Centres de traitement de la douleur
Lorsque l'on parle des centres de traitement de la douleur, on ne peut pas ne pas évoquer le nom de John Bonica. Ce médecin anesthésiste américain a créé après la deuxième guerre mondiale le concept de " management de la douleur ", et a écrit plusieurs livres sur ce thème, dont le premier est paru en 1952. En 1970, il a mis en place la première Unité de traitement de la douleur. En 1978, il a ouvert le premier centre multidisciplinaire d'étude de la douleur. Il est donc considéré à juste titre comme le père de la prise en charge multidisciplinaire de la douleur chronique et c'est lui qui a créé en 1970 l'Association internationale d'étude de la douleur, le IASP. Cet homme qui a consacré toute sa vie à la douleur des autres est mort en 1994, un mois après sa femme.
On parle de centres de traitement de la douleur, mais pour être parfaitement logique, on devrait utiliser l'appellation " centre d'évaluation et de traitement de la douleur " puisque leur rôle est d'évaluer d'abord et de traiter ensuite.
L'objectif de ces centres est triple
prendre en charge les douleurs rebelles aux traitements habituels, c'est-à-dire les douleurs rebelles chroniques ;
orienter les investigations avec des diagnostics
coordonner les différents, intervenants lors d'une décision thérapeutique.
Les centres d'études de traitement de la douleur sont multidisciplinaires, avec une approche médicale basée sur un diagnostic et une thérapie avec de nombreuses spécialités. Ils peuvent être organisés autour des anesthésistes, des neurochirurgiens, des neurologues, des oncologues, des psychologues et des psychiatres, des médecins internistes, des rhumatologues, des médecins du travail et des acupuncteurs. Ce sont des spécialités médicales et il faut y ajouter des spécialités non médicales représentées par les infirmières, qui ont un rôle important à jouer, les kinésithérapeutes, le secrétariat qui peut être assuré par des infirmières et les unités de soins mobiles.
Abordons maintenant le fonctionnement des centres de traitement de la douleur. Ils accueillent uniquement des malades examinés et envoyés par leur médecin traitant, car le nombre des places de consultation est limité.
Cette façon de procéder permet une meilleure organisation et préserve la collaboration entre le centre et le médecin traitant.
En général, le malade reçoit un questionnaire, qui doit être rempli et adressé au centre, ce qui permet d'ouvrir le dossier avant que le malade ne soit hospitalisé, d'où le rôle très important des infirmières et du secrétariat. Ainsi, lorsque le patient arrive pour sa première consultation, il est déjà connu à travers un dossier qui consigne les éléments essentiels de sa pathologie.
Quel est le but de la consultation initiale ? C'est de réévaluer le diagnostic, de voir si la douleur est organique ou non, d'apprécier le retentissement comportemental, d'évaluer l'anxiété, de revoir les traitements qui ont été administrés antérieurement, de connaître le suivi des patients. Cette consultation initiale est longue et elle se différencie de la simple consultation du médecin généraliste qui ne peut pas y consacrer autant de temps. Une hospitalisation est possible dans certains centres qui ont des hospitalisations de jour ou de semaine, permettant de garder le patient entre un et cinq jours de façon à assurer une première consultation, une première évaluation plus élaborée.
Sur le plan pratique et pour revenir à la consultation, elle dure au minimum une heure, et peut se poursuivre par un "jury médical ". Dans ce cas, le patient ne sera pas reçu par une seule personne, mais par plusieurs. Certaines premières consultations sont faites en présence d'au moins deux ou trois personnes : un anesthésiste, un neurologue, une infirmière et si nécessaire un psychiatre ou un psychologue. Le " jury médical " , multidisciplinaire, permet au patient de bénéficier d'une approche qui est interactive entre les différentes fonctions médicales, ce qui ne peut pas être fait dans le cabinet médical.
