Colique néphrétique

Par Dr. François Pernin Urologue, Hôpital d'Ajaccio, France.

Publié le

La colique néphrétique est une douleur lombaire unilatérale violente, due à un obstacle siégeant sur les voies excrétrices urinaires supérieures (Schéma 1).

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I. Physiopathologie

Le rein sécrète de l'urine continuellement, le bassinet la collecte et l'uretère la conduit dans un réservoir, la vessie, qui ne l'éliminera vers l'extérieur que 3 à 5 fois par jour. L'ensemble formé par les bassinets et les ure­tères constitue la voie excrétrice supérieure. Si un obstacle empêche l'urine de s'écouler vers la vessie, alors qu'elle continue à être sécrétée, il va se produire rapidement une hyperpression dans l'uretère et le bassinet au-dessus de cet obstacle (Schéma 2). Cette hyperpression va provoquer la douleur, ou colique néphrétique, en excitant les nerfs innervant le bassinet.

Une crise de colique néphrétique traduit donc une distension rapide de la voie excrétrice urinaire haute.

Devant un malade venu vous consulter pour une douleur lombaire, plusieurs problèmes doivent être résolus :

  • reconnaître la crise de colique néphrétique et éliminer d'autres affections pouvant se mani­fester par des douleurs presque semblables ;
  • soulager rapidement le malade ;
  • assurer une surveillance pour observer l'apparition de complications qui obligeraient à un transfert rapide à l'hôpital ;
  • découvrir l'étiologie, ce qui sera souvent fait à distance de la crise, à l'hôpital.

Schéma 1 : rappel anatomique (d'après : Sémiologie Chirurgicale de Poilleux)

Schéma 2 : physiopathologie de la colique néphrétique

II. Reconnaître la crise

La forme typique pose peu de problèmes dia­gnostiques, mais la crise peut être atypique et faire croire à d'autres maladies. L'essentiel est alors de savoir retrouver, par un examen attentif, les petits signes que le malade ne vous dira pas spontanément.

1. La forme typique

a) Des circonstances déclenchantes sont parfois retrouvées

  • secousses répétées à l'occasion d'un voyage en train ou en voiture, qui ont pu mobiliser un calcul rénal ;
  • boisson insuffisante en saison chaude, dimi­nuant ainsi le volume des urines et favorisant la précipitation des cristaux urinaires, sous forme de calcul.

b) Des prodromes précèdent la crise

Sen­sation de pesanteur lombaire, envie plus fréquente d'uriner et, chez l'homme, douleurs testiculaires, picotement de la verge.

c) Le début de la crise

Il est brutal, la douleur est de siège lombaire ou lombo-iliaque, unila­térale.

d) La douleur (Schéma 3)

Elle est intense, le malade porte la main dans le dos vers le côté atteint, ressentant une véritable sensation de torsion, de brûlure ou de constriction. En plei­ne crise, l'intensité de la douleur est parfois très impressionnante. Cette douleur irradie rapidement vers le bas, en passant des lombes vers la fosse iliaque et les organes génitaux externes. Elle évolue par paroxysmes, tantôt diminuant, tantôt s'exacerbant. Le malade ne trouve aucune position pour la soulager, il est agité, angoissé.

Schéma 3 : projection schématique de la douleur
le long des voies excrétrices au cours de la crise de colique néphrétique

e) D'autres signes accompagnent cette crise

  • Signes urinaires : envie plus fréquente d'uri­ner, douleur au niveau de la verge, le testicu­le pouvant remonter du côté atteint ;
  • Signes digestifs : nausées, vomissements, arrêt des matières et des gaz au bout de quelques heures.

Le diagnostic ne fait aucun doute devant cette douleur intense, paroxystique, unilatérale, à irradiation descendante, s'accompagnant de signes urinaires.

Si le malade en a déjà souffert, il est capable de dire lui-même qu'il s'agit d'une crise de colique néphrétique, ce signe est l'un des plus fidèles.

L'évolution spontanée se fait souvent vers la sédation des douleurs en quelques heures ou quelques jours, mais parfois des complications peuvent survenir.

La crise peut être moins typique, un des signes peut dominer et les autres rester très discrets ou absents, c'est leur recherche à l'interroga­toire qui permettra de penser à la colique néphrétique.

