Comment produire des collyres en milieu rural

Par Joseph Taylor Consultant médical auprès de la Christoffel Blindenmission e.V., Nibelungenstrasse 124, 6140 Bensheim 4 (Allemagne). D'après Forum mondial de la santé, Vol. 14, 1993, OMS.  

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Cet article donne un aperçu des matériels et des méthodes utilisables pour produire les collyres essentiels à peu de frais dans les zones rurales des pays en développement.

Un dixième des malades vus dans les dispensaires ruraux de la plupart des pays en développement présente des symptômes de pathologie oculaire ; dans la moitié des cas, il s'agit de conjonctivite. Or, ces dispensaires ruraux disposent rarement de médicaments ophtalmiques, soit parce qu'ils n'ont pas d'argent pour en acheter, soit parce qu'ils ne peuvent se les procurer. Dans ces conditions, il est impératif de fabriquer sur place des collyres anti-infectieux.

Les flacons entrent pour moitié dans le coût des collyres en vente sur le marché. Aussi faudrait-il réutiliser pour la production de collyres en milieu rural les flacons vides jetés par les services de santé.

Les petits dispensaires ruraux n'ont pas besoin de très nombreux collyres mais il leur faudrait au moins un collyre antimicrobien, ainsi qu'un anesthésique local pour l'extraction des corps étrangers, pour les tonométries simples ou pour l'examen d'un oeil douloureux. Un collyre au chloramphénicol ou une pommade ophtalmique enrichie à la tétracycline permet de soigner la plupart des infections oculaires superficielles comme la conjonctivite, tandis que l'atropine peut sauver la vue dans certaines maladies oculaires particulièrement graves, par exemple lèpre ou uvéite, et dans les cas de blessure à l'oeil où un traitement urgent s'impose. Les bandelettes de papier à la fluorescéine permettent de déceler à temps un ulcère cornéen, la présence d'un corps étranger de petite taille ou une atteinte cornéenne en cas de lèpre ou d'autre maladie. On voit donc qu'avec quelques préparations simples et bon marché il est possible de faire face à la majorité des problèmes oculaires, même en milieu rural. L'exposé qui suit est le fruit de l'expérience acquise au cours de ces vingt dernières années en Afrique de l'Est et de l'Ouest. Le programme OMS de prévention de la cécité dispose maintenant d'une nouvelle version du manuel préparé initialement par The Christoffel Blindenmission International [1].

[1] The local small-scale préparation of eye draps. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 1990 (document sorti sous la cote WHO/PBL 90.20).

I. Matériel nécessaire

Il faut des fioles de verre usagées, de préférence d'une contenance de 5 ou 10 ml.

Il existe différentes sortes de compte-gouttes jetables ; s'ils coûtent trop cher, on peut se servir de compte-gouttes réutilisables, bien que ce ne soit pas recommandé, car il est difficile de les nettoyer et cela prend du temps.

Les flacons entrent pour moitié dans le coût des collyres en vente sur le marché.

Il faut, bien sûr, un médicament ainsi qu'un agent conservateur, généralement du nitrate de phénylmercure ou du chlorure de benzalkonium. Pour empêcher toute décomposition pendant la stérilisation, on peut avoir recours à un anti-oxydant comme le métabisulfite de sodium.

Il faudrait utiliser de l'eau qui vient d'être distillée, de préférence le jour même. Le plus simple est de se servir d'un alambic électrique mais, s'il n'y a pas l'électricité, on peut chauffer l'appareil au gaz ou au kérosène. On peut aussi utiliser, le cas échéant, un alambic solaire : un panneau de six collecteurs solaires permet d'obtenir entre cinq et huit litres d'eau distillée pour huit heures d'ensoleillement. Ce type d'alambic a en plus pour avantage d'être refroidi à l'air ; il n'y a donc pas besoin d'eau courante alors que, pour un alambic classique, il faut de l'eau courante ou un réservoir de refroidissement.

S'il n'est pas possible de préparer de l'eau distillée, on peut fabriquer les collyres avec de l'eau de pluie qui a été filtrée après 20 minutes d'ébullition. Ce n'est pas l'idéal, mais les collyres ainsi préparés sont sans danger, sauf après une opération ou une blessure perforante de l'oeil.