L'évaluation sera faite en trois étapes : vérifier d'abord que la douleur est chronique, étudier son mécanisme et enfin son retentissement. Il va donc falloir établir le diagnostic différentiel qui va permettre d'évaluer cette douleur chronique, déterminer quel est son mécanisme générateur : un excès de stimulation nociceptive, une déafférentation d'origine psychogène ou mixte, etc. Il y a les douleurs de nociception qui sont des douleurs d'origine inflammatoire : une fracture, une algie dentaire, une déchirure musco-ligamentaire. Les douleurs neurogènes par déafférentation sont des douleurs un peu différentes, par exemple une amputation. Et enfin les douleurs psychogènes.
Il faut évaluer la part psychique, la part organique et connaître enfin la part des composantes sensorielles et psychologiques. En effet, même si la douleur a une origine complètement clinique et organisée, il y entre des composantes sensorielles et psychologiques. Il est nécessaire de les évaluer de façon à pouvoir mieux traiter et c'est dans ce domaine que les psychologues et psychiatres ont un rôle déterminant à jouer.
Les antalgiques sont prescrits dans ces centres, avec des règles précises : respecter les paliers, prescrire à heures régulières une dose minimale efficace, privilégier la voie orale en première intention, associer éventuellement des co-analgésiques et surveiller les effets secondaires.
L'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, a édité des règles de prescription des antalgiques par paliers.
Le palier 1 fait appel à l'aspirine, le paracétamol, les anti-inflammatoires. Si ceux-ci ne sont pas efficaces, au bout de quelques jours, on passe au palier 2, comprenant l'association entre paracétamol et codéine ou dextropropoxyphène. Enfin, en cas d'échec, le palier 3 comprend les morphiniques.
Les morphiniques sont des produits très utiles qui ne sont pas obligatoirement prescrits en période d'accompagnement des mourants.
Un des problèmes que l'on a rencontré avec la morphine, c'est que si aujourd'hui elle est prescrite à des patients qui ont simplement une lombosciatique très invalidante, ils pensent souvent qu'on leur cache quelque chose. En plus, en français, cela s'appelle morphine : mort fine ! Ce sont les éléments qui ont empêché sa prescription sur un plan plus large, ce qui est dommage.
Aujourd'hui, les mentalités ont un peu évolué et on voudrait bien, y compris dans le cas de douleurs chroniques sévères, que la morphine soit un des traitements possibles.
La mission des centres de la douleur n'est pas uniquement de faire le diagnostic et de traiter, mais aussi d'avoir une activité de recherche. L'activité de recherche permet de collecter des données épidémiologiques et d'effectuer des évaluations thérapeutiques. On peut y mettre en place des protocoles qui permettront aux techniques de traitement de la douleur d'évoluer. En outre, il y a une importante activité d'enseignement clinique. L'Organisation Mondiale de la Santé a souhaité que soit organisé un enseignement en réseaux du traitement de la douleur. Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur ont donc un devoir de recherche et d'enseignement.
En conclusion, l'évaluation multidisciplinaire d'une douleur rebelle permet une prise en charge interdisciplinaire, synergique, c'est-à-dire très organisée. Une des spécificités principales des centres, c'est l'unité de lieu et d'espace. On peut y recevoir le malade, le prendre en charge de façon rationnelle, procéder aux examens pour éviter de l'envoyer d'un endroit à un autre, supprimer un facteur supplémentaire d'anxiété, et lui proposer une solution à son problème de douleur.
Certains patients ne doivent leur guérison qu'à ces centres, ou à des consultations spécifiques douleur, qui devraient idéalement exister au moins dans les grandes villes, et si possible dans tous les pays.
C'est un des combats de l'Institut UPSA de la Douleur dont la vocation est d'informer les professions de santé et le grand public, mais aussi d'aider à l'amélioration de la prise en charge de la douleur des patients. Ceci s'est concrétisé dans certains pays par la mise en place de centres de traitement de la douleur, accompagnée d'une collaboration médicale et scientifique : au Viêt-Nam, en Chine, en Birmanie, ou plus près de nous, au Liban, en Pologne, en République Tchèque, et en Tunisie.
Développement et Santé, n° 131, octobre 1997