4. Savoir attendre la décision du malade

Après nos explications, le malade aura un temps de réflexion pour décider d'accepter la mise en traitement.

III. Être capable de traiter le diabétique insulino-dépendant

La prise en charge du traitement du diabétique insulino-dépendant exige :

  • la maîtrise du traitement par insuline
  • la permanence de l'approvisionnement en insuline ;
  • la capacité du malade à s'autonomiser.

1. La maîtrise du traitement par insuline

Médecins et infirmiers appelés à traiter un diabétique doivent être formés pour cela. Ils doivent passer eux-mêmes par un apprentissage auprès d'un médecin qui connaît cette technique. Et cela dans le but d'apprendre au malade à maîtriser lui-même son traitement.

Nous détaillons les différentes étapes du traitement par insuline. Chaque étape doit être maîtrisée par le patient.

a) Hygiène

Exiger l'hygiène corporelle (douche du matin) et le lavage des mains avant les injections.

b) Glucosurie du matin

C'est la première opération que l'on apprend au malade. Le geste est rapide et le malade devient rapidement fiable dans la lecture des croix si on a le souci de rester près de lui les premiers jours.

c) Tenue du cahier de glucosurie

Tous nos malades ont avec eux un cahier sur lequel ils marquent les croix de glucose. Sur ce cahier sont portés aussi les unités d'insuline injectée, les malaises, le poids et les glycémies.

En théorie, le malade devrait faire trois recherches de glucose dans les urines à 7 h, 13 h, 19 h. Il s'avère qu'il est difficile d'obtenir ces trois examens.

Le diabétique lettré apprend à remplir son cahier. Le diabétique illettré trouvera dans son village un proche qui le remplira sous sa dictée (3/10 de nos malades ne peuvent pas le remplir eux-mêmes).

d) Choix de l'insuline

Nous n'utilisons que les insulines intermédiaires et les insulines lentes (cf. tableau de l'article : " Le diabète qu'est-ce que c'est ?"). Il est toutefois nécessaire d'avoir en réserve de l'insuline rapide (ordinaire) pour les cas de cétose prononcée.

e) Matériel d'injection utilisé

  • soit le stylo rechargeable avec cartouche de 100 UI/mI, cartouche de 1,5 ml, type BD Pen;
  • soit le stylo non rechargeable et jetable avec cartouche de 3 ml à 100 UI/mI, type Novolet (boîte de cinq stylos) ;
  • soit le flacon d'insuline de 10 ml de 40 UI/ml avec aiguilles (1,2 cm) et seringue de 1 à 2 ml (spéciale insuline).

Selon les capacités de compréhension et de conscientisation du malade, le choix est fait parmi ces trois matériels pour nos dix malades :

  • deux ont un stylo rechargeable,
  • six ont un stylo non rechargeable,
  • deux ont une seringue classique.

Dans tous les cas, un apprentissage plus ou moins long est obligatoire. Tant que le malade est en apprentissage, il est près du centre de santé. Il fait son injection chaque matin au centre sous le contrôle d'un infirmier.

f) Calcul des doses d'insuline

C'est le point difficile du traitement. Certains malades n'y arriveront jamais correctement. Il sera alors indispensable pour eux qu'ils restent sous le contrôle d'un infirmier formé, proche de leur village.

Le calcul des doses se fait en fonction des croix de glucose.

Quand le malade fait trois examens d'urines par jour, il utilise la méthode suivante :

  • La première injection de début de traitement se fait avec 10 à 20 Ul selon l'état du malade.
  • Tant que le malade a une forte glucosurie (entre 6 et 10 croix ou plus/24 heures), on augmente l'insuline chaque matin de 2 unités. Le médecin est juge pour augmenter plus vite surtout si la cétonurie persiste.
  • Dès que la glucosurie se stabilise autour de 4 à 5 croix / 24 heures, on n'augmente plus. On garde la même dose d'insuline.
  • Si la glucosurie remonte (supérieure à 5 croix par 24 heures), on attend la confirmation de cette remontée le jour suivant pour augmenter la dose de 2 Ul. On n'est pas pressé d'augmenter.
  • Par contre, si la glucosurie tombe à 1 ou 0 croix/24 h, on baisse tout de suite de 2 Ul.

Quand le malade ne fait qu'un examen d'urine par jour, le matin à 7 heures, il utilise la règle suivante :

  • entre 1 et 3 croix même dose d'insuline que le jour précédent

  • 4 croix pendant deux jours de suite : on augmente la dose de 2 Ul ;

  • 0 croix ou traces : on abaisse la dose de 2 Ul le jour même.

Le tableau n°2 donne un exemple de tenue de cahier et de calcul des doses avec trois glucosuries. Retenir que la glucosurie de 24 heures en croix correspond à l'addition des croix de glucose de 13 h et de 19 h la veille et celles de 7 h le matin avant l'injection d'insuline injectée le matin.

Le tableau n°3 donne un exemple de tenue de cahier et de calcul des doses avec une glucosurie par 24 heures le matin à 7 heures. Les urines reflètent l'action de l'insuline injectée la veille au matin.

En cas de présence de corps cétoniques, il faut augmenter l'insuline de 2 Ul, même si le chiffre de glucosurie n'indique pas une augmentation. Exemple: glucosurie égale à 2 croix; corps cétonique à 1 croix, on augmente l'insuline de 2 unités le jour même (tableau n°4).