2. Les formes atypiques

a) Forme digestive

Les signes digestifs peuvent dominer le tableau : hoquet, nausées, vomissements, météorisme abdominal dû à l'arrêt du transit. Vous penserez alors à une occlusion, ou à une crise d'appendicite si la crise est à droite, ou encore à une crise drépanocytaire. Mais, il n'y a pas de fièvre, la palpation de l'abdomen ne réveille pas la douleur, l'interrogatoire retrouve une gêne sourde dans une fosse lombaire, le malade se plaint d'uriner plus souvent que d'habitude et chaque fois en petite quantité.

b) Selon la douleur

Elle peut être réduite à ses seules irradiations et faire croire à une affection gynécologique ou intestinale, on peut alors retrouver les petits signes urinaires.

c) Les signes vésicaux

Ils peuvent dominer : envie fréquente d'uriner, brûlure à la miction, douleur hypogastrique associée, faisant croire à une infection urinaire, mais il n'y a pas de fièvre et les urines sont claires. C'est le signe d'un calcul très bas situé dans l'uretère, proche de la vessie.

Chez tous ces malades, que la douleur soit typique ou non, l'absence de certains signe permettra d'éliminer d'autres diagnostics :

  • absence de fièvre ;
  • abdomen souple et indolore contrastant avec l'intensité de la douleur, seule la fosse lombaire est sensible ;
  • orifices herniaires libres ;
  • touchers rectal et vaginal normaux ;
  • urines claires ;
  • antécédents de crise semblable suivie de l'émission de calcul ou de sable dans les urines, orientant rapidement le diagnostic.

Dans toutes ces formes atypiques où le diagnostic est bien difficile cliniquement, un petit signe paraclinique est bien précieux. Si vous disposez de bandelettes réactives détectant li présence de sang dans les urines, vous découvrirez alors des traces de sang, car l'obstacle qui provoque la crise entraîne, pratiquement toujours, un petit saignement invisible à l'oei nu (hématurie microscopique). Mais, faites attention, chez la femme en période de règles, la réaction sera positive alors que le sang ne provient pas de l'appareil urinaire.

Devant une douleur abdominale bâtarde, l'hé­maturie microscopique mènera sur la bonne voie en recherchant les autres petits signes.

III. Conduite à tenir : soulager, surveiller, comprendre

Si le diagnostic est douteux, transférez rapidement le malade à l'hôpital. Il seraü désastreux de traiter en dispensaire une occlusion, une grossesse extra-utérine, une appendicite que l'on aurait confondues avec une colique néphrétique.

Si le diagnostic est certain, alors vous pouvez :

1. Soulager la douleur de votre malade

a) Ne pas donner de boisson pendant les premières heures et les restreindre tant que la douleur persiste. En effet, il existe un obstacle au niveau de l'uretère et la douleur est due à l'hy­perpression. Si le malade boit trop, il va élimi­ner plus d'urine et donc augmenter la pression au-dessus de l'obstacle et souffrir davantage.

b) Calmer la douleur par des antalgiques et des antispasmodiques par voie intramusculai­re, ou intraveineuse si on désire une action plus rapide.

De nombreux produits sont efficaces et peu­vent être répétés sans danger : BUSCOPAN®, SPASFON®,(phloroglucinol), AVAFORTAN®, SPASMAVERINE®, SPASMALGINE®... L'application de compresses tièdes ou la prise d'un bain chaud peuvent aussi apaiser la dou­leur.

c) Si la crise persiste malgré la répétition des injections, on peut placer une perfusion lente de sérum glucosé isotonique contenant 1 ou 2 ampoules d'antispasmodique et 20 ml de xylo­caïne non adrénalinée à 2 %.

d) Il est utile de donner un alpha-bloquant, (médicament utilisé pour soulager les symp­tômes de l'adénome de la prostate), car il relâche aussi le tonus des fibres lisses de la musculature urétérale, ce qui aide à lever le spasme et facilite la mobilisation du calcul (alfuzosine, tamsulosine, térazosine, doxazosine).

e) En urgence, si vous n'êtes pas certain du dia­gnostic, n'utilisez pas d'anti-inflammatoires ou de corticoïdes (qui aggraveraient un ulcère de l'esto­mac) ni des opiacés (qui masqueraient une urgen­ce abdominale). Mais si le diagnostic est certain et que la douleur ne cède pas, le recours aux anti-inflammatoires (kétoprofène : PROFENID®) ou aux corticoïdes injectables (Solumedrol ... ) est tout à fait indiqué et, en cas de douleurs rebelles, les morphiniques peuvent être nécessaires.

f) Une injection intradermique (obtenir le phénomène de la "peau d'orange") de 1 ml d'eau distillée sous la peau de la région dorsa­le douloureuse peut aussi soulager pendant quelque temps.

2. Assurer une surveillance

a) Surveiller la température une à deux fois par jour

b) Garder et tamiser toutes les urines

Le malade urinera dans un bocal à travers une compresse où les urines seront ainsi filtrées, afin de retrouver un calcul s'il est expulsé au cours de la crise.

