Conduite à tenir devant un prurit en dix points

Par Alfred Mahr Service de médecine interne et des maladies infectieuses, hôpital Avicenne, Bobigny, France.

Publié le

Plus qu'un symptôme parfois très désagréable, le prurit constitue un véritable signal d'appel pour des maladies aussi diverses que la gale, les affections cutanées, les hémopathies malignes ou l'insuffisance rénale chronique. Face à un prurit, le diagnostic étiologique repose principalement sur l'analyse topographique du prurit et la recherche minutieuse de lésions cutanées ne pouvant être attribuées au grattage. Le meilleur traitement du prurit est étiologique. Les mesures symptomatiques font appel aux médicaments anti-histaminiques et à l'utilisation de produits d'hygiène adaptés, dont l'efficacité est souvent incomplète.

Le prurit se définit comme une sensation conduisant à une envie irrésistible de se gratter.
Il s'agit d'un motif de consultation fréquent qui pose alors un double problème :

  • d'une part, pour le patient en raison du caractère souvent inconfortable du prurit et du retentissement qu'il peut avoir sur la vie sociale et professionnelle, et
  • d'autre part, pour le soignant car le prurit constitue un véritable signe d'appel pour de nombreuses pathologies de nature et de gravité extrêmement variables (tableau n° 1).

Il appartient ainsi au soignant non seulement de mettre en oeuvre un traitement permettant d'apporter un soulagement rapide, mais également de savoir reconnaître la maladie causale parmi la multitude d'affections pouvant être à l'origine d'un prurit.

Les mécanismes intimes conduisant au prurit restent mal connus mais sont probablement multifactoriels. Les causes du prurit sont néanmoins classées de façon schématique en 2 groupes principaux :

  • les prurits secondaires à des maladies primitivement cutanées appelées "dermatoses prurigineuses",
  • les prurits d'origine "interne" qui sont la conséquence de divers désordres métaboliques ou carentiels. Si cette classification est peut-être trop simpliste, elle a néanmoins le mérite de résumer la stratégie qui permettra d'aboutir à un diagnostic précis.

Le texte suivant détaille - en 10 points - la conduite diagnostique et thérapeutique à tenir devant un prurit.

Tableau n° 1. Principales pathologies pouvant être responsables de prurit
  • Dermatose
  • Maladies infectieuses
  • Médicaments
  • Hémopathies malignes et autres néoplasies
  • Carence martiale
  • Endocrinopathies
  • Choléstase
  • Insuffisance rénale chronique
  • Grossesse
  • Autres

I. Affirmer le prurit

Il est généralement aisé d'affirmer l'existence d'un prurit à l'interrogatoire. Le prurit est décrit comme une "démangeaison " qui s'intensifie classiquement le soir. Il diffère du simple grattage " machinal " par le fait qu'il altère la qualité de vie et en particulier par son caractère insomniant. D'autre part, et contrairement aux douleurs d'autres origines, le prurit est augmenté par la chaleur et calmé par le froid. L'intensité du grattage déclenché par un prurit aboutit généralement à des lésions de la peau et des phanères.

La reconnaissance du prurit peut être plus délicate chez les sujets difficilement interrogeables tels les enfants ou les sujets âgés.

  • Chez le petit enfant ne pouvant se gratter, un prurit ne peut se traduire que par une agitation ou par le fait qu'il se frotte contre son lit.
  • Dans les autres cas, c'est la découverte de lésions de grattage qui témoignera indirectement de l'existence d'un prurit. Ces lésions sont occasionnées par des traumatismes infligés à la peau par les ongles. Il s'agit typiquement de plaies, d'excoriations et de croûtes parfois surinfectées situées sur les zones facile à atteindre comme les bras, les jambes, la région lombaire ou les fesses, et épargnant, à l'inverse, les régions plus inaccessibles comme le dos.

Les prurits persistants peuvent être à l'origine d'anomalies de la pigmentation, d'une perte de la pilosité, ou d'une modification des ongles devenant lisses et d'aspect polis. Au cours des prurits intenses et chroniques peut également apparaître une lichénification de la peau qui correspond à une forme particulière d'épaississement cutané. Lorsque les lésions de lichénification prennent un aspect nodulaire, on parle de prurigo. Ces lésions de lichénification sont, par ailleurs, elles-mêmes prurigineuses et contribuent de ce fait à l'entretien du prurit.

II. Définir la topographie du prurit

Face à un prurit, il est capital de faire préciser sa topographie afin de distinguer un prurit de caractère "localisé" d'un prurit de caractère "diffus". L'intérêt de cette distinction repose sur la grande valeur d'orientation qui peut découler de certaines topographies de prurits localisés.

À ce titre, un prurit touchant le cuir chevelu est évocateur d'une pédiculose de la tête, d'une teigne, ou d'une dermite séborrhéique. Le prurit se localisant typiquement "en pèlerine" oriente vers une pédiculose du corps.