En conclusion du chapitre du calcul des doses d'insuline :

  • Insister sur le danger de l'hypoglycémie.

  • Bien sensibiliser le malade sur la diminution de l'insuline le jour même en cas de 0 croix de glucosurie.

  • La baisse (souvent rapide) de la polyurie, l'amélioration de l'asthénie et la reprise du poids sont de bons critères de l'efficacité du traitement.

g) L'injection

  • Le malade apprend progressivement à manipuler le stylo ou la seringue, à aspirer le liquide au niveau voulu ou régler le stylo à la bonne dose.
  • Nous demandons au malade de nettoyer à l'eau et au savon l'endroit où il va se piquer. Le " désinfectant " n'est pas obligatoire.
  • Le malade apprend à se piquer en différents sites. Chaque jour, une zone différente
    • bras droit puis bras gauche (zone deltoïdienne),
    • puis cuisse droite, cuisse gauche, abdomen (région péri-ombilicale large).
  • L'injection est sous-cutanée et non intramusculaire : l'insuline diffuse vite dans le muscle. Les aiguilles ne doivent pas dépasser 12 mm de long. Chez les sujets très maigres, il faut bien pincer la peau avant de piquer. Piquer obliquement et non verticalement (risque d'aller trop profond dans le muscle).
  • La même aiguille peut servir trois à quatre fois de suite sans risque d'infection, à condition qu'elle soit bien recapuchonnée sans faute d'asepsie. Après plusieurs exercices, les malades sont, en général, très habiles dans cette opération.

h) Le suivi du malade

Il n'est pas facile, car certains malades habitent très loin. Nos dix malades sont entre huit à deux cents kilomètres du centre de santé.

Nous avons responsabilisé notre première diabétique en lui confiant deux autres malades qui vivent dans la même ville. C'est elle qui vérifie leurs cahiers, commande l'insuline et le matériel pour tous les trois.

Les autres reviennent au centre chercher l'insuline et le matériel qui leur manquent : certains tous les mois, d'autres tous les trois mois. C'est alors l'occasion de faire la glycémie et la pesée.

Il est indiqué de contrôler la tension artérielle et de faire une recherche d'albuminurie.

Nous n'avons pas encore institué le suivi oculaire car c'est une charge de plus qui n'aboutira pas à des solutions thérapeutiques. Il semble que la meilleure prévention soit un bon traitement par l'insuline.

2. La permanence de l'approvisionnement en insuline et en matériel d'injection

Nous touchons ici au problème le plus aigu, celui qui fait reculer les médecins.

Il est, en effet, hors de question de prendre en charge un diabétique insulino-dépendant si l'on n'est pas sûr d'avoir un stock d'insuline en permanence.

Tous, nous savons que les dotations de médicaments restent le souci majeur des centres de santé, même pour les maladies les plus courantes. À plus forte raison pour des médicaments d'exception comme l'insuline.

Cependant, nous estimons qu'il n'est pas impossible de se procurer régulièrement de l'insuline :

  • filières classiques dans les pays ayant des programmes de santé développés : hôpitaux, pharmacies, diabétologues ;
  • firmes pharmaceutiques à but humanitaire telles que IDA;
  • organismes humanitaires tels que MSF, Médecins du Monde, Pharmaciens sans Frontières, etc.
  • dans notre expérience à Békamba, c'est une femme médecin diabétologue, sollicitée en 1986, qui s'est engagée à nous envoyer régulièrement insuline et matériel à injection. Nous n'avons jamais eu de rupture de stock. Nous estimons avec cette amie que d'autres diabétologues seraient favorables pour soutenir un projet en faveur des malades insulino-dépendants. Il faut les solliciter.

Nous envisageons aussi de créer une association de diabétiques du Moyen Chari. Celle-ci pourrait être jumelée à une association de diabétiques en France.

3. La capacité du malade à s'autonomiser

Nous l'avons déjà écrit : le diabétique ne va pas vivre au centre de santé. Il va retourner dans son village. Il doit acquérir une autonomie pour le traitement quotidien.

Certains malades seront complètement autonomes pour leur traitement (7/10) mais ils restent dépendants du centre pour l'approvisionnement en insuline et matériel d'injection.

D'autres malades restent proches d'un centre de santé ou d'un agent de santé villageois pour tenir le cahier et contrôler les doses à injecter (3/10). Eux aussi dépendent du centre pour l'insuline et le matériel.

L'acquisition de cette autonomie est favorisée par :

  • Le constat de l'amélioration de l'état général et la possibilité de reprendre ou acquérir une activité normale.
  • La valorisation apportée par la confiance donnée au malade dans l'apprentissage de la technique du traitement.
  • L'empathie instaurée entre soignant et malade, empathie stimulante pour une participation active.

Conclusions

Nous n'avons fait que relater une expérience limitée de prise en charge de diabétiques insulino-dépendants. Nous estimons que d'autres peuvent faire ce que nous avons fait.

Bien que ce ne soit pas une priorité en Santé publique, il ne nous paraît pas "inutile" de mettre nos forces pour redonner la vie à un diabétique de vingt ans.

Développement et Santé, n°125, octobre 1996