Conduite à tenir devant un blessé victime d'un accident de la voie publique

Par François Pernin

Publié le

Les accidents de la voie publique sont de plus en plus fréquents et posent des problèmes de conduite à tenir :

  • sur les lieux de l'accident,
  • à l'hôpital une fois le malade évacué.

Problèmes d'autant plus difficiles lorsqu'il y a plusieurs blessés à la fois : quels sont les blessés les plus gravement atteints ?

Comment ne pas méconnaître une lésion grave chez un blessé se portant bien dans les premières heures après l'accident? Quels sont les gestes à faire et surtout à ne pas faire sur les lieux de l'accident ?

Nous tenterons de répondre schématiquement à ces questions.

A. Conduite à tenir sur les lieux de l'accident

1. Organiser les secours

Ne pas transformer cet accident en un accident encore plus grave: le plus urgent n'est pas d'examiner le ou les blessés mais d'éviter qu'une nouvelle catastrophe ne survienne comme cela arrive fréquemment.

  • Signaler le danger de chaque côté de la route ainsi que plusieurs dizaines de mètres en avant et en arrière des véhicules accidentés en utilisant la bonne volonté des témoins afin d'éviter que d'autres véhicules ne surviennent par surprise ou s'arrêtent au milieu de la route pour regarder l'accident.

  • Calmer les esprits en répartissant les tâches de chacun: garder près de soi les personnes ayant des compétences en secourisme, utiliser les autres pour baliser la route, pour avertir les secours.

Ces mesures sont essentielles, elles évitent de transformer des spectateurs en futurs blessés et des gestes néfastes sur les accidentés eux-mêmes.

a. Examen du blessé

Cet examen sera forcément incomplet, il cherche:

  • à mettre en évidence les lésions vitales dans l'immédiat;

  • assurer les premiers gestes d'urgence indispensables, en évitant les manoeuvres inutiles pouvant aggraver le malade;

  • préparer le transport du blessé vers l'hôpital le plus proche.

Règles de l'examen

Dans la mesure du possible l'examinateur doit travailler avec des gants (attention au VIH !)

Cet examen se fera après avoir transporté le blessé, selon les règles vues plus loin (risque d'incendie si de l'essence a été répandue).

  • Si le blessé est conscient, cet examen sera aisé.

  • Si le blessé est inconscient, il faudra savoir dépister d'autres lésions graves.

  • Devant une lésion à l'évidence grave, il faudra savoir rechercher d'autres lésions associées qui peuvent aussi être vitales et risquent d'être ignorées si on n'examine pas le malade plus soigneusement.

  • Cet examen doit être rapide et éviter les gestes inutiles et dangereux.

On doit: dépister des lésions mettant en jeu la vie du blessé.

  • le coeur bat-il encore ?
  • existe-t-il une hémorragie interne ou externe ?
  • le blessé respire-t-il correctement?
  • quel est son état neurologique ?

1. Le coeur bat-il ? (état hémodynamique)

Le malade saigne-t-il ?

  • Prendre le pouls radial au poignet. S'il n'est pas bien perçu à ce niveau, le rechercher au niveau d'une autre artère (pouls fémoral, carotidien). Noter sa force, sa rapidité.

  • Examiner la coloration des muqueuses: conjonctives, lèvres.

  • Si possible prendre la tension artérielle et la noter.

  • Rechercher une cause de saignement possible:

  • elle peut être évidente: hémorragie externe par plaie d'une grosse artère (pli du coude, poignet, cou, aine) ou plaie cutanée importante (cuir chevelu),

  • ou moins évidente: hémorragie interne par:

traumatisme thoracique (hémothorax),

traumatisme de l'abdomen (hémopéritoine),

fracture du fémur ou du bassin.

2. Le blessé respire-t-il correctement ? (état respiratoire)

  • Le voit-on, l'entend-on respirer ?

  • La position de son cou, la présence de vomissement dans la bouche ne l'empêche t-il pas de respirer ?

  • Sa respiration est-elle efficace: coloration des muqueuses (sous unguéales) bleutée si inefficace ?

3. Existe-t-il une lésion neurologique

  • Est-il totalement inconscient?
  • Ou conscient? Et s'il est conscient, est-il réellement "présent", existe-t-il des signes de désorientation (le blessé connaît-il son nom, la date ? Le lieu où il se trouve ?)
  • Existe-t-il une lésion neurologique sévère ? Le blessé peut-il remuer volontairement ses quatre membres, si un membre paraît paralysé, ceci n'est-il pas dû en fait à une fracture ?
  • Les pupilles du blessé sont-elles symétriques ?