Retrouver un calcul est très important car vous serez alors certain de votre diagnostic, vous aurez trouvé la cause de la crise : le calcul. Son examen à l'oeil nu et, si possible, son analyse chimique au laboratoire fourniront de précieux renseignements au médecin. Alors, bien sûr, votre malade sera soulagé puisque l'obstacle sera levé (mais il pourra faire d'autres calculs).

c) Quand les douleurs s'estompent

vous pou­vez au contraire faire boire abondamment le malade car les urines seront alors abondantes et pourront aider, par leur débit, à chasser l'obstacle. Les anti-inflammatoires peuvent aussi être utiles à ce stade, de même que les alpha-bloquants.

3. Découvrir une complication nécessitant

un transfert d'urgence vers l'hôpital

Trois complications peuvent survenir et impo­ser un geste chirurgical urgent : l'infection, l'état de mal néphrétique et l'anurie.

a) L'infection (pyélonéphrite obstructive)

L'apparition d'une fièvre élevée à 39°/40° C, souvent accompagnée de frissons, signe l'in­fection de l'urine qui stagne au-dessus de l'obs­tacle. On peut palper un gros rein très dou­loureux (il s'agit d'une pyélonéphrite). Cette infection est très grave car elle se complique vite de septicémie, comme en témoignent les frissons, et elle peut détruire le rein en 24 à 48 heures.
L'apparition d'une telle fièvre nécessite le transfert à l'hôpital où l'obstacle devra être enlevé chirurgicalement en urgence, sous cou­verture antibiotique.

La pyélonéphrite peut aussi survenir en l'absence d'obstacle urétéral et son traitement est alors médical : antibiotiques et antispas­modiques.

b) L'anurie

Votre malade n'élimine plus d'urine, celle-ci n'arrive plus jusqu'à sa vessie qui est vide. Cela signifie qu'un obstacle bouche totalement les deux uretères ou, plus souvent, qu'un seul rein est fonctionnel (soit congénitalement, soit parce que l'autre rein a été détruit par une maladie) et que ce rein ne fonctionne plus. Il faut d'urgence lever cet obstacle à l'hôpital, sinon le patient mourra en quelques jours.

c) L'état de mal néphrétique

Malgré tous vos soins, la douleur ne cède pas, elle s'accentue, les crises sont de plus en plus fré­quentes et rebelles, et cela dure depuis plusieurs heures ou plusieurs jours. C'est que l'obstacle obstrue totalement l'uretère, et seule la levée de l'obstacle à l'hôpital fera céder les douleurs. En dehors de ces complications rares ou du doute diagnostique qui imposent l'évacuation immédiate à l'hôpital, vous devez soulager vous­même le malade. Celui-ci, une fois soulagé, devra être adressé à l'hôpital afin de découvrir la cause de la crise, et d'évaluer le retentisse­ment rénal de la maladie causale en pratiquant des radiographies et des examens biologiques.

IV. A l'hôpital

On pratiquera des examens complémentaires.

1. Une radiographie de l'abdomen sans préparation (ASP)

Celle-ci permettra :

  • d'éliminer un autre diagnostic si la douleur est atypique ;
  • de retrouver des signes indirects, mais peu spécifiques : présence d'air dans l'intestin grêle et le côlon (aéroiléie, aérocolie) témoi­gnant de l'arrêt des gaz dû à une réaction, réflexe à la douleur (iléus fonctionnel) ; surtout, en cas de calcul radio-opaque (c'est-à­dire visible aux rayons X), elle peut montrer directement l'obstacle. On retrouvera une opacité dense, parfois très petite (quelques millimètres) se projetant sur le trajet de l'uretère (Schéma 4). Si on a la chance de voir un tel obstacle, des radios répétées les jours suivants permettront de suivre sa progression jusqu'à la vessie. Rappelons que l'abdomen sans prépa­ration nécessite cependant de visualiser les coupoles diaphragmatiques jusqu'à la vessie.

2. Une échographie

Elle montrera les cavités rénales dilatées et parfois le calcul.

3. Une urographie intraveineuse (UIV)

L'UIV est réalisée soit en urgence si le dia­gnostic n'est pas certain, soit quelques jours après la crise pour rechercher une cause et apprécier le retentissement de l'obstacle sur le rein. Pendant la crise, l'UIV n'est jamais nor­male (une UIV normale doit faire réfuter le diagnostic de colique néphrétique si elle est pratiquée au moment de la douleur), on obser­ve alors : un retard de sécrétion du rein, un uretère dilaté et atone, un arrêt de la colonne de produit opaque au niveau de l'obstacle. L'UIV montrera très souvent la cause : calcul, sténose de l'uretère... Mais, si l'obstacle est évacué entre la crise et le moment où l'on pra­tique l'examen, elle paraîtra normale, c'est pour cette raison que le tamisage des urines est si important.