Il faut une balance pharmaceutique : une simple balance à fléau dotée de poids mobiles est facile à utiliser et à entretenir.

Pour la filtration, un entonnoir en verre avec du papier filtre normal peut convenir mais le procédé est lent. Il existe par ailleurs un système efficace et bon marché : il s'agit d'un flacon conique doté d'un filtre en verre fritté et fixé à une pompe à vide manuelle. Lorsque l'appareil est muni de coussinets en fibre de verre, le problème du nettoyage du filtre en verre fritté ne se pose plus. On peut aussi se servir d'une seringue dotée d'un filtre à micropores jetable : c'est un système simple mais plus coûteux.

Une presse manuelle est utilisée pour sceller les pipettes jetables en plastique sur les fioles, mais on peut aussi fixer à la main par pression de simples compte-gouttes en plastique.

Enfin, il faut des vases à bec, des verres gradués, des flacons coniques, des entonnoirs en verre strié et d'autres articles de verrerie.

Pour stériliser les collyres, il suffit d'un simple bain-marie, sauf dans les unités importantes équipées d'autoclaves. Il n'est pas difficile de préparer un bain-marie avec un plateau perforé pour pouvoir laisser les flacons exposés à la vapeur au-dessus de l'eau bouillante. Il existe aussi des autoclaves spéciaux pour collyres, avec ou sans élément électrique, qui coûtent environ 200 US$.

Préparation des collyres

Il est recommandé de ne préparer qu'un type de collyre à la fois, par exemple le collyre au chloramphénicol, à l'améthocaïne ou à l'atropine.

Les petits dispensaires ruraux n'ont pas besoin de très nombreux collyres, mais il leur faudrait au moins un collyre antimicrobien, ainsi qu'un anesthésique local pour l'extraction des corps étrangers, pour une tonométrie simple ou pour l'examen d'un oeil douloureux.

On prépare la solution de base contenant les agents conservateurs puis on la stérilise. On pèse les matières premières, auxquelles on ajoute ensuite la solution de base et l'eau distillée pour obtenir le volume souhaité. Le collyre est filtré puis réparti dans des fioles

qui ont été soigneusement nettoyées et lavées à l'eau distillée. On fixe ensuite les compte-gouttes (pipettes). Il faut tout de suite stériliser le collyre : l'opération ne doit jamais être remise au lendemain. Une étiquette indiquera la date de fabrication. Les collyres doivent être conservés, de préférence au réfrigérateur, à 4° C environ, ce qui garantit une durée de conservation maximale. C'est ainsi qu'on peut utiliser un collyre à 0,5 % de chloramphénicol pendant un an après stérilisation s'il est conservé au réfrigérateur, mais pendant quatre mois seulement s'il est conservé à la température ambiante. La figure de la page suivante donne une idée de la méthode employée.

On a réfléchi aux moyens de fabriquer un collyre permettant de soigner en milieu rural les infections oculaires superficielles les plus courantes et il se pourrait que le collyre à 1 % de polyvidone iodée fasse l'affaire. De fabrication aisée, il se conserve bien et est actif in vitro contre les pathogènes bactériens et fongiques courants et contre les virus 1 et 2 de l'herpès humain ; on fait actuellement des essais pour vérifier son efficacité clinique.

Pour préparer du collyre à la polyvidone iodée, on dissout 1 g de poudre de polyvidone iodée dans 100 ml d'eau distillée ou d'eau de pluie qui vient d'être filtrée après ébullition. On stérilise à la vapeur au-dessus du bain-marie. Conservé à la température ambiante, le collyre reste actif longtemps. On peut l'utiliser pour la prophylaxie de l'ophtalmie du nouveau-né. Il n'y a aucune preuve de toxicité cornéenne. Une préparation dermatologique à 10 % de polyvidone iodée est employée depuis des années sans aucun problème avant des opérations, même intraoculaires.

Pour faciliter les choses, on peut prendre une solution aqueuse à 10 % de vidone iodée, que l'on trouve partout sous le nom de Bétadine, pour préparer du collyre à 1 % de vidone iodée : on dilue 1 ml de Bétadine dans 9 ml de soluté salin.

Développement et Santé, n°107, octobre 1993