Cet examen rapide, en quelques minutes, sur les lieux mêmes de l'accident, permet de déceler une lésion d'emblée vitale et nécessitant des gestes d'urgence.

b. Le ramassage du blessé

Le blessé est alors transporté avec précaution dans un lieu plus calme pour attendre le transport vers l'hôpital et recevoir les premiers soins.

Le dégagement du blessé hors du véhicule et son transport doivent éviter d'aggraver les lésions et surtout une éventuelle fracture vertébrale car une mauvaise technique de transport peut déplacer des fractures de vertèbres et entraîner des paralysies définitives.

Une fracture de vertèbre y sera suspectée à chaque fois que le malade est inconscient ou qu'il ne peut pas se mouvoir seul. Il sera dégagé et transporté selon les schémas suivants.

II. Les premiers gestes d'urgence

Plusieurs situations, rares, nécessitent des gestes d'urgence sur les lieux de l'accident:

  • Le blessé est en état de mort apparente. a Le blessé saigne, il est choqué.
  • Le blessé respire mal, il est encombré.
  • Le blessé présente des signes neurologiques déficitaires (perte de conscience, désorientation, paralysie).
  • Il existe une fracture d'un membre.

Règle essentielle

Tout blessé grave, tout blessé inconscient est suspect de fracture du rachis (vertèbres) et doit donc être manipulé avec précautions en conservant toujours l'axe de la colonne vertébrale afin d'éviter un éventuel déplacement de la fracture et les risques de paralysie que cela entraînerait.

1. Le blessé est en état de mort apparente

le plus souvent, c'est la conséquence d'une hémorragie foudroyante ou de lésion neurologique grave. Cependant, d'autres causes moins graves sont possibles et une réanimation d'urgence doit toujours être tentée (si on arrive tôt sur les lieux du drame), elle comporte:

  • massage cardiaque externe,

  • ventilation artificielle par la méthode du bouche à bouche,

  • si le matériel est à portée de main:

  • perfusion intraveineuse de sérum bicarbonaté et grosses molécules (ou de tout autre soluté de remplissage), intubation trachéale.

Mais il est rare que l'on possède autre chose que ses deux mains sur les lieux de l'accident.

Cette réanimation, si elle est inefficace (mydriase, cyanose, absence de, réapparition des pouls à l'arrêt du massage et de la respiration) ne sera pas prolongée au-delà de vingt minutes.

2. Le malade saigne, il est choqué

son pouls est rapide, ses conjonctives et ses lèvres pâles; il a soif, il est angoissé, sa tension artérielle est basse (si on peut la prendre!).

Il faut rechercher rapidement la cause du saignement: hémorragie externe par plaie des gros troncs artériels ou veineux (cou, pli du coude, poignet, pli de l'aine) ou une grosse plaie cutanée (cuir chevelu, cuisse... ). Ou hémorragie interne: fracture du fémur avec hématome de cuisse, hémopéritoine (hémorragie intra-abdominale) par rupture du foie ou de la rate, hémothorax (hémorragie dans la cavité pleurale).

En cas d'hémorragie externe, il faut faire un pansement compressif au niveau de la plaie. Il n'y a pas d'hémorragie des membres qui ne puisse être immédiatement stoppée par un pansement compressif. S'il n'est pas possible de faire un pansement, il faut comprimer directement, avec le poing en cas de plaie de l'artère fémorale à l'aine (cf. figure).

Et dans tous les cas, si on en a les moyens:

  • poser une perfusion à grand débit en passant des solutés macromoléculaires ou tout autre soluté dont on dispose,
  • transférer le blessé le plus vite possible vers l'hôpital en fixant bien la perfusion et en donnant les quantités de flacons nécessaires à la poursuite de la perfusion pour tout le temps du transport.

3. Le blessé respire mal, les voies respiratoires sont encombrées (asphyxie)

  • Il faut donner une meilleure position au blessé, éviter l'hyperflexion du cou, le dégager de tout ce qui peut comprimer son thorax; désobstruer au doigt tout ce qui peut venir encombrer sa bouche (caillot de sang, corps étranger, vomissements).

  • Si on dispose du matériel et des compétences nécessaires: intuber le malade s'il est inconscient.

4.Le blessé est inconscient

c'est le cas le plus difficile. Tous les signes de gravité doivent être recherchés (état cardiaque, respiratoire, neurologique, rechercher de grosses fractures) :

  • s'assurer que le coeur bat et qu'il respire, sinon pratiquer un massage cardiaque externe et ventilation artificielle,

  • comprimer une hémorragie externe, perfuser en cas de choc,

  • assurer la liberté des voies aériennes,

et surtout, toujours être très prudent dans les déplacements du blessé par crainte d'une fracture de la colonne vertébrale.

