Bilan d'une campagne de vaccination de masse contre la poliomyélite dans une zone de santé rurale d'un pays en développement

Par Béatrice Gohier, Bâ Abderrahmane Infirmière et médecin en mission avec Médecins du Monde à Ngandajika, Zaïre.

Publié le

La zone de santé rurale de Ngandajika est située dans la sous-région de Kabinda, au Sud-Est de Mbuji-Mayi, dans le Kasaï oriental, au Zaïre. Elle comprend 234 315 habitants, essentiellement ruraux (cultivateurs). La population des enfants de 0 à 5 ans est de 53 891, population cible.

I. L'épidémie

L'épidémie de poliomyélite qui a atteint la ville de Mbuji-Mayi s'est étendue à la zone de Ngandajika, distante de quatre-vingt-dix kilomètres. Une cinquantaine de cas a été recensée dans les centres de santé (CS) et à l'hôpital. Devant l'importance de la propagation de la maladie, une campagne de masse a été organisée. Le virus incriminé est le poliovirus de type 1, qui se trouve être le plus redoutable.

II. Organisation de la campagne

La campagne a été organisée par le bureau central de zone (BCZ) et Médecins du Monde (MDM). Parallèlement une campagne a eu lieu dans d'autres zones de la région, avec MSF (Médecins Sans Frontières) France et Belgique : d'un commun accord, il a été décidé de vacciner en deux phases espacées d'un mois et d'associer la rougeole à la seconde fois. Le vaccin utilisé a été oral pour la poliomyélite (2 gouttes) et injectable pour la rougeole (0,5 cc), les flacons sont de vingt doses pour le premier et de dix doses pour le second. La population cible pour la rougeole comprend les enfants entre neuf mois et cinq ans, soit 46 862 cas.

1. La préparation

Soixante-neuf sites ont été prévus dans le programme, à faire en onze jours, dont dix-sept sites en deux jours sur la cité même de Ngandajika.

2. La sensibilisation

Elle a touché toute la zone de santé et a été faite par l'intermédiaire des autorités locales : administratives, religieuses, coutumières, sanitaires et éducatives. Cette sensibilisation a duré un mois, ce qui a permis d'avoir une large diffusion.

3. Les ressources

a. Humaines

Les infirmiers-chefs de centre ont vacciné chez eux, aidés de leurs comités de santé (COSA). Des équipes mobiles sont venues renforcer les sites déficients. Elles étaient composées de deux superviseurs, dix infirmiers de l'hôpital et du BCZ, dix élèves infirmiers de l'ITM (Institut technico-médical),,une infirmière et un médecin de MDM. A la seconde phase, le médecin-chef de zone a renforcé les équipes.

b. Matérielles

  • Les vaccins, accumulateurs de froid et glacières ont été fournis par l'Unicef, par l'intermédiaire de l'antenne régionale du PEV (Plan Elargi de Vaccination).
  • Les réfrigérateurs : le BCZ n'en possède qu'un seul, déjà occupé par les vaccins du programme normal. Celui du centre de santé de référence et celui de l'équipe de MDM ont été utilisés.
  • Les congélateurs : étant en zone rurale, non électrifiée, il a été très difficile de trouver un congélateur.

À la première phase, deux particuliers ont permis d'utiliser les leurs chez eux : les congélateurs, comme les réfrigérateurs, sont à pétrole, ils refroidissent donc moins bien, d'autant que la charge était importante et le temps de refroidissement limité (retour tard le soir et départ tôt le matin).

À la deuxième phase, nous avons pu louer, à notre domicile, deux congélateurs. Le travail a été d'autant plus facilité et le temps de refroidissement largement augmenté.

  • Les cupules et plateaux ont été prêtés par le BCZ.
  • Les seringues (jetables) de dilution (2 800 à 5 cc) et d'injection (40 000 à 1 cc), les sacs poubelles (140) pour la récupération des aiguilles que nous brûlions tous les jours, les savons (80), le coton (9 000 g) ont ;été financés par MDM.
  • Les véhicules : trois Land Rover et une moto (pour les endroits inaccessibles en voiture) ont été utilisés.