Un prurit anal doit faire penser à une oxyurose, une taeniase, une candidose voire à une dermite irritative. Le prurit génital ou vulvaire peut révéler une candidose génitale, une pédiculose du pubis, et chez la femme une trichomonase, une dyspiasie ou néoplasie de la vulve.

La localisation entre les orteils doit faire rechercher une mycose interdigitale, ou encore intertrigo.

Une dyshidrose donne lieu a un prurit des mains, des pieds ou des deux.

L'eczéma de contact est une réaction allergique se localisant à l'endroit d'un contact avec une substance étrangère telle un bijoux, un sparadrap, un médicament à application locale, ou de matériaux à usage professionnel.

Un prurit affectant les membres inférieurs est évocateur de piqûres d'insectes ou d'une infestation par des ankylostomes (larva migrans).

Certaines pathologies s'accompagnent d'un prurit qui ne reste pas limité à une région unique de la surface corporelle, mais qui concerne plusieurs localisations électives tout aussi caractéristiques. Au cours de la gale, le prurit se localise avec préférence entre les doigts, au niveau des aisselles, dans l'aine et au niveau du scrotum. L'onchocercose (gale filarienne) s'accompagne typiquement d'un prurit des lombes, des fesses et des cuisses. Le prurit rencontré au cours de la loase siège avec prédilection au niveau des bras, du thorax et du visage. Enfin, la milaire sudorale (bourbouille) est responsable d'un prurit des zones de transpiration et notamment des creux axillaires.

III. Définir le mode évolutif du prurit

L'interrogatoire doit faire préciser la date d'apparition du prurit, l'existence éventuelle d'une évolution périodique ou par poussées. Les prurits aigus évoquent davantage une cause infectieuse et les prurits chroniques plutôt une maladie chronique. La survenue du prurit par poussées peut être compatible avec une origine allergique.

IV. Rechercher un contexte de contagiosité

Devant tout sujet se plaignant d'un prurit, il faut s'efforcer d'identifier d'autres sujets dans l'entourage présentant les mêmes symptômes. Le cas échéant, la notion d'un prurit familial ou collectif oriente très largement vers une cause infectieuse du prurit. Un prurit affectant également le partenaire doit faire penser en premier lieu à une gale. Les pédiculoses du cuir chevelu et les oxyuroses se propagent en collectivité et touchent notamment les enfants et adolescents.

V. Rechercher un facteur déclenchant

La recherche d'un certain nombre de circonstances pouvant être sources de prurit doit être systématique.

Les morsures ou piqûres par des moustiques, des poux ou des puces sont responsables de prurit.

De même, la notion de prise médicamenteuse, que l'administration soit continue ou intermittente, est importante dans ce contexte. En effet, un grand nombre de médicaments sont sources de prurit qui peut parfois rester isolé et ne pas s'accompagner d'une éruption cutanée. Parmi les médicaments pruritogènes, on peut citer les anti-paludéens et notamment la chloroquine, certains antibiotiques, les opiacés, l'acide salicylique ou la théophylline.

L'application sur la peau de substances irritantes à usage cosmétique ou professionnel peut également provoquer un prurit isolé ou associé à des lésions cutanées.

Un prurit déclenché par l'eau, ou prurit aquagénique, peut survenir sur un terrain allergique, mais est également caractéristique de la polyglobulie primitive, ou maladie de Vaquez. La bourbouille survient dans les milieux humides.

Un prurit survenant dans les suites d'une prise alimentaire doit faire évoquer une possible allergie alimentaire.

Enfin, un prurit survenant dans les suites d'un effort physique est également évocateur d'un terrain allergique.

VI. Rechercher l'existence de lésions cutanées

La recherche de lésions cutanées est capitale lors de l'examen de tout sujet se plaignant d'un prurit. En effet, l'existence de lésions cutanées, autres que les lésions qui sont infligées par le grattage et qui n'ont pas de caractère de spécificité, fera suspecter fortement un prurit d'origine "cutané". Dans ce contexte, ce sera l'analyse de la lésion élémentaire qui permettra d'orienter vers la nature de la dermatose prurigineuse causale.

À titre d'exemple, une éruption vésiculeuse oriente vers le diagnostic de varicelle si elle est diffuse, et vers une dermatophytie ou une dyshidrose si elle est localisée. La découverte de lésions d'eczéma évoque un eczéma de contact, une dermatite atopique ou une dermite irritative. La gale s'accompagne de sillons et de papules. L'existence de papules se rencontre également au cours de l'urticaire. La mise en évidence d'un oedème migrateur et fugace est évocateur de loase, et la présence de cordons sinueux mobiles de larva migrans. Les lésions bulleuses se rencontrent au cours de la pemphigoïde bulleuse ou d'autres dermatoses bulleuses auto-immunes. Enfin, une érythrodermie doit faire envisager le diagnostic de lymphome cutané tel le syndrome de Sézary ou le mycosis fongoïde.