5. Le blessé présente une fracture évidente

le bras, l'avant-bras, la cuisse ou la jambe sont à l'évidence déformés par une fracture (angulation, raccourcissement, rotation). Il faut réduire sommairement la fracture si elle est très mobile et l'immobiliser sur une attelle de fortune en enveloppant le membre de façon qu'il ne soit pas blessé par l'attelle. Si la fracture est ouverte (plaie associée en regard des os brisés), faire un pansement, le plus propre possible, à ce niveau (compresse si possible stérile imbibée de liquide antiseptique).

Le plus souvent, on ne se trouve pas dans une situation d'extrême urgence de ce type mais le blessé a mal ou, sans même se plaindre, il a subi un accident d'une grande violence (regardez la voiture ou le vélo!) et des lésions graves, en particulier crânienne ou abdominale ont pu se produire et ne deviendront apparentes que secondairement. Il serait donc grave de ne pas déceler ces lésions, de rassurer le blessé et de le renvoyer chez lui mourir un peu plus tard au lieu de le diriger à l'hôpital pour surveillance.

III. Conduite de l'examen en dehors des situations d'extrême urgence

Cet examen a donc pour but de rechercher des lésions inapparentes dans l'immédiat afin de décider si le blessé a besoin d'être surveillé à l'hôpital dans les heures qui suivent; cet examen servira de point de comparaison pour la surveillance ultérieure car ce qui compte, c'est l'évolution des signes dans les heures qui vont suivre; il est donc important de noter sur une feuille le nom du malade, la date et l'heure de vos constatations et d'écrire sommairement vos principales constatations aisément chiffrables: état neurologique, existence de points douloureux, pouls, tension...

1. Examen neurologique

Le traumatisme, crânien ou facial, est fréquent, il est utile d'évaluer son intensité : type de l'accident, le blessé portait-il un casque, y a-t-il eu une brève perte de connaissance ou une perte de mémoire:

  • La conscience du blessé est-elle tout à fait normale ? Connaît-il son nom, la date...

  • Ses pupilles ont-elles un diamètre symétrique ?

  • Peut-il remuer volontairement ses quatre membres ?

  • Les mouvements de son visage sont-ils symétriques (lui demander de faire une grimace) ?

  • A-t-il des vertiges, des troubles de l'équilibre ?

2. Examen cardio-vasculaire (état hémodynamique)

  • Prendre et mesurer le pouls.
  • La tension artérielle si possible.
  • Noter la pâleur (conjonctives, lèvres, sous l'ongle).
  • Rechercher une hémorragie externe.

3. Examen respiratoire

  • Coloration des muqueuses (bleutées si respiration inefficace).
  • Liberté des voies respiratoires (souvent encombrées en cas de traumatisme facial avec saignement de nez).
  • Amplitude et fréquence de la respiration.
  • Recherche de douleur à la pression des côtes due à une fracture.
  • Recherche de mouvement anormal de la paroi thoracique lors de la respiration dû à un volet costal (fracture de plusieurs côtes), une telle lésion doit être immobilisée par un bandage si le blessé suffoque.
  • Auscultation, percussion recherchant une matité, une abolition du murmure vésiculaire s'il existe un hémothorax (sang dans la cavité pleurale).

4. Recherche d'une fracture de vertèbre

Ceci est essentiel, nous l'avons déjà dit, car un mauvais mouvement, une faute de transport peut déplacer cette fracture et endommager la moelle épinière (ce qui entraîne, suivant le niveau de la fracture, mort brutale ou paralysie).

  • Le blessé peut-il remuer lui-même sans douleur sa tête et son cou. Au moindre doute, s'il existe des douleurs ou une sensation d'instabilité de la tête, il faudra éviter les mouvements du cou en allongeant le blessé et en maintenant sa tête dans l'axe du corps avec les mains ou des sacs de sable.

  • Existe-t-il un point douloureux à la percussion (avec le doigt) des épineuses (partie saillante des vertèbres dans le dos) ?

  • Existe-t-il des sensations de décharge électrique ou d'anesthésie d'un membre ?

L'existence d'un de ces signes doit faire suspecter une fracture de vertèbre et éviter tout transport brutal sans précaution.

5. Recherche d'une fracture de membre

  • Le blessé peut-il se lever, marcher, remuer les bras ?

  • Existe-t-il une déformation douloureuse d'un membre ? Faire remuer les grosses articulations.

6. Examen de l'abdomen

  • Y a-t-il eu traumatisme abdominal ?
  • Le ventre est-il douloureux?

IV. Le tri des blessés

Au terme de cet examen, forcément sommaire et incomplet, quels sont les blessés qui doivent être évacués vers l'hôpital et quel est l'ordre d'urgence ?