III. Déroulement de la campagne

1. Au niveau d'un site

a. À la première phase

Sur chaque site, deux infirmiers, un pointeur et un service d'ordre de deux à quatre personnes assuré par les gens du village, étaient présents :

  • un infirmier préparait les flacons
  • un autre vaccinait, aidé d'un membre du service d'ordre pour tenir les enfants
  • un pointait.

Chaque site avait un responsable ; le superviseur avait, lui, la surveillance de trois sites par jour.

b. À la seconde phase

En plus des équipes constituées, se sont ajoutés pour la rougeole :

  • un infirmier qui préparait les flacons, les seringues d'injection et les cotons ;
  • un autre qui injectait, aidé lui aussi par un membre du service d'ordre ;
  • un autre enfin qui pointait.

Sur place, se trouvaient toujours un responsable du lieu et un superviseur pour trois sites.

2. Dans la journée

Après avoir préparé le matériel nécessaire (vaccins, accumulateurs, glacières, provisions de bouche ... ) et récupéré les membres de l'équipe mobile, chaque véhicule partait déposer les infirmiers sur les sites prévus.

Les Superviseurs se chargeaient de repasser vérifier si n'en ne manquait et si tout allait bien. À la fin de la journée, les voitures reprenaient les équipes et le matériel.

IV. Les résultats

Au premier tour, 41 141 enfants ont été vaccinés, sur une population attendue de 53 891, ce qui donne un pourcentage de 85,62 et 50 000 doses de vaccins ont été utilisées (92,28 % de taux d'utilisation).

À la seconde phase, 46 489 enfants ont reçu la deuxième dose contre la polio, soit 86,26 % ; 50 000 doses utilisées, soit 92,97 % de taux d'utilisation.

Ce sont en tout 38 842 enfants de neuf mois à cinq ans qui ont reçu le VAR (vaccin anti-rougeoleux), soit 82,88 %, le nombre de doses de vaccins utilisées est de 40 000, soit 97,10 % de taux d'utilisation. Le nombre de seringues utilisées est le même que le nombre de doses de vaccins.

V. Coût de la campagne

Toutes les dépenses ont été supportées par MDM* (en millions d'anciens Zaïres)
*(Les prix sont marqués en anciens Zaïres : 1 dollar = 15 millions d'anciens Zaïres = 5 FF).

  • dépenses du personnel: 35 150
  • carburant (pétrole, gazoil, essence) 21 580
  • location des congélateurs : 3 050
  • coton : 900
  • savons : 320
  • seringues 1 cc 121 500
  • seringues 5 cc 4 200
  • sacs poubelles 500
  • transport des seringues 1 cc (Kinshasa-Mbuji Mayi) : 18 000
  • coupe-faim: 3 396

Toutes les dépenses, sauf le prix du transport des seringues de 1 cc achetées en France car inexistantes au Zaïre en grande quantité rapidement, se sont élevées à 208 596 millions de A.Z., soit 13 906, 4 dollars US ou 69 532 FF.

Parmi ces dépenses, n'ont pas été pris en compte le prix des vaccins, ni leur transport depuis leur lieu de fabrication ' jusqu'à Mbuji Mayi, ni l'usure du véhicule et du matériel.

Pour vacciner une population cible de 53 891 personnes, avec un objectif de 85 %, il a fallu dépenser près de 70 000 FF. Il est évident que les centres de santé ne peuvent se permettre de telles dépenses, c'est dire que sans les ONG sur place ou les bailleurs de fonds, aucune campagne de vaccination ne pourrait être faite.

Il faudrait revoir le programme national du PEV afin de réhabiliter pour élever et maintenir un taux satisfaisant de la couverture vaccinale.

Cette réhabilitation concernerait surtout la chaîne de froid, l'approvisionnement en vaccins contre les six maladies cibles et même la fièvre jaune et les moyens de transport des infirmiers-chefs de centre.

Conclusion

Le faible taux de couverture vaccinale des pays en développement, du Zaïre en particulier, fait que les pays du Sud ne sont pas à l'abri des épidémies. L'organisation des campagnes de vaccination de masse, pendant les épidémies, est coûteuse et n'est pas à la portée de tous les États.

Il est souhaitable, pour une meilleure efficacité, d'appuyer les programmes existants pour créer des centres pilotes, au niveau des zones rurales.

Développement et Santé, n°123, juin 1996