Cette UIV n'est pas effectuée systématiquement puisque l'échographie suffit le plus souvent.

Schéma 4 : images évoquant un calcul par son siège sur un cliché sans préparation

4. Le scanner

Il est utilisé dans les hôpitaux très bien équipés.

5. Chez la femme enceinte : cyctoscopie

Une cystoscopie pratiquée une dizaine de minutes après injection intraveineuse de bleu de méthylène ou de carmin d'indigo per­met de noter s'il existe un retard d'excrétion des urines par le méat urétéral du côté dou­loureux par rapport à l'autre côté. La cycsto­scopie évite un examen radiographique inutile et dangereux pendant la grossesse.

6. Un examen biologique

  • Examen cyto-bactériologique des urines (ECBU) à la recherche d'une infection sur­ajoutée qui peut être très grave sur un rein en rétention.
  • Si l'hôpital est bien équipé, le bilan phos­phocalcique et, l'analyse chimique d'un cal­cul, pourront permettre de retrouver cer­taines étiologies rares. Ainsi, c'est le plus souvent grâce à l'UIV que l'on retrouvera la cause de la colique néphrétique.
Soulager une colique néphrétique, c'est bien. Découvrir et guérir sa cause, c'est mieux.

V. Principales étiologies

1. Les lithiases (ou calculs)

Elles représentent la cause la plus fréquente (60 % des cas). Ces calculs se forment par pré­cipitation des cristaux contenus dans l'urine, soit à cause d'une alimentation trop riche en calcium, d'une diurèse insuffisante (boissons trop peu abondantes), d'une maladie générale (goutte, hyperparathyroïdie...) ou encore d'une anomalie locale (sténose...).

2. Les tumeurs, plus rares

Tumeur du rein, de l'uretère, de la vessie, qui peuvent boucher l'uretère par leur seul volume ou saigner et provoquer un obstacle par caillot. Il peut s'agir d'une tumeur de voisina­ge envahissant l'uretère (cancer du col utérin, cancer de la prostate) ou le comprimant (fibro­me utérin).

3. Les malformations congénitales

Anomalie de la jonction pyélo-urétérale ou vésico-urétérale, reflux vésico-rénal.

4. Rétrécissement de l'uretère (sténose)

Fréquent en Afrique par tuberculose ou bilhar­ziose urinaire.

5. Toute cause d'hématurie

Une affection responsable d'hématurie peut provoquer un obstacle par caillot : tuberculo­se, cancer, traumatisme, malformations... peuvent ainsi faire saigner.

6. Aucune cause

Parfois, aucune cause n'est retrouvée, il s'agit alors le plus souvent d'un petit calcul éliminé spontanément et non recueilli par le tamisage.

VI. Conclusion

  • Soulager le malade.
  • Tamiser les urines.
  • Déceler une complication.
  • Adresser le malade à l'hôpital pour retrouver l'étiologie.
  • La colique néphrétique est une urgence théra­peutique. Il est essentiel de la reconnaître pour ne pas la confondre avec une autre urgence chirurgicale.

Lexique

Anurie : correspond à l'arrêt de la sécrétion rénale, soit parce que le rein ne fonctionne plus, soit parce que, bien que sécrétant, les uretères sont bouchés et que l'urine n'arrive plus à la vessie (anurie mécanique). Le mala­de n'urine donc plus, sa vessie est vide si on la sonde et il n'a pas envie d'uriner. L'anurie se différencie de la rétention d'urine car l'uri­ne arrive à la vessie mais ne peut être émise à cause d'un obstacle au niveau de l'urètre : le malade a envie d'uriner, sa vessie est pleine et le sondage ramène une grande quantité d'urine.
Un malade en anurie meurt en quelques jours.

Calculs (synonyme de lithiase) : leur taille est variable, du sable fin à la pierre, ils ont tendance à s'éliminer par les voies naturelles, mais si leur diamètre est trop grand, parfois ils se bloquent et provoquentla colique néphrétique ou, parfois, ne provo­quent pas de douleur. La stase de l'urine favorise l'infection chronique et la mort lente du rein.

Hématurie : présence de sang dans les urines, hématurie microscopique quand elle n'est pas visible à l'oeil nu, macroscopique quand elle l'est.

Urographie intraveineuse : radiographie permettant de visualiser les voies excrétrices urinaires. On injecte par voie intraveineuse un produit opaque aux rayons X qui va être filfré par le rein et se trouver concentré dans les urines. Ainsi, les bassinets, les uretères et la vessie seront visibles. Les premières images apparaissent trois minutes après l'injection.

Septicémie : présence de microbes dans le sang ; ces microbes proviennent d'une porte d'entrée : plaie, infection urinaire...

Développement et Santé, n°191/192, 2008