En théorie: tout blessé doit être surveillé, au moins vingt-quatre heures à l'hôpital, car vous ne connaissez pas, le plus souvent, l'importance du choc et une lésion crânienne, thoracique ou abdominale peut se démasquer dans les heures qui suivent. Mais, avec un peu de bon sens, on peut distinguer la simple égratignure lors d'une chute de vélo, du choc important lors d'un accident de voiture si l'accident a fait plusieurs blessés, et qu'il n'est pas possible de les envoyer tous en même temps à l'hôpital, doivent être dirigés en priorité à l'hôpital les blessés:

  • en état de choc hémorragique, inconscients ou présentant des troubles neurologiques, en état de détresse respiratoire, ayant une fracture ouverte.

Puis les blessés présentant:

  • une suspicion de fracture vertébrale, un traumatisme crânien, un traumatisme thoracique ou abdominal, une fracture évidente déplacée.

Puis, les autres!

Le transport à l'hôpital doit se faire rapidement mais sans imprudence, rares sont les blessés où les secondes comptent vraiment, mieux vaut un transport doux, à vitesse continue qu'une cavalcade échevelée où l'on risque d'abîmer encore plus le blessé, de renverser les gens en traversant les villages, d'écraser poules et chèvres !... Les accidents d'ambulance sont souvent les plus graves!

B. La surveillance du blessé à l'hôpital

Le blessé arrive souvent à l'hôpital sans avoir été examiné au préalable et il faut faire alors un examen complet et noter ses constatations, car ce qui compte alors c'est l'évolution des signes:

1. Examen neurologique, répété à intervalle régulier en cas de traumatisme crânien.

Tout signe suspect apparaissant ou s'aggravant après le premier examen (trouble de la conscience, paralysie, convulsion, asymétrie pupillaire) peut être un signe d'hématome intracrânien (hématome extra-dural ... ) comprimant le cerveau et nécessitant une opération d'urgence.

2. Examen cardio-vasculaire répété à la recherche de l'apparition d'un choc révélant une hémorragie interne : lésion d'un viscère intra-abdominal (rate, foie), hémothorax, fracture de cuisse.

3. Examen respiratoire répété

4. Examen de l'abdomen

recherche d'une douleur, d'une défense. Certains signes inquiétants au début, dus à un choc direct et majorés par l'anxiété peuvent disparaître; d'autres au contraire, vont apparaître au cours des examens répétés, d'où l'intérêt de revoir régulièrement le blessé dans la journée et de noter les constatations pour que vous et celui qui prendra le relais de votre surveillance puisse comparer les examens.

5. Examen des urines: y a-t-il du sang?

6. Examen général du blessé: en effet, dans les heures, ou même les jours qui suivent l'accident, il n'est pas rare qu'une douleur, un hématome, apparaisse dans un endroit où tout paraissait normal au début: une fracture peu déplacée du poignet, de la main, du pied peut ainsi se révéler.

D'où la prudence lors de la rédaction des certificats médicaux souvent demandés à l'arrivée du blessé: il faut noter ses constatations mais toujours ajouter: " sous réserve de complications ultérieures ".

A chaque fois qu'un blessé est inconscient ou suspect de traumatisme abdominal ou thoracique, la mise en place d'une perfusion est utile afin de pouvoir l'accélérer en cas de choc en attendant le traitement.

7. Les examens complémentaires: ils sont guidés par les données de l'examen et non systématiques:

Groupe sanguin, Hématocrite ou numération sanguine, répété au bout de six à vingt-quatre heures selon les signes pour dépister une hémorragie, Radiographie du crâne face, profil, devant tout traumatisme crânien, Radio du rachis cervical, et dorso-lombaire en cas de doute, Radio des membres en cas de suspicion de fracture, Radio du thorax, Radio du bassin.

Conclusion

Il est donc difficile d'entrer dans le détail des attitudes thérapeutiques devant chaque lésion possible, mais, devant un accidenté de la voie publique, un certain nombre de principes peuvent être soulignés:

  • Sur les lieux de l'accident: garder son calme, organiser les secours, éviter les accidents en chaîne en balisant les lieux et prudence dans le ramassage et le transport des blessés.

  • Connaître les gestes de première urgence: massage cardiaque externe, pansement compressif d'une hémorragie, immobilisation d'une fracture.

  • Savoir faire le tri des blessés les plus urgents.

  • A l'hôpital, savoir examiner le blessé et surtout instituer une surveillance écrite régulière pour dépister les complications graves: hématome extra-dural, hémorragie interne.

Développement et Santé, n°44, avril 1983