VII. Rechercher l'existence de signes cliniques extracutanés

Tout sujet souffrant d'un prurit doit bénéficier d'un examen général à la recherche d'autres signes fonctionnels ou physiques pouvant notamment évoquer un prurit d'origine " interne ". On attachera notamment de l'importance à la mise en évidence de signes généraux tels une fièvre, une franche altération de l'état général, ou un ictère conjonctival ou cutanéomuqueux. L'existence d'adénopathies superficielles, d'une hépatomégalie ou d'une splénomégalie doit également être recherchée.

VIII. Savoir s'aider d'examens complémentaires

Le recours à la réalisation d'examens complémentaires ne doit pas être systématique mais peut être utile afin de confirmer un diagnostic présumé ou lorsque l'on suspecte une cause plus rare de prurit et notamment un prurit "interne" en rapport avec une maladie générale.

Une biopsie cutanée peut être nécessaire pour diagnostiquer avec certitude certaines dermatoses comme les dermatoses bulleuses ou les lymphomes cutanés.

Les examens sanguins (hémogramme, créatininémie, bilan hépatique complet, glycémie, hormones thyroïdiennes) visent à rechercher les causes "internes" le plus fréquemment reconnues comme étant pruritogènes : l'insuffisance rénale chronique, la choléstase, les lymphomes ou autres hémopathies malignes, les néoplasies solides, la carence martiale, ou encore des endocrinopathies comme l'hypothyroïdie, l'hyperthyroïdie ou le diabète. Le diagnostic de filariose est affirmé par la recherche de microfilaires dans le sang (loase) ou dans une biopsie cutanée (onchocercose). Le sérodiagnostic permet de déceler une infection par le VIH qui peut également être source du prurit. Certaines parasitoses intestinales (anguillulose, larva migrans) peuvent s'accompagner d'un prurit lors de la phase d'invasion et seront évoquées en cas d'hyperéosinophilie ; le diagnostic reposera alors sur des tests sérologiques ou un examen parasitologique des selles. La recherche d'adénopathies évocatrices d'un lymphome peut être utilement complété par une radiographie pulmonaire et, si possible, une échographie de l'abdomen.

IX. Retenir un diagnostic étiologique

Au terme des étapes précédentes, il s'agit de reconnaître une maladie causale du prurit. En dehors des situations où l'étiologie du prurit apparaît d'emblée, la conduite diagnostique doit s'appuyer sur une approche systématique qui est illustrée dans le tableau n° 2. Cet algorithme diagnostique repose sur la distinction du caractère localisé ou diffus du prurit et sur la présence ou non de lésions cutanées autres que les lésions de grattage.

Face à un prurit localisé, l'orientation diagnostique est très largement guidée par le siège électif du prurit. Le diagnostic des prurits diffus secondaires à une affection dermatologique prurigineuse, est guidé par la nature des lésions cutanées élémentaires retrouvées.

Le problème diagnostique le plus délicat est représenté par le prurit diffus sans lésion cutanée explicative. Dans ce cas, toute la difficulté revient à ne pas méconnaître une pathologie "interne sous-jacente potentiellement grave. De surcroît, le diagnostic d'un prurit peut être d'autant plus difficile à établir que le prurit peut être un signe avant-coureur précédant l'apparition des signes spécifiques de la maladie causale parfois de plusieurs mois. Le prurit " sénile " ainsi que le prurit "psychogène", restent des diagnostics d'exclusion qui ne doivent être retenus qu'après avoir écarté toutes les autres causes de prurit.

Tableau n° 2. Arbre décisionnel diagnostique devant un prurit

X. Prescrire un traitement

Le traitement de tout prurit est idéalement étiologique. Il fait, en conséquence, appel aux diverses thérapeutiques dermatologiques, anti-parasitaires ou hématologiques, voire à la suppression des facteurs déclenchants. Le diagnostic de gale étant parfois difficile à établir, il est préconisé d'instituer un traitement anti-scabieux dès la moindre suspicion de gale voire même en tant que traitement d'épreuve.

En l'absence de diagnostic précis ou dans les situations où la cause du prurit n'est pas accessible à un traitement immédiat, il faut avoir recours aux traitements symptomatiques. Parmi les traitements proposés à visée anti-prurigineuse, les médicaments antihistaminiques H1 sont les plus largement utilisés bien que leur effet ne soit que partiel dans la grande majorité des cas.

L'intérêt des antidépresseurs et des médicaments sédatifs a été soulevé mais est plus aléatoire. En l'absence de traitement symptomatique constamment efficace, ce sont les autres mesures qui prennent toute leur importance. Certaines pommades ont un effet apaisant le prurit. En cas de sécheresse cutanée, qui peut accentuer le prurit, on préconise d'utiliser un savon émollient ou un corps gras. En revanche, les toilettes trop fréquentes avec des savons détergents sont déconseillées. L'application locale de cortisone est également à proscrire, en dehors de quelques indications bien précises, en raison des nombreux effets indésirables des dermocorticoïdes. Enfin, les ongles doivent être coupés courts afin de réduire les lésions cutanées dues au grattage.

Développement et Santé, n° 145, février 2000